Pareil à une bête fauve, le public avait rugit alors qu'étaient tombées au sol les premières gouttes vermeilles. Les deux combattants, blessés en même temps, avaient reculés pour reprendre une posture défensive. Le combat aurait normalement dû s'arrêter là au premier sang, sur une égalité, mais aucun des deux fières gladiateurs ne se serait contenter d'autre chose qu'une victoire incontestable. Les arbitres avaient bien tenté de les persuader par les mots, mais aucun n'avait eu le courage -plutôt la folie- de descendre les séparer.
De toutes façons, le public n'était pas encore lassé de cette lutte. Mieux, il en redemandaient.

Garkh, le solide Orc, fixait d'un regard foncièrement mauvais et provocateur Natan, l'Humain autour duquel il tournait. Le Peau-Verte était une hideuse montagne de muscles qui, malgré sa posture voûtée, atteignait facilement les deux mètres cinquante. Son était corps complètement couvert d'un acier aussi épais que grossier. En comparaison, l'Humain paraissait minuscule à côté, même si sa musculature fine était sublimée sous son armure en plate.

L'Humain était le plus méfiant des deux, sa guisarme pointée vers l'Orc, tandis que ce dernier se martelait le torse avec ses poings monstrueux en beuglant et agitant ses deux masses d'armes au dessus de sa tête. Chaque spectateur hurlait, poussant son champion à se jeter le plus vite possible sur son adversaire. Le tempérament de feu de l'Orc fit qu'il fut ce qui lança l'assaut, bazardant une inesthétique mais surpuissante vague de coups. L'humain esquiva ou para avec élégance toutes les attaques avant de soudainement piquer le ventre de son adversaire. Coup de chance, la lame de sa longue arme se glissa entre deux larges plaques d'armure de l'Orc

Dans le public, plus un bruit, le suspens et le silence régnaient en maîtres. Les deux combattants étaient figés jusqu'à ce que l'Orc pose doucement ses mains sur la hampe de l'arme dans son ventre, comme s'il était trop incrédule pour se croire empalé. L'Humain commença à relâcher son attention...
Mais ne vit que trop tard qu'aucune goutte de sang ne salissait sa lame.
D'un coup, le monstre vert empoigna fermement le manche de l'arme -en fait accrochée dans la maille sous son armure- et tourna brutalement sur lui même d'au moins 180°. Par réflexe, l'Humain était resté accroché et avait finit projeté à l'autre bout de l'arène, mis K.O. par le choc contre le mur de celle-ci.

Ivre d’orgueil primale, Garkh rugit son triomphe en reversant sa tête en arrière. La foule était en délires, si bien que le maître de cérémonie dut attendre au moins deux bonnes minutes pour réussir à prendre a parole :

Notre champion d'la soirée est désigné... Garkh dit "Cass'tête" ! Il participera à la finale annuelle du tournois des combattants dans un mois ! Vous pouvez l'applaudir encore un peu, il le mérite.

La foule, généreuse, offrit une nouvelle puissante ovation pour le barbare vert qui se retira la tête haute, crâneur. Le maître de soirée reprit la parole.

Et maintenant notre grand jeu hebdomadaire : le combat qui pourrait bien changer votre vie ! Un bref rappelle des règles. Nous mettons en jeux la pharamineuse sommes de cinq cent dragons d'or ! Pour les gagner, c'est simple, descendre dans l'arène et vaincre... ?

Lek, Lek, Lek ! Lek, Lek, Lek ! Scanda la foule.

Même plus besoin d'le présenter ! S'il meurt, les cinq cent dragons d'or seront à se partager entre tous les survivants ! C'est un jeux d'équipe, Messieurs Dames. Alors, combien de fous furieux aurons-nous ce soir ?

Malgré l'improbable somme mise en jeux, il n'y eu que trois volontaires : un élémentale de terre armé de deux monstrueux poings de roches, un titanesque giguêtre portant fièrement une grande épée sur son épaule, et une Yogaï qui brandissait un élégant fauchard.

Le chaos tenait toujours la foule. les uns et les autres s'encourageaient pour oser descendre dans l'arène. Ils riaient mais étaient tous secrètement terrifier. Dans la foule, les non-habitués s'interrogeaient : pourquoi si peu de monde descend alors qu'il n'y à qu'un seul combattant à vaincre ? Comment ce Lek pourrait tuer tout un groupe à lui seul ?

Le commentateur avait restaurer le calme à grand renfort de "votre attention s'il vous plait !" et laissa planer un lourd silence sur toute l'arène. l'ambiance avait complètement changé. Quand il fut sûr qu'il avait l'attention de tout le monde, il annonça d'une voix sentencieuse :

Que le spectacle commence.

Un gong retentit, la foule exulta un grand cri, libérée de la frustration de devoir se taire. Un autre beuglement se fit entendre, absolument inhumain ; celui d'une âme qui n'est plus qu'une infinie souffrance noyée dans une insondable abysse de folie meurtrière ; celui d'une conscience brisée en mille morceaux, reconstruite à l'envers et maintenue en place par le mortier de la violence.

Lek, Lek, Lek !

Les grilles se levèrent dans un bruit lugubre.
Lorsqu'elle furent à un demi mètre du sol, une ombre les franchit, propulsée par un cri dément -ou un sanglot ?- de haine et de peine.





Quel horrible voyage fut-ce. La sensation... Non, la certitude d'être épié le rendait malade. Il devait faire attention à absolument tout ce qu'il disait et ce qu'il faisait. Par contre, il n'avait plus à contrôler ses sentiments ! Il avait réussit à se procurer une petite fiole d'un parfum spécial qui faussait les odorats sensibles. Ainsi, même si la Lycane pouvait toujours le flairer facilement, l'arôme de l'Incube était, pour elle, en constante évolution : tantôt épicés, tantôt doux, et ce sans que ses ressentis puissent être perçus. C'était au moins ça de gagné.

Il avait bien évidement pris le temps de se nourrir avant de partir pour ce voyage, et là, il était sûr que la Lycane n'avait rien pu voir. Une autre petite victoire... mais quelle pression tout de même !

Il avait été soulagé d'accoster ; après tout là d'où il était originaire, l'eau n'abondait pas, alors normal qu'il soit assez peu habitué aux voyages maritimes. Puisque sa destination était l'archipel de la Muerta, il avait fait très attention à ne pas s'habiller trop richement. En fait, il avait opté pour une cuirasse sobre qui, une fois n'est pas coutume, cachait tout son corps parfait en le moulant jusqu'au coup. L'armure légère était décorée par quelques rares runes de tailles variables et était renforcée par de très fine lignes d'un étrange matériaux pourpre sans aucun reflet qui, pour la comparaison, aurait évoqué du plastique mat. Contre sa hanche gauche pendait le fourreau d'un yatagan à la lame large qui, comme le poignard qu'il portait contre la poitrine, n'avait pas encore été dégainée depuis le tout début du voyage.

Même s'il savait que la Lycane était dans les parages, il s'était juré de ne lui demander aucune aide, à cette chienne. De toutes façons, avec les infos qu'ils possédait, trouver Lek n'avait pas été dur... Surtout qu'il s'agissait d'une star locale ! Cela ne lui prit qu'une heure et demi pour rallier l'arène depuis que le navire avait accosté.

Au vu de la clameur qui s'échappait de l'arène, il devait s'y tenir une joute intéressante. L'Incube s'était présenté en expliquant vouloir parler à Lek. On lui avait craché :

Normal'ment c'est les gonzesses qui d'mandent à l'voir, parait qu'il les fout en chaleur, ah ! Le crétin rit, fier de son "effet". D'toutes façons s'tu veux l'voir, t'es obligé d'prendre un ticket pour aller voir les combats. Ensuite tu pourras approcher la bête quand on l'aura r'foutu dans sa cage !

Vaelh fit l'un des plus gros efforts de sa vie pour ne rien laisser paraître de la rage qui s'était emparé de lui à l'encontre de ce putain de gros con. Il enregistra ses traits, les grava à jamais dans sa mémoire, et se jura de l'égorger avant de repartir pour Ciel.

Il jeta presque ses quelques pièces à la face de ce gros rat avant d'entrer dans les gradin. Quel immonde endroit était-ce ! Pas facile de s'y trouver une place potable...

Que le spectacle commence.

Lek, Lek, Lek !

Lek... Vaelh était entré pile au bon moment. Il s'était figé en percevant la première vague de beuglements monstrueux qui s'échappait des ténèbres derrière la grille face à lui. Il avait clairement reconnu la voix de son protégé et, déjà pâle de nature, était maintenant plus blanc que de la porcelaine

Les grilles se levèrent dans un bruit lugubre.
Lorsqu'elle furent à un demi mètre du sol, une ombre les franchit, propulsée par un cri dément -ou un sanglot ?- de haine et de peine.

Transformée de la tête aux pieds, la jeune femme serrait le manche de son sabre pour éviter de céder à sa terrible envie de tailler chaque personne présente dans les gradins en rondelles. Elle haïssait les combats en arène. Trop de mauvais souvenirs.
Durant le voyage, Cathane s'était faite très discrète. Vaelh, sur qui elle avait prit soin de se renseigner autant que possible, avait eut la présence d'esprit de se parfumer à outrage. Elle ne pouvait plus déceler les légers changements de ses humeurs, mais qu'elle importance ? Elle ne comptait pas lui parler. Par contre elle comptait le suivre et il lui offrait un véritable fil d’Ariane olfactif. Peut-être même qu'elle le remercierait pour ça. En lui dévorant les entrailles par exemple.

Elle n'oubliait pas la façon dont ils s'étaient quitté ni les insultes. Elle s'était maitrisé, fait violence pour empêcher le massacre. Elle avait encore besoin de lui. Mais à la première occasion, elle lui arracherait la tête sans aucun remord. Ou peut-être qu'elle le défigurerait, pour lui infliger la torture de voir son beau et si parfait visage déformé à vie. Ce serait bien plus dur comme vengeance, elle devrait se retenir de le tuer, mais bien plus jouissif de le voir se tordre de douleur.
Quand le navire fut en vue de l'île où ils allaient accoster, elle prépara sa nouvelle apparence. Maquillage noir autour des yeux, à la mode des pirates et des insulaires, turban, dreadlocks et perles, elle subtilisa un sabre et quelques vêtements, optant pour un bustier de cuir retenu par deux bretelles qui se fermaient autour de son cou et laissait voir son nombril ainsi que son dos. Un pantalon avec une ou deux ceintures de tissu, des breloques comme en raffolaient les femmes d'ici, des bottes solides...Et un foulard pour masquer le bas de son visage. Pour l'occasion elle sortit même deux petits anneaux qu'elle accrocha à sa lèvre inférieur et à son nez en guise d'ornement. Elle passait si bien pour une native qu'on s'adressa même à elle dans une des langues du coin alors qu'elle était incapable de la parler.

