Distante – Calme – Amicale – Rancunière – Méfiante – Sang-froid – Refoule parfois ses sentiments – Peut être renfermée – Sérieuse – Pragmatique – Objective – Attentionnée – Réfléchie – Autoritaire – Mauvaise compréhension du 2° degré – Aime le froid, les intempéries et les combats – Déteste la chaleur, avoir tort et les chatouilles – A peur du feu
Histoire Un souffle de vent la réveilla, sifflant sans interruption. Elle était frigorifiée. Etrange… Elle ne se souvient pas d’être venue là. Elle rassembla son énergie, ouvrit les yeux et se releva, malgré ses membres engourdis par le froid. Et elle regarda devant elle. Il n’y avait que du blanc. Elle sentait le vent l’accueillir en hurlant dans ses oreilles, elle le sentait la glacer et la gifler sans s’arrêter en déposant des flocons sur sa cape. Sa cape blanchie par la neige.
Où suis-je ? Comment suis-je arrivée là ?Elle avait beau se tourner et se retourner, elle ne voyait que la neige à l’infini. L’horizon était inexistant, caché par les bourrasques continues et les flocons amassés au sol. Que ferait-elle là ? Elle se creusa la tête malgré le froid qui l’engourdissait, et elle ne s’en souvint pas. D’ailleurs, elle ne se souvenait de rien.
Qui suis-je ? Que faisais-je ? Pourquoi je suis là ?Elle n’eut pas les réponses à ses questions. Elle hurla en espérant que quelqu’un l’entende, que quelqu’un l’aide. Mais personne ne lui répondit. Seulement le vent qui avait avalé ses paroles. Elle soupira en frissonnant. Elle était seule, perdue au milieu de la neige. Comment pourrait-elle s’en sortir dans ce monde étranger ?
Elle pensa à rester ici en attendant que la mort l’emporte, tant elle était désespérée. Mais elle trouva le courage de se lever en tanguant et de marcher, droit devant elle, jusqu’à ce qu’elle sorte de cet enfer. Elle ne sut pas combien de lieues elle avait parcouru en raclant péniblement la neige. Elle avait l’impression d’être dans un lieu irréel, hors du temps, où il n’y avait que de la neige et le vent criant sans relâche. Quoique… Elle s’arrêta brusquement et tendit l’oreille en grelottant. Oui… Oui ! Il y avait autre chose, de faibles gémissements qui étaient étouffés par les rafales.
Elle tourna la tête pour repérer dans quelle direction ils venaient, ce qui fut difficile à cause du froid qui la glaçait jusqu’aux os et qui la distrayait. Mais elle se remit en marche, tournant à sa gauche, en piétinant et en tremblant de froid. Elle resta alerte au moindre bruit et fut rassurée en entendant les plaintes se rapprocher. Elle crut avancer pendant une éternité avant de distinguer une forme floue devant elle. Sans ralentir, elle cligna des yeux et vit la forme devenir une silhouette et la silhouette se changer en être vivant.
C’était un faon, plus grand que la normale. Son pelage argenté était moucheté d’une multitude de taches gris foncé. Il était allongé dans la neige et une tache de sang séché auréolait sa patte arrière gauche. Il dressa ses oreilles, puis leva son regard vers celui de la jeune fille. Un regard apeuré et désespéré. Il gémit faiblement et coucha sa tête dans la neige, comme résigné à mourir. Peut-être la prenait-il pour une chasseuse ? Elle avait faim, oui, mais pas au point d’achever un jeune faon.
Elle se pencha vers sa patte blessée. Elle était cassée et une plaie ouverte en faisait le tour. Il ne pouvait pas bouger de lui-même. Elle le prit délicatement dans ses bras. Il était lourd ! Mais elle se remit à marcher, droit devant elle. Elle voulait le mettre à l’abri. Elle aussi, par la même occasion. Elle ne sentait plus ses doigts ni ses orteils, mais la chaleur du faon lui réchauffait un peu le ventre. Ses pas s’alourdissaient au fur et à mesure que le froid l’engourdissait. Et après une attente interminable, elle vit une grande masse claire se dessiner devant elle.
Elle pressa péniblement l’allure et remarqua peu à peu qu’il s’agissait d’une petite colline enneigée. Elle se rapprocha lentement d’elle et aperçut une ouverture large, mais si basse qu’elle dût descendre la petite pente à quatre pattes, en plaquant le faon contre elle du mieux qu’elle put. C’est-à-dire à peine, ses sabots raclaient sur le sol rocailleux.
La minuscule pente menait à un espace étroit et circulaire, grossièrement taillé par la nature. Elle se coucha et se roula en boule autour du faon qui l’observa pendant un moment, avant de donner un coup de tête dans sa main et de s’endormir, la tête sur les pattes. Elle ne parvint pas à se reposer. Les questions trottaient inlassablement dans sa tête. C’est angoissant de rien savoir sur soi et d’être projeté brusquement dans un univers qu’on ne comprend pas.
