John était dehors, dans la cour en train de s’entraîner avec son grand frère. La vampire les regardait de l’intérieur avec un sourire nostalgique. Elle ferma les yeux un court instant, replaçant les éléments de ces derniers jours dans sa mémoire. Ils étaient le lendemain de la fête. Elle avait… Un sourire de bonheur pur lui monta aux lèvres. Certes, leur relation était étrange… Mais il ne partirait pas loin d’elle… Elle en était sûre.
Elle attrapa ses cimeterres et descendit dans le petit salon de son grand frère. Elle jeta un regard rageur aux fenêtres avant d’en fermer les rideaux afin que plus un seul rayon de soleil ne filtre dans la pièce. Elle fit tourner habilement ses lames dans une obscurité des plus totales. Donnant des coups, sautant, ripostant face à des ennemis imaginaires, elle se jetait corps et âme dans un combat lui permettant de faire sortir le stress de ces derniers jours. Ses sens, bien plus à l’aise dans le noir prenait le dessus, et bientôt elle ne fut plus que perception. Elle ferma les yeux et virevolta dans la pièce, sans ne jamais rien toucher. Une carte auditive s’était formée dans son esprit, et elle était dans son élément. Un sourire se peignit doucement sur ses traits alors qu’elle semblait danser, quand elle entendit quelqu’un s’approcher. Elle ne bougea plus, attendant de reconnaître une odeur, mais ce fut un vent léger qui poussa les rideaux qui l’empêcha d’attaquer.
Sitôt que la lumière revint, elle ouvrit les yeux et se mit en sécurité dans un endroit plus sombre. Elle n’était pas sensible à la lumière à ce point-là… Mais il valait mieux ne pas jouer avec le feu… Surtout en étant un vampire.
-Oh, Dame Lidwin, s’enquit alors une voix qu’elle mit un petit moment à reconnaître. Navrée, je ne vous avez pas entendue !
Il s’agissait du mage Eran qu’elle avait rencontré à la fête d’Albar. Elle sourcilla, et fit signe que ce n’était rien.
-Ravi de vous revoir, sourit-il alors. Il paraît que votre jeune ami est encore à demeure, dois-je en conclure que vous êtes parvenue à vos fins ?
-Oui, nous nous sommes finalement… mis d’accord sur le fait que nous étions très bien ensemble.
Eran rit et fit signe à Lara de s’approcher, ce qu’elle fit avec un peu de réticence, comme craignant quelque chose. Le mage fronça les sourcils.
-Avez-vous un problème mademoiselle ?
-C’est que… Disons que je suis allergique au soleil…
Eran écarquilla les yeux et dévisagea la vampire. Il comprit immédiatement. La pâleur, la façon de s’exprimer malgré la jeunesse de son visage, cette aura un brin féroce autour d’elle.
-Vous êtes un vampire…
Lara ne prit pas la peine de répondre, et d’un geste de la main, le mage referma les rideaux, et fit apparaître des lumières qui, étrangement, ne dérangèrent pas Lara le moins du monde. Curieuse, elle s’en approcha, et fit jouer ses doigts dedans. Elle sentait le pouvoir obscur qui en émanait, et ce pouvoir réconfortait le sien. Elle se sentit soudain sereine.
-Comment… Comment faîtes-vous cela ? S’étonna-t-elle.
-Une forme de magie, répondit-il taquin. J’ai aussi mes petits secrets Miss Lidwin !
-Vous ne pouvez pas savoir ce que ces petites lumières représentent pour moi.
-Expliquez-moi alors ?
La vampire eut un sourire nostalgique. Devait-elle se confier à cet homme ? Mais ces lumières la fascinaient tant.
-Quand j’étais enfant, j’étais tout le temps dehors. Même si ma famille aurait tout fait pour me garder enfermée. Je suis une fille de la montagne. Le soleil, la chaleur… Cela me manque depuis que je suis… morte. Ces lumières-là… Sont les seules, jusqu’à maintenant, qui me permettent une telle promiscuité. Je ne peux supporter la lumière, plus qu’un vampire normal, mais je n’y résiste quand même pas.
-Je vois. Je suis un peu surpris… Le noir et la nuit vous vont si bien que pas un seul instant je ne vous ai imaginé au jour.
