[Terminé]Négociations imposées. [Pv : Donovan, Harald, Bjørn]

Une légère brise froide vint remuer les cheveux de Donovan, tandis que se dessinait, au loin, les contours de la ville. Il frissonna- non pas à cause du froid, mais par plaisir. Cela faisait tellement longtemps qu’il n’avait revu la neige, tellement longtemps que le froid n’avait plus mordu sa peau… Il avait eu de très bons moments à Terre, et il s’était fait à sa nouvelle vie, mais en arrivant aux Glaces, il avait comme l’impression de rentrer chez lui. Même s’il ne devait débarquer qu’à Saline.

Mais l’heure n’était pas à la nostalgie. Ils étaient venus, lui et Rägmor, accompagnés d’un petit groupe, avec une idée bien précise en tête. Idée qui devait les amener devant le Roi de Saline, Harald Wallah. Un homme que l’archer avait, en tant que soldat, toujours profondément respecté. Aussi éprouvait-il une certaine appréhension devant l’entrevue à venir. Mais il avait un rôle à jouer, et il comptait bien le remplir au mieux.

Le bateau arriva enfin à quai et Donovan poussa un profond soupir de soulagement. On aurait pût croire qu’avec le temps il s’y serait habitué, mais rien à faire : il tenait toujours les voyages en mer en horreur. Il jeta un regard à Rägmor, et les deux amis se lancèrent un sourire qui le revigora quelque peu. Il fallait à tous prix qu’ils réussissent. Le but de cette entrevue mettrait fin à ses liens avec la rébellion, et si en plus les choses allaient de travers… il se retrouverait vite dans une situation délicate.

Des soldats étaient là pour les attendre sur le quai, et leur demandèrent de leur remettre leurs armes. Il avait troqué ses vêtements habituels pour son ancien uniforme de soldat de Selian- une petite lettre à Danel, son ancien instructeur, avait suffi pour que celui-ci le lui envoie grâce aux Messagers. Et comme tous deux connaissaient Luz, l’uniforme était vite arrivé. En revanche ses armes étaient bien les siennes, et il espéra, lorsqu'il vit l'homme de l'Aurore à qui il les avait confié pour cette mission les remettre aux soldats, que ce n'était pas la dernière fois qu'il les voyait.

Il suivit les soldats sans un mot, partagé entre l’impatience et l’inquiétude. L’Aurore… C’était leur premier mouvement. Oh, bien sûr, il n’avait eu de cesse que de battre la campagne, ces derniers mois, afin d’en parler aux villageois des Plaines… Mais cette fois-ci, leur action prenait de l’envergure. Il ne s’agissait plus de s’adresser à des paysans, mais à un Roi, à la tête de tout un pays.

Et ce Roi allait rencontrer une idéologie à laquelle il avait adhéré. A laquelle il avait apporté sa participation, à laquelle il croyait. Il faillit se laisser submerger par la charge, conscient que cela le dépassait- mais ce n’était pas le moment de flancher. Il n’avait pas les talents d’orateur que pouvait avoir le fondateur de l’Aurore, surtout quand il s’agissait de parler de celle-ci, mais il connaissait les Glaces, il connaissait l’armée… Avec un peu de chance, il serait un bon soutient pour son ami lorsqu’il présenterait son point de vue au Roi.

Et, tandis qu’ils avançaient vers le lieu de rencontre, il tenta de bien garder en tête que devant Harald, il devrait mettre un genou à tour.

Harald serrait la lettre, frappée d'un blason, esquissant un léger sourire amusé. Des hommes, qu'importaient leurs origines, le contactaient au nom d'un groupuscule dans le but de l'aider ? De lui apporter des informations ? Le roi de Saline ne pouvait accueillir cette nouvelle qu'avec un certain sarcasme ; ne jamais laisser la fierté l'emporter sur la raison, mais il doutait de l'aide que pourraient lui apporter ces hommes sortis de l'ombre. Quelles informations pouvaient amener le roi de Saline à changer quoique ce soit de ses méthodes ? Jettant un dernier regard sur les quelques lignes mal formées avant de jeter la lettre sur la table, Harald revint aux sujets plus urgents des derniers jours.


