Alors que le mois frileux de Silldalunà touchait à sa fin, et tandis que la forêt dormante de Drayame sortait doucement de sa torpeur pour patiemment se préparer pour l'arrivée du printemps, qui lui aussi revêtait son habit de fête, une jeune femme éperdument chaleureuse faisait route vers la cité arboricole des elfes. Elle revenait des villes de la côte, chargée de tissus soyeux et riches, de quantité de fils qu'on ne trouvait point ici, et moins riche qu'avant son départ. Comme à son habitude, elle bifurqua avant la ville elfique pour se rendre en la demeure cachée de sa fidèle protectrice. La dame, d'ailleurs, attendait son retour avec plus d'impatience que de coutume ... Elle se tenait même en bas de l'escalier qui conduisait à l'entrée de sa maison, une lettre à la main ...

L'Être de Floraison jeta un regard curieux à son amie qui, à son approche, vint vers elle avant même qu'elle n'ait pu ouvrir la bouche et prononcé le moindre de mot ...

Sythandra, ceci est arrivé hier. Cela t'es adressé : une de mes connaissances d'un autre territoire a eu vent de quelque chose qui pourrait mettre tes dons à profit ... Lis donc !

Sans plus de cérémonie, la dame elfe tendit le parchemin à sa protégée qui s'empressa d'en parcourir les lignes stylisées. Une écriture elfique, à n'en pas douter. Cela provenait des Montagnes. Il y avait, dans le Duché de Sholat, des elfes qui avaient entendu parlé des dons de Sythandra, qu'il s'agisse de son art pour la confection vestimentaire ou de ses pouvoirs sur la nature. Et ces gens pensaient que les compétences de la jeune femme pourrait tant plaire au maître des lieux qu'il serait enclin à lui fournir tout les matériaux qu'elle désirerait, un toit sur la tête qui n'appartiendrait qu'à elle, l'accès total aux jardins qu'elle pourrait embellir à sa guise, mais surtout qu'il serait aisément capable de mettre à sa disposition des ruches avec les meilleures abeilles qui puissent exister en ce monde ... Il est clair que la perspective d'avoir, à vie et à volonté, un miel d'une qualité inestimable ne pouvait qu'être décisif dans la décision de la jeune créature florale.

Une maison rien que pour elle ...
Tout ce qu'elle voulait pour la couture ...
Des grands et beaux jardins où elle pourrait communier avec Nature ...
DU MIEL !!!!

Il n'en fallait pas plus ... Sythandra releva la tête et comprit, à la mine de sa dame, qu'elle connaissait la réponse avant même que la jeune femme ne lise la lettre. Cela faisait maintenant presque dix ans qu'elle partageait sa vie avec cette sage elfe qui l'avait traité comme son égale mais surtout comme s'il s'était agit de sa propre fille. Mais la jeune femme avait toujours aimé voyager, aussi l'elfe avait toujours su qu'elle finirait par s'en aller vers d'autres horizons. Quelque part, cela la rassurait qu'elle parte à Sholat. Même si l'influence du démon y était plus présente qu'en Drayame, elle savait qu'elle pouvait compter sur ses connaissances là-bas pour veiller discrètement sur sa protégée. A présent, l'aînée regardait l'enfant devenue parfaitement adulte et maîtresse de sa destinée. Sythandra, elle regardait son mentor dans la recherche d'une approbation ...

Si tu as besoin de quoi que ce soit pour la route ou pour là-bas, n'hésite pas une seconde à me le demander : tout ce qui est ici est autant à toi qu'à moi ... Avant de partir, je te présenterais à tes compagnons de route, des amis qui rentrent à Sholat, ils veilleront sur toi pendant le voyage, tu pourras leur faire confiance.

Vous pensez que c'est une bonne idée de vous laisser ?