- Un peu comme tous les vampires… C’est pour cela qu’on les confond avec des démons.
-Je vous sens la rancœur d’une ancienne offense.
-S’il n’y avait que ça…
-Il est vrai qu’un vampire n’est pas forcément bien vu… Mais Albar place en vous toute sa confiance, et il me semble qu’il vous doit aussi sa faculté d’user de son sang pour soigner d’autres personnes ?
-Pas exactement… Je lui ai juste permis de prélever son sang de façon sûre.
-Vous n’en avez pas bu ?
-Jamais ! S’indigna la vampire. Je ne bois jamais le sang d’un être de pensée !
-Vous êtes étrange.
-Il paraît…
-Avez-vous combattu votre démon ?
-Oui… mais je n’en ai aucun souvenir.
-Je pense pouvoir… Oui mais alors…
Le mage se mit à faire les cents pas dans la pièce. Lara, surprise de ce brusque changement de comportement, le regarda sans ne rien ajouter.
-Il faudrait que votre cousin vous prête son sang… et le prix à payer… mais…
-Eh bien, s’enquit la vampire. Qu’y a-t-il ?
Le mage s’arrêta de marcher, et posa son regard sur elle un long moment, sans la voir. La vampire pencha sa tête sur le côté, cligna des yeux, et s’éclairci la gorge. Eran revint aussitôt à lui, comme s’il reprenait conscience du monde qui l’entourait.
-Je peux vous rendre insensible à la lumière.
La vampire feula et tourna les talons pour partir.
-Et bien qu’avez-vous ! S’exclama le mage avec surprise.
-Je n’apprécie pas ce genre de blague !
-Croyez-vous sincèrement que je ferais ce genre d’idiotie en présence de la cousine ou sœur de cœur de l’homme que j’aime ?
La vampire s’immobilisa dans les marches de l’escalier. Elle réfléchissait à toute allure.
-Comment, finit-elle par demander en faisant volte-face et plantant ses pupilles émeraudes dans les yeux du mage.
L’homme l’invita à redescendre et à s’assoir sur un des canapés, les petites lumières crépitant joyeusement autour d’eux. La vampire s’exécuta, prudente.
-Ce n’est pas simple, ça, je peux vous l’assurer, et de plus, ça risque d’être douloureux.
Il marqua une pause pour voir la réaction de la vampire qui arqua un sourcil avec l’air de dire : ‘’J’ai obligatoirement connu pire’’. L’homme sourit doucement avant de poursuivre.
-Je me base sur des écrits concernant des vampires à âme, c’est ainsi qu’on les appelle dans mon jargon, car il faut savoir qu’il y a autant de vampires différents que de couleurs de peau. Vous semblez être une de ceux-là, c’est-à-dire que celui qui vous a transformé a naturellement dans son venin un poison créant une fracture dans votre âme. Cela permet à un ancien vampire qui vit dans les lymbes d’entrer dans votre corps et d’essayer d’en prendre possession. C’est l'équivalant de votre démon. Ce démon se nourrit de vos plus grandes peurs et il faut savoir qu’il peut aussi prendre une forme matérielle en dehors de votre corps afin de vous affronter. C’est lors de ce combat que l’un des deux habitants du corps l’emporte et élimine son Némésis.
La vampire acquiesça. Si elle ne se souvenait pas de sa transformation, elle se souvenait avoir tué son démon. Elle sentait en elle qu’elle était bien la seule, et quelque part, cette prise de conscience la rassura.
-Si vous avez bel et bien vaincu votre démon, poursuivit l’homme, je peux agir sur le poison qui demeure dans votre sang.
Lara sourcilla.
-Comment cela ?
-J’y viens ! Vous semblez adopter un chemin de vie bien loin du vampire sanguinaire qui hante nos contes et nos histoires. En cela, vous avez déjà du éliminer une bonne quantité de ce venin, c’est cela qui ne vous permet pas d’avoir une rapidité et une force hors du commun, mais vous offre une très légère résistance à la lumière. Si j’annihile complètement ce sérum de votre corps et le remplace par un sang pur proche de celui que vous aviez humaine, je peux de ce fait vous rendre insensible à la lumière.
