Archipel de la Muerta, île des Sables Brulants, bâtiment le plus important de l'endroit pour la majorité des hommes qui y vivent: j'ai nommé, la taverne.

Commencer une histoire dans le débit d'alcool du coin, c'est peut-être un peu cliché, mais ça aura l'avantage d'introduire un personnage qui aura malgré lui une certaine importance dans ce qui suivra. Il vient d'entrer dans une salle comble où le bruit et l'agitation ambiants couvrent son arrivée. Il est venu à la recherche d'un homme précis, un habitué du coin. On lui a dit que ce ne serait pas difficile de le trouver en ouvrant un petit peu les yeux.
On n'avait pas toujours raison, mais cette fois-ci, ce fut le cas. Notre nouveau venu trouva son homme accoudé au comptoir, entretenant une discussion plaisante avec le tenancier du lieu. Il toisa l'inconnu qui claqua ses mains sur le bois, juste à côté de lui. Quelques pièces changèrent de propriétaire et une nouvelle bière glissa sur le bar. Deux clients commencèrent d'échanger des regards, signe pour les observateurs que le mobilier allait en prendre un coup...

"Dis Romain, tu le connais c'garçon ?"

"J'l'ai déjà vu... C'est un nouveau dans le coin, on dit qu'il est assez prometteur comme type..."

"Dis, ça t'écorcherait la tronche de m'parler directement ?"

"Dis, Romain, tu sais comment il s’appelle ?"

"Tu l'fais exprès ou bien t'as d'la merde dans les oreilles ?!"

"Aucune idée... C'est pas comme si on disait tout..."

"EH !"

"Mouais..."

"Euh..."

Yilan Thorn rapporta son attention sur sa bière. À côté de lui, un inconnu commençait de s'échauffer de plus en plus. On lui avait parlé d'un combattant ayant déjà acquis la confiance du patron, le grand chef de l'île, Abran Kaï. Venant d'arriver sur l'île, il s'était figuré qu'en battant un homme comme lui, on le prendrait tout de suite au sérieux, qu'il aurait le respect de tous et qu'il prendrait peut-être même sa place au sein des pirates, allez savoir...

Il s'était aussi figuré qu'en haussant la voix un petit peu, qu'en se montrant assez agressif, il attirerait l'attention et que ce tocard en vert engagerait le combat rapidement. Mais l'indifférence avec laquelle on l'avait accueilli l'avait désarçonné et maintenant, il n'était plus capable de retrouver le fil de son plan. C'était pourtant une recette reconnue pour bien marcher: débouler dans une taverne, provoquer un homme ayant déjà bu quelques verres, profiter de son état d'ivresse pour le battre facilement et s'en sortir avec la gloire et les femmes.
Le nouveau venu réfléchit, qu'est ce qu'il savait sur cet homme ? Ah ouais, les femmes...

"Eeeeeh.... Mais j'crois bien qu'on m'a parlé de toi... C'est pas toi le type qu'a pas son esclave personnelle qui l'accompagne pour la nuit ? Si j'me trompe pas, ça veut surement dire que t'es le seul type puceau ici..."

Le sourire aux lèvres, l'inconnu semblait exalter. Il avait préparé cette réplique bien avant d'entrer dans la taverne. Il attendait la réaction du pirate, qui restait stoïque pour le moment. Il le regarda boire une gorgée de sa bière et dire, sans prendre la peine de se retourner:

"Si t'es venu ici pour prendre ma virginité, j'ai le regret de t'annoncer que je n'suis pas intéressé. J'aime pas les fillettes qui font trop de bruit..."

Une fraction de seconde plus tard, un verre à moitié rempli d'une bière parfaitement bonne s'écrasa sur le sol. Les regards se tournèrent vers sa provenance, leurs propriétaires notant bien de garder les deux hommes à l’œil. Une nouvelle blonde fut servie et le tavernier demanda son dût.

"T'as entendu Yilan ? Tu ferais mieux de payer si tu veux pas te faire sortir."

"C'est à toi que j'causais, l'nouveau..."

"Qu-? Tu rigoles ?"

C'était un complot ! Une odieuse supercherie !! Comment osait-on se moquer ainsi et lui demander de payer un verre qu'il n'avait ni offert, ni l'intention se boire ? L'inconnu se jeta par dessus le comptoir et attrapa le tavernier par le col. Les visages des deux hommes se trouvaient à moins d'un pouce de distance...

"T'aurais pas du faire ça garçon..."

"Hein ?"

Enfin, un peu d'attention, une goutte bélliqueuse dans les paroles du pirate !

"Bon, j'vais vous laisser moi..."

Yilan se leva et laissa le nouveau venu aux bons soins des habitués du coin. La chose à savoir dans une taverne, c'est que son propriétaire est bien souvent celui à qui va la fidélité de ses clients. Celle-ci était un exemple parfait: même Abran Kaï n'oserait pas bruler le débit d'alcool de son île, il savait que ses hommes se retourneraient tout de suite contre lui. C'était après tout un argument choc pour le recrutement: une bière à un prix préférentiel, longuement négocié avec les autres closes de protection ou la fourniture en fûts.

Une fois dehors, un jeune garçon approcha en courant de Yilan. Il jeta un regard vers l'entrée de la taverne qui venait de se refermer sur les bruits qui ne viennent d'habitude que bien plus tard dans la nuit. Puis il dit, d'une manière distraite:

"Y'a l'chef qui vous d'mande m'sieur Thorn, j'crois qu'ça urge..."

