[Abandonné] Sais-tu pourquoi chante le rossignol? | |
| Mer 26 Déc - 18:44 | | | | Une aube. Un soupir de lumière, un soupçon d'air frais, et l'ombre bleue encore, et la nuit qui se retirait doucement sous les feuillages et les grands arbres enchevêtrés. Le soleil encore fragile et ténu se reflétait dans les eaux calmes du lac, faufilant ses rayons poudreux et clairs au travers des branchages, semant la surface d'éclats d'or aveuglants dans la pénombre. Des lames de lumière tranchaient les rubans de brume, matérialisées par le brouillard qui s'élevait des rives. Un instant de silence. Des oiseaux chantaient, le monde était à son éveil et tout était plus pur, plus vif, avec dans l'air la pétillance d'un jour nouveau, l'avant-goût d'un printemps. Il y avait une silhouette, accroupie sur la rive du lac. Une fille-fée de bleu vêtue, couronnée de ses boucles noires qui ruisselaient presque jusqu'au sol. Une main effleurait du bout des doigts l'eau froide qui venait mourir sur les pierres, troublait le grand miroir de l'onde, faisait naître à sa surface de longs frémissements qui allaient en s'atténuant, scintillant dans les rayons de lumière.
Un souffle de vent, et les cheveux noirs s'agitèrent faiblement, laissant échapper le tintement confus de perles et de breloques entrechoquées; un froissement de plumes, et un corbeau se posa près de la petite silhouette recroquevillée, comme une ombre qui ne ferait pas plus de bruit que le murmure délicat de ses ailes.
C'était l'aube, et le silence, une attente. Un souvenir. Dans le miroir des eaux calmes, Phalène mirait les reflets et les images qui se profilaient dans l'ombre, cherchant des présages et des chansons dans les lents remous du lac endormi. De longues perles limpides coulaient de ses doigts tatoués, un cristal aveuglant dans la lueur du soleil. Souvenir. Fugace, une odeur, un sentiment, presque rien. Déjà un poème. Elle sourit, quelques vers au bord des lèvres, chuchotant à la brume et aux grands arbres les mots ciselés que lui inspiraient cette vision. Mais il manquait quelque chose.
Alors, Phalène fit quelques pas au bord de l'eau, et, avisant une roseraie murmurante, sortit un couteau de sa ceinture. Elle y fouilla un moment, avant de trouver ce qui lui convenait; la tige, épaisse et creuse, serait parfaite pour une nouvelle flûte. Avec un bruit sec, la plante céda, et la barde, traînant derrière elle le long fuseau empenné de feuilles sombres, revint s'asseoir au bord de l'eau. Fredonnant un air sans suite, elle passa un long moment à couper la tige, y creuser des trous, tailler le bout en biseau pour en sortir des sons plus ou moins harmonieux. Alors que le soleil entamait lentement sa patiente ascension du ciel, le silence de la forêt se peupla de trilles qui ne devaient rien aux oiseaux, et de notes qui s'achevaient parfois par des sons un peu discordants.
Pendant tout ce temps, Phalène ne cessait de chantonner, comme une enfant à l'ouvrage, répétant à voix haute les vers et les strophes qui éclosaient dans son esprit fertile. Elle fredonnait au fil du vent, et souriait, un peu, satisfaite des mots jolis et bien tournés qui lui venaient à la bouche en ce beau matin. Munin veillait paisiblement près d'elle, et rien ne bougeait.
Enfin, après de nombreux essais infructueux, le son de son instrument sembla lui convenir et, après quelques cascades de notes douces, rondes et soyeuses comme la caresse d'un chat, elle se lança dans un air à danser qui lui revenait sans savoir pourquoi. C'était peut être le vent, c'était peut être l'aube et la mémoire; c'était peut être le hasard, aussi. Et la musique s'envola, joyeuse, ivre et précipitée, libre soudain, comme si on l'avait enfermée au creux des longs roseaux du lac; une musique de celles qu'on joue autour des grands feux de Belteine, une musique que d'aucuns auraient qualifiée de magique. On disait parfois que les soirs où la lune est ronde, que les jours où on entend des voix murmurer dans la brise, il suffisait d'un peu de ça pour se faire entendre au-delà des mondes et réveiller d'anciennes choses que vénéraient les anciens... Phalène savait. C'était comme jouer avec le feu, mais qui ici pouvait être plus familière qu'elle de êtres qui vivent aux carrefours des univers, à la frontière ténue entre Ici et Là-bas? N'était-elle pas elle-même un peu fée, la femme aux yeux d'eau claire, avec sa peau blanche où coulaient les arabesques d'encre des tatouages sacrés?
Et la musique, dans l'aube paisible, se mêlait au silence comme une broderie, réveillait des échos étranges dans les feuillages, et les voix, les voix qui chantaient dans le vent s'étaient faites plus fortes comme si d'un battement de cils elle avait fait basculer le petit matin dans l'Autre Monde. Comme si, pour elle, il s'en fallait toujours d'un mot, d'une chanson ou d'un pas pour traverser les brumes et se trouver de l'autre côté. La musique, la musique et la danse, et des feuillages perlés de rosée semblaient émerger le souvenir des feux et des rondes, et des prières dans les clairières consacrées. Ici était un lieu de magie, elle le savait, c'était sans doute pour cette raison qu'elle s'y sentait bien plus à l'aise qu'ailleurs. Parce que c'était là qu'elle sentait encore battre l'ancien cœur de la magie, ici, dans cette forêt, que subsistait un peu de ce qui la faisait vivre. La musique et la danse, et la folie, l'ivresse et l'âme sauvage d'un monde mené à l'agonie. Ils n'était pas tous morts, non, il y avait encore la petite barde folle aux cheveux d'encre pour réveiller les rêves et faire danser les morts. Elle était toujours là. Vivante, tout comme la musique qu'elle jouait, et les voix dans le vent qui s'éveillaient...
Phalène acheva sa musique dans une trille mélodieuse, et s'accroupit de nouveau sur les pierres au bord du lac, veillant comme un oiseau silencieux, les bras repliés contre elle comme des ailes.
|
| | Phalène
Partie IRLCrédit avatar : Double compte : Ivor le Silencieux - MessalineVitesse de réponse : Lente
| | Ven 8 Fév - 19:28 | | | | [Étant donné que je ne connais pas l'échelle de la carte du monde, je ne sais pas si je peux aller loin dans Drayame. Si ça se trouve, je ne peux même pas sortir de Flore. Considérons donc que tout ceci se passe près de la frontière entre les deux régions. J'ai l'accord de Phalène pour cela, nous en avons discuté sur le chat.]
Une fuite vers d'autres espaces se profilait doucement, dans une nuit d'encre. Allongée près de son arbre, une dryade attendait depuis bien longtemps la moindre présence, n'arrivant à tuer son ennui par la rêve. Cette étrange sensation, qui en elle depuis un moment se développait, sans qu'elle ne put l'analyser, c'était la lassitude. Les arbres étaient encore nus, pour la plupart, et dormaient, attendant de jours meilleurs. Elle ne savait pas pourquoi elle n'avait pas accompagné son arbre dans sa torpeur. Elle aurait pu se fondre en lui, sentir un changement dans ses sens, puis attendre le retour du soleil. Elle n'avait pas besoin de surveiller la croissance de ce qui ne croît pas. Les voyageurs se faisaient rares, ces derniers temps, à son grand malheur. Les bêtes hibernaient, ou émigraient durant l'hiver, et n'étaient revenues que depuis peu. Du moins, certaines. Aussi, la solitude l'avait prise. Elle se souvenait de maintes fois où pareil schéma s'était répété. Une attente, seule, dans le noir la majorité du temps. Elle pouvait cependant aller voir ses consœurs. Mais depuis qu'Aile Ténébreuse était venu, de pareilles réunions s'étaient raréfiées, ou délocalisées. Liée à son arbre, la dryade n'avait pas eu le loisir de les suivre.
