Et si je m’écroulais dans le vide, peut –être que les coups cesseront ?
Sentir la chair du cuir sur la mienne, la lame d’acier sur mon ventre… Ne pas pleurer, ne pas pleurer…
Et les larmes qui coulent sans que je le veuille, et mon sang qui salit encore une fois mon corps… J’ai échoué, je n’ai pas résisté à ce coup.
- Tu es pitoyable, tu es d’une faiblesse écœurante… Règle numéro deux, ne jamais montrer sa souffrance !
Un coup, un bâton qui frappe mon torse, un autre qui frappe mes jambes… Je tremble, je veux tant crier, tant courir, me sauver, m’éteindre dans les roches de cette falaise… Simplement disparaitre. Les coups continuent. Ils ne cessent pas. J’ai si mal… Arrachez moi donc le cœur…
- STOP ! Elle doit être en état de marcher, et ne doit surtout pas mourir !
- Bien maître…
Maître, était le professeur qu’on m’offrit. Chaque échec fut le début d’une souffrance… Le pire, le plus destructeur, c’est que je passe sur cette table, la table du bourreau, ou les ciseaux et les couteaux trainent… Je suis une poupée de sang, je suis une poupée de jeu sadique… Je ne suis personne, qu’une âme prisonnière de sa propre existence. Ce soir - là, on m’avait laissé gisant au milieu des rats, dans la boue, et la paille d’un cachot… Cela faisait plusieurs jours que je vivais ici, me reposant de cette violence qui me harcèle aux lumières du soleil.
« On a fini cette leçon. Demain, tu commenceras la leçon suivante. »
Ce n’est que des murmures, des murmures si lointains que je n’entendis que l’horreur des conséquences de cette nouvelle leçon. J’avais aussi entendu, que je ne suis qu’un échec qui n’a même pas réussi à tuer un pauvre chien en le battant…
Tuez-moi si je ne suis qu’échec, et qu’une perte de temps à vos yeux, suppliai – je en silence…
Le silence était ma réponse. Le soleil brilla, la porte s’ouvra. On me gifla pour me réveiller, on me traina par les cheveux dehors. Je tombais aux pieds du maitre, de cet homme au regard sadique, salivant de sa prochaine victoire sur moi.
Le jour où je sentis la corde de l’arc entre mes doigts, ou le bois de la flèche caressant ma peau, je sus que je pouvais un jour me venger de lui. Malgré ma faiblesse, mes blessures, ma faim, je me devais savoir user de cet instrument, et un jour le tuer.
Première séance d’entrainement : Maitrise de l’arc.
Echec. Je n’étais pas assez rapide, assez concentrer, assez obéissante… Savoir armer un arc, c’est tout ce qu’on me demandait. Et j’ai échoué. Malgré les coups, les claques, les gifles, et les menaces, je ne réussissais pas à armer cet arc. Je perdis toujours cette flèche qui s’écrasa au sol.
Je me crispais au sol alors que l’après-midi avait à peine commencé. Je ne les regardais pas, je ne devais pas.
On me donna un coup pied. Mon corps vint à rouler sur le sol, comme un vulgaire paillasson. Je tentais de me relever, de m’appuyer sur mes bras… J’étais si faible, si faible… On me prit au collet, je fixais mon agresseur. Un soldat. Et ce professeur souriant comme le bouché qui allait décortiquer ce cochon fraichement arrivé me cria que si je ne faisais pas d’effort… Je subirai une torture en douceur, en me déchirant des lamelles de ma peau…
La torture, je n’en supporte pas les complaintes. Sentir ma peau se déchirer, sentir mon cœur s’affoler, sentir la peur m’envahir, la douleur m’écraser… Non, je ne veux pas de ça, je ne veux pas que cela recommence…
Il me lâcha. Tenant à peine sur mes pieds, je pris l’arc… Je ne devais pas échouer… Je devais souffler, et me concentrer. Je tremblais. Pourquoi avais – je si peur ?
Il me fallut cinq essais de plus. Et à chaque échec, j’entendis grogner dans mon dos. Aux cinquièmes essais de cette après – midi, je bandais mon arc, et je tirais dans le ciel pour essayer.
Je n’eus aucune félicitation… On me cracha juste dessus. Une fois de plus. Avant de m’enfermer à nouveau dans ce cachot immonde, on frappa. Le fouet qui claque contre ma chair, marquant de son empreinte rouge les parcelles de mon corps. Je ne dois pas pleurer, ni crier… Ne crie pas, ne crie pas, NE CRIE PAS !
