La bataille de Sen'tsura n'était pas achevée depuis longtemps, et un climat d'euphorie planait dans les Piémonts de Kargrad. Dans la cité éponyme, les Rebelles avaient tôt fait d'évacuer, trouvant refuge loin des Nains. Désormais, les Montagnes étaient l'ami de l'Empire, et la Rébellion était devenue non-grata. Certes, certains se terraient encore dans les collines, ou chez des amis Nains, mais le Conseil de la Montagne avait été catégorique. Tout membre de la Rébellion serait mis en détention.
Après tout, la guerre était terminée. L'Empire avait gagné. Galaad était mort, et toute résistance un tant soit peu organisée avait disparu en Terre comme ailleurs. Seules restaient les Glaces, qui allait sans doute se replier encore davantage sur elles-mêmes des suites de leur défaite militaire. Et pendant ce temps, les Nains prospéreraient comme jamais auparavant.
Leyna ne pût que remarquer la bonne humeur ambiante qui semblait régner dans cette zone frontalière entre la Terre et la Montagne. Plusieurs patrouilles de cavaliers de l'Empire croisaient celles des mercenaires humains embauchés par les Nains. Des convois allaient et venaient dans les deux sens, et elle vit même un petit fort impérial en construction non loin de la cité de Kargrad. Ainsi donc, les Nains étaient-ils devenus les chiens de l'archidémon ? Ou bien était-ce là des concessions militaires en échange d'importants avantages commerciaux ? Un minimum de connaissance de la nature négociante des fils de la Montagne ne pouvait lui faire penser qu'à la seconde solution.
Après avoir rencontré deux gardes connaissant de toute évidence peu le protocole, elle fût conduite jusqu'à un sergent qui la traita avec bien davantage de déférence. Après tout, elle était une Féral, l'une des plus importantes familles de l'Empire. Et si ce n'était de toute évidence pas une visite officielle, elle devait être traitée avec tous les honneurs qui lui étaient dû.
Ainsi, une escorte lui fût offerte jusqu'à l'immense Mur d'Alaric. La construction, qu'elle avait pût apercevoir au loin, était proprement gigantesque. Fermant l'unique passe montagneuse assez grande pour qu'une armée puisse passer, la chaîne de fortifications abritait non seulement des soldats du Conglomérat, mais également de l'armée régulière de la Montagne. Nains, Gnomes, Élémentaires, et autres Golems pouvaient être vues sur les murs ou dans les tours. D'immenses batteries d'artilleries, semblables à des balistes automatiques, toisaient le ciel comme attendant l'arrivée de wyvernes ou d'un dragon. Il fallut une vingtaine de minutes à Kitsune pour traverser le mur, enchaînant poste de contrôle avec dédale de couloirs, et ascenseur à poulie avec balade sur des remparts secondaires.
Finalement, elle se trouvait enfin dans les territoires Nains à proprement parler. Dans ces ctreonforts froids où l'oxygène commençait à manquer, on n'apercevait plus aucun humain, uniquement des équipes de minages, des convois de ravitaillement, ou des patrouilles armées. Il fallut encore six heures de marches dans cet environnement, avec une escorte réduite de moitié, pour arriver jusqu'à Fort Granite.
Semblable à un avant-poste renforcé Nain lambda, rien ne laissait supposer qu'il s'agissait là de la partie émergée de l'iceberg qu'était Coeur-du-Granite, la capitale économique et démographique des Nains, et quartier général du Conglomérat de Kael-Modan. Rien, à part peut-être le nombre démesuré de balistes, classiques ou automatiques, et les légions de Golems qui patrouillaient en cercle indéfiniment autour du fort.
Une fois à l'intérieur, dans une atmosphère chaude et accueillante, il ne fallut pas plus d'un quart d'heure pour arriver jusqu'à Alaric. La nuit étant tombé, il était le nez plongé dans des documents officiels, ayant laissé depuis plusieurs heures la salle du trône et ses joutes verbales permanentes. On lui annonça la visiteuse, et il leva deux yeux fatigués vers elle.
- Soyez la bienvenue, Mademoiselle Leyna Féral. C'est la première fois que je reçois un représentant de votre illustre famille. La journée est déjà bien avancée, aussi je crains que le repas protocolaire ne soit compromis. Je peux toutefois vous offrir l'une de nos meilleures bières. Je vous en prie, asseyez-vous.
Il désigna l'une des cinq chaises qui faisait face à son épais bureau en bois de la forêt elfique. Sur les murs, de nombreuses lettres, documents officiels à examiner puis signer, et autres rappels. Seules fioritures, sur le mur juste derrière le Duc-Directeur : Trois blasons. Celui du Conseil de la Montagne, entouré par celui du Conglomérat de Kael-Modan et celui de la famille Alaric.
Le Nain, aux yeux endormis mais aiguisés, remarqua quelque chose de fort peu naturel dans son interlocutrice. Elle semblait extrêmement jeune, en apparence, et il était forcé de reconnaître son indéniable beauté. En général, il n'aimait pas spécialement les "longues-jambes", mais pour le coup, il aurait été de mauvaise foi que de renier cela à la Féral. Cependant... Elle se déplaçait sans mouvement inutile, tout en balayant furtivement et rapidement la salle du regard. Aux fonds de ses yeux luisait de la détermination, mais il ne parvint pas à percevoir la passion dévorante propre à la jeunesse. Très certainement était-il bien plus âgée qu'elle ne voulait bien le faire croire. Après tout, les Féral n'étaient-ils pas des semi-démons ?
- Sachez avant toute chose que nous vous offrons le gîte et le couvert, aussi longtemps que vous serez sur le territoire du Conglomérat. Sinon, les armes et armures que nous vous avons fourni vous ont-elles été utiles à la bataille de Sen'tsura ? J'ai ouïe dire que c'était le cas.
C'était peu dire. Les armures en Stratium n'étaient pas nombreuses sur le champs de bataille, et les Rebelles défaits amplifiaient certainement la réalité, mais les récits de volées de flèches et de carreaux rebondissant sur les soldats impériaux avaient fait le tour de Terra. De même que cet officier Rebelle brisant son arme en argent sur le dos d'un garde d'élite impérial équipé en Stratium.
- Autrement, que me vaut l'honneur et le plaisir de vous recevoir en ce jour ? Êtes-vous venue parler affaire, charmante demoiselle Féral ?