Le sentiment d'enfermement la prenait, malgré le vaste espace. Un sentiment qui pourrait être étrange, au milieu des arbres, pour toute autre personne. Un sentiment absurde, pour un être qui trouvait sa raison d'exister dans sa présence dans ce lieu. Mais ce sentiment était bien présent, et renforcé par le pesant voile d'un hiver passé à attendre, qui allait sous peau s'éteindre, il menaçait de la submerger.
Sylvia regarda la lune. Puis, tournant la tête, son arbre. Elle ressentait l'appel de la découverte. Elle avait soif d'en savoir plus sur le monde, et si son affection, à la fois maternelle et fraternelle, envers son aubépine n'était pas, elle serait partie vers d'autres lieux pour la contenter. Sa curiosité se limitait cependant à ses rêves.
Sylvia s'assit, se leva. Puis, lentement, elle partit en direction du Sud-Ouest, laissant à regret son lié derrière elle, mais consolée par le fait que, s'il elle n'avait vu presque personne au cours des mois passés, il y avait peu de chance pour qu'un étranger coupe son arbre soudainement, et par l'idée qu'il était endormi. Elle voleta doucement, regardant par intervalles un ciel noir, que parsemaient les étoiles, et les branches nues de géants et de lilliputiens, sans rencontrer âme qui vive. Durant la traversée, elle pensa à divers incidents, qu'avaient eu lieu durant les hivers derniers, tel que la froidure qui s'était, lors d'un particulièrement intense, déposée sur l'écorce de son arbre. Ce n'était pas le cas. Ni en cette fin de saison, ni par cette température. Elle ne les ressentait pas véritablement d'ailleurs. C'était pour cela qu'elle n'avait pas d'habit, et se contentait de ses cheveux. A quoi un habit lui aurait il servi ? Dès qu'il lui serait pris la fantaisie de s'éloigner trop de son arbre, là où un lui serait nécessaire, vu les réactions des humains qui l'interrogeaient à ce sujet, son lien avec le monde serait alors si faible qu'ils ne tiendraient sur sa personne, immatérielle en de telles conditions.
Flore était un lieu bien contrasté, entre champignons et arbres, demeures féériques et sources, quantités de lieux magnifiques et étranges. De nuit, ils gardaient leur aspect paisible, tous. Les demeures ne figuraient cependant pas réellement sur son chemin. Pourquoi n'avait elle rencontrée aucune fée, depuis tout ce temps ? Se pourrait il qu'une fête, qu'elle aurait oubliée, soit mise en place à l'opposé de là où elle allait ? Le bien que lui avait fait son voyage, à cette pensée, s'évanouit, lui faisant sentir l'ampleur de sa solitude. Pour en être certaine, il fallait cependant continuer d'avancer. Les arbres se succédaient aux autres, les paysages faisaient de même. La nuit passa, cependant, sans que nul incident ne survint. Une nuit qui était de plus en plus insupportable, la volonté de découverte s'opposant à la fatigue et l'anxiété que provoquait l'éloignement avec l'arbre.
L'aube pointait. Et à en juger par sa transparence, la dryade n'était plus dans Flore. A en croire sa fatigue, encore supportable, elle était cependant encore assez proche de l'arbre. Elle tenait debout, et était encore capable d'aligner des phrases cohérentes. Mais, après une nuit d'errance et de recherche, il fallait pour elle rentrer. Elle ne découvrirait surement rien de plus cette nuit. Une naïade, peut être, dans le lac qui se profilait... Il serait si bête de partir après avoir fait tout ce chemin. Elle ne voulait pas à subir l'attente du réveil, seul, ni une recherche dans la nuit.
L'air avait une odeur particulière, hors de Flore. Et des bruits se répandaient, maintenant que la luminosité avait augmenté. Elle trouverait surement quelque oiseau, en retournant d'où elle venait, qu'elle pourrait observer, avant qu'il ne s'envole.
Ce n'était cependant pas un oiseau, qui produisait ces bruits là. Ils ne rentraient pas dans cette catégorie. C'était de la musique, comme certaines fées en faisaient - Pourquoi n'en faisait elle pas, d'ailleurs ? - bien qu'elle ne sonne pas exactement comme dans ses souvenirs. Mais tout ceci témoignait d'une présence. Une présence qu'elle estimait bien différente des autres, car celle-là, elle avait du la chercher.
Doucement, l'esprit sylvestre avança en direction du bruit, alors que l'aube s'installait, chassant le noir pour un rose d'une belle couleur. Les notes étaient enchanteresses, surtout pour quelqu'un qui avait connu le silence depuis un moment. Il aurait pu courir, mais la magie s'interromprait. La musicienne était un peu plus grande que Sylvia, qui avait la taille d'un enfant, et avait quelque chose de fée. Mais elle s'effaçait totalement devant la musique qu'elle arrivait à produire, devant la fascination qu'elle arrivait à installer. La fatigue même se retranchait légèrement, reléguée au second rang devant les émotions qui étaient suscitées par les notes. Une impression de roses qui fleurissaient instantanément, de soleil qui gorgeait une forêt en fleurs, et où les animaux courraient. Un lièvre pourchassait une grenouille, et les fées riaient. Des nuages aux formes complexes jouaient avec le soleil dans un ciel bleu.
Et puis, tout cessa. L'espoir que tout recommence avait remplacé la valse, qui n'était qu'un souvenir incomparable avec l'expérience.
Sylvia s'avança légèrement, n'osant troubler l'artiste qui venait d'interrompre sa danse comme si elle était soudainement épuisée, vidée. Il fallait selon elle respecter cela.
Au bout de quelques instants, cependant, elle se souvint de la raison de sa venue. La musique, et l'envie de rencontrer quelqu'un.
- C'était très joli. Comment t'appelles-tu ?
|
| |
| | Mer 13 Fév - 16:51 | | | | Depuis un moment déjà, Phalène avait senti que quelque chose venait. Quelque chose manifestement attiré par sa musique, quoi d'autre? Et il y avait à fleur de peau comme un frisson imaginaire, et son esprit, éveillé, alerte, vaguait dans le vide et se tendait vers la douce sensation qui lui troublait l'âme, soudain. Quelque chose venait.
Phalène se laissa retomber sur ses talons, la flûte avait quitté sa bouche et la musique s'était tue. Dans le frémissant silence de l'aube, elle attendait que l'être se montre; oh, elle était patiente, et n'irait pas à la chasse au mystérieux visiteur. Phalène savait garder sa place, Phalène savait. Munin dans un froissement d'ailes sombres vint se poser sur son épaule, et quelques instants s'évanouirent encore dans la brume dorée par les rayons du soleil. Enfin, la barde entendit une voix, et elle en sourit; une voix de feuillages, d'écorce, une voix qui fouissait la terre et buvait l'eau de pluie depuis tant d'années que tout cela s'évanouissait dans un murmure incertain. Elle connaissait cela, et, se levant, Phalène aima ce qu'elle entendit, et ce qu'elle vit. La fille-arbre aux yeux d'émeraude sylvestre, revêtue de son évanescente chevelure qui ruisselait comme les rêts du chèvrefeuille et du lierre sur son corps qui n'effleurait que du bout du pied le parterre d'herbe humide, l'image d'un rêve, et l'éternité sage au fond du regard. La jeune femme lui sourit, et, respectueusement, avec cette grâce étrange qu'elle avait dans ses gestes, s'inclina profondément.