Le lendemain, comme promis, l'embarcation de l'Aurore apparut entre les vagues capricieuses de l'océan. Le temps n'était pas à la clémence, tout comme le Roi de Saline qui n'aimerait surtout pas qu'on lui fasse perdre son temps. Sa sagesse lui dictait d'écouter ce qu'avaient à lui offrir cette organisation nouvelle, mais son expérience lui intimait de les renvoyer sans sommation. Sans un soupir, calme et intangible, il regarda les hommes débarquer sous les ordres de ses soldats. Un se démarqua parmis eux, un géant un peu plus grand qu'Harald, au tein mat, probablement leur chef, puisque de tous ceux qui venaient de fouler Saline, il était le seul à ne pas se cacher sous une cape. On leur pris leurs armes, afin d'empêcher tout acte inconsidéré, et lorsqu'ils se présenteraient au roi, il leur serait demandé à tous de se défaire de ces capuches.

Ils gravirent les marches de pierres qui longeaient la falaise et la forteresse, citadelle de roche et de fer provoquant depuis toujours les assauts de l'océan et de ses ennemis. Enfin, alors que la pluie battait leurs visages depuis quelques instants, ils pénétrèrent dans le hall d'entrée, une pièce aux dimensions impressionnantes, dont le plafond était soutenu par de grandes colonnes de roche noire. Dans ce lieu, l'atmosphère était rude et austère, une froideur qui plaisait au salinéens.

Harald se tenait devant les escaliers qui menaient aux suites de la forteresse, entouré de ses soldats et de Bjorn. Il portait un regard impassible et dénué de toute chaleur sur les nouveaux arrivants, comme sondant leur âme.

« Des hommes s'invitent sur mes terres alors que mon peuple est en guerre. S'ils veulent me convaincre de leur bonne foi, je leur recommande d'ôter les capuches qui cachent leurs visages. Ceci fait, nous pourrons alors trancher de l'importance des informations que vous apportez, et des intérêts que vous souhaitez en tirer. »

Harald ne pouvait être plus clair. En cette journée de grisaille habituelle, il n'y avait pas de place à l'obscurité au sein des hommes. Tous, et s'ils désiraient parler, devaient se soumettre au jugement du roi, à un oeil qui savait percer les allures de la chair pour appercevoir les desseins de l'âme.

Rägmor examina la pièce digne des hommes des glaces. Il laissa quelques secondes d'attente au roi, pendant lesquelles il prenait plaisir à observer les moindres détails de cette salle. Puis, il en vint à fixer chacun des soldats Rebelles aux côtés du roi droit dans les yeux. Rägmor ne souhaitait aucune provocation volontaire : il cherchait à savoir à travers le regard de chacun de ces guerriers si le courage et l'honneur étaient imprégnés dans leur esprit comme on le disait si bien des hommes des glaces.
Enfin, il croisa le regard d'Halard. Il lui adressa un sourire sincère, s'avança de quelques pas jusqu'au centre de la salle. Le blason de l'Aurore scintillait, éclairé par les torches tout autour d'eux. Quelques autres membres de l'Aurore s'avancèrent. Deux des membres de l'Aurore retinrent la capuche des deux hommes captifs qu'ils détenaient entre leurs mains. Le Giguêtre retira la capuche de Donovan à son tour.

Les trois hommes présentés au roi étaient fermement attachés par les mains. Mais ce qui était plus choquant encore, c'est que ces trois guerriers portaient sur eux l'armure, le signe et une identité qui appartenait à la faction des rebelles. Tout était devenu clair : Ils les avaient encapuchonnés pendant tout le trajet jusqu'en ville pour éviter qu'on connaisse leur véritable identité, et qu'ainsi, les membres de l'Aurore se fassent attaquer pour garder prisonniers des soldats rebelles.

Les guerriers rebelles dans la salle protestèrent. Ils commencèrent à émettre des hypothèses et à regarder ce petit groupe avec mépris, prêts à les éventrer quand le roi en donnerait l'ordre. "De quel droit osent-ils garder prisonnier nos soldats ?!" se disaient-ils. L'ambiance devenait agitée. Si une autorité imposante comme celle du roi n'était pas présente, les guerriers des Salines n'auraient fait qu'une bouchée de ces imposteurs.