-Je suppose qu’il y a des contreparties ?
-Qu’est-ce qui vous fait dire ça ?
-La magie a toujours un prix !
-C’est exact, votre corps a été changé lors de votre transformation. Vous conserverez votre immortalité, mais votre soif de sang sera exclusive. La diversité du sang n’est du qu’à ce poison. Lorsque vous deviendrez, ce que j’ose appelez un vampire biologique, vous ne pourrez plus vous nourrir d’animaux, mais que d’êtres pensants, comme vous les nommez. Humains, daevas, lycans ou des vampires. Il ne vous sera plus possible de consommer du sang animal.
Boire du sang vivant et retrouver la lumière ou demeurer dans l’obscurité et garder son alimentation. Lara fit rapidement son choix, décidant de réfléchir plus tard aux conséquences.
-Transformez-moi, dit-elle.
-Bien. Cela ne sera pas sans douleur…
-Qu’est-ce qui ne sera pas sans douleur ? S’enquit soudain la voix de John.
La vampire se retourna et dévisagea le lycan qui suivait Albar. Elle leur sourit tout deux et se leva.
-Eran me propose de me rendre insensible à la lumière.
Le regard qu’Albar jeta au mage aurait stoppé un mommath en plein élan et dans la seconde.
-Est-ce sans danger ? S’enquit-il
-Grand frère ! S’indigna la vampire.
-Est-ce sans danger ? Répéta-t-il exactement sur le même ton, mais avec un visage plus rieur.
La vampire arqua un sourcil, mais Eran ne se laissa pas démonter.
-Je ne peux le garantir. La magie est une science instable.
-De toute façon, ça me regarde ! S'exclama Lara en plissant ses yeux qui devinrent deux fentes félines.
-Ta mort nous regarde un peu tous, fit la voix de Lya qui arriva tout soudain.
Voyant que tous la regardait, elle fit un drôle de mouvement qui aurait pu passer pour un haussement d'épaule.
-Bah quoi ? Vous avez entendu le boucan que vous faîtes ! Evidement que je me suis réveillée !
- Le choix revient à ma sœur bornée, poursuivit Albar en ignorant Lara. Si tu le proposes, c'est sans doute parce que les risques sont minimes, non?
-Si je vous gène, vous le dîtes, je repasse plus tard, ironisa Lara.
John la prit dans ses bras et la serra contre lui, pour lui signifier qu’il était là pour elle, même s’il écoutait avec attention ce qui se disait.
-Elle souffrira, répondit alors Eran sans se préoccuper de la vampire bien que sa remarque le fasse sourire, car il me faut lui changer son sang et que le venin de vampire se défend plutôt bien. Mais elle ne risque rien de plus.
- Oui tu nous gêne, nous avons une discussion de grands tu sais, se moqua alors Albar avant de se tourner vers Eran. Comment dois-tu t'y prendre? Pouvons-nous rester à ses côtés?
La vampire feula en montrant ses crocs, plus par jeu que réellement par lassitude.
-Tu as un lien de sang avec elle, et ton sang est pur. Je vais lui… transfuser. C’est-à-dire qu’à partir d’une plaie, je vais vous lier pour que ton sang entre dans ses veines, tandis que de l’autre côté, je fais sortir ce qu’il reste de venin. Vous pouvez rester, Mr Dan et Mlle la lynx, mais vous ne pourrez que la voir souffrir sans rien faire.
John resserra son étreinte autour de Lara, sans répondre, se contentant d’acquiescer. Lya laissa échapper un miaulement étrange pour signifier que ce n’était pas la première fois. Lara leva les yeux au ciel, et se laissa aller contre le torse de John.
-Est-ce qu’Albar risque quelque chose ? S’enquit-elle d’une voix douce pour tenter d’en cacher l’inquiétude.
- Je passe mon temps à me vider de mon sang pour une raison ou une autre : je risque juste de m'ennuyer, fit son grand frère comme à une assemblée.
-Non, il ne souffrira pas si c’est votre question, assura le mage, une lueur amusée dans le regard.
La vampire acquiesça alors et un silence fit son apparition dans le petit salon. Eran jeta un regard interrogatif à Lara, qui réagit immédiatement.
-Et bien ? On attend quoi ?