-Nous sommes flattée, dame. Nous ne pouvions recevoir de plus beau compliment.
Elle s'inclina une seconde fois, obligeant Munin à crapahuter sur ses épaules pour ne pas avoir à en bouger.
-Dans ce monde et dans l'autre, on nous nomme Phalène, et notre cher compagnon est Munin.
La voix mélodieuse de la jeune femme laissa ces deux syllabes en suspens dans l'air infusé de brumes, et son regard rieur d'encre bleue la contemplait avec un ravissement de petite fille. Munin observait la dryade de son air grave d'oiseau obscur, mais il savait bien que la méfiance n'était pas de mise. Pas hostile, la demoiselle de bois, et ses yeux de feuillages ne laissaient entrevoir aucune malice d'humain. Oh, Phalène était si ravie de trouver là un tel auditoire à sa musique... Comme toujours elle professait le plus grand respect pour les créatures des bois, et savait rester à sa place d'humble humaine au sang mêlé de légendes. Il y avait un ravissement presque enfantin dans le regard bleu nuit de Phalène; la petite barde oscillait sur ses pieds nus, glissant sur la mousse des rochers, le vent s'engouffrait dans ses jupes et faisait voleter ses cheveux, murmurait à ses oreilles de douces musiques, de douces chansons. Un frémissement agitait sa chair, comme un courant contraire dans les fluides de ses veines, et elle percevait la présence chatoyante de la dryade même dans sa tête où quelque chose chantonnait dans les remous de sa folie.
Phalène inclina la tête sur le côté, laissant ses longs cheveux noirs ruisseler sur son épaule, et elle eut un sourire charmant de petite fille, les yeux brillants.
-Dites-moi, demoiselle des feuillages, quel arbre est donc vôtre?
Autour d'elles, le vent enroulait les branchages, sifflait dans les roseaux et faisait des ronds dans l'eau claire du lac, et la rosée y dégringolait en grappes scintillantes qui traversaient dans un éclat cristallin les rayons du soleil. L'ombre se dissipait dans les bois et les oiseaux soudain réveillés reprenaient comme un écho les trilles musicales de Phalène dont la flûte s'était tue. Un instant d'autre monde dans le ventre verdoyant des bois, et Phalène trouvait là comme un apaisement certain, dans ce monde mouvant, sillonné de lumières passagères d'ombres profondes. La musique du monde l'enveloppait comme des ailes, et les voix au fond d'elle murmuraient en douceur, comme les vagues d'un océan qui ne se taisait jamais.
|
| | Phalène
Partie IRLCrédit avatar : Double compte : Ivor le Silencieux - MessalineVitesse de réponse : Lente
| | Dim 17 Fév - 13:52 | | | | L'aube rose était à présent levée, et assistait à la rencontre entre la fille des bois et la fille des monts. L'une observait celle qui l'examinait de son côté, se retrouvant partiellement dans l'autre, ravie de la rencontre, avide de découverte. Sylvia se perdait dans le jeu des tatouages, des arabesques fascinantes conçues par celle qui devait les arborer, et qui n'avait a priori pas de signification. Ces spirales hypnotiques faisaient perdre le cours du temps à ceux qui les contemplaient, par leurs détours et leurs embranchements, se rejoignant ci et là pour se séparer plus loin et se perdre dans le cours d'autres, tels des fleuves tatoués. L'effet de la danse devait être saisissant, les tourbillons devant alors s'agiter, les oiseaux peinturlurés s'animer. La vue et l'ouïe s'unissaient surement dans de telles conditions, pour provoquer des rêves fabuleux et inoubliables.
Focalisée sur la musique, Sylvia ne leur avait pas accordé l'attention qu'ils méritaient, malgré leur omniprésence ; le son repéré plus tôt avait masqué cette facette, et privée la dryade du spectacle qui naissait de l'association des trois arts de la danse, de la musique et de la peinture.
Un corbeau accompagnait le tableau vivant que formait la dame au sang de fée, un oiseau au regard brillant d'intelligence. Funeste présage pour le monde des hommes, mais être vivant au même titre qu'un autre pour celui des nymphes, qui le considéraient au même titre qu'une colombe, quand bien même son cri et son plumage en agaceraient certaines. Posé sur son épaule, il semblait être son animal familier, et témoignait du lien que l'artiste contractait avec la nature ; un signe que l'esprit de Flore, ignorante des techniques de dressage qu'avaient inventés les hommes et qui pouvaient assujettir un animal à un humain grossier et violent, interpréta favorablement.
Le temps de cet examen suffit pour que la musicienne se présente, elle avec les siennes. Un usage particulier de la langue, intriguant, mais qui pouvait être en usage cependant dans la contrée natale de cette dame. N'ayant nulle connaissance du monde, la dryade était bien souvent amenée à émettre des quantités d'hypothèses ; elle savait qu'il était différent de sa forêt, et admettait qu'un voyageur puisse parler de lui au pluriel, pouvant peut être se considérer comme le réceptacle de l'âme de ses ancêtres.
- Vous portez un joli nom, que j'apprécie. Mes sœurs m'ont nommée Sylvia, si vous tenez à connaître le mien. Sachez également qu'il n'est nul besoin de s'incliner, dit-elle avec joie et amusement.
Phalène, puisque elles se nommaient ainsi, avaient un regard pétillant de joie, semblable à celui que Sylvia possédait. Tout en elles évoquait une bizarrerie charmante, dans laquelle elle se retrouvait à divers degré. Une jovialité qui ne faisait pas partie du cœur de maints hommes, qui avançaient souvent préoccupés. Sans doute était-ce ce cœur d'enfant qui procurait à sa musique ce timbre exceptionnel. Des pieds nus, de longs cheveux, une musique enchanteresse, une faible taille, tout donnait à l'humaine un caractère de fée, mis en avant par ses étranges tatouages qui, s'ils ne l'associaient à ce groupe spécifiquement, la détachaient de celui des hommes. Ceci, et un joli sourire.
- Demoiselle des feuillages ? J'aime bien. Vous semblez connaître les miennes. Mon arbre est non loin, dans Flore. Il s'agit d'une belle aubépine, qui vous plaira surement.
Le vent sifflait, faisant voler les cheveux des deux femmes-enfants, dévoilant légèrement le corps de la dryade, qui ne se cachait pas. Ses formes n'étaient de toute manière que peu visible, et elle n'avait nul complexe au sujet de sa nudité, et ne semblait s'en rendre compte. La fille des arbres se tourna, en prononçant ces paroles, vers son arbre qui dormait au loin, dans Flore. La distance pesait sur elle, et la fatiguait. Et dire qu'elle n'était qu'à la frontière... que se passerait il si elle osait quitter Terre, forcée par les évènements ?