Un fois les deux pieds sur terre, elle se dirigea sans attendre vers l'arène. Mais plutôt que d'y aller directement, elle s'arrêta dans l'auberge la plus proche et prit une chambre avec l'air le plus blasé qui soit. A son grand soulagement, elle n'attira pas l'attention, passant totalement inaperçu dans cet environnement où elle ressemblait à bon nombre de femmes sillonnant les mers. A peine eut-elle payé qu'elle ressortit pour prendre la direction de l'arène. Elle devait voir par elle-même qui était ce fameux Lek. On lui laissa une petite place après un rude combat à coup de coude dans la foule.

L'homme qui sortit de l'ombre la laissa interdite. C'était un monument de force et de rage qui lui agressa le nez plus que tous les relents de sang et de sueur qui imprégnaient les lieux. Son odeur âcre la prit à la gorge et elle se retint pour ne pas tousser. Les hurlements de la foule lui vrillaient les oreilles et l’insupportait mais elle resta concentrée sur ce qui se passait dans le sable de l'arène. Elle ne resta pas jusqu'au bout. Ce déchainement de fureur aveugle lui rappelait trop ce qu'elle avait connu a Foam. Ce constat amena d'ailleurs bon nombre de questions qu'elle se devait de lui poser et qui n'avait rien à voir avec sa rencontre avec l'Incube.
Quand la lycan en eut assez vu, elle quitta les gradins et descendit voir le garde à l'entrée des "coulisses". Avec un sourire caché derrière son voile, elle s'approcha d'une démarche féline et s'adossa au mur en lui jetant un regard chargé de sous-entendus. Il savait ce qu'elle venait chercher.

« Tu sais ce que je veux. »

L'affreux partit d'un rire gras et s'approcha jusqu'à la surplomber avec un air malsain.

« Ça va s'monnayer ma grande. »

Cathane sortit son ticket de son corsage et le lui tendit entre deux doigts sans quitter son sourire. L'autre le prit, jeta un coup d'oeil et le lui rendit mais ne s'écarta pas. La jeune femme pencha légèrement la tête sur le côté :

« Tu es sur de vouloir parler avec une voix de fillette jusqu'à ta mort ? »

Elle avait la main posée sur le pommeau de son sabre. L'homme rit nouveau et s'écarta. La lycan passa et lui tendit une pièce d'argent. Quand il la prit elle le saisit au col et le tira en avant avec une force insoupçonnée. Les yeux dans les yeux, elle lui susurra :

« Et qu'on ne vienne pas nous interrompre. S'il te plait. »

Puis elle le relâcha et s'enfonça dans la pénombre répugnante des sous-sol. Arrivée en bas d'un court escalier, un garde lui demanda ce qu'elle venait chercher, non sans avoir évaluer la marchandise avant. Sans paraitre gênée par ce regard lourd de sens qui se posait sur elle, Cath lui expliqua qu'elle venait pour Lek et qu'elle comptait bien l'avoir pour elle seule pendant un moment. Sans être dérangée. Le garde lui indiqua le chemin et la gratifia d'une tape sur les fesses en la quittant. Plutôt que de lui sauter à la gorge comme elle aurait aimé le faire, la demoiselle lui lança un regard coquin par-dessus son épaule avant de suivre le couloir humide qui s'ouvrait devant elle. La porte au fond était celle qu'elle cherchait. Elle n'avait plus qu'à attendre.

PS: tu as un MP =3

Pendant un temps, le seul compagnon de la Lycane dans ces sous-sols ne fut qu'un silence lourd, oppressant, si étouffant qu'il semblait doué de sa propre conscience. Mais plus qu'une odeur repoussante, les courants d'airs charriaient quelque chose de malsain, d'impie, de contre nature.
Ce lieu n'étaient pas de simples sous-sols. Ils étaient trop vides pour ça.

Avant que la Louve n'ai vraiment le temps de s’interroger sur les composantes d’une telle atmosphère, une porte s'ouvrit pour déverser dans les sous-sols tout un monde de haine, de rancune, de violence, de folie. Le hurlement primal d'un Dieu de la guerre se rua sur les tympans sensibles de la fausse pirate, les blessant. Ce même beuglement véhiculait bien plus qu'une rage inarticulé, qu'une folie meurtrière et un incommensurable désire de sang ; il était le vecteur d'une douleur qui brise l'esprit, d'un supplice qui fend l'âme, d'un calvaire qui dure depuis trop longtemps.

La source de cet atroce cacophonie est soudainement visible : un géant en armure segmentée noire et pourpre, maîtrisé physiquement par six homme, eux même soutenus magiquement par un dernier. Sept individu qui s'échinaient à transporter un démon se convulsant dans leur bras, beuglant d’intangibles menaces. A force de patience et d'acharnement il réussirent à le jeter dans une grande cellule. Le hurleur fut enchaîné au centre de l'immonde pièce, remplissant à lui seul tout l'espace des sous sols par ses cris.

Comme par magie -véritablement par magie, en fait- des lampions s'étaient allumés dans la geôle, dévoilant là un Lek relié à de lourdes chaînes, deux pour les chevilles, deux pour les poignets. Il tirait dessus dans le fol espoir de les briser, persistant à s'arracher la gorge pour produire des beuglements à un volume absolument intolérable. Un beuglement... Affamé. Une oreille attentive pouvait noter, à la fluctuation de ses hurlements, qu'il devait subir une affreuse torture. Pourtant, son armure, bien que rouge de sang, était intacte.

D'ailleurs, personne n'avait pris le risque d'essayer de la lui enlever. On lui avait même laissé son heaume. D'ici, bien qu'au final les lampions ne génèrent pas assez de lumière pour que la Louve puisse apprécier tous les détails, elle pouvait remarquer que l'armure de Lek évoquait la carapace d'un gros insecte. Elle était segmentée, permettant un grand degré de protection et de souplesse, et parcourue de pics et de crochets. Sont heaume, dont la forme évoquait vaguement un ovoïde étiré, était asymétriquement décoré d'affreuses runes et de cornes.

Les sept hommes qui l'avaient guidé là restèrent un moment pour narguer le fou, pour lui coller un vicieux coup de pied, lui jeter quelques cailloux ou l’inonder de moqueries. Ils n'aimaient clairement pas leur job et déchargeait leur frustration sur la malheureux qui, pour la peine, grimpa d'encore un échelon sur l'échelle de la furie.

Quand ils furent dehors, la Lycane fut seule avec l'Incube enfermé et enchaîné. Alors l'affreuse vérité pouvait s'imposer à elle. Cette façon qu'on avait de l'emprisonner au centre de la pièce, ces lampions... Lek était exposé. Il n'était plus qu'une attraction, une douloureuse parodie d'animaux de zoo que les gens venait regarder en attendant qu'il fasse quoi que ce soit d'amusant dans sa cage.

Brusquement, le monstre s'était figé, tut, et avait tourné vers la Louve qu'il avait dû flairer. Il ne fallut qu'une seconde pour que ses muscles se tétanisent à nouveaux pour essayer de faire sauter les maillons, mais il conserva son silence. Son aura de charme, patrimoine de sa race, s'était jetée sur la jeune femme comme une odieuse bête prédatrice. Là où celle de Vaelh véhiculait un raffinement sans bornes, de la malice et des promesses de plaisirs, celle de Lek ne transportait plus qu'une rage sans bornes qui poussait à l'attraction par l'impressionnent. Pas de douceur, pas de coquinerie, pas de malice pour l'aura de Lek, juste l'amour du sang, le goût de la mort et l'adoration de la violence, le tout mêlé à une attraction parasite purement physique.

Le silence qui s'était installé sembla s'étirer sur une éternité, jusqu'à ce que le prisonnier laissa jaillir un long cri fait de défis, de douleur, de fureur et de supplice.

Cathane s'écarta pour laisser passer l'équipe de...de...dressage ? L'Incube qu'elle recherchait était un véritable colosse en armure et un enragé de première. Cette attitude lui faisait penser à ces pauvres bougres drogués qui s'entre-tuaient dans l'ancienne arène de Foam. On leur faisait boire de force une potion infecte qui les rendait fou, ivre de sang et enragé. Puis on les lâchait sur le sable imbibé de sang, pour le plus grand plaisir des parieurs. Elle, elle y avait échappé. Mais maintenant qu'elle voyait Lek, l'horrible vérité s'abattait sur elle : ce n'était pas parce qu'elle donnait de beaux combats même sans drogue qu'on lui avait épargné cette épreuve, c'était parce qu'elle était aussi enragée que lui, aussi avide de tuer.

Quand l'équipe se retira, elle attendit un bon moment, adossée contre un mur, fixant la créature enchaînée. Le silence s'installa confortablement pendant que chacun des deux fauves évaluait l'autre. Ce fut Lek qui brisa cette quiétude le premier. Avant même de sentir les effets de son aura, Cath la "sentit" arriver, comme on pourrait voir une vague s'approcher et s'apprêter à nous engloutir. Elle s'attendait à quelque chose de difficile à maîtriser et se mura derrière son habituelle protection. La vague l'atteignit avec une force considérable, mais ce ne fut pas aussi difficile à contenir qu'elle se l'était imaginée. Intriguée, elle analysa ces sensations qui tourbillonnaient autour de son esprit et s'aperçut qu'elle les connaissait bien. C'était comme se retrouver avec son Loup en pleine furie sauf que cette fois, ça venait de l'extérieur. La saveur de ces désirs était différente car plus consciente, plus réfléchit. Quand le Loup voulait tuer, c'était pour le plaisir de la chasse, le danger qu'elle comportait et la victoire de la mise à mort puis la satisfaction primaire d'une fringale et le plaisir indescriptible de goûter au sang et à la chair que l'on mérite après une bonne traque. Ce que voulait lui imposer l'Incube, c'était le plaisir de tuer pour tuer. Avoir le pouvoir de briser une vie, sentir une âme quitter le corps qu'on vient de trancher, pouvoir presque palper la douleur de l'autre. C'était tout de même différent.
Mais ce combat n'était pas aussi périlleux que celui contre l'aura de Vaelh. Il était juste épuisant. La louve n'en montra cependant rien et s'approcha avec un sourire, tirant sur son voile pour découvrir son visage. Elle avait des doutes quand à la capacité de cet être à articuler des mots sur un ton normal mais après tout, elle ne risquait rien à essayer. Dans sa tête, les images les plus sanglantes bouillonnaient et elle pouvait sentir ses instincts les plus sombres se réveiller. Elle avança jusqu'à saisir deux barreaux entre chaque main et pencha la tête pour appuyer son front sur l'un d'eux. Un grondement animal roula contre les pierres du souterrain et coupa l'Incube dans son élan. Une sourde menace. Face à un être aussi bestial qu'elle, elle ne se retiendrait pas et ne lui laisserait pas l'occasion de la dominer. Son Loup était Alpha et il était tant asticoté par l'aura du démon qu'il n'était pas en état de supporter trop d'insolences. A son tour, Cathane laissa libre cours à son influence. Son aura n'était pas de la même nature que celle des incubes, mais à cause de sa nature mi humaine mi animale, elle était clairement identifiable par les créatures pensantes. C'était une impression qu'elle dégageait, une sensation de force, de supériorité. Elle était la dominante et elle était prête à mordre. Si un chien passait par là, aucun doute qu'il se serait jeté par terre, gorge offerte tout en gémissant et la queue entre les pattes. Cath laissa revenir le silence avant de demander:

« Sais-tu encore parler, démon ? »
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Mais malgré l'autorité implicite et écrasante de l'Alpha, l'Incube ne faisait que tirer sur ses chaînes plus violemment. Aucun doute qu'il l'aurait tué -il aurait du moins essayé- s'il n'avait pas été entravé. Même s'il portait un casque, on pouvait facilement deviner l'écume au coin de ses lèvres.
Lorsque la louve s'était exprimé, Lek avait paru surpris. Normalement on l'insultait, lui crachait dessus, certains lui jetait même de la nourriture comme s'il n'était qu'un animal débile et soumis. Là, la créature devant lui l'avait juste questionné. Le peu de conscience qu'il lui restait parvint à fournir l'effort nécessaire pour qu'il articule les mots suivant d'un ton douloureusement grondant :

"Veux... Quoi ? "
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Cathane sourit : finalement il lui restait un brin de cervelle. Elle devait quand même s'employer à ne pas lui demander des choses trop compliquées, au moins au début.