La vampire était assise sur le lit de sa chambre, dans les bras de John. Ils attendaient que le mage ait fini ses préparatifs avec l’aide d’Albar. Lya avait décidé de les accompagner, une façon de laisser Lara avec son amant.
-Tu n’as rien dit sur ce que tu en pensais, souffla-t-elle doucement.
-je m'inquiète, Lara.
-Mais pourquoi ? Eran l'a dit, rien de grave ne peut m'arriver !
- Est-ce que «rien de grave» est censé me rassurer ? Dis-le-moi, toi...
-Te rassurer... Je suis forte John !
Le lycan se pencha vers elle et l’embrassa doucement.
-Je sais bien ! Dit-il ensuite.
La vampire soupira un court moment.
-Si je te demandais de… D’aller me chercher un edelweiss dehors pendant ce temps ?
- Pas question de te laisser aux mains d’un magicien douteux, la contra-t-il immédiatement en arquant un sourcil.
Lara eut un sourire amusée et poussa le lycan en protestant.
-Eran n’est pas douteux !
-Eran, hein ? Rétorqua-t-il en la serrant contre lui, cherchant à nouveau à l’embrasser.
Lara rit plus franchement en se leva pour se mettre face à lui toujours assis sur le lit.
-Fais attention lycan, pour peu je sentirais la jalousie percer ! Souffla-t-elle les pupilles joueuses.
Les yeux de John changèrent aussi pour deux pupilles lupines que Lara fixa en souriant.
-Moi ? Jamais ! Toujours est-il que je ne te laisserai jamais seule ... avec "Eran" !
La vampire leva les yeux au ciel et l’embrassa en riant.
-C’est plutôt moi qui ne devrais pas te laisser seul avec lui, souffla-t-elle ironique à son oreille.
Il haussa un sourcil interrogatif, mais Eran et Albar revinrent, suivit de Lya.
-Bien ! Dit le mage. Nous pouvons commencer ! Lara, allongez-vous sur le lit, et Albar, met toi à côté d’elle, s’il-te-plaît !
La vampire s’exécuta, s’installant le plus confortablement possible, puis tendit son bras vers son grand frère. Eran s’installa de l’autre côté du lit , s’asseyant à côté de la vampire, et d’un geste de la main traça une coupure sur le poignet d’Albar, puis de Lara. Le sang n’eut pas le temps de couler qu’un sortilège puissant tissa un lien entre leurs deux plaies, le sang pur du daeva s’intégrant dans les veines de la vampire. Eran entama l’autre poignet de Lara et créa une sphère magique dans laquelle il enfermait le sang de la rebelle.
Lara se laissa reposer sur le lit, se détendant comme elle le pouvait. Elle n’avait pas peur… Elle était juste sur ses gardes. Le mage procédait très lentement et précautionneusement mais elle savait que la douleur n’en serait pas pour autant moins vive. Eran avait été clair là-dessus.
L’attente. Ce serait le pire à ce qu’il paraît. A son âge, la vampire n’était pas vraiment en droit de se plaindre de l’attente. Elle connaissait ce sentiment, et avait appris à l’intégrer de la façon la plus positive possible. Elle attendait donc.
La douleur. Une révolte psychique, comme si son âme se déchire en deux. Lara se dit que rien ne peut être pire que sa renaissance. Que ses débuts. Elle ne s’en souvient plus... sauf de la douleur... C’est quelque chose qui demeure inscrit dans sa mémoire physique comme gravé au fer rouge. Quoi de pire que sentir ses os se briser, son corps changer, découvrir un nouvel univers, entendre, voir, sentir, mais avoir aussi mal, plus vite, plus fort. Chaque perception est amplifiée, chaque son en est une infinité d’autres. L’univers change, sa façon de l’envisager aussi. La transfusion peut-elle réellement pire que ça ?
-Lara, la douleur physique est très différente de la douleur mentale. Je vois les douleurs que tu as vécues... Dit alors Eran, et la vampire n’est même pas surprise qu’il ressente ses émotions, pas non plus qu’il se soit mis à la tutoyer d’ailleurs. Mais celle-ci sera différente encore. Et je pense que la réponse à ta question et oui.