- Si vous le souhaitez, fille des plaines ou d'ailleurs, nous pourrions nous y rendre, et parler de vous, du dehors durant le trajet, proposa-t-elle d'un sourire d'où pointait son anxiété, derrière sa jovialité naturelle. Elle connaissait le chemin, et savait où se situait son point d'attache avec le monde, intuitivement.
|
| |
| | Sam 9 Mar - 20:03 | | | | Les remous remuaient, lentement, vaguement, dans l'obscurité et la joie blanche du jour nouveau infusé par la rumeur des arbres. Le soleil, le temps, le vent et la chanson de l'eau claire avaient un effet sur Phalène comme ils pouvaient influer sur la croissance des arbres tout autour; cet endroit respirait la magie, la vie, l'air sauvage et elle s'y sentait bien, peut-être plus chez elle encore que dans les cimes acérées de ses montagnes natales, bien plus ici qu'ailleurs encore. La présence de la dryade trouvait en elle une résonnance étrange. Elle percevait quelque chose, quelque chose qu'elle ne comprenait pas mais qui était là au fond d'elle comme une agitation muette, l'un de ces innombrables signes envoyés par son esprit trop large pour sa simple compréhension d'humaine. Tout remuait, là, et elle percevait des impressions de feuillages, des images fugaces, plus encore que des images, en réalité: comme des rêves, des nuages de sensations fugaces, un goût, celui de la lumière sur les pétales et de la sève frétillante au printemps. Fouir, fouiller, creuser la terre, manger le vent et respirer la rosée. Elle avait fermé les yeux un instant, bercée par le nuage de songes inspirés par le jour courant et l'aura chatoyante de la dryade; elle se secoua confusément, souriante, rêveuse et l'air ailleurs, quand la femme parla de nouveau.
Mais pouvait-on parler de femme, vraiment? Phalène l'observa avec émerveillement, alors que les cheveux verdoyants de l'être couraient sur elle comme une onde, comme les replis soyeux d'un profond drapé du vert éclatant des jeunes pousses au soleil. Elle était pâle, pâle et belle, et sa peau, sa chair, sa substance toute entière avait la clarté diaphane et cireuse des pétales d'une rose. Elle était végétale, dans ses os, dans ses yeux, dans la matière de son sourire et le froissé de sa chevelure qui rampait sur elle comme les rêts d'un liseron, la mousse veloutée et les motifs déchiquetés du lichen. Elle se voilait, se dévoilait, des traits à peine sortis de l'enfance et un regard d'ancêtre, un regard infusé de ciel, de lumière et de neiges attardées, un regard qui avait regardé pousser l'humanité depuis les tréfonds de ses cavernes comme on voit le chiendent de l'état de graine à l'état de fléau. Elle se sentait petite, petite et faible et éphémère sous ce regard là, mais c'était une impression bien familière quand on sait écouter la voix des arbres, et de toute chose, raconter combien l'Homme est une poussière passagère dans le grand fleuve de l'éternité.
Finalement, la barde battit des mains avec une soudaine allégresse et souleva ses jupes en haillons gribouillés.
-Je vous suivrai volontiers, ma dame de sylve. Allons, allons sur les chemins! Il y a là-bas bien à chanter et à dire, allons!
Et, sautillant ça et là comme en dansant sur un air inaudible, elle alla d'un côté et de l'autre, tirant d'un buisson quelques effets empaquetés, glissant sa flûte de roseau dans les tréfonds de sa sacoche. Munin retrouva bien vite sa place sur son épaule, et Phalène éleva en l'air son bâton de marche dont le sommet sculpté de motifs tortueux tintait de colifichets d'os et de perles qui s'entrechoquaient avec un son gracieux. Elle avait perçu quelque chose dans la voix de la dryade, une vibration étrange, une couleur bien sombre dans ses mots. Elle ignorait ce que c'était, mais préférait ne rien en dire, et la laisser aller à sa guise; elle n'était pas grand chose pour se permettre cela.
-Allons, reprit-elle en chantonnant. Auprès de votre arbre, à l'aubépine!
Un rire léger lui échappa.
-Vous avez la semblance de ses fleurs, dame, oh, oui. Nous voyons bien. Il nous semble évident, même; quoi d'autre, après tout?
Et en fermant les yeux, elle croyait presque pouvoir saisir le parfum bref et léger des rosiers sauvages. Gracile, et fine comme un liseron; elle n'était pas de ces grandes femmes robustes qui vivaient dans les chênes, ni des augustes et vénérables dames des sapins, et point non plus des douces demoiselles murmurantes qui allaient dans les bouleaux de Drayame. Elle sourit, encore, sa jolie tête penchée de côté laissant ruisseler ses cheveux d'encre noire sur son épaule.
-Quant à nous, nos racines plongent dans la roche et la pierre, là-bas dans les cimes. Je viens des montagnes, là où mon peuple s'est établi au commencement des jours. Mais à présent nous avons quitté ma terre, et nous errons par les plaines, et tout pays qui s'offre à nos pas.
Ce disant, il y avait dans les yeux de Phalène une lueur joyeuse, alors qu'elle agitait la main dans la vague direction de l'est lointain. Elle était joviale, et toute prête à parler, comme elle l'était toujours. Son ravissement à manier la parole, à raconter, était palpable dans chacune de ses phrases, et même si son usage de la langue pouvait sembler étrange, elle semblait bien souvent privilégier la beauté des paroles sur le sens. On distinguait dans sa voix une réminiscence variable de sa langue natale, et le roulement des syllabes allait et venait comme les cailloux dans un lit de rivière; les intonations disparaissaient parfois pour réapparaître par là, et sa voix musicale ressemblait au chant d'un oiseau.
|
| | Phalène
Partie IRLCrédit avatar : Double compte : Ivor le Silencieux - MessalineVitesse de réponse : Lente
| | Ven 12 Avr - 21:13 | | | | [Entre les contrôles, la fiche d'Alastair, j'ai été bien peu présent. Mais je répare ma faute à présent.]
Les êtres et les âmes imperceptibles de ce lieu observaient paisiblement les deux géantes qui passaient, ne laissant pour seule trace dans l'herbe qu'un mince frôlement, qui n'avait la capacité d'arracher les ouvrières à leur travail. La dryade, liée à cette forêt dont elle était l'une des gardiennes, le sentait dans ses fibres les plus profondes. Ils n'avaient que faiblement conscience du passage de créatures qui dépassaient leur infini, et les filles à l'essence de fée trouvaient un passage entre les fleurs sans jamais les piétiner, gracieuses comme elles l'étaient. D'une démarche naturelle, elles évitaient le trajet des fourmis et restaient pour les papillons un élément du décor, en accord avec cet univers merveilleux, que le soleil éclairait de faibles rayons naissants.
Phalène étaient des personnes étranges, au-delà de la manière qu'elles avaient de se nommer en une unique personne se considérant plurielle ; confiante en cette inconnue qui venait de l'aborder, elle l'avait suivie sans balancer, mais plus encore elle semblait à son aise dans la magie ambiante, bien davantage que tout voyageur humain de mémoire d'arbre. Elle goûtait ce lieu sans en ressentir ce que tous avaient qualifié de bizarre, que ce soient ces odeurs ou ces formes. Les couleurs chatoyantes et gaies, même dans cet hiver, ainsi que les bruits qui avaient un écho différent dans Flore, étaient pourtant déroutant.
Mais l'artiste étaient semblables à des sœurs perdues, dont l'esprit était né dans un corps d'humain, une cruelle confusion qui obligeait le réceptacle d'un esprit terre à terre à soutenir la vision d'une âme sublime, qui était emprisonnée dans un monde trop étrange pour elle. Cependant, Sylvia était plus charmée par la rencontre de cette sœur qu'attristée par cette ironie du destin, car telle était sa joviale nature, qui privilégiait aux larmes le rire et les danses aux sanglots.