Rägmor prit une grande inspiration. Lorsqu'il se décida à entamer son discours, ce fut comme s'il dégainait son arme et entamait un combat. En parlant, il mettait toutes les chances de son côté. Il s'apprêtait à mettre en valeur son point le plus fort : La parole. La force de ses discours lui avait apporté des récompenses innombrables, et elle lui avait permis de convaincre des centaines d'autres hommes à le rejoindre dans l'Aurore. Elle lui avait aussi sauvé la vie plusieurs fois. Sa voix portait, résonnait à travers les oreilles, faisait taire tout le public qui se sentait dès lors absorbé par le charisme d'un tel orateur. Elle s'imposait par-dessus toutes les autres voix, et chaque mot était un coup de marteau qui s'abattait sur l'ennemi.


On dirigea les trois captifs rebelles au centre de la salle. Ceux-ci abordaient une mine indescriptible : ils n'étaient pas déçus, ni énervés, et ne semblaient ni même blessés. Il semblerait que l'Aurore ait pris soin d'eux comme des alliés plutôt que des prisonniers.


Rägmor laissa l'écho de sa voix s'estomper avant de reprendre.

Spoiler:

Donovan ne pût s’empêcher de ressentir un léger frisson lorsqu’il vit enfin Harald. Malgré le fait qu’il ait quitté à la fois l’armée et les Glaces, cet homme-là restait une figure emblématique, et il ne l’avait jamais vu d’aussi près. En fait, il n’avait jamais vu de Roi d’aussi près, et il se demandait encore comment il avait fini par se retrouver là quand Harald s’adressa à eux. Il ne devait peut-être plus rien au Roi, sinon le respect des hommes libres, mais les vieilles habitudes avaient la vie dure et il se sentait nerveux. Rägmor, en revanche, ne semblait pas du tout déstabilisé, et prit son temps pour répondre.

Son ami retira la capuche qui recouvrait sa tête- et le jeu commença. Jeter un regard noir à son ami n’aurait aidé en rien. L’Aurore ne devait pas apparaître comme mauvaise, surtout auprès des Rebelles. Surtout auprès d’un Roi. Il s’efforça donc de garder une expression neutre en s’avançant dans la salle.

La voix du géant retentit alors, et il entreprit d’expliquer le but de la visite de l’Aurore, d’une voix claire et forte. Donovan retint un sourire. Rägmor allait toujours droit au but, sans détour, et le voir ainsi s’adresser à un Roi montrait son courage. Lorsqu’il eut finit, l’archer s’avança de quelques pas et s’agenouilla maladroitement devant Harald.

- Seigneur Ro i, fit-il, gardant les yeux rivés au sol. Je me nomme Donovan Esylandre, et je suis responsable de… ces hommes. Je vous prie d’accepter mes excuses ; c’est de ma faute si, aujourd’hui, vous rencontrez l’Aurore.

Il reprit calmement son souffle.

- Nous étions chargés d’une mission et nous ne… et je ne connaissais pas l’existence de l’Aurore. Je ne savais pas que nous entrions sur le territoire de ces gens-là. J’ai mené les hommes sur leurs terres, et nous nous sommes fait prendre. J’ai préféré capituler afin de ne pas gaspiller la vie de mes hommes inutilement. Nous étions censés combattre le démon, et non des hommes libres…

C’était quitte ou double. En jouant un meneur qui prenait ses responsabilités, il se soumettait soit à la clémence du Roi, soit à son courroux. Et ses années passées à l’armée lui avaient appris que le sort des responsables dépendait bien trop souvent de l’humeur de celui qui les jugeait. Restait à espérer que Harald soit dans un bon jour, car il pouvait tout aussi bien lui pardonner que de le punir pour sa fausse incompétence.

Par tous les saints du sud, ces hommes pouvaient remercier leurs dieux d'être tombés sur Harald, et non pas l'un des autres derniers rois de Saline. En un autre temps mais dans le même lieu, le père d'Harald aurait tranché la tête de chaque homme se tenant devant lui, mais son fils était d'un autre genre. Il devait avouer que la colère l'incitait à laisser ses hommes moins calmes faire parler leur impatience, mais il n'allait pas tuer des étrangers à présent désarmés. Etrangers... oui, car jamais Harald n'accepterait qu'on dise d'un homme qu'il est des siens pour le simple fait de s'agenouiller devant lui et de porter ses couleurs. Non... les vrais salinéens, et tous ceux des Glaces, savaient qu'Harald avait interdit le débarquement en terre étrangère. Ces usurpateurs étaient bien trop inconscients de leur flagrant manque de respect pour appartenir aux rangs de ceux que Harald appelait les siens.