Alors la vampire n’a plus qu’une envie, en finir au plus vite. Qu’importe la douleur face au bonheur de sentir le soleil caresser sa peau à nouveau ! Eran acquiesce, et ferme les yeux. Lara regarde John avec un sourire réconfortant. Il la fixe, ne la lâche pas des yeux. Quelque part, ça la rassure. Son grand frère caresse doucement ses cheveux en un geste infime et rapide, mais pour Lara, ce geste affectif lui réchauffe le cœur. Elle ferme à son tour les yeux, et attend.
La sensation de perte de son propre sang lui paraît tellement étrange ! Elle se rend compte alors de sa propre odeur quand petit à petit elle prend celle d’Albar. Elle n’avait jamais fait attention à l’odeur de son propre sang. Maintenant, elle a l’impression de se déshabiller et de perdre ses vêtements quelque part... loin. C’est presque la sensation de ne plus être elle. La rebelle se souvient de la façon dont elle reconnait les gens qu’elle connait, les différentes races, les animaux... Elle fait tout par l’odeur du sang. Car c’est celle pour laquelle elle a le plus d’attrait.
La transfusion commence sans douleur, laissant le temps à Lara de réfléchir sur son odeur. Que sent-elle habituellement ? Elle tente de chercher son odeur dans le sang que lui prélève le mage, mais elle ne parvient pas à donner de nom. L’odeur est... Elle, elle y est habituée. Elle ne parvient pas à la décrire, ça l’agace légèrement, mais pas plus que ça. Elle sent l’odeur de John. Celle-là est particulière, et Lara la reconnaîtrait entre mille. Une odeur sauvage, mais tellement tendre pour elle. Elle aime ça.
La vampire vide son esprit, curieuse, et tente de rester à cet état de calme, mais presque malgré elle des sentiments surgissent comme de nul part pour s’effacer aussitôt. Agacée, lasse, énervée, amoureuse, envieuse, fatiguée... Elle passe d’un état à un autre sur une simple pensée... Comme un enfant, comme une personne à qui on n’a pas appris à être frustrée... Comme...
Lara frémit, et s’en veut aussitôt. Le moindre mouvement, même infime, John s’en apercevra. Il l’interprètera, s’en inquiètera. Elle doit faire attention. Ne plus bouger, oublier ceci pour le moment et entreprend de se figer totalement comme une statue dormante. Tout son corps se détend comme si elle s’endormait, et ce qui reste conscient en elle se barricade dans son esprit, dans une bulle de calme, extérieure à tout, chercha à rester seule maintenant qu’elle a pressenti les restes de son démon.
Les souvenirs de la vampire s’agitent, mais elle les boucle dans son esprit. Ce n’est pas le moment. Un combat mental s’engage alors. Le visage de la vampire devient impassible, un masque de calme et de sérénité qui pourrait la faire passer pour morte si elle ne respirait pas. A l’intérieur, la « douleur » dont lui parlait Eran va en s’amplifiant. En réalité, ce n’est pas une réelle douleur, mais ce sang possède encore la conscience de son démon... Quel est son nom déjà... La vampire ne cherche pas à s’en souvenir, de peur de débloquer trop tôt cette partie de sa vie qui lui manque encore. Elle attend, de pied ferme son assaillant... non, son assaillante. Elle est encore là. Son démon est une femme... Etait une femme, et si la vampire l’a vaincu, il demeure une conscience très faible qui se jette toute entière dans une bataille pour reprendre son droit, pour ne pas disparaître.
Quelque chose dans cette détresse paraît beau à Lara. Son démon est morte il y a longtemps. Selon ce qu’elle sait des vampires, elle a erré dans les lymbes jusqu’à ce que le puissant venin du créateur de Lara la morde. Créateur ! Elle n’aime pas ce terme ! Elle n’est pas un jouet, un objet ! Elle est une créature vivante. Qui a ses propres pensées. Elle s’énerve encore. Se calme presque aussitôt. Voici la façon de lutter de la conscience. L’amener à perdre le contrôle. Si Lara contrôle tout, il n’arrivera rien.