Le voyage dans ce pays où la végétation avait parfois la transparence du cristal ou la semblance aqueuse d'un étrange breuvage, où les champignons étaient plus grands que les arbres, et où les fleurs semblaient fabriquées de tout, redonna ses forces à Aubépine.
Elle profitait du voyage, et se contentait de la vision de son amie plurielle, sans parler et l'allégresse au cœur, sa curiosité innée contenue par le ravissement de cette magnifique rencontre, et le besoin de faire durer cet instant d'harmonie. Elle était le calice du monde, et contenait son essence. Autour d'elle, tout était joie, tout conflit était étouffé dans l’œuf.
- Où avez-vous appris à faire ces sons, et pourquoi cet animal vous suit-il ? Pensez-vous que je pourrais faire ce que vous faites ?
[i]Ces questions qui lui brûlaient les lèvres avaient franchies sa bouche, et elle en était heureuse. Car si elle savait qu'elle ne pouvait pas forcer Phalène à demeurer ici, elles pouvaient lui apprendre à faire ce qu'elles jouaient, ignorante de la difficulté qui y était liée. Elle s'imaginait déjà faisant de si jolis bruits sur son arbre lorsqu'elle s'ennuyait, afin de charmer tous les habitants de bois et émerveiller ses soeurs si elle en rencontrait.
|
| |
| | Jeu 1 Aoû - 12:58 | | | | Marchant d'un pas vif et léger, Phalène observait la nature autour d'elle, et les merveilles changeantes de la forêt, les rais de lumière matinale qui tombaient dans les feuillages et faisaient comme de longs voiles d'or pâle, déposant de doux liserés chatoyants sur les corolles des fleurs. Elle respira longuement, abondamment, s'emplissant des senteurs lourdes de fougères et d'humus, de terre froide et de sève endormie. L'odeur de l'hiver, en ces terres enchantées, n'avait pas son pareil. Le sommeil des êtres semblait moins lourd, et il y avait toujours quelque chose qui veillait, là. Même au coeur des mois de froidure, alors que partout ailleurs la rumeur des arbres s'était tue, sous les feuillages immortels de Flore la magie perdurait, toujours, et jusqu'à la fin des temps. Phalène chantonnait dans la brise, murmurait au rythme de ce qu'elle entendait planer dans l'air. Sur son épaule, Munin veillait en silence, sa petite tête dodelinant au rythme des pas alertes de sa maitresse.
La barde répondit à la question de la dryade par un petit rire.
-Oh, fit-elle. Ne savez-vous donc point chanter? J'aurais cru que les êtres de votre sorte auraient pu apprendre un jour cet art du vent et des oiseaux.
Elle frappa dans ses mains, et sourit à Sylvia.
-Qu'importe! Nous vous apprendrons. C'est simple, sachez; vous saurez bien vite si vous avez la voix faite pour cela! Quoique je ne doute pas que vous fassiez bonne musicienne, il n'y a guère que les humains pour se trouver piètres chanteurs.
Toujours marchant, elle sortit de ses poches la petite flûte de roseau qu'elle avait façonnée près du lac. Elle en tira quelques trilles mélodieuses, et puis joua un petit air simple, qui rappelait un chant d'oiseau.
-C'est tout simple, reprit-elle. Cela vient du coeur, surtout. Et du souffle, du bon souffle!
Ce disant, elle frappa légèrement sa poitrine en faisant s'entrechoquer ses colliers. Elle resta perplexe un moment, et puis fredonna quelque chose, plongée soudain dans une réflexion profonde. C'était pour l'heure la seule chose qu'elle pouvait dire, parce que c'était ce qu'un jour on lui avait dit: il faut un bon souffle, bien dosé, bien contrôlé. Le reste... C'était comme expliquer à quelqu'un comment respirer, ou comment faire battre son coeur. C'était comme ça, ça avait toujours été. Elle n'avait jamais apprit, elle avait fait, c'est tout. Et puis, avant l'Hiver, elle avait si peu de souvenirs qu'elle ignorait totalement si elle avait été éduquée en ce sens par quelqu'un. Elle avait ouvert la bouche, elle avait chanté, cela sortait si naturellement qu'elle se retrouvait bien désemparée, soudain...
-Et bien, lança-elle avec une mine songeuse. Je crois qu'à part cela, je suis bien en peine de vous explique comment cela se fait. Essayez-donc, nous dirons si cela est bon ou non!
Et ce disant, elle acheva sa phrase par une nouvelle trille sur sa flûte, comme pour encourager la dryade à pousser la chansonnette à son tour. C'était tout ce qu'elle pouvait faire et elle en était bien navrée. Pendant un moment encore, les yeux froncés, elle essaya elle-même de trouver d'où cela venait, comment le faisait-elle, d'où venaient les chants? Sylvia avait sans le savoir soulevé un curieux mystère.
-Allons, reprit-elle. Je sais que vous ferez des merveilles!
|
| | Phalène
Partie IRLCrédit avatar : Double compte : Ivor le Silencieux - MessalineVitesse de réponse : Lente
| | Sam 3 Aoû - 23:52 | | | | Phalène étaient gentilles, et se tenaient nobles dans Flore. Munin semblait à sa place dans cet environnement féérique, au milieu d'insectes aux ailes de pétale. Il dormait, en fait, ce qui était cocasse. Elle venait de le remarquer, ne voyant auparavant que le ménestrel pluriel. Il n'était pas agité, et ne chassait pas ceux qu'il aurait pu dévorer. Confiant, il se fiait à sa maîtresse. Il y avait quelque chose d'étrange dans ce spectacle, mais de terriblement réjouissant ; voir que le lien entre l'humaine et l'animal était si fort était fantastique, bien qu'il fut blessant de voir Flore ignorée par l'animal. Les deux pensées balançaient dans le cœur de Sylvia, qui finit pas ne plus les écouter. Elle s'abandonna au moment de la discussion, laissant de côté le reste ; seules comptaient Phalène.
Ses questions étaient charmantes, mais témoignaient d'une véritable surprise et d'une envie d'aider. Ainsi, l'espoir était permis et il lui serait possible de maîtriser ce noble art. Ainsi que les autres, si elle avait le temps ; le son était bon, mais les yeux pouvaient aussi avoir leur spectacle. Comment danser comme elle le faisait ? Cela venait-il naturellement, ou après un dur labeur ? Était-il nécessaire de suivre les pas d'un maître, ou pouvait-elle s'inspirer de ce qu'elle avait dans la tête ?
Phalène, malgré leur déception l'aideraient de toute manière. Comment les nourrir si elle restait longtemps ? Il devait bien y avoir quelque chose... des baies ? Des pétales peut-être. Elle n'avait jamais traité cette question. Le soleil subvenait à ses besoins, mais il n'en allait pas de tous. Après tout, elles n'avaient peut-être pas prévu de rester dans Flore un long moment. Mais resteraient-elles ? C'était probable, mais non sûr. Elle ne pourrait les enchaîner, et ne supportait pas cette seule idée. Elles devraient sûrement la laisser, comme tous l'avaient fait. Aussi, elle appréciait chaque instant passé en leur compagnie, qui étaient chacun une goutte salvatrice, tombant à intervalles irréguliers, qui venaient secourir un assoiffé dans le désert.
Les héritières de l'art semblaient croire que la demoiselle des feuillages ne devrait pas avoir de problème, de toute manière. Sa sève devait être composée de capacités propices au maniement de la musique et du chant. Aussi, rien ne devrait être compliqué, et il serait aisé d'en finir, pour ne pas retarder celles qui devaient partir si l'envie leur en prenait.