Supportant sans ciller les paroles agaçantes du géant et du fou qui tentaient de le convaincre d'un acte déraisonné, il ordonna à ses hommes de presser leurs menaces armées une fois ce discours irrespectueux terminé. Harald n'avait que faire des raisons de l'Aurore, il défendait ses terres et ses mers. La neutralité n'était pas un option, car elle n'existait pas.

« Porter nos couleurs ne fait pas d'un homme un des nôtres. Vous vous êtes engouffrés dans nos terres avec des desseins qui ne regardent que votre folle ambition, et à entendre vos fausses paroles, je ne vous accorde aucun crédit, commença le roi, chargeant bien ses mots de sens, afin que les esprits tordus de ces aventuriers de malheur puissent percevoir ne serait-ce qu'une once de la gravité des évènements à venir. J'étais certain que la réputation des salinéens était parvenue à l'autre continent, et même dans les coins les plus obscurs de l'empire. S'inviter à Cardrak et se jouer du Roi n'est pas une farce dont vous vous remettrez, affirma-t-il, ses yeux se plissant comme pour fendre l'intérêt qu'il avait perdu. »

Prenant quelques instants, de ceux qui impatientaient les soldats aux lames et masses brandies vers le groupe, Harald fit lentement quelques pas devant cette "aurore". La situation lui semblait tellement grotesque qu'il s'attendait à tout moment à se réveiller d'un mauvais rêve... mais c'était improbable ; il ne rêvait que d'une chose lorsque les heures de sommeil étaient suffisantes, l'océan, toujours, dans ses élans les plus forts, une image qui occupait sans cesse ses pensées.

« Je déduis qu'un homme qui me ment me cache des informations, et nous sommes en guerre. Je pourrais demander à mes geôlier de travailler votre chair pour extirper de votre bouche les vérités que vous dissimulez, mais j'ai la certitude que nous allons nous entendre sur la véracité de vos prochains propos. Gardez à l'esprit que depuis toujours, à Cardrak, nous coupons les mains des voleurs et les langues des menteurs. »

Harald prônait la paix, la non-violence, c'était vrai, mais personne n'était à l'abri de son courroux lorsqu'il s'agissait de son peuple. Des écrits les plus immémoriaux et des souvenirs de son enfance parmi les plus grands guerriers du siècle dernier, Harald savait qu'il fallait user de violence pour assurer l'intégrité des siens. Lorsqu'il protégeait la vie d'une enfant des glaces, il ne comptait pas combien d'ennemis il pourfendait, son code allait ainsi. Alors, lorsque ces hommes lui mentaient délibérément, dissimulant des intentions obscures, il ne pouvait que laisser aller les méthodes les plus rudes qu'on lui avait enseignées.

Spoiler:

Si Bjørn était d’un naturel affable et que les aventures qu’il avait partagé fut un temps avec Rägmor avaient fait naître une amitié certaine entre les deux hommes, sa place auprès d’Harald semblait le transfigurer. Malgré l’apparence changée du vagabond, Bjørn le reconnut sans mal ; aucunes émotions ne le laissa supposer cependant, pas même la surprise de ce changement physique somme toute impressionnant. Impassible, presque trop solennel de sérieux, il se contentait d’observer les hommes un à un, laissant son souverain s’exprimer et échanger avec l’Aurore – puisqu’il apparut bien vite que l’idéologie du Giguêtre était l’objectif premier de cette rencontre.