« Que tu commences par te souvenir que tu n'es pas une bête. Ca sera plus facile pour répondre à mes questions. »

La louve inspira profondément et serra les dents : il puait la mort et la douleur.

« Es-tu Lek, celui qui rejoignit l'Incube Vaelh il y a des années ? »

La jeune femme n'avait pas beaucoup d'informations à ce sujet mais elle en savait assez pour poser quelques questions clé. Elle vissa son regard dans celui de l'homme qui lui faisait face, sans éprouver ni rage, ni pitié. Simplement de la détermination et un effort considérable pour rester maîtresse d'elle-même.
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Dès que "Vaelh" fut prononcé, le monstre se contenta, en guise de réponse, de laisser jaillir un beuglement incontrôlé. Le cri était bien sûr emprunt de rage et de peine, comme tous les autres, mais autre chose s'y mêlait, un étrange mélange de joie et de frustration.
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La lycan soupira, un peu déçue de la réponse. Mais ça semblait plus être une confirmation qu'autre chose alors elle continua sans se démonter.

« Pourquoi ton aura est-elle aussi sanglante ? Je croyais que les incubes étaient voué aux plaisirs charnels. »
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Un nouveau cri, plus bref, plus sec, comme un jappement. L'Incube dût faire tout son possible pour faire ralentir son souffle beaucoup trop appuyé. Peut être s'apprêta-t-il à répondre l'espace d'un instant, mais il secoua violemment la tête de gauche à droite en grondant.
Chaque secondes qui passait ne faisait qu'ajouter à son calvaire.

L'Ouïe fine de la Louve lui permit d'entendre le maître de l'arène, à l’extérieur, annoncer la suite des festivités. Selon lui, les trois lauréat du mois allaient s'allier comme l'avait fait le groupe d'avant -à présent tous morts- pour défaire le Boucher. Des vivats suivirent.
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La lycan serra un peu plus fort les barreaux mais ne perdit pas patience. L'autre dehors ne l'aidait pas beaucoup et faisait du boucan. Elle reprit cependant sur un ton presque doux:

« Pourquoi acceptes-tu ça ? Réponds moi. »

La situation lui semblait impossible. Comment un homme pouvait accepter de se faire traiter de la sorte, de ne vouer sa vie qu'au massacre en contrepartie d'être huer et montré du doigt comme une bête. Il était enfermé ! Privé de sa liberté ! Une situation intolérable pour Cathane qui ne saisissait pas qu'on puisse tolérer une telle situation. Il avait la force de s'enfuir, pourquoi restait-il ici ?

« Tu ne devrais pas être enfermé ici, comme une bête. Pourquoi restes-tu ici ? Qu'est-ce qui te retient ? Tu ne me feras pas croire que tu n'as aucun moyen de t'échapper. Réponds ! »
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Pareille à un chien qui réagit en entendant ses maître secouer son paquet de croquettes, l'Incube avait violemment rivé son heaume vers la sortie qui donnait sur l'arène. Tout son corps s'était mis à se secouer avec force. Il lui avait fallu un long moment avant de réussir à articuler dans un couinement :

" Me nourrit... ici. 'Me donne des vies ! "
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La lycan resta muette un instant. Les connexions entre ce qu'elle savait déjà et ce qu'elle apprenait se faisaient doucement. Il se nourrissait de cette façon...Il survivait en tuant les autres. C'était surement pour ça qu'il était si agité, si enragé : il mourrait de faim. Apparemment, trois vies violemment arrachées ce n'était pas suffisant. A en croire ses informateurs, la louve pouvait dire qu'il était là depuis des années déjà. Il avait eut le temps d'en vouloir toujours plus. Elle était tout de même curieuse :

« Pourquoi tu ne vas pas chercher toi-même ce dont tu as besoin dehors ? Ici tu es leur toutou, tu prends ce qu'on te donne. Dehors tu n'aurais pas a attendre l'autorisation. Tu en as conscience ? »
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Sans cesser de s'agiter, grondant et vibrant, il s'était justifié d'une voix maintenant beaucoup plus proche d'un nouveau beuglement.

" Me nourris beaucoup... ici. 'Ai le droit de tuer... ici. Dehors... me chassaient. Ici, 'peux ... manger tous les jours. 'Ai pas à perdre mes forces a chercher."

Il ajouta quelque chose d'autre, mais ça n'était plus compréhensible.
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La jeune femme fut étonnée de la pertinence de cette réponse. C'était donc un mal pour un bien en fait...Mais il était quand même dans un sale état. Maintenant qu'elle avait fait le point sur sa situation, elle choisi de lui poser une question plus importante :

« Les incubes ne se nourrissent pas de la mort des autres en temps normal, c'est un fait avéré. Alors pourquoi toi tu peux le faire ? Est-ce que ça a un rapport avec Vaelh ? »
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Elle n'eut cette fois droit qu'à un aboiement menaçant. Malgré sa folie, l'Incube semblait vouloir garder certains secrets.
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Cathane sourit, amusée par tant de loyauté.

« Brave petit. Tu gardes fidèlement les secrets de ton maître. Mais maintenant je sais que ça a rapport avec lui. Ça va me faciliter les choses. Une dernière question cependant : existe-t-il d'autres façons de se nourrir, autre que le plaisir et la mort ?»
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L'insulte ne l'avait pas fait enrager -du moins pas plus qu'il ne l'était déjà-. Il ne répondit pas, se contentant de pousser des hurlements un peu plus puissant à chaque seconde alors que le maître d'arène avait lancé un décompte au dehors.
Le groupe d'homme de tout à l'heure était redescendu, celui qui semblait être leur chef s'adressa à la Lycane :

"Les visites sont terminées ! Veuillez venir de notre côté, nous allons le libérer."

La jeune femme sourit et s'écarta comme on le lui avait demandé. La porte de la cage s'ouvrit et le démon se rua sur l'entrée de l'arène avec un beuglement inhumain. L'équipe fit de nombreux commentaires peu obligeant à son égard et la lycan put repartir tranquillement, comme elle était venue. Depuis que Lek avait quitté la pièce, elle se sentait plus tranquille et respirait avec plus de facilité. Son sang bouillait encore dans ses veines, mais une petite marche lui ferait du bien. Elle allait sortir quand quelque chose lui vint à l'esprit : si elle n'arrivait pas à tirer plus de choses de cet homme, peut-être que Vaelh, lui, le pourrait.
Elle attendit donc que l'équipe soit sortie pour passer devant le garde avec un sourire et prendre en direction des escaliers.
Il ne lui fallut pas attendre longtemps pour voir le garde quitter son poste pour un petit tour de routine. Elle en profita pour filer le long du couloir, en silence et sur le qui vive. Sans un bruit, elle regagna l'endroit où se trouvait la cage de Lek. Un instant elle resta immobile, cherchant des yeux le meilleur endroit. Elle finit par le trouver : un recoins dans une cellule vide tout à côté et d'où elle pouvait tout entendre sans se faire voir Les barreaux étaient usés, plus gros et plus écartés que ceux de l'Incube, sous forme humaine elle n'avait aucun mal à passer entre. Tapis dans l'ombre, elle entreprit de retirer ses vêtements pour se transformer en louve. Puis elle se roula dans sa cachette sombre, faisant mine de dormir. Même si un curieux passait la tête par les barreaux, il ne verrait qu'un énorme masse de poils couvert de saleté que la lycan avait prit soin d'accrocher à sa fourrure. Il faut parfois souffrir pour être discret. Dans l'ombre, on ne devinait pas sa couleur ni sa race. Elle n'avait plus qu'à prendre son mal en patience...

Spoiler:

Dans l'arène se pavanaient les trois champions du mois : deux humains et Garkh, l'Orc qui avait remporté le tournois quelques instants plus tôt. La foule était partagée, chaque spectateur avait son favoris, mais les parieurs semblaient plus ou moins tomber d'accord pour dire que c'est l'un des deux humains, un magicien, qui avait le plus de chance de terrasser le Monstre.

Vaelh était resté dans les gradins tout ce temps, choqué de voir dans quels extrêmes son amis avait sombré. Il était encore plus pâle qu'à l'accoutumé, les pupilles vibrantes de terreur et les poings serrés. Une partie de lui savait déjà qu'il n'y avait plus rien à faire.
Mais il essaierait quand même.

Que le spectacle r'commence !

Le bellâtre avait sursauté quand le gong avait de nouveau retenti. Les grilles se levèrent doucement et dès que Lek eut la place pour passer, il se rua dehors en attrapant ses deux lames laissées proche de la sortie. Le soleil se refléta sur le sang qui n'était pas encore sec sur ses plaques, donnant à son armure un aspect luisant écœurant.


Dès qu'ils le virent, les trois champions se mirent en position. Le guerrier humain et l'Orc se génèrent dans leur charge ; ils ne jouaient pas en équipe comme l'avait sous-entendu le maître d'arène. Profitant de ce petit instant, Lek dévia, s'orienta face au mage et devint un véritable projectile d'acier et de chair. Il se propulsait avec des foulées immenses, presque des bonds. Le magicien eut quand même le temps de lui projeter une langue de flamme qu'il encaissa de plein fouet, qui lui fit griller la chair sous son armure... Mais qui ne le fit pas ralentir. Il percuta l'homme avec une telle vitesse qu'il lui cassa plusieurs côtes et, avec l'élan qu'il avait, roula avec lui sur plusieurs mètres. Pendant un instant, leur mêlée devint floue. Sur la distance parcouru en roulant, ce nœud de chair qu'ils formaient perdit tout un bras, une jambe coupée au niveau du genoux et d'autres fragments de corps difficilement identifiables. Quand le mage cessa de rouler, il était, sans hyperbole, en morceaux.
Les parieurs s'étaient trompés.
Lek s'était déjà remis debout en beuglant sa douleur et sa faim, se ruant sur les deux survivants.