Les bruits que produisaient l'instrument étaient toujours magnifiques, et la dryade se demandait l'intérêt qu'avait le chant à côté. Il fallait trouver des paroles, d'après ce qu'elle en savait, mais pouvait les oublier. Alors que dans cet ustensile se trouvaient déjà tous les sons du monde, qui refermaient chacun une signification si profonde qu'elle ne pouvait être expliquée par tous les mots existants.
Le cœur était un organe qui battait, et qui s'affolait lors d'intenses émotions. Il se pouvait donc que ce soit plus symbolique qu'autre chose, avec de fortes chances. La volonté de se faire comprendre, et d'exprimer par quelques notes ce que l'on souhaite faire sortir, ainsi que le souffle pour le faire physiquement. Cependant, quelque chose n'était pas clair ; qu'il s'agisse de la répétition de cette dernière composante ou du silence perplexe de Phalène, il y avait un flou qui ne s'expliquait pas. Devait-elle mal prendre ce soudain arrêt ? Ou avaient-elles tout dit ?
Patiente, elle attendit, la contemplant. Elle était bien jolie, et dégageait cette aura que ne peuvent avoir les humains. Mais elle était à présent soucieuse, ce qui lui semblait plus qu'étrange. Les fées ne sont pas d'humeur à s'interroger la plupart du temps, et tout ceci devait être grave pour qu'une qui en avait l'esprit soit dans cet état.
Mais cela ne dura pas longtemps - malheureusement ? - car à présent elle devait se lancer, et chanter. Mais que chanter ? Elle devait se passer de paroles, selon toute vraisemblance, car elle n'en connaissait pas. Elle avait bien entendu des chants, mais ne les avait pas retenus, car ils ne signifiaient pas grand chose pour elle par rapport à la mélodie. Il en allait de même pour le vent et l'oiseau ; elle les avait passionnément écoutés de longues semaines au cours de sa vie, mais il ne lui était jamais venu à l'idée Pourquoi ne pouvait-elle pas se contenter de jouer de ce roseau ? Sa voix pourrait-elle être suffisante ? Après tout, les jolis trilles de Phalène étaient ce qu'elle avait entendu plus que le chant. Ils l'avaient attirée. Alors que devait-elle faire ? Seulement utiliser sa voix ? Et peut être décevoir cette personne. La fille de Flore n'était pas très timide, d'habitude, mais ceci l'embêtait.
Mais elles insistaient, et elle devait céder. Aussi, doucement, elle ne tenta pas de former des paroles, mais de faire sortir de sa gorge sa voix, en lui laissant libre cours. Le son était clair, et bien vivant pour une personne non exercée ; cependant, il manquait de maîtrise, et ne tint pas longtemps, ne laissant derrière lui que des accents charmants. Il n'avait pas beaucoup varié mais l'avait mal fait, ce qui avait fait grimacer celle qui en était la cause. Il n'y avait rien à voir avec ce que pouvait faire Phalène, et entre l'aspect brut et celui riche du matériel, on ne savait que choisir. Aussi, Aubépine se tut bien vite, déçue.
- Je me contentais d'écouter le bruit des feuilles et le cours de l'eau, sans tenter de répéter leurs prouesses. Il en va de même pour le chant de l'oiseau. Pourquoi ne puis-je pas faire comme toi ? Ton instrument a déjà bien des sons en lui, et je ne sais pas comment maîtriser les miens. Je crois comprendre ce que tu veux dire, mais c'est insaisissable.
Déçue, elle regarda son torse, incapable d'émettre ce que pouvait faire un simple morceau de roseau. Il y avait quelque chose de profondément injuste là-dedans. La danse viendrait après ; elle avait quelque chose à dompter auparavant.
|
| |
| | Dim 11 Aoû - 10:57 | | | | Phalène eut un rire franc et vif quand la dryade s'essaya enfin à chanter. Oh, elle avait eu raison, oui, et la voix qui s'éleva dans les airs, même maladroite et brève, brute comme une belle pièce de bois encore à travailler, recelait des merveilles à venir. Il suffisait de peu, et en fermant les yeux, la barde arrivait déjà à imaginer ce que cela serait, plus tard, une fois qu'elle lui aurait enseigné son art. Oh, bien sûr, elle ne savait pas comme lui expliquer la bonne manière de chanter et cela semblait rester pour toujours un mystère mais ce qu'elle savait faire, c'était à l'oreille, la guider. C'était exactement comme un accorde un instrument, la faire jouer sur tous les tons pour trouver le bon accord, la note juste.
La jeune femme lui adressa un doux sourire plein d'encouragements.
-C'est ainsi qu'il faut procéder, et l'on dit chez moi que mon peuple a découvert le secret de la musique exactement comme cela, en écoutant courir la rivière, et les chants des oiseaux, et du vent dans les roseaux. C'est ainsi que cela procède, au fond: pour faire la musique, il faut d'abord écouter celle qui résonne chaque jour autour de nous.
Elle sourit encore, les yeux pleins de lueurs propices; elle s'animait, soudain, elle allongeait la foulée d'un pas plein d'allégresse, et son agitation croissant finit par déranger l'oiseau sur son épaule qui s'envola, les précédant de peu, sautillant ça et là en fouillant l'humus de temps à autre. La jeune femme pencha sa jolie tête de côté, provoquant la dégringolade mélodieuse de ses cheveux chargés de perles.
-Il y a dans la voix des choses vivantes plus de merveilles que dans n'importe quel instrument, répondit-elle doucement. Nous avons toujours apprit que tout musicien ne maitrise réellement son instrument que lorsqu'il parvient à imiter toutes les nuances de la voix des choses. Ne soyez pas chagrinée de ne point pouvoir imiter le chant de la flûte, vous ferez tout aussi bien, mais différent.
Phalène tournoya sur ses petits pieds usés et leva les yeux en l'air. Un air simple, un souffle clair. Elle laissa échaper une trille mélodieuse pour se guider et fredonna un air, comme une ritournelle d'enfant.
-Suivez nous, lança-elle. Donnez de la voix, c'est en faisant que vous apprendrez, c'est ainsi que l'on enseigne, chez nous.
Comme une invite, elle souffla encore quelques notes, lui adressant un petit geste d'encouragement. Phalène se sentait toujours très humble avec les êtres qui n'étaient pas de sa nature, les dryades et les autres créatures qui peuplaient les forêts et les prairies; elle, éphémère, exactement comme ces papillons aveugles dans la lumière trop vive qui tournoyaient follement en tous sens, vains et faibles, avant de s'éteindre comme des chandelles soufflées dans la tempête. Alors, savoir qu'elle pouvait encore apprendre quelque chose à la demoiselle de bois lui remplissait le coeur d'une joie profonde. Elle aimait propager son art, ses chansons et ses histoires, et répandre la musique partout où elle n'était pas. Et de savoir qu'après son départ, une voix de plus irait se joindre au grand choeur du monde était une source de réconfort sans pareil. Il resterait quelque chose d'elle, alors, un souvenir, vague et informe, dans l'écorce d'une aubépine.