Là où, cependant, Bjørn sembla sincèrement étonné fut lorsque le prétendu soldat rebelle enleva sa capuche. Son regard passa de Donovan à Harald, presque grave alors qu’il assimilait les mots et par-là même les erreurs que ces intrus accumulaient, et il se pinça les lèvres comme particulièrement désappointé. Bien sûr il aurait pu prendre la parole sans délai, mais il connaissait sa place et n’oserait ô grand jamais parler avant son Roi, a fortiori lors d’une situation aussi délicate. Celui-ci, d’ailleurs, ne tarda pas à s’exprimer, fidèle à lui-même, et Bjørn resta dans l’ombre du souverain lorsqu’il s’avança vers les hommes de l’Aurore tandis que les soldats entourant ces derniers maintenaient un climat pesant et relativement psychologique, appuyant les mots d’Harald qui plus que jamais démontrait aux étrangers qu’il était digne de la confiance parfois aveugle que ses hommes lui portait.

« - Kejsare. glissa alors Bjørn lorsque Harald eut terminé, adressant un signe de tête au groupuscule pour excuser son intrusion. »
Si ces derniers purent penser qu’il allait continuer à s’exprimer en salinéen à son Roi il eut cependant la politesse d’enchaîner en mysticien.
« - Donovan Esylandre, commença-t-il en désignant le supposé responsable, est un soldat sélian. La rumeur le dit déserteur. »

Là, le barbare sembla hésiter mais finit par se taire, comme si le poids de son improbable allégeance pesait si lourd dans la balance de sa morale qu’elle en effaçait totalement l’amitié qu’il avait pu lier avec les deux autres hommes. De plus, en essayant de commencer à défendre la position de ces derniers, il en venait à douter de ces derniers en rappelant le statut actuel de Donovan. Même s’il savait Rägmor honnête quant à son idéologie, il ne pouvait s’empêcher de poser sur eux un regard bien plus mitigé. Un traître, lorsqu’on avait été formé par l’armée, était une personne dont il fallait se méfier bien plus que de ses ennemis.

Donovan se retint de grimacer- leur entretien avec Harald prenait une très mauvaise tournure, et ils ne devaient leur salut qu'à l'intervention du dénommé Bjorn. Il connaissait cet homme- d'une époque lointaine, qui lui semblait appartenir à une autre vie, dans laquelle le bras droit du Roi avait rencontré un autre Donovan. Ce même Bjorn, auprès de qui il se souvenait vaguement avoir combattu, et qui aujourd'hui l'accusait à juste titre de désertion. 

Ce qui les mettait dans une situation délicate, sans compter leurs nombreuses erreurs. Pourtant, Rägmor ne faiblissait pas, et semblait déterminé à aller jusqu'au bout. Et Donovan, lui, était bien décidé à soutenir son ami. Le Roi voulait la vérité ? D'accord, il ne dirait plus de mensonges. 

- Votre second dit vrai, Seigneur Roi. J'ai été un déserteur de l'armée de Selian; et je ne le suis plus aujourd'hui, s'empressa t-il d'ajouter en entendant les murmures de colère qui flottèrent alors dans la salle. Je n'oserais mentir à un Roi; aussi, voici la vérité. 

Il prit une brève inspiration. 

- Je me nomme Donovan Esylandre. Je suis né à Selian; je suis né dans ces terres, à Glace, et j'ai grandi bercé par le vent glacé et les mers gelées. A l'âge de seize, j'ai rejoint l'armée de Selian afin de me battre pour ma patrie. J'ai versé mon sang, et j'ai tué probablement plus d'hommes pour les Glaces que la plupart des soldats ici présents. Pendant des années, j'ai combattu éperdument pour mon peuple, j'ai souffert, j'ai saigné et j'ai sué pour mon peuple; et vous ne sauriez m'enlever ceci. Mais il est vrai que j'ai déserté. J'étais las du sang, las de la violence; et, plus que tout, j'aimais une femme. Je suis parti pour elle, pour offrir une meilleure vie à mon épouse. J'ai quitté l'armée, et j'ai payé cher mon erreur. 

Car cette femme m'a été enlevée par le démon. J'ai, un soir, retrouvé mon épouse morte, étripée sur le pallier de notre maison en flammes. Je ne cherche ni compassion, ni pitié. En vous disant cela, je n'entends seulement que vous faire comprendre qu'elle est morte par ma faute. Parce que je l'ai enlevé de la sécurité qui règne à Selian. La douleur causée par une telle perte dépasse l'imagination. Voici ce que m'a couté mon départ de l'armée.

