Je me souviens de son petit corps roulé en boule sous la couette et de sa main cramponnée à la mienne. Elle avait la respiration lente et régulière. Je la regardais, dans l'obscurité la plus totale. Cette tâche blanche dans mon univers noir. Ça m'apaisais de la voir rêver, alors que je n'arrivais pas à dormir.
J'avais comme un poids sur la poitrine, la profonde envie de pleurer, de la prendre dans mes bras et de lui dire "Ne me laisse jamais". Je me sentais oppressée, prise d'une angoisse folle.
Mère n'était encore pas venue me chercher ce soir. Pourtant, je l'avais sentie, un peu plus tôt dans la journée passer prêt de chez notre nourrice. D'ordinaire, quand elle ne revenait pas, c'est qu'elle était partie chasser. J'avais l'habitude qu'elle m'oublie chez notre nourrice et que celle ci me garde plus longtemps. Ces nuits là, la nourrice me mettait dans la chambre d'Elea et nous dormions paisiblement toutes les deux.
Mais ce jour là, j'avais sentie ma mère. Elle n'était délibérément pas venue me chercher. C'est comme si on avait d'un coup piétiné tous mes rêves. Je me sentais vide, triste et persuadée que jamais elle ne reviendrait.
Je me rappel avoir dormis peu. Je m'étais réveillé au matin roulée en boule sur moi même. Elea sautait sur le lit pour me réveiller et tirais mes pieds pour me faire tomber. Nous avons chahutées jusqu'à ce que notre nourrice ne vienne nous chercher pour le déjeuner.
Nous avions mangés avec les autres enfants et étions parties nous chahuter encore dans la cour extérieure. Je prenais ma forme louve et coursais Elea. Elle n'aimait pas beaucoup ça, mais elle préférait cela aux moments ou j'essayais de me transformer en lycan.
J'aimais maitriser ma forme animale. Il était permis sous forme animale bien plus de libertés que sous forme humaine. Je me sentais aussi moins fragile : plus forte, plus puissante. J'aimais cette sensation de dominance sur tous les autres enfants. Je courrais plus vite que chacun, j'étais plus habile, j'étais plus féroce.
Je voulais à tout prix connaitre au mieux ma forme lycan également. La nourrice désappréciais cela. Je n'avais pas me droit de le faire devant les autres. Elle n'aimait pas non plus que je sois louve, mais était incapable de faire en sorte que je ne le sois jamais. M'empêcher d'être lycan était déjà beaucoup. Elle ne comprenait pas. Aucun d'entres eux ne pouvait comprendre qu'es ce qui pouvait bien me pousser à prendre cette forme hybride. Même Elea méprisait sa forme lycan. Pour moi, c'était la promesse qu'un jour je serais une grande chasseresse. Je partirais avec ma mère, et nous aurions une vraie relation. Nous chasserions ensembles, nous serions les plus redoutées. Je serais sa digne héritière, et une fierté pour la meute.
Ma mère me l'avait dit un jour : plus je serais puissante, meilleure serait ma place dans ma meute. Et alors, plus serait difficile pour mon alpha de me limiter. Je n'ai pas eu la chance de naitre louve blanche comme Elea. Elle est promise à être alpha. Pas moi. Moi je suis promise à la soumission. Mais j'ai toujours haïs les règles. Je n’arrive pas à courber l'échine et à obéir. Je n'ai jamais réussit. Si l'on m'interdit quelque chose, je me sens obligée de le faire, c'est plus fort que moi. Mère disait qu'à faire n'importe quoi, je finirais loup solitaire. Et un loup solitaire est un loup faible face à la puissance d'une meute…
C’est alors qu’ils sont arrivés. Ma mère, et ces hommes. Je l’ai sentie, mais quand j’arrivais en catimini, je surpris une discussion entre elle et ma nourrice. Celle-ci était dans une fureur noire.
- Vous ne pouvez pas les séparer. –assénait-elle avec colère.- Votre fille, vous l’avez laissé bien trop souvent ici, si vous la séparez d’Elea, vous lui causerez un traumatisme irréparable.
- Enora n’ira pas dans la meute de cette orpheline. Elle doit vivre avec sa future meute, cet attachement est malsain.
- Il est votre faute ! C’est trop tard à présent, vous ne vous rendez pas compte…
Ma mère n’écouta pas, elle m’aperçut. Je fuyais. Pour la première fois, je fuyais ma mère. Il fallait que je trouve Elea. Quelque chose m’oppressait j’étais paniquée. Non, ils ne pouvaient pas me séparer d’elle, j’avais besoin de sa présence. Il fallait que je la trouve. Mais quelque chose me saisit avec force. Un homme. Je le mordais, il resserra l’étau.
- Lâchez-moi !
- Vous ne pouvez pas faire cela ! –hurla ma nourrice, ma mère la gifla, et la suite, je ne m’en souviens pas. On m’avait endormie.-
Je me réveillais dans une tanière. Il y avait ma mère et deux hommes. J’avais du mal à respirer, ma tête tournait. Je repris conscience de la situation et me dressait en grognant sur ma propre génitrice, dont j’avais tant et tant rêvé la proximité.