Mon enfant, j'ai vécu des siècles seule avant de te connaître, je crois que je sais encore comment le faire ... Tu dois vivre tes propres expériences, et les années nous ont prouvé que tu étais capable de très bien te débrouiller sans moi. Cependant ... Là-bas, fais bien attention à toi : il s'agit d'un fief de vampires, et même s'ils sont civilisés, ne bois pas leurs paroles béatement. Je sais que tu aimes croire que tout être possède un fond de bonté, mais certaines créatures de ce monde en sont réellement dépourvues ...

Elle se baissa pour caresser Koïa, occupée à moridller un gros caillou - oui, l'animal a des habitudes étranges ... ou alors elle manque de sels minéraux ... - et la regarda dans ses quatre beaux yeux bleus.

Koïa, tu seras à présent la seule famille de Sythandra, vois tout ce qu'elle ne percevra pas, entend tout ce qui échappera à ses oreilles, sois son ombre et son bouclier ...

Ce à quoi l'Âme-liée répondit en se mettant en garde, la mine sérieuse, comme pour montrer qu'elle ne faillirait jamais à son devoir - mais avait-elle vraiment le choix, puisque la mort de son alter-ego entraînerait fatalement la sienne ?

Sythandra souriait à présent, et sans demander plus d'attention elle fila faire ses bagages. Les robes et autres atours quittèrent la penderie de bois blanc laqué, les bijoux, bien remisés dans une beau coffret en ivoire, prirent leur place dans le fond de la malle, et quelques livres vinrent tenir compagnie à l'ensemble. Dans une seconde malle, Sythandra installa avec précaution tous les tissus qu'elle avait acquis jusqu'ici, tout son attirail de couture et son coffret à dessin, offert l'année d'avant par une cliente comblée. Les deux bagages convenablement fermés et verrouillés, elle s'en retourna vers la dame elfe, qui, comme convenu, l'introduisit à ses amis, un couple de marchands, deux très beaux elfes d'apparence assez jeune, ainsi qu'un peintre, vieux celui-là. Tous trois étaient originaires de Drayame mais depuis très longtemps installés à Sholat, et ils étaient venus rendre visite à leur famille, restées dans la Cité des Arbres. Tous étaient prêts à quitter le domaine des elfes ...

Rapidement, Sythandra et Koïa firent leurs adieux à la dame protectrice et à la maison qui les a vu vivoter pendant toutes ces années. Avant de partir, l'Être de Floraison laissa une lettre pour ses parents, que la dame elfe leur apportera avec empressement.

Et il fut l'heure de partir ...

Plusieurs jours durant, tout au plus une dizaine, la troupe avança, d'abord traversant le reste de la forêt, puis cheminant au cœur des Plaines Mystiques en direction des Montagnes et de Sholat. La route fut tranquille, sans ombrage, sans problèmes, pas même, chose notable, du mauvais temps. La marche était cependant harassante, et tous furent chaque soir heureux de monter le camp pour la nuit.

Et puis, alors que Kelrenn débutait, ils arrivèrent à la frontière du Duché, là où les deux titans de pierre surveillent silencieusement les allers et venues des voyageurs ...

Sythandra n'avait jamais vu pareilles splendeurs. La vallée avait déjà commencé à accueillir le printemps et les arbres bourgeonnaient tranquillement, certains accueillaient même déjà quelques fleurs naissantes. Le tapis vert qui recouvrait les sols était encore plus superbe que celui que la jeune femme admirait à Drayame. L'architecture était cependant la plus intéressante à ses yeux. La plus étonnante surtout ... Mais des plus plaisantes, et pas sans lui rappeler celle de la cité des elfes.

Voyant tout cela, Sythandra commença a imaginer sa vie en pareil endroit ... Et elle était prête à parier qu'elle allait s'y plaire et vite s'y habituer. Mais pour l'heure, il fallait rejoindre Opalsa et le Manoir de la famille régnante, où, selon la lettre, du travail pouvait l'y attendre ... Du travail et du miel ! Aussi, c'est avec une démarche enjouée et un large sourire confiant qu'elle se présenta, après avoir quitté avec respect ses amis de voyage, au Manoir, expliquant, lettre à l'appui, la raison de sa venue ...