Parler ainsi d'Ysle, devant ces hommes, lui crevait le coeur. Malgré l'amour de Luz, il y avait toujours cette blessure, cette culpabilité qui le rongeait au plus profond de lui-même, et il dût marquer une courte pause pour ne pas la laisser déborder.

- Et pourtant, j'y suis revenu. Non par dépit, non par tristesse, ni même par envie de vengeance, mais pour pouvoir protéger Selian et ses habitants. Pour pouvoir me battre à nouveau pour mes frères. Je n'ai aucun serment d'allégeance envers vous; ma loyauté va à Selian en premier lieux, malgré l'Alliance actuelle, et, lorsque je suis revenu, l'armée m'a accepté. Les autorités de Selian, qui seules sont aptes à décider de mon sort, ont préféré me réintégrer plutôt que de me pendre pour avoir déserté. Une simple lettre vous le confirmera. Mon ancien instructeur, Danel Volstein, a pût me faire combattre à nouveau pour mon peuple.

Quant à ma si longue absence, j'ai été envoyé avec d'autres en mission de reconnaissance à Terre. Là encore, une simple lettre vous confirmera l'existence de la mission. Le bateau dans lequel nous étions a fait naufrage, et nous sommes peu nombreux à avoir survécut. Nous avons voulu poursuivre la mission malgré tout, et nous avons erré quelques mois à Terre dans le butte de récolter des informations. Mais il y a plusieurs semaines, nous sommes tombés sur l'Aurore, et nous avons été capturés.

Vous me prenez pour un menteur, mais cet uniforme, que je porte devant vous, est celui que j'ai porté durant de nombreuses années. Aujourd'hui, je ne suis qu'un soldat qui souhaite rentrer chez lui, afin de pouvoir mettre à nouveau sa vie au service des Glaces.

Ceci explique pourquoi nous avons passé le blocus. Quant à la raison de notre présence ici, et non pas à Selian, elle est toute simple : nous avons dû vivre avec ces hommes qui disent faire partie de l'Aurore, nous les avons écouté, et leurs intentions sont louables, bien que la forme paraît brutale. Je les ai moi-même poussé à venir demander une audience auprès de vous, car j'étais persuadé que vous, plus que tous les autres dirigeants des Glaces, leur accorderait l'attention qu'ils méritent. Je ne dis pas que j'embrasse leur cause, mais ce sont des hommes de bien.

Il fixa Harald droit dans les yeux.

- Et en temps de guerre, il me semble que toute lame qui pourrait aider est la bienvenue.

Ainsi la décision fut-elle prise. Rägmor ne broncha pas et se laissa faire. De toute manière, la situation ne leur permettait pas de résister. Ils devraient se soumettre, encore et encore, aux choix et aux décisions que prendrait Harald. La malchance pesait sur l'Aurore, en ce jour, qui n'était non plus "l'Aurore" mais "le Crépuscule" aux yeux de Rägmor. Il ne dit rien et se laissa emmener dans les cachots. Il espérait que Donovan en fasse autant : Dans la situation, le mieux à faire était de se taire et de réfléchir à une solution pour se sortir d'ici.

La descente dans les souterrains fut longue. Il y avait des chemins de partout et il y était aisé de s'y perdre pour quelqu'un qui n'était pas habitué (et il était évident que ce "labyrinthe" qui servait de prison a été pensé pour empêcher les prisonniers de s'échapper). C'est dans une grande salle souterraine humide et glaciale que l'on enferma les prisonniers dans des cages. L'ambiance et l'atmosphère n'étaient pas commode : L'eau glacée de la mer n'était pas loin, et les écumes étaient propagées jusqu'ici grâce aux souffles des vents froids. Autant dire que les prisonniers étaient indisposés et que les plus faibles mourraient rapidement.

Le Giguêtre pouvait compter sur son incroyable résistance pour espérer ne pas mourir de froid dans cette prison, mais c'est pour ses coéquipiers qu'il s'inquiétait. Bien que les membres de l'Aurore étaient tous prêts à mourir pour leur juste cause, Rägmor était encore trop jeune pour s'habituer à voir souffrir ou à voir mourir des compagnons d'armes pour qui il s'était pris d'affection.
Sa force gigantesque pourrait l'aider à essayer de tordre les barreaux et de s'enfuir, mais il préférait donner l'image d'un être calme, posé et réfléchi.