La rebelle sourit intérieurement. Elle peut lutter maintenant qu’elle sait ce qui l’attend. Elle peut gagner, et elle va gagner. Ça va même être simple et... Elle s’emballe. Elle se rend compte que c’est difficile de rester le plus neutre ou minimaliste possible. Elle ne peut pas toujours être une statue de pierre, et si elle a l’habitude de mentir, se mentir à elle-même n’est pas vraiment quelque chose de commun.
La conscience s’agite. Quand Lara réfléchit comme ça, elle ne peut pas l’atteindre. Elle siffle, bouge, échappe au pouvoir du magicien qui tente de l’attirer. Pour le moment, le sang qu’il a récupéré ne possède que quelques miettes de ce sang vampirique aux saveurs différentes. Lara ressent la rage, la peur, le désespoir. Mais aussi la violence, l’envie de sang, de tuer. Elle ne peut pas laisser à ce reste trop de pouvoirs sur elle. Pourtant, sa force est phénoménale. Comment un reste de son démon peut-il l’attaquer autant, et avec tant de force ? Elle se sent presque étrangère à son corps, s’enfonce dans une semi-inconscience la coupant des odeurs et des bruits rassurants de ceux qui l’entouraient. Elle s’emmure plus encore, n’offrant aucune fissure à cette conscience qui s’immisce pourtant en elle. Elle pense à John. Se souvient d’hier soir, de ce matin...
Mais s’il se contentait de jouer ? Après tout... Ils ont été ensemble pendant longtemps pour venir jusqu’à chez Albar. Mais, par conséquent, il n’a vu personne d’autre qu’elle... Et s’il... Non. Ce n’est pas possible. Lara s’en persuade, sa confiance s’effrite, elle pense à son grand frère. Elle sait qu’il n’a rien à lui reprocher. Qu’il l’aime. Comme une sœur...
Sauf s’il se sert d’elle. Elle est assez forte comme combattante et... C’est absurde ! Lara ne peut pas douter d’Albar. Elle s’y raccroche. Elle sait qu’il sera toujours là pour elle.
Sauf s’il meurt...
L’idée ne vient pas d’elle. Elle le sait. Mais elle la frappe avec la force d’un fouet qui claque. Si son grand frère meurt... Non, il n’existe pas meilleur combattant que lui ! Et il est aussi intemporel qu’elle !
Ayael peut finir par s’en lasser et le tuer...
Non... elle ne ferait pas ça. Elle...
Elle est une assassine indépendante qui aime sa liberté plus que tout.
Lara oublie cela. Passe à autre chose. Oui, mais quoi ? La détresse l’ampli. Elle sait que cette détresse ne vient pas d’elle. Elle sait qu’elle doit l’éliminer. Colère. Elle est si faible. Elle se fait pitié. Comment ne parvint-elle pas à lutter contre une particule d’un démon qu’elle a déjà tué par le passé ! Non... Non, ces sentiments ne sont pas d’elle. Elle serre les dents. Premier mouvement visible depuis qu’elle s’est emmurée dans son esprit. Elle regrette aussitôt ce geste. Elle voudrait user de son pouvoir pour enfermer la conscience et l’expulser loin d’elle. Mais il fait jour. Elle ne peut pas se servir de ses pouvoirs. Elle ravale son amertume, oublie sa colère, sa tristesse, sa peur. Ces sentiments-là ne sont pas elle.
*Tout va bien Lara. Nous sommes tous autour de toi, même si tu ne nous perçois pas forcément*
Cette voix la rassure. Elle se raccroche à la douce quiétude que ces mots lui apportent. C’est la voix d’Eran. Elle le sent comme une présence dans son esprit. La conscience l’attaque immédiatement. Lara l’en empêche en la noyant de pensée positive. Elle se souvient. Son périple avec John dans les plaines, les moments où ils se chamaillent. Leurs entraînements si vivifiant. Puis son combat contre Albar. Le premier. Elle s’était sentie si libre. Si heureuse. Elle avait laissé de côté le voile sombre des archevêques pour retrouver sa liberté totale. Elle avait ensuite trouvé un frère, puis appris qu’il était réellement un membre de sa famille. Elle se souvient de la meute, le rire de Linvala, ses moments de folie dont quelques flashes au goût d’amande lui reviennent.