Je cachais mon visage contre la boue, étouffant mes gémissements. Je ne dois pas montrer ma douleur… Les coups cessèrent vers le milieu de la nuit, quand la lune fut haute…
Le temps s’était écoulé, il avait fait son œuvre… Je souffrais, je saignais mais mon visage avait appris à le dissimuler. La saleté, les rats, cette boue, ces barreaux, cette chaine, cette sueur étaient mes fléaux…Des fléaux qui ne tardèrent pas à faire leur ouvrage. La fièvre m’envahit, tenant avec elle, dans ses mains, un liquide jaune, qui sentait mauvais …. Ce liquide qui suinta de ma blessure, de ma blessure à la jambe… Malgré cela, je devais combattre, prouver que je le pouvais. Que malgré ce que je subissais, je pouvais me lever, marcher et réussir. L’échec était la pire des sentences, la pire des maladies, et je ne devais pas l’avoir.
Cependant la pluie, la saleté, le vent, le manque de nourriture et tellement d’autres choses ont réussi à me piquer dans le cœur, à m’affaiblir que je finis par ….
J’ai sombré, je me suis écroulée sur cette terre boueuse. Je voyais le monde perdre ses traits, disparaitre sous mes yeux… Je n’étais plus maitre de moi. Petit à petit, la fièvre m’emporta dans les ténèbres… Et malgré les secousses, je savais que je ne me réveillerais pas…J’étais en train de me perdre dans la faiblesse de la douleur.
Je n’ai jamais su combien de temps, l’aiguille avait tourné sur le cadran de l’horloge, combien de temps, je suis restée enfermer dans les songes… Je me souviens juste d’un cauchemar… Un cauchemar qui se grava en moi.
Un murmure se leva dans le ciel, un souffle se brisa contre la paroi de ce monde. Je n’étais qu’un spectateur, qu’un pantin qui fixait la mort. Une mort qui avait les allures d’un petit Kitsune, un petit garçon d’environ 7 ans… Ses oreilles étaient blanches, son visage était familier, ses traits étaient comme un poison dont je sais qu’il est dangereux, et pourtant, je ne me souviens pas de son nom… Je tremblais. J’avais peur de cette entité, de ce garçon. Ses mains étaient recouvertes de sang… Ses pieds étaient nus, ses vêtements en lambeaux… Et ce murmure qui me hanta, qui ne voulait pas se montrer… Qui c’est simplement s’effacer de moi… Comme si… Je me mis à pleurer, à sentir les larmes couler sur mes joues… Je voulais avancer, mais je n’osais pas. Il voulait parler mais malgré sa bouche ouverte, aucun son ne sortit.
Qui était – il ? Que me voulait – il ? Suis-je prise dans l’étreinte de la mort, sans pouvoir me relever ? Je sentis mon cœur battre, débattre dans ma poitrine froide… Le murmure n’était pas parti, il s’est juste éteint, car je ne voulais pas l’écouter…. Je me mis à courir. Je voulais le voir, l’entendre, simplement comprendre…. Je le pris dans mes bras… J’avais à nouveau 5 ans… Et ce murmure fut un cri, un cri que j’ai toujours voulu entendre, tout en l’ignorant…
« Petite sœur, je suis là ! »
Et dans cette étreinte, je me sentis revivre… Et dans cette étreinte, je me sentis appeler par une voix cruelle… Et mes yeux s’ouvrirent dans ce monde, dans ce lit, dans cette pièce… Des traits se dessinèrent, un visage apparut… Une femme était à côté de moi. Elle ne donna pas son nom… Elle prit juste soin de moi.
Et dans les discussions de couloir, je compris que mon professeur eut l’ordre de prendre un peu plus soin de moi. Il s’exécuta. Les coups continuèrent mais j’eus le droit à de la nourriture un peu plus souvent qu’avant, et un lit, avec une couverture. Cela me suffisait. C’était le luxe pour moi qui n’avait connu que le sol de mon cachot pendant 4 ans.
L’entrainement repris aussi vite qu’il s’était arrêté. La douleur fut aussi vivace…
Et cet entrainement commença par le meurtre d’une biche. A chaque flèche qui tombait au sol, une lame de couteau passa sur ma jambe… Sentir ma peau se déchirer, sentir le sang couler sur ma peau froide, me donnaient des frissons en plus de la douleur…
Je devais tuer absolument cette biche ! Elle devait mourir, mourir de ma flèche. Au premier coup, son cœur devait s’éteindre ! Je fermai les yeux, bandai mon arc, et pris une grande respiration. Je devais !
J’avais peur, je ne le nie pas. Peur de la sentence, peur de me faire tuer pour ça. Même si dans le fond, je devais vivre quoiqu’il arrive… Pourquoi… Je n’en sais rien. Je ne l’ai jamais su… Les insultes fusaient alors que je voulais que le silence… La biche mangeait de l’herbe alors que ma flèche la visait…
Je suis une renarde, je suis un prédateur, je dois y arriver. Je DOIS réussir. Je dois oser… Je dois tuer… J’ouvris les yeux, je le regardais vivre ses derniers instants…. J’ai voulu souffler « pardonne moi » mais je n’avais pas le droit. La pitié et la compassion ne doivent pas être montrées.