Il invita Donovan, et ce dans la plus grande discrétion, à se pencher sur la question d'une manière de se sortir de cette situation. Le plan était visiblement échoué et l'Aurore était en danger. La priorité désormais était de sauver la vie du plus grand nombre d'hommes possible. Ils optèrent pour la soumission et l'obéissance, encore et encore, vis-à-vis des décisions du roi Harald, et ils ne broncheraient pas. Ils attendraient et resteraient silencieux aussi longtemps qu'ils pouvaient le faire. Et de toute manière, toute résistance conduirait directement à leur mort.

A ce moment là, Rägmor eut un sacré choc. Il comprit que changer le monde à sa manière ne serait pas aussi simple qu'il le pensait. Il cogita intérieurement sur cette fâcheuse découverte mais ne laissait pas tomber ses convictions. Il serait prêt à se confronter aux plus horribles situations pour apporter la liberté à ce monde. S'il sortait vivant d'ici, se disait-il, alors il agirait différemment pour obtenir ce qu'il souhaite. Mais pour le moment, il fallait espérer qu'ils survivent à cette péripétie.

La décision de Harald flotta un instant dans l’air ; et un vide profond s’installa dans les tripes de Donovan. Il s’était trompé ; il avait été persuadé que le Roi de Saline, plus que les autres, saurait les écouter, mais il avait conduit ses compagnons dans une impasse, et se sentait maintenant responsable de leur situation.
 
Il n’avait jamais eu de rôle important dans l’armée. Il avait l’habitude de voir des gens mourir. De voir ses frères d’arme se faire tuer sur le champ de bataille, dans l’horreur de la guerre. Mais il s’était toujours contenté de suivre des ordres ; et il n’avait jamais entraîné ces mêmes hommes à la mort. Il s’était toujours demandé comment l’on pouvait se sentir dans ces cas-là, et il le découvrait maintenant. C’était loin d’être agréable.
 
Il se laissa pourtant faire par les hommes de Saline, conscient qu’une vaine résistance précipiterait leur perte. Il ne broncha donc pas, fit tout son possible afin de garder son sang-froid et rester digne. Et se laisser traîner dans le dédale sombre et froid qu’étaient les souterrains de la Citadelle. Il se laissa enfermer sans mot dire, tout en essayant de reprendre ses esprits.
 
Oh, avec son passé de soldat, il avait déjà été fait prisonnier. On l’avait déjà mis aux fers, on l’avait déjà battu. Mais jamais sans qu’il n’ait fait montre de résistance, jamais sans se battre. Et il ne pouvait que constater, effaré, à quel point tout ceci était différent de tout ce qu’il avait déjà vécu. Etre fait prisonnier sur un champ de bataille et l’être suite à une simple… décision, étaient deux choses distinctes.
 
Il finit par se reprendre en voyant l’attitude de Rägmor ; le colosse ne semblait pas être ébranlé. Et bien que Donovan n’ait pas les qualités de leader que son ami possédait, il savait qu’afficher une mine décomposée ne ferait que saper le peu de moral qu’il leur restait à tous. Quoi qu’il arrive, ils avaient fait tout ceci pour défendre leur idéal ; et, si la mort devait arriver, au moins, cette fois ci, elle ne serait pas absurde.

Ils se retrouvèrent enfermés dans des cages,  en un lieu froid et désolé. Le froid, Donovan connaissait bien. Il savait que s’il restait trop longtemps enfermé ici, il finirait par y succomber, mais il pourrait tenir quelques temps. En revanche, il était plus inquiet pour ses compagnons. La plupart venaient de Drayame, un endroit que lui-même considérait comme « chaud », et il doutait qu’ils puissent tenir plus de quelques jours.
 
Rägmor le sortit de ses sombres pensées en l’invitant, discrètement, à envisager la suite ; et ensembles, ils convinrent que la soumission était leur meilleure option. Les négociations avaient clairement échouées, l’Aurore était au bord de la destruction, et sauvegarder le maximum de vies était maintenant le plus important.
 