La foule l'acclama avec un temps de retard. A nouveau abasourdit par cette démonstration de violence, l'Incube avait jeté un œil au spectateurs, souriant, riant, s'amusant à l'abris dans leur gradins, poussant les combattants à donner la mort pour décharger leur haine. Il était infiniment abattu, consterné et désemparé de voir qu'on pouvait traiter un Incube, représentant de la plus belles des races, avec autant d’animosité. Tout ceci était si cruel qu'il n'arrivait pas à se dire que ça pouvait être réel.

En bas, un deux contre un maladroit s'engageait. Lek bondissait, braillait, tranchait, piquait, et ses deux adversaires étaient sur la défensive. L'humain tenta un habile coup de taille, mais c'était sans compter sur l’imprévisibilité de son adversaire. Lek avait d'abord reculé d'un pas avant de cogner dans l'épée pour rendre son mouvement plus ample et la faire terminer dans le bras de l'Orc. La manœuvre ne blessa que légèrement le Peau-Verte mais ce dernier, fortement vexé qu'un humain puisse le toucher même si ça n'était pas sa faute, lui donna un monstrueux coup de bouclier. Le pauvre homme, complètement désorienté, s'écrasa plus loin sur les rires sadiques du public.
Lek lui avait sauté dessus pour réduire sa gorge et sa poitrine à l'état de bouillie de viande sanguinolente.
Plus qu'un survivant.

Sensible, Vaelh entendait avec une douloureuse clarté la peine et la douleur dans les cris de de Lek. Il ne pouvait plus du tout les supporter. Il tenta de s'imaginer tout ce que son amis avait enduré et endurait encore, sans succès. Sans qu'il sache trop pourquoi, il se sentit affreusement coupable.
Réprimant un sanglot d'horreur et prenant son courage à deux mains, il se jeta dans l'arène.
Lorsqu'il eut touché le sol, les spectateurs saluèrent son entrée. Le maître d'arène s'était apprêté à le faire éjecter, mais voyant la foule encourager l'importun dans sa folie, il laissa le show se poursuivre.

*Lek, Lek ! Arrête toi*, avait imploré Vaelh. mais son fou d'ami, trop occupé à faire face au tenace Orc, ne l'avait même pas remarqué. Peut être qu'en l'appelant par son vrai nom...
*Kealhep !*

L'intéressé, on ne peut plus surpris d'entendre son vrai nom depuis tant d'année, laissa un gros coup de masse passer sa garde. Il eut le temps d'en amoindrir un peu la force, mais l'attaque l’expédia au sol deux bons mètres plus loin dans un craquement d'os sinistre.
Il ne bougeait plus.
Plus personne ne bougeait.
Silence.
Puis le barbare vert cria victoire, agitant ses bras épais en l'air, encore incrédule de l'avoir si facilement emporté. Dans la foule, chaos complet : tous était ivres d'adorations pour leur nouveau champion. Seules deux personnes étaient loin d'être enjoué. D'abord, le patron des lieux, beuglant sa frustration d'avoir perdu sa meilleur attraction, et Vaelh qui était tombé à genoux, le regard mort. Il n'arrivait déjà pas à croire en la cruauté de tout ceci, alors appréhender la mort de son ami...

L'Orc s'avança vers la dépouille du perdant, s'apprêtant à la piétiner rageusement pour mieux affirmer sa supériorité. Malheureusement pour lui, le cadavre n'en était pas encore un. Le Boucher s'était relevé d'un mouvement fulgurant, reprenant son mantra de hurlement là où il l'avait laissé, et taillada le ventre du géant vert. Ce dernier fut si surpris qu'il tomba à la renverse en parvenant quand même à donner un nouveau coup de masse assez puissant dans le bras du son adversaire. Vu l'angle improbable selon lequel le membre pendait, il était brisé.
Mais il en fallait bien plus que ça pour arrêter le fou affamé.
Il brailla plus fort que jamais, exultant toute la rage et la douleur dans son corps, avant de se livrer à une mise à mort des plus ignoble.

Il s'était jeté sur le Peau-Verte comme un horrible parasite charognard avide de viande tiède, plantant avec son bras valide une lame dans ses tripes. L'Orc se débattait, essayait de le chasser, mais à chaque seconde qui passait, Lek -Kealhep- le mutilait un peu plus, faisant sauter sa grosse armure comme il aurait décortiquer une crustacé. D'un naturel coriace, l'Orc souffrait, l'inconscience se refusant à lui apporter un répit salvateur. Lorsque son abdomen fut ouvert, l'Incube avait saisit à pleine main tout ce qu'il contenait pour l'arracher et le balancer au dehors.
Le géant était vidé.

Même si dans la foule les gens étaient venus là pour voir du sang, il ne s'étaient pas attendu à en voir autant. La grosse majorité s'était tut, horrifié ou juste stupéfaite, les autres avait détourné le regard. Bien sûr, le choc ne dura qu'un moment. Il finirent par taper dans leur main pour acclamer leur vrai champion qui beuglait toujours comme une bête.

Vaelh n'avait pas pu regarder, la scène étant simplement trop atroce pour lui. Nauséeux, il s'était lentement redressé sans pouvoir contenir un sanglot d'horreur et d'effroi... Aussi loin qu'il se souvienne, à part le jour du grand massacre, il n'avait jamais eu aussi peur. Le hurleur avait alors brusquement tourné la tête vers lui. S'en était suivi une latence qui indiqua à Vaelh que son ami l'avait reconnu... Mais les appétits de ce dernier étaient encore trop fort et il se jeta sur son ancien frère. Sa vitesse, malgré ses côtes brisées, demeurait effroyable. Il arrivait même à se servir de son bras cassé en pivotant son buste dans un sens ou dans l'autre, donnant au membre en miette des allures de fléau. A chaque attaque avec ce morbide appendice, on entendait les os racler les uns aux autres

Puisqu'il était terrorisé, les réflexes de l'Incube sain d'esprit étaient on ne peut plus aiguisés. Il avait dégainé à une vitesse folle son yatagan et sa dague aux profils cruels, fait du même matériau pourpre et sans reflet qui renforçait son armure. Il parvenait tout juste à parer les attaques de son amis au corps détruit et s'était fait repousser jusque devant les grilles que le Boucher avait emprunté. D'ici, la Louve cachée dans la cellule ne manquerait rien du spectacle.

*Kealhep, au nom de la perfection, cesse ! Reprend toi ! Viens avec moi, laisse moi m'occuper de toi, je vais trouver un remède, un moyen de revenir en arrière !*

L'autre n'avait répondu que par des beuglements et des gémissements plaintif. Le corps de Kealhep ne lui appartenait même plus, il mettait son esprit déjà ravagé au supplice à chaque douloureux mouvements. Il était au bout du rouleau -du dernier des rouleaux-, comme à chaque match, mais il n'y pouvait rien. Il fallait qu'il tue.

*Arrête toi, bordel ! Lâche juste...* Vaelh s'était baissé pour éviter d'être égorgé. *Lâche juste tes épées, n'essaye pas de me faire du mal, je suis juste là pour t'aider ! Tu me reconnais ? Bien sûr, que tu me reconnais ! Allez ! S'il te plait...*

Il s'était mis à le supplier parce qu'il était à court d'option, pourtant, Kealhep était toujours en train d'essayer de le couper en deux. Il commençait même à prendre l'avantage. Alors, par désespoir et par peur de mourir, Vaelh lui porta une attaque fulgurante qui rendit sa jambe gauche complètement inutilisable.
Qu'à cela ne tienne, Kealhep continuait de ruer sur lui, porté par une seule jambe.

La scène devenait beaucoup trop malsaine pour Vaelh qui, en plus de ne plus pouvoir contenir ses larmes, sentait son intégrité mentale se fissurer. Il faisait face à la mort elle même sous les traits de ce qui fut autre fois un véritable ami.

Se faisant violence encore une fois, il porta un grand coup ascendant sur sa cible. Comme l'humidité dans ses yeux l'aveuglait, son attaque fut imprécise et facilement détourné. Il vit avec horreur l'une des grande lame du monstre approcher de sa gorge et eut juste le temps de l'éviter. Par panique, il avait riposté d'un grand revers de lame en plein dans le casque du monstre.
Ce dernier s'était envolé, laissant le soleil s'abattre sur un visage en ruine, à la peau brûlée, parcourue de cicatrices et d’ecchymose. Une face difforme, détruite par un trop grand nombre de combats.
Une face sur laquelle on ne lisait presque que de la douleur et du désespoir.

Rendu encore plus fou qu'il ne l'était, le Boucher tituba jusqu'à son ancien ami avec le besoin de répandre son sang sur le sable. Il le chargeait avec plus de rage que jamais, encouragé par cette stupide plèbe ! Comment pouvaient-ils aimer un spectacle aussi effroyable ? Pourquoi personne ne descendait pour aider Vaelh à maîtriser son ami ? Pourquoi cautionnaient-ils tous ça ?

La foule en délire n'avait d'yeux que pour leur champion, cette créature hideuse qui tombait en morceau sous leurs yeux. Et personne ne vit le loup aux dimensions spectaculaires faire son entrée en scène. Débarrassé de sa poussière, le regard flamboyant et les babines retroussées, il marchait d'un pas mesuré. La lumière aveuglante du soleil fit danser mille reflets de feu sur sa fourrure rousse et l'éclat inquiétant de ses griffes laissait présager un nouveau bain de sang. Puis, sans crier gare, il se jeta en avant. En trois foulées il avait avalé la distance qui le séparait de l'Incube délirant et il se jeta sur son dos, toutes griffes dehors.
Lek était très grand mais Cathane restait un loup d'un mètre soixante dis au garrot. Sa masse de muscle atterrit sur les larges épaules du combattant et sa seule jambe valide céda sous le poids. Les deux adversaires roulèrent à terre. Contrairement à son ennemi, la lycan était en pleine forme et avait les idées claires. Elle esquiva les coups puissants mais maladroits que tentait de lui assener l'incube. Il lui hurlait sa colère et sa souffrance au visage, elle était obligée de rabattre les oreilles en arrière pour ne pas finir sourde. Grondante et furieuse, elle griffait la chair mise à nue, déformait l'armure sous le poids de ses assauts et tachait le sable de sang. Lek, dans un dernier effort, la repoussa et le tranchant de sa lame lui dessina une entaille sanglante de l'épaule droite jusqu'à la hanche gauche.