- Où est-elle ?!
Elle me regarda, l’air dur, gronda à son tour. Je pris conscience que j’étais sous ma forme lycan. Je résistais à l’ordre.
- Elea, où est-elle ?!
- A sa place, et toi à la tienne, avec ta meute. Tu es assez grande maintenant et assez forte pour en faire partie. Elea, il te faut l’oublier.
- JAMAIS ! –m’entendis-je asséner. Comment en quelques heures avais-je pu changer à ce point ? La perspective d’être éloignée de ma moitié à jamais m’était impossible. Un homme chuchota.-
- Elle s’est déjà imprégnée de l’alpha… -ma mère lui lança un regard meurtrier-
- C’est encore une enfant, elle peut s’en défaire.
Je sentais une terrible colère monter en moi. Inexplicable. J’aurais voulu leur arracher la tête. Elea et moi, nous nous étions fait la promesse de ne jamais nous quitter. Elle était celle qui me calmait, lorsque j’étais en colère, celle qui aider les autres à m’accepter, quand j’avais du mal à me faire des amis, celle qui me calmait, lorsque je devenais incontrôlable, celle qui me faisait sourire lorsque j’étais triste… Elle était mon exact inverse, la meilleure partie de moi. J’avais l’impression qu’on était en train de me trancher end deux. C’était terriblement douloureux.
- Je ne m’en déferais pas. – ma voie était devenue menaçante, contre les miens propres. Je me sentais gagnée par ces habituelles pulsions chaotiques qui m’habitaient. Elea n’était pas là pour les calmer.- Je vous tuerais –dis-je en regardant l’homme dans les yeux.-
- Ta propre mère aussi ?
Non. Pensais-je. Non pas ma mère. Même si elle ne m’a jamais regardé dans les yeux, même si elle s’en est toujours fichue de moi, je peux lui pardonner. Comme si l’homme avait lu dans mes pensées il sourit, s’effaça. Je me retrouvais seule avec elle.
- Enora, ma fille. –dit-elle en tendait les mains vers moi.- Nous sommes enfin réunies. Ne comprends-tu pas ? Je t’ai trouvé une place dans la meute. Nous serons puissantes. Nous chasserons ensembles, comme tu l’as toujours souhaité. Tu ne veux plus que nous soyons réunies ? Tu veux me rendre triste et réduire à néant tous les efforts que j’ai faits depuis ta naissance ?
- Non maman…-je reprenais forme humaine, accablée.- Mais je ne peux pas l’abandonner.
- Si tu t’obstines ils la tueront.
Elle avait asséné cela comme un coup de hache. C’était donc ça l’enjeu : mon entrée dans la meute contre sa vie. Je me sentais bouleversée, chaotique, en colère à nouveau. Mais je pouvais être avec ma mère. N’étais-ce pas mon rêve après tout ?
- D’accord. – Mère me prit dans ses bras –
- Tu fais le bon choix. Plus grande tu comprendras.
Dès ce moment, quelque chose changea en moi. Quelque chose de mauvais. Je n’ai pas cherché à m’intégrer, auprès de ce qui semblait être ma future meute. Je n’ai pas cherché à l’aimer. Je l’ai méprisé. Ma mère n’a pas été plus avec moi qu’auparavant. Elle était juste là pour me donner des directives et faire valoir que j’étais forte. J’ai chassé avec eux, j’ai décimé avec eux. On m’a réprimandée, plusieurs fois. Je n’ai pas bronché, je ne m’en souviens même pas. J’avais besoin de tuer pour me sentir mieux. Je me suis fermée. Et lorsque je repense à ces jours, je ne vois qu’une longue nuit noire, une nuit ou je ne voyais rien, mais où j’avais un goût de fer dans la bouche. Un goût de sang.
Et un jour il a prononcé son nom.
J’avais pris l’habitude qu’ils parlent loin de moi, entre eux. Qu’ils parlent sur moi. Je ne les écoutais pas. Mais son nom je l’ai entendu. Je n’ai pas cherché à comprendre ce qu’il disait. Je n’ai pas cherché à savoir si c’était positif, ou négatif. Il l’avait simplement dit. J’ai ressentis la même douleur que ce jour, où ils étaient venus me chercher. J’ai ressentis mon estomac se tordre et tout mon être se soulever. Je ne saurais pas définir tout ce que j’ai ressenti d’autre. Mais j’ai ressenti et c’était beaucoup trop pour moi.
La suite, je ne m’en souviens pas. La suite, elle était inscrite dans le liquide chaud et rouge dans mes poiles noirs. Avant que je ne reprenne une forme humaine grelotante devant la porte.
Quand elle a ouvert, ma nourrice m’a à peine reconnue. Elle a crié, avant de me voir. Et alors elle a compris. Je l’ai prise avec moi, et nous sommes parties.
Plus jamais personne ne me séparera d’elle, ma moitié, ma sœur, ma meute. Sinon, je le tuerais.