Et ceci décidé, il laissa son ami à ses propres pensées. Après avoir jeté un regard sur les autres hommes enfermés, leur avoir adressé un sourire d’encouragement, il fit ce qu’il avait l’habitude de faire dans de telles situations. Il ferma les yeux, tenta de faire abstraction du manque d’espace, du froid, de l’inconfort. Et, en attendant la sentence finale du Roi de Saline, il parvint à stabiliser ses émotions- et à retrouver un certain calme.

Bjørn resta un petit moment perché en haut des marches, remuant les lèvres de droite à gauche alors qu’il mâchait ce qui semblait être un ersatz de foin. Il n’était pas partagé entre son devoir et son affection, non, son choix était fait quelle que soit les circonstances : son Roi passait avant toute chose, avant sa famille, avant sa propre personne. Sa vie appartenait à Saline et à Harald et si n’importe qui aurait pu le considérer comme de la simple chair à canon docile il savait que le Monarque des Glaces en était digne, assez pour, lui, poser un regard différent sur son allégeance. Mais Bjørn n’avait qu’une parole et il avait, au mieux, essayé de la respecter : lors de leur dernière rencontre, il avait assuré à Rägmor être son ami et lui promettait de faire de son mieux pour qu’il soit accueilli en tant que tel s’il mettait un jour les pieds à Cardrak. La visite de l’Aurore n’était pas exactement la manière dont il l’imaginait faire son entrée cependant et il avait été délicat, dans ses conditions, de les défendre – pour être honnête Bjørn n’avait même pas essayé et partageait l’avis de son Roi sur l’irrespect dont ils avaient fait preuve.
Mais.. oui, il avait réussi à négocier ce qu’il lui restait de possibilités. Se décidant à descendre les marches, Bjørn retira la paille de sa bouche pour la jeter à travers une meurtrière.

Il ne s’était écoulé qu’une nuit mais le salinéen eut l’impression de retrouver des hommes enfermés depuis bien plus longtemps ; certes le donjon dans lequel ils avaient été enfermé n’était pas le plus confortable mais, si Donovan et surtout Rägmor n’en montraient rien, l’abattement qui se lisait sur le visage du reste des hommes en disait long sur la situation. Ils avaient probablement songé à la mort et la fatigue y était sans nuls doutes pour quelque chose. Bjørn n’en fut pas étonné cependant, et ne s’apitoya pas sur leur sort : toute chose était méritée, a fortiori si Harald l’ordonnait et ce serait un manque de respect total de sa part que de les considérer comme des simples pirates inconscients qui attendraient la sentence la peur au ventre. Ordonnant au garde qui l’accompagnait d’ouvrir la cellule d’un signe de tête, il reporta son attention sur les commanditaires pour mieux leur adresser la parole.
« -  Suivez-moi. ordonna-t-il d’une voix placide, tournant les talons la seconde d’après pour emprunter le chemin qui l’avait mené jusqu’au plus profond du château. »
Les prisonniers n’eurent d’autres choix que de le suivre et d’autres gardes salinéens fermèrent la marche ; s’ils tentèrent de lui parler, Bjørn garda le silence jusqu’au moment où ils débouchèrent sur les couloirs supérieurs.

« -  Vous n’êtes plus les bienvenus à Cardrak. Nos défenses ont pour ordre de tirer à vue si votre pavillon vient à revenir baigner dans nos eaux. informa-t-il avec la même impassibilité, leur faisant traverser le grand hall avant de s’arrêter sur le pas des marches descendant sur la cour ; là, il adressa un signe de tête aux autres soldats qui continuèrent à faire avancer le groupuscule. »

On ne leur laissa pas l’occasion de s’arrêter ni même de s’étonner qu’on ne leur rendait pas leurs armes. Ils comprirent sûrement bien assez vite que Harald les leur retirait. Observant l’Aurore s’éloigner, encadrée une force qui les surpassait, Bjørn leva le nez vers le ciel en silence. Il pleuvait à verse et le salinéen s’imaginait parfaitement l’effet que devait avoir ce temps sur le moral d’un équipage forcé à reprendre la mer sans autres formes de procès, sans armes et sans avoir le temps d’acheter de quoi se sustenter – et il ne doutait pas une seconde que c’était là la punition escomptée par son souverain. Sans autre forme de procès, il tourna les talons et rentra à l’abri ; déjà, son esprit oubliait cette mésaventure pour mieux se recentrer sur les attentes et intérêts de son Roi.

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