"Oho, merci petit... tiens, prend ça, j'te déconseille d'aller les boire tout de suite."

Yilan jeta une pièce au messager avant de partir pour la demeure d'Abran Kaï.

Une poignée d'heure plus tard, l'équivalent pirate du jeune mousse remplissant les tâches ingrates sur un navire s'approchait du hamac où dormait Yilan Thorn. Abran Kaï l'avait chargé d'une mission plus ou moins routinière. Un marchand avait promis une livraison et était en retard de plus d'une semaine. Inquiet, le chef des Sables Brulants avait envoyé un guerrier auquel il faisait assez confiance pour remplir cette mission. C'était aussi l'occasion de faire bouger un équipage qui venait de se joindre à lui. C'était une expédition routinière, rien de bien compliqué, mais ça suffirait pour flatter leur orgueil et les tenir tranquille un moment.

La rencontre avec le guerrier avait été quelque peu tendue. Il manquait une poignée d'hommes qui étaient partis à la recherche de distraction, ce qui n'était jamais bon quand un type important débarque à l'improviste. Le navire avait tout de même levé l'ancre sans plus attendre et avait mis le cap vers le repaire du marchand d'esclave. Ils approchaient maintenant de leur destination, raison pour laquelle un jeunot avait été envoyé chercher le passager endormi.
Lorsqu'il se réveilla, Yilan pouvait deviner les premiers rayons du soleil filtrer entre les planches de la coque. Il se souvenait vaguement d'un rêve, d'une chasse tirant vers la fin au travers de plaines enneigées. Cela lui arrivait assez souvent, de revoir en songes le pays de son enfance. Il en retirait toujours un sentiment de frustration, sans vraiment savoir pourquoi...

Le marchand habitait dans une petite bicoque collée à une colline. Il avait aménagé une grotte afin d'y stocker sa marchandise. Ce n'était pas la première fois qu'Yilan allait le voir. Il le connaissait et savait qu'il était inutile de débarquer en force. De plus, il préférait s'en occuper seul, cela lui laissait une marge de manœuvre plus large.
Arrivé devant une porte se fondant presque dans le mur de pierre, le pirate assena trois grand coups dessus. Le bruit qui se fit entendre depuis la maisonnette indiqua que son propriétaire avait été surpris par cette arrivée matinale. Un clapet s'ouvrit et révéla deux yeux mal réveillés.

"C'est pour quoi ?"

"Tu me reconnais pas ?

"C'est toi Yilan ? Rah putain... Entre entre..."

La porte s'ouvrit et révéla un homme au physique plus que douteux.

Spoiler:

À sa vue, on comprenait facilement pourquoi il vivait ainsi reclus. Le marchand alluma sa pipe et l'odeur du tabac envahit très vite la pièce.

"Qu'est-ce qui t'amènes mon bon ami ? Quelles nouvelles d'Abran ?"

"Tu connais la réponse à ces deux questions Julius. T'es seul ?"

Même s'il vivait isolé, il arrivait souvent que Julius reçoive des visiteurs. Il n'allait pas chercher sa marchandise lui-même, mais servait plutôt de dépôt et d'intermédiaire entre les différents acteurs du commerce local. Certains de ses clients s'arrêtaient là pour la nuit, selon l'heure de leur arrivée.

"Ouaip. Seul comme une goutte dans l'désert. Tu veux un truc à boire ?"

"Non merci, pourquoi es-tu en retard, ce n'est pas dans tes habitudes..."

"J'étais occupé, et tu m'connais, j'vérifies toujours qu'ma marchandise est de bonne qualité. Raharahargl"

Le rire mêlé de toux du marchant rappelait le son d'un animal surpris dans un procédé embarrassant la plupart des hommes. Yilan essaya de ne pas y penser et se dirigea vers le fond de la chambre. Il déverrouilla une porte et s'avança dans un boyau souterrain. Le pirate ignora le bruit des loquets qui l'emprisonnaient maintenant sous terre, c'était la procédure habituelle. Il alluma une bougie se trouvant quelques pas avant la limite des ténèbres insondables et l'emporta avec lui.
Après quelques instants de marche, Yilan se trouva dans une grande salle que petite flamme ne parvenait pas à éclairer entièrement. Il s'avança en direction des bruits de respiration qu'il entendait. Il trouva finalement une jeune fille ligotée. On pouvait voir la peur et la panique dans ses yeux.

"Shh... C'est bon, ça va aller..."

Yilan avait de l'empathie pour cette prisonnière promise à une vie d'esclave. Il avait lui-même ressenti les mêmes sentiments de terreur face à son destin. Il se souvint que, parfois, c'était l'envie d'en finir et de mourir qui le prenait. D'un des recoins de ses vêtements, il tira une dague. La jeune fille voulu se débattre et reculer, mais ses liens l'en empêchèrent.

"Tout va bien, c'est fini..."

C'est à cet instant que le pirate se rendit compte de tout le dégoût qu'il éprouvait pour Abran Kaï. Il savait pourtant que c'était là, quelque part, mais l'abcès s'était maintenant ouvert, et rien ne voilait la vision du pus infect qui s'en échappait. La frustration de son réveil revint, il voulait être libre, vivre et chasser comme bon lui semblait. Mais non, il devait assouvir les désirs d'un mégalomane n'ayant aucun respect pour la vie humaine.

Yilan Thorn leva la lame qu'il tenait d'une main ferme. Il c'était décidé, il allait en finir.

Intelligente... Plus ou moins.
Yilan haussa les épaules et laissa la dague plantée dans le bois de la porte.