Alors, sous les colonnes de cette cathédrale de verdure, l'enfant de l'hiver faisait résonner son chant, et lui répondait celui de la dryade, fragile et maladroite comme le feuillage à peine éclos, encore froissé, encore à son aurore, mais qui ne tarderait pas à s'épanouir et s'étendre.
|
| | Phalène
Partie IRLCrédit avatar : Double compte : Ivor le Silencieux - MessalineVitesse de réponse : Lente
| | Lun 19 Aoû - 17:34 | | | | Le chant était si difficile. Comment soumettre la voix à d'étranges sonorités ? Elle fluctuait si aisément, et ne parvenait pas à se fixer. Lorsque la variation était volontaire, elle le résultat obtenu n'était pas celui attendu. Mais le résultat au bout d'innombrables efforts promettait d'être beau, et pour cela, elle devait travailler.
Le rire de Phalène l'avait blessée au début, car après un échec, l'orgueil est à vif. Mais elle se rappela de leur nature féérique, et elle ne leur en voulut plus. Comment allait-elle pouvoir lui enseigner quelque chose d'aussi fuyant que le chant ? C'était sûrement impossible, s'il fallait se calquer sur le vent et l'oiseau pour le comprendre. Pourtant, elle était la fille de cette contrée, et devait connaître ces bruits qu'elle avait entendus toute sa vie. Mais se froisseraient-ils qu'elle tente de les imiter ? Pourquoi le feraient-ils ? Cela ne ferait que rajouter une voix au chœur de la forêt. Elle devait percevoir l'énergie qu'ils mettaient à produire les sons qu'elle enviait, et devait en faire de même sur avec la ménestrel. Elle devait en être capable.
Ce sourire la renforça dans ses convictions. Sa voix lui appartenait, et elle pouvait bien faire quelques petits efforts. Où allait le monde, sinon ? Son bras lui obéissait, ses yeux également. La mutinerie de ses cordes vocales n'aurait pas lieu bien longtemps.
Phalène prêchait l'écoute de la musique qui résonne au fond de soi-même. C'était une idée intéressante, qu'elle pouvait comprendre. Mise en pratique, une aubépine pareille à sa liée lui apparaissait. Le murmure du vent dans les feuilles résonnait alors, et elle sentait venir à ses lèvres quelques sons. Ils étaient cependant trop nombreux pour qu'il soit lui possible de les extraire ; chacun vivait et tournoyait, évoluait trop rapidement. Il se mêlait à d'autres, alors. Et tous se modifiaient, ne laissant pas le moindre espoir à la dryade de les imiter. Ils provenaient de bruits naturels modifiés légèrement. Sa voix s'y trouvait et avait pris leur accent. A moins qu'il ne s'agisse du contraire. Qui pouvait le dire ? Mais le résultat était tellement complexe !
En arrière-plan, Phalène la consolaient. Ses paroles étaient cependant floues par rapport à l'intensité de ce qu'elle ressentait en elle, motivé par son désir d'apprendre et de chanter.
Elle entendit cependant l'invitation et les trilles réels qui provenaient du monde terrestre ; et ils interrompirent l'expérience, la laissèrent derrière. Oubliée de ces bruits fabuleux qu'elle avait côtoyé un instant. Si l'enfant sylvestre voulait rejoindre la chorale de son cœur, elle devait progresser doucement, à l'aide de la gentille professeure plurielle qu'elle avait avec elle.
L'air était peut-être familier pour ceux des montagnes ; pour celle des bois, il était bien étrange. Il lui évoquait des aspects de Flore, mais elle comprenait qu'il ne s'agissait pas de la meilleure description qu'elle pouvait en donner. Pour mieux comprendre cet air, elle devrait voyager. Alors, elle se remit à chanter. A essayer de suivre la maîtresse de la musique. La diversité de leurs deux voix et son inexpérience la laissèrent vite derrière ; elle reprenait les notes, mais trop tard. Une fois qu'un air s'était détaché du reste, elle assumait bêtement que la suite suivrait ce schéma, et était surprise des variations. D'une note plus aiguë qui en suivait des graves descendantes.
Comme éclore et fleurir ? Donner à sa voix de l'assurance ? Car elle en manquait terriblement. Sa volonté de bien faire était contrée par une légère timidité ; car elle avait l'impression de gâter la musique de Phalène en l'imitant. Elle ne voyait qu'une contrefaçon grossière dans ses actes. Finalement, Sylvia-Aubépine osa parler.
- Je me perds dans ta voix, et la musique intérieure que j'ai est trop complexe. Elle évolue trop vite, et il y a trop de sons différents. D'où vient cet air, sinon ? Je n'ai rien entendu de pareil dans Flore.
|
| |
| | Dim 25 Aoû - 16:31 | | | | Aux paroles de la dryade, Phalène ne put répondre d'abord que par un rire, qui semblait lui venir tout aussi aisément que les mots. Il y avait au fond de ses yeux une lueur joyeuse, et sa gaieté semblait se communiquer à toutes les choses autour d'elle. Sur son épaule, Munin à présent éveillé observait avec attention les exercices maladroits de Sylvia et ponctuait cela de petits hochements de tête, comme s'il l'encourageait à son tour.
-Ne vous chagrinez pas ainsi, répondit la barde en souriant d'un air bienveillant. Vous avez une belle voix, il lui manque seulement le travail, comme à une jeune pousse qui n'a pas encore connu son premier hiver. Persévérez et croyez en vous! C'est ainsi que vous ferez de belles musiques.
Il y avait là plus de promesses que Phalène n'avait pu en receler elle-même en son jeune temps, et dans les vocalises si simples qu'elle entendait de la dryade, elle percevait déjà que ce qui était encore à venir, comme une fleur en bouton qui dévoile déjà un peu de sa splendeur en gestation.
-C'est un vieux chant qui vient des montagnes, où plongent nos racines. L'un de ces airs que l'on entend tellement, au point de n'en plus savoir le nom; il fait partie de notre paysage, tout comme le murmure des vents.
Elle réfléchit un instant à quelque chose peut-être plus approprié à son élève improvisée. Ce chant parlait de choses qu'elle n'avait sans doute jamais connues, et la langue en était sans doute obscure à la demoiselle de Flore. Les évocation des hauts monts couronnés de neiges, des arêtes de pierre comme suspendues dans les gouffres où se précipitaient les torrents furieux, et le silence murmurant des alpages, tout cela devait être bien étranger à celle qui n'avait peut-être connu que les doux ombrages parfumés des arbres de cette forêt. Finalement, lui revint quelque chose qu'elle avait apprise des gens qui vivaient en ce lieu, quelque chose qui l'inspirerait peut-être plus.
-Nous devrions nous trouver où nous asseoir, dit-elle en regardant autour d'elle; je sais à présent sur quoi vous faire vous exercer, mais j'aurais besoin pour cela d'autres instruments que ma seule voix et mon flutiau.