Elle réfléchit en observant la blancheur des flocons par la fente de la colline. Elle chercha dans chaque parcelle de son esprit pendant de longues minutes, voire des heures, un souvenir auquel se raccrocher. Elle abandonnait lorsque deux pensées vinrent à son esprit.
Je m’appelle Esmel. Je suis une revenante.Et elle s’endormit dans un sommeil troublé.
***
Un blizzard soufflait dans l’obscurité du soir. Un cheval hennit et renâcla. Ses propriétaires le calmèrent à l’aide de "hé" et de coups de fouets, l’obligeant à reprendre la route. La tempête effrayait le brave animal, mais s’il partait avec la caravane, les affaires seraient fichues. Malgré leur crainte, ils étaient soulagés de voir une masse lumineuse à une demi-lieue de là.
Ils suivirent difficilement la route cachée par la neige et les halètements du canasson se firent de plus en plus bruyants. Les deux marchands se demandèrent quand ils allaient arriver, tellement ils étaient gelés et exaspérés par les lueurs qui approchaient à peine. Mais après quelques heures pénibles, ils distinguèrent enfin les maisons et se trouvèrent bientôt devant l’entrée du village. Ils laissèrent échapper des soupirs de joie, accentués par le blizzard qui se calmait.
C’est alors que des cris barbares retentirent. Une bande de cinq bandits avait encerclé la caravane. Le plus frêle se plaça devant la caravane avec un regard sournois et méprisant.
«
Bien le bonsoir! Vous avez l’air d’avoir pas mal d’objets de valeur là-dedans. Pas vrai ? »
Un des marchands esquissa un geste vers sa ceinture, mais une des quatre autres brutes grimpa derrière lui et lui mit un couteau sur la gorge. Un autre immobilisa les bras du second marchand. L’homme frêle, le chef apparemment, siffla.
«
Ne me dites pas que vous pensiez qu’on ne vous aurait pas vu ? Vous avez des dagues, mais ce n’est pas bien utile face à cinq bandits costauds.─
Costaud, toi ? » murmura le marchand qui suffoqua lorsque le bandit appuya plus fort sa lame sur sa gorge.
Le chef braqua sur lui un regard venimeux.
«
A ta place, j’éviterais d’être insolent. Ça pourrait être mortel. »
Il jeta un coup d’œil aux deux bandits libres et montra la caravane du menton. Les deux hommes montèrent dedans et les marchands, nerveux et inquiets, écoutèrent le vacarme en espérant qu’ils ne pourraient pas tout prendre. Le chef s’approcha des marchands, les fixa d’un air mauvais et ouvrit la bouche. Mais il n’eut pas le temps de dire quoi que ce soit.
Une lame étincela et sa tête disparut. Tous se raidirent et scrutèrent la scène avec effroi. Elle avait roulé à quelques mètres, suivie d’une trainée de sang. Son corps inerte s’effondra, révélant la présence d’une personne drapée d’une cape noire, les yeux cachés par sa capuche.
«
Chef ! Chef, qu’est-ce qu’il se p… »
Le bandit avait à peine posé le pied hors de la caravane qu’il s’était reçu une lame dans le ventre, lui coupant la respiration. Pendant qu’il s’écroulait en haletant, l’inconnu en noir disparut derrière la caravane. Le deuxième bandit, lui aussi sorti de la caravane, remonta aussi sec et se fraya un chemin parmi les tonneaux et les sacs de toiles jusqu’au fond du véhicule.
Il aura plus de mal à m’atteindre, et j’aurai largement le temps de tester mon poignard sur lui !Il sourit à cette pensée. Sourire qu’il perdit aussitôt lorsqu’il vit cette personne devant lui, adossée au mur au fond de la caravane. Alors que personne n’est monté avant lui, il en est certain.
«
Mais comment… »
Il se prit la lame droit dans le cœur. Son assassin retira son arme du corps inanimé qu’il transporta et jeta à ses pieds lorsqu’il fut à l’air libre. Les deux autres bandits étaient descendus de la banquette à l’avant et tenaient les marchands, leurs couteaux toujours plaqués sur leurs gorges. Ils tremblaient tous de peur. Ils ne voulaient pas mourir.
«
Ne bouge plus ! Sinon, on les envoie chez Nayris ! »
Elle resta immobile, mais cette menace la fit sourire. S’ils savaient qu’elle était obligée de ramener régulièrement des gens à la déesse de la mort… Comme cette fois. Comme toutes les autres.
Des cliquètements se firent entendre et deux soldats pointèrent leurs épées dans le dos des bandits.
