C’était une punition plus qu’une mission officielle ; Bjørn avait beau ne pas être un savant, il se doutait bien qu’être expatrié au-delà des océans pour un simple renseignement n’était pas d’une importance assez capitale pour que le Roi se sépare de lui (non, les chevilles, ça va, merci). Mais au-delà de son arrogance quant à sa relation privilégiée avec Harald et de sa mauvaise foi, le barbare n’avait pas tout à fait tort ; il fallait dire qu’on l’avait prévenu de nombreuses fois. « Si je te choppe encore une fois dans une rixe de taverne la veille d’une manœuvre militaire, jeune homme.. ! » Oh, bien sûr, Elena était sa cadette mais il avait beau faire deux têtes au bas mot de plus qu’elle, elle était sa générale et, aussi nombreux ses défauts étaient, le salinéen respectait la hiérarchie comme un sacre. Alors bon, oui, une femelle avait beau ne rien comprendre aux complaisances avinées d’un type comme lui, lui expliquer de manière agacée qu’il n’avait pas commencé n’avait pas empêché la blondasse jeune femme d’aller en parler directement à leur monarque. Monarque qui, sous prétexte d’une mission de reconnaissance, l’avait envoyé prendre le premier bateau en direction l’archipel de la Muerta.

Peut-être qu’il aurait dû rajouter ‘s’il te plaît’ lorsqu’il avait invité sa supérieure à se sortir son balai du cul. On mettra son absence de politesse du moment sur le compte du cognac qu’il s’était enfilé sans compter avant qu’elle ne débarque comme une furie. Oui, ça devait être ça.

Un soupir plus tard, Bjørn redressa son labrys dans son dos alors que son regard ennuyé balayait l’horizon du regard. Bon. Punition ou pas, il avait une mission à accomplir, n’est-ce pas ? Rassemblant tout le sérieux dont il était capable malgré son état de blasement avancé (il ne niera d’ailleurs pas le fait que cela était aussi dû à la fatigue d’un long voyage maritime dont, s’il n’avait pas le mal de l’océan, il n’était pas pour autant particulièrement friand), Bjørn se concentra sur sa mission. Il était question d’une île détruite par Aile Ténébreuse vers qui, lui avait-on dit, Lillith conduisait inévitablement dans ses prophéties. Lui, ce qu’il en disait, c’est que lire entre les lignes n’avait jamais été sa chope de bière, alors bien sûr s’il se faisait rouler dans la poudreuse il s’en rendrait autant compte que d’une stalagmite dans une botte de neige. Un type aux cheveux gras, au port dans lequel il avait débarqué, lui avait indiqué une direction assez vague qu’il avait suivi de manière tout aussi hasardeuse ; elle le fit déboucher sur des côtes désertes en ces heures matinales, encore bercées par les brumes humides caractéristiques des continents aquatiques. Là, alors qu’au loin se dessinait visiblement les ruines qu’on lui avait ordonné de fouler (génial, lui qui regrettait la navigation durant son périple !), son chemin croisa celui d’un étranger qui, debout sous les rayons du soleil, semblait braver le mistral matinal venant du large.

« - Les vertus vivifiantes du sel marin, hé ? plaisanta-t-il à voix haute, un sourire amical aux lèvres en espérant interpeller l’à-priori barbare ; certes, un simple bonjour aurait suffi mais au diable les conventions, après tout il n’avait pas fait ces kilomètres pour s’encombrer de palabres. Vous êtes du coin ? Je cherche à me rendre là-bas. demanda-t-il ensuite en désignant l’île que le type semblait mirer lors de son arrivée d’un signe de tête, quémandant de manière sous-entendu s’il existait un moyen de s’y rendre autre que la nage. »

Son vis-à-vis lui apparut immédiatement comme sympathique – et pas seulement parce qu’il ressemblait aux barbares de Saline – et Bjørn lui rendit son sourire affable alors que celui-ci descendait de son perchoir pour venir lui répondre de plus près. Ses propos cependant lui arrachèrent un soupir nasal de lassitude ; certes il ne s’attendait pas forcément à une réponse positive, mais se retrouver devant le fait accompli ne lui plaisait pas des masses non plus. Les corsaires et autres pirates de bas étages, ça, il avait l’habitude ; le port de Saline semblait les attirer à la pelle, même s’il remerciait le ciel de ne pas avoir vu le jour dans l’Archipel qu’il foulait aujourd’hui. Il n’avait jamais vraiment été très patient lorsqu’il s’agissait de rappeler à ce groupe de malfrats de foutre le camp de ses terres s’ils tenaient à compléter leurs arbres généalogiques.