Finalement, elle trouva l'endroit propice au pied de l'aubépine qui semblait avoir tant inspiré à Sylvia de jolis sons. Elle prit place sur la mousse émeraude qui faisait des coussins de verdure à l'ombre de fleurs parfumées, et tira du lourd paquetage qu'elle avait au dos une petite harpe enveloppée avec soin dans les replis d'une peau cirée. Elle en tira quelques notes cristallines, et d'un geste de la tête, d'un sourire engageant, invita la dryade à l'écouter. L'air n'était guère complexe, et la voix claire de la jeune femme s'éleva avec clarté dans les ombres mouvantes des bois, faisant silence autour d'elle. La harpe accompagnait ses paroles qui se turent au bout d'un moment pour laisser à inviter Sylvia à la suivre. Qu'elle n'en sache point encore les paroles n'avait pas pour l'heure la moindre importance, il fallait d'abord bien s'exercer. D'un geste, elle lui faisait parfois signe de monter ou de descendre d'un ton, la guidant avec patience et douceur au fil du chant qui déployait ses accords mélodieux sous le couvert des arbres murmurants. Elle voyait bien le doute perturber sa nouvelle élève, et chaque fausse note semblait la décourager un peu plus; elle connaissait bien cela, qui ne doute point un jour devant son art, surtout quand il est à son commencement? Mais chaque fois elle l'invitait à reprendre, à persivirer encore et toujours plus, parce qu'il n'y a rien de grave dans l'erreur, on en tire toujours les meilleurs enseignements. Et puis il y avait tant de beautés, là, encore en sommeil, encore à leur aurore, c'eut été un crime de laisser cela de côté et ne point les amener à leur plénitude. Elle se sentait comme face à l'artisan qui découvre par mégarde un beau matériau encore brut, et qui pressent déjà tout ce qu'il pourrait en tirer. Elle ne cessit de sourire, animée d'un lent balancement au rythme de la musique qu'elle jouait, marquant le rythme du battement de son pied, sans cesser d'encourager la dryade dans ce qu'elle faisait.
Oh, il y aurait encore beaucoup à faire, et à commencer par lui donner plus de confiance en sa voix et en ce qu'elle pouvait faire. Elle était si craintive, si délicate, et forte pourtant, elle le sentait; il y avait en elle l'énergie vive et fraiche des êtres jeunes encore, et comme l'aubépine elle semblait si fragile qu'un souffle aurait pu l'emporter, mais comme l'aubépine il y avait assez de ténacité, assez de vie et de force pour en faire de grandes choses.
Ne crains rien, disaient les beaux yeux de Phalène, ces yeux couleur d'eau claire que le soleil faisait briller de douces lueurs. Va, et fais à ta guise, libère toi, libère cette voix enclose dans ta poitrine. Laisse-la s'élever, s'épanouir, sens comme elle s'éveille au fond de toi, sens comme elle cherche à s'extraire de ta bouche, sens comme elle veut s'exprimer, comme un oiseau qui se hâte de quitter le nid. Laisse la partir, s'envoler, te revenir chargée d'échos nouveaux, laisse la aller chercher partout autour de toi de nouveaux accords et de nouveaux sons, des harmonies nouvelles pour l'enrichir davantage.
|
| | Phalène
Partie IRLCrédit avatar : Double compte : Ivor le Silencieux - MessalineVitesse de réponse : Lente
| | Mar 24 Sep - 21:39 | | | | Elles étaient gentilles, et c'était ce qui comptait. Peut être plus que le soutien d'un ménestrel, il lui fallait la compagnie d'une amie. D'un autre côté, la dryade voulait chanter. Donc, autant continuer. Et puis, elles ne mentiraient pas et ne pouvaient se tromper, car elles étaient expérimentées. Si elles ne l'étaient comme professeurs, au moins des chanteuses pouvaient reconnaître les défauts des voix de leurs consœurs. N'était-ce pas logique ?
Aubépine n'en était pas sûre. Après tout... y avait-il un lien entre le savoir et l'enseignement ? Il doit être normal de pouvoir posséder le premier sans être en mesurer de dispenser le second. Comme ce doit aussi être anormal. Si quelqu'un a appris en autodidacte, il doit pouvoir se passer des méthodes d'un professeur pour enseigner s'il se rappelle ses errances premières ; si ce n'est pas le cas, que la personne se souvienne des cours qu'elle a suivis et qu'elle les applique en les transformant pour éviter de répéter les erreurs repérées. Il faudrait qu'elle sache quelque chose de pratique pour le vérifier. Comme le chant. Car pour la connaissance des plantes et des bêtes, il était simple de tout expliquer en savant tout sur le bout des doigts.
Mais avait-elle les capacités à apprendre ? Se pouvait-il que son esprit puisse se concentrer assez longtemps sur le chant ? Oui, si elle le souhaitait. Elle n'allait pas interrompre ses efforts si un papillon passait à ses côtés ; elle chanterait sur son vol.
Le chant des monts était tout de même étrange, mais sa théorie s'en voyait confirmée. C'était ça ou la manière de chanter ; celle des humains devait différer de celle adoptée par ses sœurs. Serait-il bien de chanter comme un étranger ? Allons, on reconnaîtrait sa voix si on ne prenait pas conscience de la méthode employée. Et comment cela pourrait-il être possible ? Que n'avait-elle étudié la question ! Mais elle s'était contenté d'écouter jusqu'à présent, sereine et passive.
En tout cas, elle irait un jour dans les montagnes, car elle avait l'éternité pour évoluer. Les racines de son aubépine s'étendraient, et la magie ancienne des fées devait peut-être lui permettre de partir temporairement à la découverte du monde.
Phalène s'assirent au pied de l'arbre lié puis sortirent un étrange instrument, composé d'un cadre et de fils. Il semblait bien plus élaboré que le flutiau, car tel était le nom du roseau altéré. Par quelle magie ces crins pouvaient-ils tirer des sons si jolis lorsqu'on les pinçait ? Les hommes étaient ingénieux. A moins que certaines fées aient inventé ça et aient décidé de la laisser dans l'ignorance. Flore était grande et toutes n'étaient pas partageuses. Mais les hommes demeuraient ingénieux.
Un air simple, à la forme harmonieuse. Il n'y avait pas trop de variations, mais leur nombre était suffisant. Elles étaient suffisamment imprévisible à la première écoute pour que la musique ne soit pas trop fade, mais l'air rentrait en tête et il était simple à retenir. Il évoquait les racines et le feuillage, les fleurs et la terre. Elle se sentait en paix en l'écoutant mais souhaitait voler et danser, tourbillonner et rire. L'écouter libérait une foule d'émotions qu'il ne fallait pas retenir prisonnières.
Mais il fallait rester à sa place et chanter, suivre l'air et le reprendre ; ce n'était pas difficile, et la reprise fut instinctive. Ce qui fut un chantonnement diffus devint vite une voix vive et alerte qui suivait les variations au pied de la lettre. Vite essoufflée cependant et qui ne tenait pas en place et manquait de justesse, mais la richesse du timbre de la dryade ainsi que l'effort visiblement mis sauvaient ces défauts. Ce n'était pas un chef-d’œuvre, mais la musique était reconnaissable. Lorsque les fausses notes survenaient, Phalène guidaient l'élève. En tout instant elles indiquaient la route à suivre et il ne serait pas faux que ce fut plus grâce à leur aide qu'à la nature de la chanson que Sylvia réussit à ne pas saccager ce morceau.
Il serait cependant inexact de dire que la nymphe était comblée, car elle voyait le fossé qui la séparait de son but. La distance à parcourir semblait infiniment grande, celle parcourue dérisoire.
Canaliser l'énergie d'un être féérique dans une chanson était néanmoins difficile, et quelqu'un d'expert dans le chant ou dans la psychologie pouvait deviner que la peur de décevoir et de faire des erreurs empêchaient seules la dryade d'improviser ; l'échec survenu à l'écoute de la voix de l'aubépine entrait également en ligne de compte, et elle se tenait sage. Mais l'esprit avait tendance à vagabonder quelque peu, et sans la concentration intense de celle qui veut bien faire, Sylvia aurait fini par se laisser bercer par les sons cristallins des fils de l'instrument, la tête pleine de sons mais incapable de les exprimer.
Cependant, sa joie était perceptible. Du moins, lorsqu'elle ne faisait pas de fausse note.
|
| |
| | | | | |
Sujets similaires | |
|
| |