«
Lâchez-les. »
Une lueur de terreur passa dans leurs yeux, pendant que l’espoir s’était rallumé dans ceux des marchands. Il n’y avait pas d’échappatoire. S’ils risquaient quelque chose, ils serraient rattrapés voire tués. Alors ils baissèrent les bras et les soldats les tinrent fermement, l’épée toujours pointée sur eux, avant de les emmener vers le village. L’inconnu faisait demi-tour lorsque du métal froid se fixa sur sa nuque.
«
Toi aussi, tu nous suis. »
Il se tourna vers un troisième soldat qui l’incita à suivre les autres. Ils marchèrent silencieusement jusqu’à un bâtiment de pierre où ils entrèrent.
Sûrement leur base.Ils furent tous les trois amenés dans les cachots et les deux premiers soldats jetèrent les bandits dans une cellule déjà occupée par un homme massif à l’air menaçant. L’inconnu, lui, fut amené jusqu’au bout du couloir où se trouvait une petite pièce fermée. Celui qui l’avait amené bloqua la porte tandis qu’Il fut encadré par trois autres soldats, le mettant face à un homme aux traits sévères.
«
Retirez-lui sa capuche. »
L’inconnu réagit plus vite que les gardes et sa tête dégagée révélait qu’il était une fille. Une fille aux longs cheveux brun foncé, avec des yeux bleu pâles rehaussés par deux triangles bleu foncé.
«
Quel est ton nom ?─
Esmel. »
L’homme se rapprocha d’elle sans détacher ses yeux clairs des siens, comme s’il cherchait à lire dans ses pensées. Il la scruta un instant, silencieux.
«
Es-tu le Mirage ? lâcha-t-il finalement.
Vêtu d’une cape noire, décimant ceux qui nuisent aux voyageurs et aux villageois et disparaissant aussi vite qu’il apparaît ?─
Oui.─
Même si tu sembles avoir de bonnes intentions et que tu ne touches pas aux personnes honnêtes, tu restes une meurtrière. C’est condamné à la pendaison, ici. »
Il fixa ses yeux dans ceux de la jeune fille, qui soutint son regard sans ciller. Un court silence passa.
«
J’ai une proposition à te faire. Rejoins notre armée. Tu pourras continuer à tuer, vu que tu ne procèdes apparemment que comme ça, et pour une bonne cause. Sinon, une corde t’attend. »
Nouveau silence. Rejoindre l’armée briderait sa liberté. Et Mythraï ? Un charognard gris avait brisé son bois gauche il y a quelques jours et ça lui faisait encore mal. Il n’était pas aussi rapide que les chevaux, alors on risquait sûrement de les séparer. Mais d’un autre côté, elle ne voulait pas mourir bêtement, alors qu’une porte s’ouvre à elle…
«
D’accord. »
La tension se relâcha, et l’homme lui sourit.
***
Un courant glacé se faufila dans la pièce lorsque la porte d’entrée s’ouvrit. Esmel entra et resta un instant sur le seuil, découvrant la maison assombrie par la nuit. Elle se trouvait dans un petit salon entièrement couvert de bois : sur les murs, le sol et le plafond. Il y avait des fauteuils en cuir de chaque côté d’une table de bois, posé au centre de la pièce sur un tapis en peau d’ours blanc. Une grande cheminée de pierre au fond de la pièce était éteinte.
La jeune fille s’en approcha, pris le foret à main posé à côté et le frotta sur une bûche, allumant un feu. Ses reflets rougeoyant dansaient sur les murs et les deux portes, de chaque côté de la pièce, qui menaient sur la cuisine et les chambres. Mais elle ne les ouvrit pas. Elle se laissa tomber dans un fauteuil et observa les flammes s’agiter en crépitant. Elle n’aime pas cet élément. Trop chaud, trop destructeur… Comme il l’a été à la mort du général de Selian.
Elle soupira. Elle culpabilisait. D’abord parce qu’elle était avec lui, comme d’autres soldats, lors de sa dernière bataille. Elle aurait pu le protéger, comme les autres. Mais ni eux ni elle n’avaient rien fait et lorsqu’ils s’en sont rendu compte, il était trop tard. Oui, elle culpabilisait parce qu’il était mort. Mais elle culpabilisait encore plus parce qu’elle avait pris sa place.
Elle se rappela de ce jour où elle a accepté d’entrer dans l’armée, il y a 19 ans. Elle a obtenu l’autorisation d’aller chercher Mythraï et elle lui a expliqué la situation, même si elle était sûre qu’il ne comprendrait pas. Ils se connaissaient depuis deux ans à peine. Ils sont ensuite retournés au village où des soldats les attendaient. Après un petit périple de quelques mois, ils ont rejoint la base de l’armée de Selian.