« - Ah.. J’ai toujours rêvé de faire ça ! plaisanta-t-il malgré tout, haussant légèrement les épaules en arquant ses lèvres en un nouveau sourire peut-être un peu désabusé mais toujours aimable. »

Il s’apprêta vraisemblablement à rajouter quelque chose lorsque des bruits de pas attirèrent leur attention. Bjørn tourna la tête et plissa les yeux pour sonder la brume agonisante, haussant finalement un sourcil intrigué devant le bus d’hommes armés qui s’avançait vers eux. Le premier, vraisemblablement le chef, se détacha du groupe et s’avança vers eux. Presque amusé, le soldat redressa son baluchon de voyage sur son épaule en échangeant un regard complice avec le barbare qui, s’il venait juste de le rencontrer, semblait lui correspondre assez psychologiquement pour qu’ils comprennent l’un l’autre ce que cet échange visuel signifiait. Nonchalamment, l’originaire des Glaces se frotta le nez en jetant un regard à l’embarcation un peu plus loin en prenant la parole.

« - C’est marrant comme le Destin fait bien les choses, vous ne trouvez pas ? commença-t-il en reportant son attention sur le gringalet qui leur faisait alors face, son éternel sourire amusé aux lèvres ; étant incapable de forcer son visage à mentir, cependant, celui-ci prenait des teintes satisfaites alors que son intonation moqueuse trahissait le fin fond de sa pensée. Mon ami et moi avons besoin un bateau, vous recherchez des métaux précieux.. pourquoi ne pas nous arranger ? À défaut d’or, j’ai ici un spécimen d’acier qui, j’en suis persuadé, s’accorderait parfaitement à votre dentition. »

Sur ces mots pour le moins menaçants mais toujours prononcés avec légèreté, il désigna son labrys d’un signe de tête, jetant dans le même temps un coup d’œil à Rägmor qu’il avait dans le même temps embarqué dans l’aventure. Même s’il ne doutait pas de ses capacités, voir une épée reposer sur le flanc de ce dernier le rassura assez pour qu’il reporte son attention sur le malfrat en rajoutant, exagérément doucereux :

« - Évidemment, si vous vous sentez l’âme généreuse, vous pouvez tout aussi bien nous offrir votre embarcation pour continuer votre route. On m’a toujours loué le grand cœur que vous autres, sédentaires de l’Archipel, pouvait faire montre. »

Bjørn ignorait quel coup du Destin l'avait amené à sur la route de son confrère barbare, mais il remerciait le ciel d'avoir été assez aimable pour lui permettre de le rencontrer. Il s'avéra être un bien meilleur navigateur que lui, et si le salinéen l'ignorait lorsqu'il accepta la requête de Rägmor quant à prendre les rames de l'embarcation, il n'eut pas à en souffrir. La mer était propice à une traversée agréable et, tandis que ses yeux voyageaient au gré des flots, observant l'écume pour mieux se river sur l'île qui était alors leur destination. Parfois, il se permettait un coup d'œil vers son vis-à-vis qui, bien qu'aussi silencieux que lui, semblait tout à fait serein.

Bien entendu, il remarqua le blason plus ou moins mis en avant que le pagne de celui-ci. Ce serait mentir que de dire que Bjørn n'en avait jamais entendu parler ; bien que ne s'y étant jamais intéressé davantage que ça, il avait plus ou moins saisi l'idée idéologique du mouvement. L'Origine, s'il se souvenait bien. Quelque chose dans ce goût-là, en tout cas. Rien qui ne lui semblait négatif ou menaçant, cependant ; il avait toujours respecté les croyances de ses pairs, et les buts de ce groupuscule allaient, de surcroît, dans un sens respectable. Un petit sourire aux lèvres, Bjørn se remit à observer l'horizon en attendant la fin de la traversée.