Je tirais ! La flèche fracassa l’air, dans son sillage. Elle toucha la bible en plein dans le torse… Je pensais qu’elle allait mourir sur le coup, mais non elle agonisa. Je la regardais se débattre avec la mort.
On me poussa, on me força à lui arracher le cœur, à lui prendre la vie d’un coup sec sans larme pour elle.
Que suis – je ? Celle qui n’est que le chien d’homme assoiffé de sang…. De mort qui suinte sur ce monde… Ne suis – je pas cette petite fille qui aimait tant jouer sous la neige ? Cette petite fille s’est éteinte dans le fond d’un cœur qui se meurt… Et avec ma flèche, j’éventrai cette biche… Lui arrachant la peau… J’entendis son dernier souffle se perdre dans ce ciel… Je vis ses yeux se vider de sa vie… La mort l’emportant dans une danse mortuaire. Je cassais quand même ses cotes, et je pris son cœur. Il était si chaud, si plein de vie, une vie qui s’étouffa entre mes mains… Je l’apportai à mes bourreaux qui me félicitaient… Et me demanda de le manger, cru…
Je ne voulais pas, je m’y refusais. Et le fouet me frappa, me déchira le dos… Je ne criais pas, je serrais seulement ce cœur sous la douleur. C’est là qu’un soldat me montra une pince… Cette pince qui m’avait arraché tous mes ongles, une fois… Le frisson m’envahissait… J’avais peur… Je ne voulais pas.
Je voulais qu’on me sert dans des bras de réconfort, qu’on me protège…. Mais, je n’avais que moi, j’avais que cette souffrance… Alors que les nausées empourpraient mon estomac, je me mis à le croquer, à croquer ce cœur. A chaque morceau, j’avais envie de le vomir aussitôt… Au niveau de la gorge, je bloquais… C’était une répugnance qui inondait mon corps de dégout. Chaque partie de ce cœur fut comme une infection pestilentielle, percer par l’agitation des vers. Je me sentis si mal mais je réussis quand même à le dévorer…
Cette leçon se finit dans mon cachot… Le soir où j’ai vomi ce cœur… Mon estomac ne l’a pas supporté… Je cachais sous mon lit ces restes… Et je m’endormis dans la douleur et la peur d’être découverte.
Les mois se sont encore écoulés… Raconter, tout en détail est inutile. Ce n’est qu’un labyrinthe dans un de rituel de sanglot. La dernière leçon, la plus libératrice. Le jour où ma flèche tua un homme, en un coup.
C’était une mission, et une leçon en même temps. Un rebelle qui n’a jamais eu de nom… dans mon esprit. Un chiffre en plus sur la longue liste de meurtres. C’était dans les montagnes. J’étais sous la surveillance de mon maitre, de ce tortionnaire de professeur. Il était si près de moi que je pouvais sentir sa puanteur…
Je voulais fuir, m’écarter de lui… Cependant, j’étais liée. Je ne devais pas trahir. Je devais réussir !
J’attendais que ma cible sorte de sa cachette. J’étais cachée derrière un arbre. Il se présenta à moi. Il sortit… Je ne sais pas comment expliquer, mais j’avais l’impression qu’on le poussa à sortir. Enfin, ce n’était qu’un détail. Je tirais. Je laissais ma flèche courir dans l’air pour le toucher en plein dans sa chair. Tuer un homme. Mon premier. La fin du reste de mon innocence dans cette flèche… Le prix de mon examen final. La vie n’était plus qu’un souvenir dans le corps de cet homme. L’acier de ma flèche était la faux de la mort.
Je la regardais faire son œuvre, tuer cet homme. Elle lui a été fatale. Il s’écroula sur le sol, ne bougeant plus. Ce professeur que je veux tant tuer, vérifia … Il était mort. J’aurais pu m’étaler sur cette mort, et vous dire ce que j’ai ressenti … Mais comment expliquer le néant d’un cœur qui a trop pleuré ? J’ai tué cet homme, je lui pris son cœur… Et j’en fis une jolie poupée… Je la posai dans ma cellule, et tout ce que j’ai pu dire, c’est : Merci.
C’était le premier soir ou je m’endormis sans douleur. C’était le premier soir, je ne connus pas la souffrance des coups. J’avais réussi. Et en voici ma récompense. Une nuit sans douleur, une nuit sans blessure, sans bleu, sans rougeur en plus… Je me sentais un peu plus sereine. Réussir était mon but. Et le lendemain matin, alors que je me tenais debout devant mon professeur, j’entendis une phrase qui a su me décrocher un sourire de satisfaction.
« Il en a fallu du temps. Cependant son potentiel fut confirmé. Elle maitrise très bien le tir à l’arc. Nous voici à la fin de cette entrainement.»
A qui il a parlé, je n’en sais rien. Et ça n’avait aucune importance.