Furieuse, la demie louve se propulsa de toute sa force contre l'ennemi qui tenait à peine debout. Il était si épuisé, si usé, qu'il n'eut pas le temps de lever les yeux sur elle et se retrouva projeté à terre. Sans attendre une seconde de plus, Cathane se rua sur lui et le saisit à la gorge. Ses mâchoires se refermèrent avec force dans un bruit sinistre et elle secoua énergiquement. Le craquement de la nuque résonna dans l'arène où soudain, tout était devenu calme. Le bras encore valide du géant se détendit et sa lame lui échappa des mains. Il avait livré son dernier combat et était mort en ayant chèrement vendu sa peau.
La lycan desserra les crocs, ignorant le sang chaud qui en dégoulinait et s'écarta du cadavre. Elle jeta un regard noir à la foule et reprit tout naturellement forme humaine. Si personne n'explosa en cris sauvage, c'était certainement à cause de la colère noir qui consumait son regard. Son visage était couvert de sang, tout comme ses mains. Dans son dos s'ouvrait la plaie atroce qu'on lui avait infligé. Un rideau pourpre glissait sur sa peau à partir de là et gouttait en silence sur le sable.

« Cette arène est fermée. Définitivement. Si vous tenez à vos vie, sortez. »

Personne ne réagit, ne sachant comment prendre ce discours. Cette intervention était aussi inattendue qu'étrange, tout le monde voulait croire à une farce, un rebondissement, mais il se dégageait quelque chose de ce petit bout de femme que personne ne pouvait ignorer et qui donnait des frissons. Excédée par leur immobilité, la lycan rugit :

« DEHORS ! BARREZ VOUS BANDE DE PARASITES ! »

La foule se mit alors à murmurer et s’exécuta. Ils n'étaient pas en position de discuter et ne tenaient pas spécialement à terminer en bouillie. Quand la dernière personne fut sortit, Cath laissa échapper un soupir fatigué. Elle devait lutter contre elle-même pour ne pas entrer dans une rage folle.
Quand elle avait entendu parler cette drôle de langue, elle avait levé la tête, curieuse. Et par les grilles grandes ouvertes, elle avait vu Vaelh, désemparé et qui tentait manifestement de communiquer avec son ancien compagnon. L'excitation sanguinaire avait alors refait surface et après une rapide transformation, elle s'était avancée dans l'arène. Non pas pour aider Vaelh, mais pour aider Lek. Son esprit était perdu, son corps était une ruine et cet endroit la mettait hors d'elle. Elle avait offert le repos à un être qui avait perpétuellement faim, une créature malsaine qui n'aurait jamais dut naître. Un pauvre hère tombé dans le piège mortel d'une arène. Elle aurait put poursuivre le carnage, mais elle, elle avait toute sa tête. Sa soif de sang avait été apaisée en grande partie et le reste de la colère, elle pouvait le maîtriser. L'Incube survivant avait suffisamment été puni pour ce qu'il lui avait dit, inutile de le tuer. Encore cette foutue générosité peut-être...

Même si elle faisait comme si de rien était, la jeune femme souffrait atrocement. Le coup d'épée ne lui avait rien endommagé de vital et elle sentait déjà ses dons naturels faire leur action, mais la douleur était bien présente. Elle en avait la tête qui tournait.
Les gérants de l'arène avait profité de l'occasion pour filer. Ils finiraient par revenir, ils avaient gardé tout leur argent après tout. Cette menace avait été une parfaite occasion de filer avec le pactole. Ils se reconstruiraient un business dès que la menace lycan aurait disparut et que le souvenir de Lek le champion se serait un peu estompé. Il serait alors temps de faire de nouveaux spectacles et de mettre en avant un nouveau monstre. Mais pour l'heure, Cath était juste contente qu'il n'y ai plus personne. Elle lança un regard emprunt d'une soudaine et vielle fatigue à son étrange adversaire. Dans ses yeux pouvaient se lire les décennies qu'elle avait déjà traversé. Et sans un mot, elle retourna d'un pas lent dans le souterrain.

La plaie la faisait atrocement souffrir et elle crut qu'elle ne parviendrait jamais jusqu'à la cage où elle avait laissé ses affaires. Par chance ou présence d'esprit, elle avait tout laissé à portée de main, inutile de se faufiler entre les barreaux. D'un geste imprécis elle rassembla ses maigres affaires et enfila au moins le pantalon. Pour le bustier, c'était hors de question. Son savant déguisement avait complètement fichu le camp, mais après tout, qu'est-ce que ça pouvait faire ? Elle n'avait plus à se cacher.
Agenouillée sur le sol froid et humide, le reste de ses affaires serré contre elle, elle frissonna. Il faisait froid tout à coup. La chair a vif dans son dos semblait palpiter au rythme de l’afflux de sang. Ça ne saignait déjà presque plus. Dans un effort considérable, elle se remit debout en s'accrochant aux barreaux et se dirigea d'un pas lent et hésitant vers la sortie. Au diable Vaelh, il n'avait qu'à poursuivre sa quête. Elle en savait assez pour continuer de son côté. Elle ne voulait plus que dormir et se remettre de cette vilaine coupure. Ses oreilles bourdonnaient un peu et elle aurait bien voulu boire un peu. Une barrique d'eau ou deux, pas plus.

Son champ de vision ne se résumait plus qu'à sa mort prochaine qu'il voyait rageusement tituber jusqu'à lui. L'horreur et l'improbabilité de la scène l'avait figé, si bien que si la grande Louve n'avait pas surgi, Vaelh aurait eu la gorge ouverte.

La seule jambe valide de Lek n'avait effectivement pas pu résister longtemps, fatigue et poids de l'animal oblige. Pendant sa chute, ses cris avait cessé, seul un soupir éreinte avait franchit le seuil des ses lèvres endommagées. Son impacte avec le sable fit se secouer sa folie qui embrasa instantanément sa conscience. La Lycane l'attaquait. Elle lui détruisant le corps, mais il continuait de s'agiter comme un dément. Ses efforts payèrent puisqu'il était parvenue à repousser la Louve. A cette instant, ce fut un cri surtout fait de frustration qui s'échappa de ses lèvres, comme s'il n'avait jamais voulu que sa nouvelle adversaire cesse de le mutiler.

Du sang s'était projeté en travers du visage de Vaelh, agissant comme un électrochoc. Il avait durement sursauté, ramené à l'horrible réalité de la mise à mort sauvage de son ami. Il n'était qu'à deux mètres, il voyait avec une clarté surnaturelle tous les sillons que la Lycane laissait dans la chair du damné ; il n'entendait que trop bien la souffrance prendre une part trop importante dans les braillements du Boucher.
En parallèle, ses pensées refluèrent vers le jour du grand massacre. Chaque cri de souffrance et d'agonie lui revenait.

Kealhep constata que ses muscle émiettés ne disposaient même plus d'assez de fibres pour générer une force qui puisse lui permettre de se redresser vite. De toutes façons, il n'avait même plus assez de sang pour les alimenter correctement. Pourtant... Pourtant, il voulait encore tuer, il désirait encore donner la mort.

Vaelh sentit qu'il atteignait sa limite psychologique. Un fragment de sa raison s'était déjà retranché dans un monde de calme, loin de cette réalité, alors que le reste de cette même raison était resté figée sur place pour finir érodée. Comment est-ce que ça aurait pu être pire ?
Comme ça : Cathane s'était jeté sur le cou vulnérable du dément. Ce dernier avait redressé la tête juste ce qu'il fallait pour croiser le regard de son ancien maître. Vaelh y vit alors l'horreur à son état le plus pure, une douleur que même le pire des meurtriers n'aurait pas mérité, un supplice sans nom que même le plus inhumains des tortionnaires n'aurait pas pu se résoudre à infliger. Vaelh appréhenda l'espace d'une fraction de seconde tout ce que Kealhep avait enduré. Il comprit qu'il n'était plus maître de son corps et que la minuscule parcelle pensante de son esprit ne désirait qu'une chose : que quelqu'un réussisse à le tuer pour qu'il en ai fini avec la souffrance.
Lorsqu'il sut que les mâchoires de la Lycane seraient son salut, un agréable frisson avait parcouru son corps et un soupir de soulagement lui avait échappé. Ses yeux se fermèrent quand ses crocs labourèrent sa chair palpitante ; il aurait aimé remercier sa "sauveuse", mais n'avait plus que la force de vaguement faire remuer ses lèvres.
Il n'avait plus mal, il était en paix.
Enfin en paix.

Hormis sa vue, les autres sens de Vaelh s'étaient déconnectés. Sa perception du temps et de l'espace s'était également déréglés. Il ne voyait plus qu'un océan de sable rouge sur lequel reposait son ami au visage détruit qui, malgré l'état lamentable de son corps, affichait un air presque serein.
Il avait eu mal pendant tant d'années ; on l'avait traité comme une bête, comme une horrible attraction ; on s'était servi de sa maladie -c'était le bon terme- pour amuser des inférieurs. Et malgré tout ça, Vaelh n'avait même pas été capable de se charger d'abréger le supplice du fou. C'était la Lycane qui avait dû se salir les mains.

Ses tympans l'avaient chatouillé, quelque chose les avait fait doucement vibrer. Une voix, celle de la Louve. Ses paroles furent intangibles, mais quand elle eut fini de parler, un incroyable silence s’abattit sur l'arène que les spectateurs désertèrent prestement.

Vaelh voyait les badauds qui s'éloignait simplement, comme ça, laissait la dépouille détruite de l'Incube à même le sol. Il n'amusait plus personne puisqu'il était mort. Mort. Vaelh ne prit conscience que maintenant qu'il ne pouvait plus rien faire du tout, que les espoirs qu'on lui avait donné n'avaient apporté que le malheurs. Tout était fichu, sa pistes, ses recherches, la vie d'un ami.
Il ne se sentit jamais aussi seul.

Sa raison s'était retiré pour l'instant, laissant l'Incube agir d'instinct. Il s'était traîné jusqu'au tas de chair informe devant lui pour chercher, sur les débris d'armure, un gemme d'un rouge profond, grosse comme un pouce. L'effroi le fit peu à peu sortir de sa léthargie quand il repéra l'endroit où était censé se trouver la pierre -sur le pectoral gauche- et n'y vit qu'un socle vide. Ce petit support aurait dû contenir un Biel-Han, gemme dans laquelle, selon les croyances Incubiques, une parcelle de l'âme d'un mort se stockait. Selon la coutume, Vaelh aurait dû garder la pierre de son défunt ami avec lui d'une part pour ne pas oublier, d'autre part pour continuer de partager les plaisir de la vie avec lui, comme s'il était encore à ses côtés. Cette gemme était aussi importante dans la cérémonie funéraire, elle représentait tout ce qu'avait été le mort et, bien qu'elle ne fut en réalité qu'un caillou précieux, était traité avec autant de soin et de respect qu'un être vivant.
On avait volé à son ami sa vie, sa liberté, sa dignité, et maintenant son Biel-Han. Il n'aurait même pas le droit à des funérailles pourtant méritées. Vaelh avait échoué même sur ce point.
Un échec parfait.

Que faire maintenant ? S'en aller ? Il n'en avait plus la force. Se venger ? Il n'en avait plus le courage. Non, pour le moment, il allait rester là à verser des larmes pour Kealhep.