La conscience s’agite. Les émotions se succèdent rapidement, mais Lara parvient à les conserver bonne et joyeuse. Elle est heureuse, s’approche de la présence dans son esprit pour savoir de quoi il s’agit quand d’un coup une vive douleur la frappe de toute part. Lara est prise par surprise. Elle pensait avoir vaincu la conscience, elle pensait que celle-ci se ferait absorber par les pouvoirs d’Eran. Elle... elle retient un cri, demeure impassible alors que la douleur fait battre son sang jusque dans les tempes.
Un oiseau de proie avec des griffes acérées, un félin avec ses crocs, un guerrier avec un poignard. Elle ne sait pas ce qu’elle ressent mais elle a l’impression d’être éparpillée en morceaux. La conscience hulule dans son esprit. Ce cri malsain la fait trembler. Elle sent un contact sur sa joue. Elle se concentre dessus. Elle entend quelqu’un crier. Est-ce elle ? Elle serre les lèvres, en priant que ce ne soit pas elle. Il y a de l’agitation autour. Elle fait tout pour ne pas bouger, ne bouge pas. Elle s’aperçoit que la conscience s’est finalement attaquée à la présence dans son esprit. Lara rappelle à elle des souvenirs heureux. Pas pour se défendre, pas pour se ressaisir. Pour que la conscience se concentre entièrement sur elle.
Cela fonctionne. La douleur s’amplifie, elle a l’impression que sa tête va exploser, des larmes silencieuses coulent sur ses joues alors que son enfer personnel s’enflamme. La conscience prend forme. Le combat. Elle devient une belle femme. Elle est... Elle est...
Un cri, un espoir, une joie cruelle. Lara se sent faiblir, mais la présence dans son esprit qu’elle a défendu se met à luire doucement, et la conscience se tait. Elle ne cri plus, elle perd sa forme humaine, elle se... fait absorber par la lumière. Lara ne la suit pas. Elle fuit à l’autre bout de son esprit, s’emmure à nouveau, ayant peur d’une nouvelle attaque, mais plus rien ne se passe. Elle attend encore, terrorisée de cette douleur latente qui part doucement, lui laissant un goût de sang étrange. Elle s’est mordu la langue.
Elle fait le chemin inverse, revient peu à peu à elle, toujours prudente, prête à repartir aussitôt, reste attentive... La présence dans son esprit s’en va, Lara ouvre les yeux.
Elle frissonne, avale le sang qu’elle a dans sa bouche. Il a le goût de celui d’Albar. Elle sait que c’est celui d’Albar. Sa plaie sur la langue se referme, de même sur ses poignets et celui d’Albar. Elle fixe un peu stupéfaite ses plaies puis l’odeur du sang d’Albar la remet dans le droit chemin. Ce sang peut la soigner quand il est hors du corps de son cousin pendant quelques minutes. Ce n’est pas un changement significatif, et quelque part… ça la rassure. Elle s’assoit, on la rallonge immédiatement. Elle regarde John, il a un air un peu paniqué, mais est clairement soulagé. Elle passe sur son grand frère qui lui sourit, bien qu’il soit un peu crispé. Elle cherche Eran des yeux, le voit assit contre le mur, ruisselant de transpiration, tremblant légèrement, et une sphère d’énergie entre les mains qui s’agitent. Lara reconnait immédiatement son démon.
-Eran ?
-Je... Elle m’a attaqué ! J’ai vu une partie de ses souvenirs. C’est moi qui ai crié…
Lara se ferme. Elle a appris aussi une chose. Et elle ne veut pas s’en souvenir. Eran a dû le voir quand le démon l’a montré à la vampire.
-C’était mes souvenirs, dit-elle d’une voix faible.
Elle tente de s’assoir à nouveau, Albar la laisse faire. Elle regarde John un moment, il s’approche, et elle se love dans ses bras. Ça la rassure. Eran se lève, et charge ses mains d’une énergie obscure qui finit par faire exploser la sphère de son démon.
-Ton pouvoir est comme le mien, souffle-t-elle épuisée.
-Il y ressemble, mais ce n’est exactement pareil.
-C’est finit ?
-Oui.
Lara s’effondre en larme. Le rideau qui couvrait sa chambre tombe et les perles d’eau qui coulaient silencieusement sur ses joues reflètent la lumière du soleil.