Une fois pied à terre, le barbare prit le temps de s'épousseter avant de scinder les ruines du regard. Bien. Gonflant son torse de satisfaction, Bjørn resta une seconde immobile avant de relâcher l'air en un soupir las. Il n'avait aucune idée de par où commencer. Comme pour répondre à ses pensées, Rägmor reprit la parole et le salinéen se permit d'émettre un rire amusé avant de lui rendre son sourire.

« - Ne te donne pas cette peine, je n'ai rien à cacher. répondit-il avec légèreté, jetant un coup d'oeil à l'arme de son compagnon sans pourtant en faire un quelconque commentaire ; plus rien ne l'étonnait, dans ce Monde - ou, en tout cas, des armes insensibles à l'eau ne le faisait pas tomber des nues. Je recherche quelque chose qui pourrait être inhabituel dans ces ruines. Je ne sais pas, as-tu déjà entendu parler d'une.. source de magie, d'un artefact, d'un parchemin secret dissimulé ? rajouta-t-il, un peu désabusé, avant de réaliser quelque chose et de tendre sa main à Rägmor, affable au possible. Tu peux m'appeler Bjørn. »

Rägmor entama les présentations, comme toute bonne personne se doit de le faire en signe de respect. Il serra la main à Bjørn et se présenta à son tour.


Il termina cette déclaration d'un rictus : Il avait déjà mis Bjørn devant le fait accompli. Rägmor était prêt à aider Bjørn dans ses recherches. De toute manière, il ne s'était jamais vraiment aventuré dans les ruines de la Muerta et peut-être en apprendrait-il encore plus sur son peuple. Il invita le salinéen à le suivre en direction des ruines où ils trouvèrent facilement l'entrée d'un tunnel en profondeurs qui s'étendait sous les eaux : Des constructions aussi spectaculaires que risquées. Le moindre choc pourrait faire s'écrouler les murs et l'eau inonderait l'ensemble des édifices, noyant Rägmor et Bjørn sur son passage.

Avant d'entamer la première descente dans les profondeurs, Rägmor se retourna une dernière fois vers son compagnon.


A ces mots, Rägmor plaça une main sur l'épaule de Bjørn en signe de respect. Il espérait un même retour de sa part, qu'ils puissent se faire confiance mutuellement pour la suite de leur aventure (et il était essentiel que le respect soit imposé dès le début, au risque que cela leur coûte la vie).



[HRP : J'ai tendance à faire peut-être un peu trop avancer les choses ! Si ton personnage n'est pas du genre à se lancer dans une aventure dans des ruines sous les eaux, ou dans une aventure tout court, préviens-moi au plus vite que je puisse changer le texte !]

Spoiler:

Une relique magique qui lui avait permis d’en apprendre davantage sur son peuple.. Rägmor avait beau mériter toute sa sympathie Bjørn ne put s’empêcher d’esquisser un petit rictus déçu. Il ne doutait pas de l’utilité que cela pouvait avoir aux yeux du barbare – sans compter la valeur sentimentale – néanmoins le salinéen ne voyait pas à quoi cela l’avancerait si l’île ne recelait rien d’autre que ce genre d’objets magiques.

La chance avait cependant l’air de souffler dans son sens car, outre la gentillesse et la serviabilité dont il avait fait preuve depuis leur rencontre, Rägmor connaissait les lieux. Il semblait d’ailleurs lui tenir à cœur de mettre le tout à disposition du barbare.

« - Les souterrains, hé ? répéta-t-il en un sourire amusé, visiblement assez emballé par l’idée. J’imagine que l’on n’a rien à perdre. »

Tout était davantage souhaitable que la sensation atroce d’avoir échoué une mission royale ; Bjørn redoutait à la manière d’un enfant ramenant une mauvaise note de l’école le regard sévère de son monarque s’il lui expliquait qu’en plus de revenir les mains vides (ce qui pouvait être largement excusable) il n’avait même pas fait l’effort de recherche quoi que ce soit à la première difficulté rencontrée (ce qui l’était beaucoup moins). Si Rägmor ne trembla légitimement pas devant l’entrée humide du tunnel, Bjørn lui y posa un regard méfiant. L’on ne craignait pas de mourir tant que l’on était certain que ce ne soit pas bêtement sur un caprice naturel trop chaotique pour être prévisible.

Le discours de Rägmor ne laissa pas le cœur de notre salinéen insensible et, un sourire amical aux lèvres, il imita son geste en scellant leur nouveau partenariat bien mieux encore qu’une poignée de main impersonnelle.

