Shuiro ouvrit lentement les yeux. Le soleil filtrait à travers les quelques feuilles qui restaient à l'arbre creux, et réchauffait tout doucement son corps. Elle se leva et étira tout ses muscles, endoloris après être restée toute la nuit dans une position inconfortable. Son abri était certes fini, mais il manquait encore de quoi se sentir un peu à l'aise.

Quelques bonnes brassés de feuilles devraient faire l'affaire, pensa-t-elle. Mais le plus important maintenant est de trouver de quoi manger, et surtout de faire des réserves.


Elle se pencha en avant et sortit du tronc de l'arbre, empoigna la gourde qu'on lui avait donnée pour son épreuve de survie, et la plongea dans le torrent à côté. Elle but jusqu'à ce que sa soif soit étanchée, puis remplit à nouveau la gourde, avant de l'attacher à sa ceinture.

Elle alla ensuite faire ses exercices matinaux, indispensables pour garder une forme optimale. Une cinquantaine de pompes, des foulés stationnaires, mais aussi une longue séance de méditation.

Le soleil était déjà haut dans le ciel quand elle eut fini. Il devait être dans les environ de dix heures, et elle n'avait toujours rien mangé. Elle grimpa avec agilité en haut de l'arbre creux, jusqu'à atteindre la cime et avoir une vue d'une bonne partie du territoire environnant. Le Marais de la Désolation était la zone la plus proche de son repaire, et sans doute la plus dangereuse. Mais c'était aussi l'endroit le plus proche pour trouver de quoi se nourrir. Et elle ne pouvait pas se permettre de faire des heures de trajets pour récolter à peine de quoi se nourrir une seule journée.
Elle scruta la plaine pour trouver un animal. En effet, si elle le suivait, elle tomberait à un moment ou un autre sur son lieu de repas, et donc sur de la nourriture à portée de main.

Postée sur son mirador, elle finit par trouver ce quelle cherchait : un sanglier. En le suivant, Shuiro était certaine de tomber sur un coin à champignons, ou au moins sur quelques tubercules comestibles. Elle redescendit du tronc, camoufla le trou de l'arbre avec des branchages, et commença sa filature.

Elle prenait garde à sa position par rapport au sanglier, afin que celui-ci ne flaire pas son odeur dans le vent. S'il la repérait, il risquait d'attaquer, ou pire encore de fuir loin, ce qui n'arrangerait pas l'état de son estomac. D'ailleurs, elle sentait déjà celui-ci gargouiller. Pour l'apaiser quelques temps, elle arracha un peu d'herbe et la mâchonna, sans l'avaler, tout en continuant à filer le sanglier.

Celui-ci ne tarda pas à s'enfoncer dans le Marais de la Désolation. Elle ressentit un frisson en y pénétrant, mais chassa celui-ci. L'affaire se corsait maintenant, car elle n'avait plus de visuel de la bête. Désormais, elle devrait trouver ses traces. Heureusement, le sol était assez mou, et conservait donc bien les traces du passage de l'animal. Elle continua donc à suivre les traces du sanglier, évitant soigneusement les flaques d'eau croupie qui gisaient un peu partout.

Soudain, elle entendit un couinement aigu devant elle, puis plus rien... Elle avança un peu plus, mais ne vit pas rien d'autre que des arbres morts, de la terre mouillée et des mares d'eau sale. Elle continua prudemment, scrutant tout autour d'elle, suivant les traces, jusqu'à ce qu'elles disparaissent brutalement. Elle ramassa un bâton, et tâta devant elle. Le bâton s'enfonça sans difficultés dans le sol.

Mille Dragons, des sables mouvants ! pesta-t-elle. Je n'ai plus qu'à chercher par moi même maintenant... Plus facile à dire qu'à faire dans ces fichus marais !

Elle commença alors à inspecter les alentours, toujours armée de son bâton pour sonder le sol et éviter de subir le même sort que le regretté animal. Enfin, elle tomba sur ce qu'il lui fallait : un gros rocher bordé de champignons. La plupart d'entre eux étaient toxiques, mais il y en avait tout de même quelques uns de comestibles. Elle les cueillit rapidement, pressée de sortir de ce marais qu'elle n'aimait vraiment pas.

Au moment de se relever, elle sentit un contact glacial sur son épaule, comme si une main l'avait touchée. Elle fit volte-face, et se retrouva en face d'une silhouette transparente, sans traits apparents, flottant dans l'air. Le fond de l'air était devenu plus frais sans que Shuiro s'en rende compte, et elle sentait déjà ses poils se dresser sur sa peau. Elle savait quelle était la chose devant elle : un fantôme, l'âme en peine d'une personne morte il y a bien longtemps et que quelque chose retenait en ce monde. Et celui là faisait partie de la catégorie des dévoreurs d'âmes : des fantômes tellement tourmentés qu'ils se mettent à dévorer l'âme des vivants pour apaiser leur souffrance. C'est de la que vient leur aspects sans traits : à force de se mélanger à d'autres âmes, la leur s'estompe peu à peu pour ne devenir qu'une créature dont le but est de se nourrir sans fin.

Profitant que la créature ne passait pas encore à l'attaque, elle se mit à réfléchir rapidement, balayant ses connaissances pour savoir ce qui pourrait l'aider. Elle n'avait pas de sel sur elle, donc rien à espérer de ce côté là. De même, elle ne disposait d'aucune arme bénie. La créature attaqua, lançant un bras translucide vers Shuiro, qu'elle évita d'un bond sur le côté. Puis elle courut autour du fantôme afin que celui-ci ne puisse pas la viser. De rage de ne pouvoir la toucher avec précision, la créature s'étala au sol, rampant jusqu'à elle avec une vitesse étonnante. Elle s'enroula autour des jambes de sa victime, qui eut la même sensation que d'être baignée dans de l'eau gelée. Elle gémit de douleur, et la créature voulut l'envelopper, mais quelque chose lui fit lâcher prise à sa taille. Elle tomba à genou pendant que la créature reculait quelques instants.

Profitant de ce répit, la jeune fille regarda ce qui avait bien pu faire lâcher prise au dévoreur d'âme, et son regard passa sur son couteau. Une illumination lui vint à l'esprit.


Bon sang mais c'est bien sûr ! La lame du couteau est en fer, et les fantômes sont brûlés par le fer !

Elle empoigna son couteau à une main et se rua alors vers le dévoreur. Celui-ci, malgré le fait qu'elle porte un objet qui lui faisait mal, se prépara à l'englober toute entière pour la dévorer, mais jamais il ne pu le faire, car la pointe du couteau de Shuiro s'enfonça dans ce qui lui servait de cœur. La créature poussa un cri strident avant d'exploser, libérant toutes les âmes qu'elle avait dévorées. L'onde de choc envoya Shuiro à terre, et balaya toutes les feuilles qui étaient à terre dans les vingt mètres à la ronde.

Shuiro se releva, se dépoussiéra et regarda autour d'elle. Il n'y avait plus aucune trace du dévoreur. Et plus important encore, elle était toujours en vie...