Quand il en eut terminé, il s'était maladroitement redressé. Il y avait encore une petite chose qu'il pouvait faire sans tout faire merder. Rien qu'une petite chose toute simple : dire à la Lycane qu'elle n'avait pas tué Kealhep, mais l'avait sauvé. Dire que le Boucher avait été heureux d'en finir avec son cauchemar. Vealh, malgré la simplicité de cette tâche, fut prit d'un doute. Lui qui avait si durement échoué jusque là était-il vraiment capable de s'acquitter de cette mision ? Il faudrait bien qu'il essaie.

Mécaniquement, il avait suivi la piste sanglante jusqu'aux immondes cellules. Il y avait trouvé la Lycane qui s'éloignait, le dos ravagé. Il ne ressentait plus aucune colère à son égard, plus de méfiance ; il était trop fatigué pour ça. Il fallait juste qu'elle sache pour Kealhep.

Attend, avait-il soufflé si bas que si la Lycane n'en avait pas été une, elle n'aurait rien entendu.

Cath se retourna en grognant. Elle n'avait pas envie d'entendre les monceaux d'insultes qu'allait lui servir l'Incube, elle n'avait pas la patience pour ça. Tout ce qui la préoccupait, c'était de se trouver un coin au calme et de dormir en attendant que les premiers effets de la régénération se manifestent. Ensuite, elle devrait manger de la viande en quantité puis retourner se coucher. C'était la façon la plus rapide et efficace de retrouver ses forces et de soigner ses plaies. Alors franchement, quoi que cet homme ait à lui dire, ça pouvait attendre.

« Ramène toi, on discutera dehors. Ça empeste par ici. »

Avec son nez sensible, elle pouvait déceler tant d'odeurs écœurantes qu'elle avait l'impression de baigner dans les ordures. Elle incita d'un mouvement de tête l'incube à la suivre et poursuivit son chemin. Monter les marches de pierre s'avéra une vraie torture et elle dut serrer les dents pour ne pas se plaindre.
Une fois à l'air libre, elle inspira profondément. Enfin un peu de vent et d'air pur ! Comme si on lui ôtait un poids des épaules. Elle s'éloigna un peu de l'entrée des souterrains pour s’asseoir sur un banc vide. La petite place où débouchait cette entrée était vide, animée seulement par le brouhaha de la ville autour et le chant de quelques oiseaux. Heureuse de pouvoir enfin poser ses fesses, elle ne fit pas la bêtise de s'adosser au mur derrière elle. Elle serrait toujours contre sa poitrine les affaires qu'il lui restait à enfiler.

« Vas-y, je t'écoute. Mais si tu m'insulte, crois moi, je reviens sur ma décision et je te transforme en chair à saucisse. Ce n'est pas le bon moment pour abuser de ma patience. »

La lycan était dans un sale état, mais nul doute qu'elle était capable de pousser la folie jusqu'à se retransformer pour se venger immédiatement. Elle avait connu pire comme état de fatigue et ce bonhomme ne s'en sortirait pas aussi bien que la première fois s'il lui prenait l'envie de la rabaisser une fois de plus.
Loin d'éprouver le moindre remord pour ce qu'elle avait fait dans l'arène, Cathane était tout de même un peu...triste. Elle ne voulait pas tuer cette créature. C'était un monstre, mais après leur entretien, elle était persuadée qu'il n'avait pas toujours été comme ça et que quelque part au fond, il se souvenait de son ancienne vie. Les gladiateurs ne méritaient pas de mourir comme des animaux. Elle en savait quelque chose et ne l'avait d'ailleurs pas traité comme un sanglier qu'on abat, mais bien comme un combattant à prendre au sérieux et qu'il faut éliminer pour assurer sa propre survie.

Un grognement. Il avait eu droit à un grognement. Hé, il essayait de témoigner... De témoigner quoi, d'abord ? Une sorte de reconnaissance ? Une sorte de gratitude ? Des compliments ? Tout ça à la fois ? Bref, il voulait lui témoigner quelque chose de positif en plus des information qu'il devait lui livrer. Qu'elle fasse un petit effort !

« Ramène toi, on discutera dehors. Ça empeste par ici. »

Et maintenant un ordre. Normalement, la colère aurait dû s’attiser dans le cœur du démon. mais là... Rien. Plus rien, juste un vide douloureux. Plus la force de relever. Il suit alors la Lycane sans rien dire, l'air encore hagard. La plaie que la femme arbore dans son dos n'arrange rien, elle rappelle à Vaelh toute la violence qu'il vient juste de laisser derrière lui mais qui continuera à le tourmenter pendant une éternité ou deux.
Elle se laisse tomber sur un banc d'une manière qui trahissait sa douleur et sa fatigue avant d'annoncer d'un ton tranchant :

« Vas-y, je t'écoute. Mais si tu m'insulte, crois moi, je reviens sur ma décision et je te transforme en chair à saucisse. Ce n'est pas le bon moment pour abuser de ma patience. »

Un grognement, un ordre, et maintenant des menaces. Pourtant, toujours aucun pic de colère. L'Incube reste sur place à deux pas de la Lycane, encore déconnecté de la réalité.
Soudain survint sans crier gare avec plusieurs secondes de retard un violent élan d'incrédulité et de frustration mêlé à une vive lassitude. Mais qu'est ce qu'elle avait cette gourde à continuer de brailler comme ça ? Pourquoi Vaelh aurait-il voulu l'insulter en cet instant ? C'était complètement... Non, elle n'était quand même pas resté sur le "femelle" de l'autre fois ?
Si. Si, c'était ça. Elle persistait à...
Un "paf" sonore retentit. La paume de Vaelh le démangea comme après un coup porté avec la paume et la tête de la Lycane s'était décalé sur le côté. Il l'avait giflé. Avant même de se rendre compte de son geste, il extériorisa d'instincts tout son ressenti sans forcement ordonner ses idées. Son timbre était bas, usé.

Cesse. Cesse de te braquer pour un simple constat. A Ciel, je t'ai appelé femelle. Et après ? Pourquoi tu t'en offusques, pourquoi ça t'a fait mal, pourquoi ça te blesse encore ? Ce n'était qu'un constat. Un Constat. C'est évidemment ce que tu es, inutile de te mettre à nue pour le prouver. Une femelle. Et après ? J'ai l'intime conviction que si tu avais été un mâle et que je t'avais appelé comme tel, tu ne te serais pas offusqué. Pourquoi ? Pourquoi est-ce que dans vos cultures, appeler "mâle" un mâle est vu comme un compliment, alors qu'appeler "femelle" une femelle est vu comme... un déshonneur ? Tu as honte de ton sexe ? Tu le crois inférieur à celui des hommes pour te braquer comme ça alors que je constate juste ? C'est typiquement avec ce genre de réaction que le sexe masculin assoit sa domination. Il vous fait croire, à vous femelles, que vous êtes des choses sans honneur, sans substance. Et vous, vous n'arrangez rien parce que vous entrez dans leur jeu débile en enrageant d'être appelées femelle. Renversez donc la vapeur, soyez en fier, d'être des femelles. Vous occupez une place aussi importante que la leur dans l'univers. Alors cessez de faire comme si c'était une insulte.
Mais peut être t'es-tu brusquée parce que "femelle" sous entendait que ton côté animal était plus développé chez toi que ton côté civilisé ? Alors j'ai une nouvelle pour toi : tous les êtres vivants sont des animaux. Incubes, Lycans, Humains, Démons, tous. Tous des animaux, tous des mâles et des femelles avec les attributs que la nature leur donne. La seule chose qui le différencie des bêtes sauvages est leur culture et leur intelligence. Constater que tu es une femelle revient-il à dénigrer ta culture et ton intelligence? Non.
Alors cesse.

Si la Lycane ne lui avait encore pas sauté à la gorge, si elle avait eu la patience d'écouter et de laisse Vaelh vivre jusqu'à ce qu'il termine, il se sera permis un soupir, un geste vague de la main en direction de l'arène, avant d'ajouter sans parvenir à redonner de la force à sa voix :

Même si... Si... Il aurait voulu dire "même si on est en guerre toi et moi" ou "même si on se déteste", mais vu ce qu'elle avait fait pour Kealhep, il n'avait plus le courage de creuser encore un peu plus le faussé qui les séparait. Il enchaîna donc. Il n'y avait plus rien à faire du tout pour Kealhep. Et je n'aurais pas eu le courage de lui accorder le repos éternel. Si tu ne l'avais achevé, il aurait continué de souffrir pendant des éons. On aurait continué de le traiter comme une attraction sadique, on aurait continué de rire du sang qu'il versait. Tu l'as sauvé. C'est paradoxal, mais c'est le bon terme. Sauvé. Il cligna plusieurs fois, refluant une fatigante vague de tristesse. Comme tu as fais ce que je devais faire, j'ai une dette envers toi. C'est ainsi. Ça m'aurait coûté de le reconnaître en temps normal, mais maintenant ça ne me fait plus rien.

Il laissa une poignée de seconde s'écouler.

Merci pour lui.

Bien sûr, c'était une reconnaissance ridicule que ce simple remerciement. Mais prononcé de la bouche d'un Incube pour une race dite inférieure, ce merci prenait une toute autre dimension.
Un Incube qui remerciait une Lycane. Avec sincérité. Un fait historique !
Sans un mot de plus il s'était approché, tirant doucement l'épaule de la Louve de sorte à lui faire silencieusement comprendre qu'il souhaitait accéder à son dos.

Si le discours n'avait pas été si long et si elle n'avait pas été si fatiguée rien qu'à l'idée de se lever, elle lui aurait sauté à la gorge. La vérité c'était que les claques les plus bruyantes sont les moins douloureuses. Et elle n'avait strictement rien sentit, son cerveau était bien trop occupé à autre chose. Ce qui ne l'empêcha pas de jeter un regard assassin à l'Incube. En plus, il se fourrait complètement le doigt dans l'oeil ! Ce n'était pas pour des mots qu'elle se braquait mais pour une attitude. Elle ouvrit la bouche pour répliquer. Oh et puis à quoi bon ? Qu'il aille se faire frire un oeuf.

Quand il eut finit de parler et bien qu'elle l'ai écouté avec beaucoup d'attention, elle prit cet air insolent qu'elle portait si bien et haussa un sourcil avec un air narquois. C'était sa petite vengeance pour la gifle:

« Il t'aura fallu l'aide d'un "animal", une fois de plus. Un jour, Vaelh, il te manquera un bout de mollet et c'est à moi que tu le devras. »

Elle laissa échapper un rire sans joie et sa mine arrogante disparut. Il était réellement affecté par la mort de son ami et elle était contente d'avoir mit fin à cette situation atroce. Les choses ne s'étaient pas déroulées comme ils l'avait prévus. Avec une docilité étonnante, elle se tourna pour qu'il puisse voir son dos. Penchée en avant, elle avait envie de s'allonger sur la pierre froide et de fermer les yeux. Quand elle reprit la parole, les doigts de l'incube ne l'avait pas encore effleuré et sa voix était presque un murmure :

« C'est bien que j'ai pu faire ça pour ton ami. C'était peut-être la dernière étape pour me racheter. J'espérais ne plus jamais avoir à remettre les pieds dans une arène. Il y a tant de violence, tant de démence...L'histoire se moque de nous et ne fait que se répéter. Il y a moins d'un an, c'est moi qui voyait un ami tomber sous les hourra de la foule. Drogué pour être enragé. Jeté en pâture à ce monstre...Traité et achevé comme une bête. »

Elle redressa la tête, un sourire amère aux lèvres et regarda quelque part devant elle alors qu'une boule se formait dans sa gorge. Elle ne l'avait jamais raconté, c'était comme rouvrir une plaie pour chercher les fragments d'un projectile qui serait resté sous la peau.