Lorsqu’elle s’est réveillée dans la Toundra, elle a découvert qu’elle possédait sa lance à double tranchant et que ses doigts se souvenaient de son maniement, comme si elle avait déjà appris à se battre avant. Elle connaissait donc déjà les bases du combat. Mais à l’armée, elle a pu se perfectionner face à de vrais combattants, ce qui la changeait des coups dans le dos de lâches qui maniaient mal leurs poignards. Elle a fait de grands progrès et a acheté une dague, puis un arc court avec sa rente de soldat. Elle eut plus de mal à utiliser l’arc, mais elle se rendit compte que c’était l’arme la plus utile et facile à manier sur le dos du cerfroid.
Elle essaya aussi d’entrainer Mythraï à combattre avec ses bois, ses sabots et ses dents mais ça n’avait pas marché les premières années, alors elle a abandonné. Jusqu’au jour où elle a entendu pour la première fois le cerfroid lui parler télépathiquement. Ils tenaient l’un à l’autre et se comprenaient, mais maintenant qu’ils pouvaient penser la même langue, ils en profitèrent pour apprendre à se connaître et aller plus loin dans leur relation.
Elle apprit que le cerfroid était né dans un troupeau sauvage, mais qu’il s’était blessé la patte à ses deux mois suite à l’attaque d’un loup affamé. Il a été repoussé, mais sa patte cassée empêchait le groupe d’avancer, alors ils l’ont abandonné. Quelques heures plus tard, Esmel le mettait à l’abri dans la grotte.
L’amitié qui les liait se renforça encore plus et ils rirent, se consolèrent et s’entraidèrent. Finalement, Mythraï demanda à Esmel de reprendre l’entrainement. Il n’avait pas compris où elle voulait en venir la première fois, mais il fit de rapides progrès maintenant qu’il savait ce qu’elle attendait de lui. Elle put même demander à un forgeron de faire une barde spéciale pour lui, ainsi que des protections de fer finies en pointes tranchantes pour ses bois et ses sabots. Ça l’a ruiné pendant des mois, mais le cerfroid était équipé pour la bataille.
Et la guerre éclata. Esmel fulmina de rage lorsqu’Aile Ténébreuse conquit de plus en plus de royaumes tandis que Selian ne bougeait pas d’un cheveu. Elle ne comprenait pas pourquoi l’Impératrice n’allait pas aider les autres. Mais comme elle n’avait pas déclaré la guerre, elle n’avait pas le droit de se battre en son nom. Alors elle continua à s’entraîner en attendant que sa patrie se mêle aux conflits, ce qui arriva enfin.
Elle fut encore plus contente d’apprendre qu’ils ne soutenaient pas l’archidémon. Elle et le cerfroid combattirent avec ardeur pour Selian et les rebelles. Des batailles passèrent, ils y survécurent. Et le général de Selian demanda des volontaires pour traquer les partisans d’Aile Ténébreuse. Ils se proposèrent et les nombreux soldats furent coupés en deux groupes pour que chacun s’occupe d’un commando de pros AT. Ce que le général n’avait pas précisé, c’est qu’il n’avait demandé ni l’autorisation du maréchal ni même celle de l’Impératrice.
Esmel et Mythraï accompagnèrent le groupe du général. Ils devaient les prendre par surprise dans un endroit où ils avaient dressé le camp. Mais ils ont été les arroseurs arrosés et ils furent pris de court par les pros AT. Après quelques minutes de combat improvisé, Esmel eut une idée et prit instinctivement les choses en main. Sans se rendre compte que le général ne s’était pas manifesté.
Les soldats suivirent ses conseils et les pros AT finirent par prendre la fuite. Les blessés étaient nombreux, certains étaient dans un état assez grave, mais il n’y avait pas de mort. Jusqu’à ce qu’on se rende compte de la présence d’un corps couché sur le sol.
Tous les soldats rentrèrent au bout d’une semaine à la capitale en transportant le général mort au combat, le moral dans les chaussures. L’impératrice leur passa un savon ainsi qu’au second groupe qui rentra quelques jours plus tard, mais le premier commando raconta ce qu’il s’est passé en précisant qu’ils ne savaient pas qu’ils agissaient sans sa permission.
Les jours suivant furent tristes et silencieux. Puis, à la grande surprise d’Esmel, elle fut convoquée par Issendra. Elle fut nommée générale, malgré son opposition vis-à-vis du respect de la mémoire de l’ancien général. Issendra avait répondu que ça l’honorerait plus qu’elle poursuive son œuvre en pensant à lui.
Alors la revenante s’est installée dans le fauteuil de sa nouvelle maison, achetée grâce à des années d’économie, en observant le feu danser et en méditant tristement sur les derniers événements.