« Des morts tous les jours. Et tu sais ce qu'ils faisaient des corps ? Il les réduisaient en pièces de boucher et nous les jetait dans le fond de notre cage à la tombée de la nuit. Si on ne voulait pas mourir de faim, il fallait dévorer ceux qui avait combattu à nos côtés la veille. Et le jour, dans l'arène, ils nous rendaient fou avant de nous lancer les uns contre les autres. Je suis d'accord avec toi sur un point : nous sommes tous des animaux. A la différence que certains en ont conscience et d'autres non. »

Le visage souriant du jeune lycan se superposa au regard chargé de désespoir de Lek. Elle n'avait pas put sauver ce jeune loup, mais elle avait au moins put tirer cet homme de l'enfer dans lequel il vivait.

« Ce qui a rendu fou ton ami, cette rage sanguinaire...Elle est très commune chez les miens. Libérer toute la sauvagerie qui dort en nous, c'est tellement tentant parfois. Mais visiblement, tout le monde n'est pas fait pour y goûter. Je ne pensais pas qu'on puisse sombrer dans le chaos à cause de ça. Je suis désolée de t'avoir...donné un faux espoir. Je n'avais pas pu constater par moi-même jusqu'à aujourd'hui. »

On pouvait dire que la hache de guerre était enterrée pour l'instant. La fatigue reprit le dessus sur tout le reste.

« Ne te fatigue pas à essayer de soigner ça, j'ai une chambre à l'auberge et de quoi faire un emplâtre. J'ai simplement besoin de sommeil. Aide moi à marcher jusqu'à mon lit et ta dette sera effacée. Comme celle pour les informations. »

Il avait d'avantage été surpris d'être encore vivant que de ne pas avoir réussi à toucher la Lycane avec ses mots. Ils ne lui avaient pas fait d'effet alors que l'Incube était pourtant persuadé d'avoir explicité la raison même de la tension de cette femme. Vaelh ne savait pas que c'était ses manières plutôt que ses mots qui avait pu la blesser, et tant que la jeune femme ne le lui dirait pas en s'expliquant clairement, aucune chance qu'il ne s'en rende compte. C'est ainsi que ça marche quand on a grandi deux cent cinquante années selon une culture différente. C'est ainsi que ça se passe quand un jugement est modelé dès le plus jeune âge par une éducation tout à fait singulière.

« Il t'aura fallu l'aide d'un "animal", une fois de plus. Un jour, Vaelh, il te manquera un bout de mollet et c'est à moi que tu le devras. »

La plaie dans laquelle elle remuait le couteau était trop large pour qu'il sente quoi que ce soit ; il laissa couler. Un vrai fiasco, cette expédition. Du début à la fin.

Il s'aperçu qu'il avait retenu son souffle jusqu'à arriver dans le dos de la Lycane puisqu'il il expira lorsqu'il fut un place. Kealhep n'avait vraiment pas fait dans la dentelle. Qu'il puisse ainsi hacher le dos d'un Lycane, race pourtant résistante, trahissait la force abominable avec laquelle le coup avait été porté. L'entaille était profonde, large et étendue, toutes les composantes nécessaire à la naissance d'une affreuse balafre.

Bloqué dans un état de contemplation morbide devant un dégât corporel si sévère, il avait écouté la Louve avec une attention qu'il ne se connaissait pas. Plus que de raconter son histoire, elle se confiait. Elle déchargeait un peu de sa peine sur les épaule du Démon qui fit volontiers l'effort nécessaire pour la supporter. A mesure qu'elle parlait, il se sentait moins seul. La Lycane avait vécu la vrai Douleur, elle avait perdu des amis, peut être des parents, à cause de l'étroitesse d'esprit et la folie des autres. Une minorité persécutée par la majorité, c'est toujours comme ça que ça marche.
Mais que la Lycane ai dû consommer ses propres amis au sens humain du terme... Ce genre d'idée n'avait, en deux siècles et demi, jamais encore fleuri dans l'esprit de l'Incube. C'était absolument contre nature ; mais cela l'aida à appréhender tout le désespoir qu'elle avait pu vivre dans les arènes. Devoir manger les restes brisés des siens parce que c'est le seul moyen de rester en vie... Abominable.

« Ce qui a rendu fou ton ami, cette rage sanguinaire...Elle est très commune chez les miens. Libérer toute la sauvagerie qui dort en nous, c'est tellement tentant parfois. Mais visiblement, tout le monde n'est pas fait pour y goûter. Je ne pensais pas qu'on puisse sombrer dans le chaos à cause de ça. Je suis désolée de t'avoir...donné un faux espoir. Je n'avais pas pu constater par moi-même jusqu'à aujourd'hui. »

Il avait vaguement haussé les épaules, las. Une rage pareille... Même les Lycan ne devrait pas y goûter. C'était quelque chose de trop brut, de trop vif. Personne n'aurait dû subir ça.

Un faux espoir, avait-il soufflé. En fin de compte, il n'était pas faux. Kealhep... c'était son vrai nom, c'est important de l'appeler comme ça maintenant. Enfin, Kealhep était bien là. Il savait ce que je voulais savoir. J'ai simplement mis trop de temps pour le retrouver. Pour apprendre de lui. Pour le sauver. C'est ça, je suis arrivé trop tard, beaucoup trop tard. De cinquante années. Qu'il a dû se sentir abandonné...

Un bref silence apaisant s'était installé, permettant au démon et à la Louve de souffler chacun de leur côté, d'évacuer un peu de pression.

« Ne te fatigue pas à essayer de soigner ça, j'ai une chambre à l'auberge et de quoi faire un emplâtre. J'ai simplement besoin de sommeil. Aide moi à marcher jusqu'à mon lit et ta dette sera effacée. Comme celle pour les informations. »

Je ne sais pas soigner les plaies. Je peux seulement pratiquer l'Aeil-Ocht. C'est ce que dans la langue de Terra on pourrait appeler de la... "sorcellerie esthétique". Ça n’accélérera pas ta régénération, ça ne calmera pas la douleur, mais ça permet à la peau de se reformer sans marque. Pas de cicatrice, rien. A moins que tu sois de ceux qui gardent leurs marques ? Il laissa passer un instant avant d'ajouter. C'est grâce à ça que j'ai pu rester parfait. Hm, tu réfléchira en route. Pour l'instant il faudrait qu'on s'éloigne d'ici parce que ces connards... Une telle grossièreté créa un contraste saisissant avec le raffinement inné de l'Incube. Ces connards de l'arène pourraient nous retrouver et t'enfermer. Il essaieraient, du moins. Ton auberge se situe-t-elle assez loin ?

Il n'ajouta cependant pas que ce simple service, pour lui, n'allait pas effacer sa dette. Qu'elle le veuille ou non, la Louve allait devoir s'attendre à ce que d'autres faveurs lui soient faites. Peut être seront-ils quitte quand Vaelh lui aura sauvé la vie à son tour.

Cath hocha la tête et s'appuya sur le banc pour se remettre debout. Elle fit un effort et enfila sa chemise. Le tissu effleurait la plaie, lui tirant une grimace de douleur. La tête recommença à lui tourner. Dès que Vaelh fut debout, elle s'accrocha à son bras et ils purent se mettre en route. Le chemin, pourtant si court à l'aller, paraissait soudain interminable. En fin de compte, ils ne firent que descendre deux rues plus bas avant de tourner pour faire les cinq mètres qui les séparaient de la porte de l'auberge. La salle était presque vide, même le patron n'était pas là. La lycan en profita pour guider le démon jusqu'à la porte de sa chambre qu'elle eut toutes les peines du monde à ouvrir. Dès que l'opération fut réussit, elle entra et jeta dans un coin le reste de ses affaires avant de retirer avec soin la chemise qui lui faisait tant de mal. Puis elle se laissa tomber de face sur le lit avec un râle exagéré de douleur et de fatigue. C'était toujours mieux d'ajouter un peu de comique à une situation critique.

Décidant qu'il était temps de savoir ce qu'on lui avait infligé, elle prit tout de même la peine de se relever pour aller vers le grand miroir oblongue qui se trouvait contre le mur. Elle se tourna et admira le carnage. La plaie était d'une rectitude presque parfaite, large comme trois doigts et avait épargné de peu la colonne vertébrale. Cette fois, elle était passée tout près du désastre. Les chairs étaient saines, mais il fallait maintenant passer à la phase la plus pénible de la guérison : le nettoyage. Serrant les dents à l'avance, Cathane se tourna vers Vaelh avec un sourire un peu tendu sur le visage :

« Est-ce que tu voudrais bien m'aider ? Il faudrait laver la blessure, je crois qu'il y a un peu de sable dedans. Je pourrai surement le faire moi-même, mais j'y vois assez mal de ce point de vue. Je veux bien avoir à faire à ta magie mais pas tout de suite. C'est préférable de voir comment la blessure va se refermer par elle-même avant de voir si on peut faire disparaitre la marque. »

La lycan n'était pas pressée de se soumettre à la magie de l'incube. Elle se savait perméable aux effets de bon nombre de sorts, peut-être que celui là en ferait partie ? Au moins elle n'avait pas été frappée avec une lame en argent, elle pourrait récupérer et s'en sortir rapidement. Elle pariait pour un mois. Un mois pour être totalement guérie et en forme. Ensuite, peut-être quatre ou cinq mois pour faire disparaitre la cicatrice. Elle ne gardait jamais aucun marque, sauf quand il s'agissait d'une arme en argent. Et elle se débrouillait toujours pour que ça laisse le moins de trace possible si elle se faisait toucher.
Bien qu'à moitié nue devant un homme, elle ne se sentait pas du tout gênée. Elle avait plus que l'habitude d'être peu voir pas vêtue et se doutait que celui là en avait vu plus d'une sans vêtements. Inutile de faire des manières donc, elle était plus préoccupée par ce qu'elle avait dans le dos que par l'éventualité qu'on puisse reluquer ses seins nus.

Près d'un petit meuble se trouvait une bassine avec de l'eau et un linge propre. Même si on était dans les îles pirates, on savait se tenir et recevoir des hôtes. Cath avait prit soin de choisir un établissement soigné, elle ne voulait pas payer pour de la crasse, ça elle l'avait gratuitement dehors. Assise en tailleur face au miroir, elle se pencha en avant jusqu'à pouvoir poser les coudes par terre devant elle. Reposant son menton dans ses mains, elle attendit que son soigneur improvisé veuille bien lui rendre ce dernier service.

« Promis, après je te libère et tu peux faire ce que bon te semble. Je pourrai me débrouiller comme une grande dès demain matin. »

L'Incube avait manqué de grimacer en voyant le tissu des vêtements de la Louve se poser sur sa grande plaie. Même s'il n'avait jamais écopé d'une blessure si grave il ne s'imaginait que trop bien la douleur qu'elle pouvait causer. Un instant il essaya de se représenter une telle balafre sur sa propre peau et un subtil frisson fit vibrer sa chair. Quelle horreur...
Il s'était apprêté à lui demander si ça allait, mais il jugea la question si stupide qu'il ne la posa même pas. Bien sûr que non, ça n'allait pas. Et puis, pour se poser une telle question, c'est qu'il devait bien se faire du soucis pour la Louve, même s'il ne le formulait pas.

La Lycane s'était accroché à son bras, il ne l'avait bien évidemment pas repoussé. Il ne marchait pas trop vite pour ne pas la secouer et, pendant le trajet, fut quand même forcé de reconnaître qu'elle était vraiment, vraiment courageuse pour réussir à ne pas gémir de douleur à chaque pas. Et même si sa race était naturellement coriace, il fallait quand même avoir un bon mentale pour ne même pas laisser s'afficher une once de panique quant à la gravité de l'entaille que l'épée avait laissé.

Lorsqu'ils arrivèrent à l'auberge, Vaelh fut d'abords surpris par le vide et le silence qui y régnait. Il y avait bien un ou deux badauds -qui ne manquèrent pas de détailler l'étrange couple qui avait fait irruption-, mais en dehors de ça... Calme plat ! Tant mieux, c'est ce dont Vaelh avait besoin.
Sans s'attarder dans le hall, La Louve avait guidé le Démon jusque dans sa chambre. Elle s'était affalée sur le lit en laissant échapper un long râle de soulagement et de peine mêlé. L'Incube n'eut pas de mal à entendre qu'elle l'avait exagéré un peu -quoi que... peut être pas tant que ça-. Il aurait aimé en sourire, mais là... Trop de lassitude ; comme une monstrueuse flemme de laisser ses lèvres s'étirer.

Il n'avait pas dis un mot depuis leur départ du banc et conserva son silence quand la Lycane se releva pour aller inspecter les dégâts. Il avait fermé la porte avant de la suivre.
A l'instant même où elle avait pivoté, l'Incube comprit que son aide serait sollicitée pour quelque chose qu'il craignait un peu de faire.

« Est-ce que tu voudrais bien m'aider ? Il faudrait laver la blessure, je crois qu'il y a un peu de sable dedans. Je pourrai surement le faire moi-même, mais j'y vois assez mal de ce point de vue. Je veux bien avoir à faire à ta magie mais pas tout de suite. C'est préférable de voir comment la blessure va se refermer par elle-même avant de voir si on peut faire disparaître la marque. »

Il avait plus dodeliné que hoché. Bien sûr, même s'il n'était pas soigneur, il savait très bien nettoyer une plaie. Heureusement, comment aurait-il pu conserver sa perfection, sinon ? Mais là, c'était différent puisqu'il devait le faire sur une femme qui n'était même pas de sa race. Une nouveauté pour lui.

Je vais faire de mon mieux. Il faudra essayer de ne pas bouger. je ferais en sorte de générer le moins de douleur possible pour t'y aider.

Il était ensuite parti récupérer le nécessaire de toilette sans montrer la moindre gêne alors que la jeune femme était poitrine nue. En fait, son éducation faisait que la poitrine d'une femme ne comptait pas comme une zone dite "intime". En voir une, c'était comme contempler une zone telle que le ventre ou le bas du dos ; ça pouvait être agréable pour l’œil, mais sans plus. D'ailleurs aux Cabales, nombre de Succubes allaient poitrine nue, comme les Incubes. Là bas, on ne cache ses seins que pour des raisons pratiques ou de confort, pas par pudeur.

« Promis, après je te libère et tu peux faire ce que bon te semble. Je pourrai me débrouiller comme une grande dès demain matin. »

Que pouvait-il répondre à ça ? Il voulant autant rester pour surveiller la guérison de Cathane que s'éloigner de ces maudites îles. Après une courte réflexion, Vaelh s'accorda à dire qu'il s'agissait peut être là de la manière qu'avait la Lycane de lui demander de rester un peu. Cela ne le gênait pas. Il n'aurait pas voulu être seul en ce moment.
Alors en disposant la bassine près de lui pour que son travail soit le plus aisé possible, il avait simplement laissé planer un silence confortable.

Quand il s'était agenouillé dans le dos de la Lycane, il avait commencé par retirer ses gants pour dessiner, grâce à l'outil très singulier en forme de dague qui tenait sa coiffe toute en désordre, sur le bout de tous ses doigts une petite spirale ovoïdale décorée chacune de deux petits segments placés en leurs sommets. Il s'agissait de runes de transmissions, conçues pour que chaque caresse puisse procurer une indicible extase. Celles-ci, vu le très faible nombre de petits segments par symbole, ne procurerait pas un plaisir et une excitation exceptionnels. Le but n'était certainement pas de faire craquer la Lycane -avec une balafre de cette taille dans le dos, ça aurait été dangereux-, mais d'effacer une partie de la douleur qu'elle pourrait ressentir en y superposant d'agréables sensations.

Quand il fut prêt, il imbiba généreusement la linge d'eau, le disposa contre la nuque de la Louve et le pressa. L'eau fraîche ruissela le long de son dos meurtri pour y lécher la plaie, chassant un peu de sable. Il avait répété l'opération autant de fois que nécessaire, ne manquant pas d'effleurer de près la plaie avec ses doigts enchantés -de vrais doigts de fée !- pour soulager la douleur en injectant de petite dose de plaisir pur et concentré. Bien sûr, ça ne la faisait pas disparaître, loin de là ! Mais c'était toujours ça...

Quand le gros du sable fut chassé, il s'était équipé d'une petite pince à épiler tout droit sortie de son propre nécessaire d’esthétisme -on est Incube ou on ne l'est pas-. Il s'était alors penché très près de l'entaille, s'appliquant à attraper chaque grain de sable resté là un par un. Il y mettait vraiment toute son attention, tout son savoir faire, et pour que l'épreuve soit moins pénible à endurer, il massait de sa main libre les zones du dos proches de la partie de la plaie qu'il traitait. Chaque doigt pressait tout juste la peau de la Louve, y décrivant quelques petits cercles, avant de répéter l'opération quelques millimètres plus loin ; ainsi, le plaisir injecté à la Lycane était plutôt de la douceur... Avec tout de même une pointe de malice ! C'était un peu sa signature.

Quand la plaie fut parfaitement saine, il la rinça plusieurs fois avec le linge, comme et début. Satisfait, il recula pour contempler son "oeuvre".

Je crois... Oui, je crois que c'est bon. Je dirais même que c'est parfait ; parole de connaisseur en cette même perfection.
Pour l'l'Aeil-Ocht, il doit se pratiquer maintenant tant que la chair est encore à vif. Comme je te l'ai dit, ça ne change rien à la vitesse de cicatrisation, ça n'est pas non plus un antidouleur. C'est juste l'assurance de n'avoir absolument aucune marque, pas même une très discrète ligne rose. Il avait laissé son index errer au niveau des grands dorsaux de Cathane. Ce serait dommage qu'il puisse rester la moindre marque sur un dos comme ça. Si tu ne veux pas, on peut commencer à appliquer des bandages.

La jeune femme ferma les yeux juste avant que la première goutte d'eau ne la touche. Elle n'aimait pas ce passage obligé par la case Nettoyage. C'était désagréable, long et il n'existait pas plus raffiné comme torture : une douleur supportable mais qui dure, encore et encore et qui vous use les nerfs. Pourtant, elle resta parfaitement calme. L'eau rafraîchissait sa peau brûlante et c'en était apaisant. Sans qu'elle s'en rende compte, un soupir lui échappa, mêlant le soulagement et le bien être. Pour une raison qui lui échappait, le contact des doigts de Vaelh la détendait et rendait cette épreuve moins pénible.

Quand il passa à la pince à épiler, ce fut un peu moins bien. Le métal ne la touchait qu'à peine mais à chaque fois c'était dans les chairs à vif. Comme si une goutte d'eau glacée venait s'écraser sur elle, elle sentait sa patience s'éroder peu à peu. Heureusement, c'était une fois de plus contrebalancé par le toucher magique du démon. Quoi qu'il lui fasse, il rendait son supplice moins lourd à endurer et elle l'en remerciait. Et quand enfin il se redressa en signifiant qu'il avait terminé, Cathane rouvrit les yeux et frissonna. Maintenant il ne lui restait plus qu'à guérir.

« Pour l'l'Aeil-Ocht, il doit se pratiquer maintenant tant que la chair est encore à vif. Comme je te l'ai dit, ça ne change rien à la vitesse de cicatrisation, ça n'est pas non plus un antidouleur. C'est juste l'assurance de n'avoir absolument aucune marque, pas même une très discrète ligne rose. » Il avait laissé son index errer au niveau des grands dorsaux de Cathane. « Ce serait dommage qu'il puisse rester la moindre marque sur un dos comme ça. Si tu ne veux pas, on peut commencer à appliquer des bandages. »

La jeune femme réfléchit un court instant, laissant de côté le compliment à peine dissimulé. Elle ne comprenait d'ailleurs pas comment il pouvait s'exprimer avec un air aussi sincère alors que quelques semaines plus tôt, il semblait la haïr de tout son être. Elle finit par tourner la tête pour lui lancer un regard par-dessus son épaule:

« D'accord. Mais je ne sais pas si ça aura de l'effet sur moi. Les lycans sont imperméables à certaines formes de magie, je ne sais pas lesquelles, mais peut-être que celle-là en fait partie. Je te laisse faire, on verra bien. »

Elle regarda à nouveau son reflet dans le miroir. Son teint était un peu pâle et des cernes s'étaient creusées sous ses yeux. Elle avait perdu pas mal de sang. Déviant un peu le regard sur le côté, elle fixa Vaelh à travers son reflet :

« Et si ça ne marche pas, tant pis. Je récupère bien en général, peut-être que ça cicatrisera assez bien pour ne laisser presque aucune marque, qui sait ? »

La lycan attendit qu'il exerce ses dons sur elle. Il aurait aussi bien put sortir une dague et la lui planter dans le dos qu'elle n'aurait pas bougé, trop épuisée qu'elle était. Elle se sentit même sombrer malgré elle, dans le bras chauds et réconfortants du sommeil. Son corps était à bout de force, elle avait besoin de sommeil, tout son organisme luttait et se mobilisait pour régénérer ses muscles et sa peau. La guérison accélérée avait un prix. Mais elle avait quelqu'un avec elle qui veillait, ne serait-ce que parce qu'il avait dit avoir une dette. Alors elle pouvait bien rendre les armes pour une fois. Cette affreuse histoire était enfin terminée après tout.