« - Sache mon ami que je ne remercierais jamais assez Cervin de t’avoir mis sur ma route. Tu as une âme de salinéen et ma patrie sera désormais ton alliée aussi longtemps que tu le souhaiteras – j’y veillerais personnellement. Ma redevance t’est éternelle. »

D’un geste du bras Bjørn invita Rägmor à ouvrir la voie tant l’entrée était trop étroite pour leur permettre d’y pénétrer tous les deux en même temps, preuve s’il en était de la confiance qu’il lui accordait désormais. Lui emboîtant le pas en attendant la première opportunité de se ranger à ses côtés, Bjørn espéra tout de même qu’il y avait quelques torches un peu plus bas.

« - Dis-moi Rägmor.. Le blason sur ton pagne, que représente-t-il exactement ? » demanda-t-il un peu à retardement, certes pour faire la conversation mais plus il y songeait, plus il se sentait intrigué par cet.. horizon ? Mince, il n’arrivait pas à mettre le doigt dessus.

Tout en se saisissant de la torche que lui tendait Rägmor, le remerciant d’un signe de tête affable dans le même temps, Bjørn laissa son esprit vagabonder quelques instants sur ce que son vis-à-vis venait de lui expliquer. Quelque part, la chose lui parlait ; assurément, si Harald n’avait pas une telle emprise, même involontaire, sur sa personne, il aurait sûrement demandé des détails à Rägmor et, pourquoi pas, aurait terminé par rejoindre sa cause. Son allégeance cependant était bien trop profondément ancrée en son Roi que l’idée passa dans ses pensées aussi rapidement qu’ils changèrent de sujet.

Alternant le silence et les discussions diverses, les deux amis s’enfoncèrent dans les dédales du souterrain, réalisant au fur et à mesure de leur progression le labyrinthe qui les avait alors englouti. Si son compagnon d’infortune eut l’excellente idée de dresser un ersatz de carte pour leur permettre de ne pas s’égarer, Bjørn sentit un mal d’aise croire en lui au rythme de leurs pas. Il n’était pas claustrophobe, ni particulièrement peureux, mais – et il était certain de ne pas l’imaginer – les murs s’asséchaient et l’ambiance, de ce fait, devenait de plus en plus lourde. Faisant craquer son cou pour relâcher l’espèce de tension qui s’y était accumulé, le salinéen répondit à demi-mot à l’étonnement de Rägmor, approuvant l’étrangeté de cette évaporation sans pour autant creuser le mystère. Après tout, la magie n’était pas de son ressort, et il doutait que la Nature seule soit la cause de cet événement.

Comme pour répondre à ses interrogations, des voix lointaines leur parvinrent, semblant réciter quelques rimes désuètes ; il lui suffit d’échanger un regard avec Rägmor pour savoir que ce n’était pas son imagination qui lui faisait des tours et ils accélérèrent d’un même élan. Les voix se firent de plus en plus audibles, sans pour autant que Bjørn ne fut capable de déchiffrer le fond de ses psalmodies. Dégainant lentement son labrys pour l’avoir en main, il n’eut aucune intention belliqueuse instinctive mais préférait être sûr de ne pas se faire surprendre et d’être prêt à faire face à toutes éventualités.
« - Une idée de ce que ça peut être ? » prit-il tout de même le temps de demander à voix basse. On ne savait jamais, si Rägmor était du coin et qu’il était là question de quelque chose de régional..

Les incantations sifflaient désagréablement aux oreilles de Bjørn qui en plissa les yeux, ses doigts se crispant autour du manche de son labrys tandis qu’il remarquait du coin de l’œil que son compagnon faisait de même. Leurs positions défensives, presque tendues, étaient plutôt ironiques ; il n’était pas courant de voir deux forces de la nature de leur acabit se mettre en garde pour des chants, mais ces mots étrangers, les torches étrangement éteintes, cette fumée bleuâtre et cet endroit étrange étaient une accumulation suffisante pour faire se sentir vulnérable jusqu’à Galaad lui-même, Bjørn en était certain. Hochant la tête aux mots de Rägmor pour acquiescer, le salinéen se redressa avant de s’avancer vers la porte, pas réellement confiant mais pas assez désarçonné pour perdre sa stature. Retroussant le nez alors que la fumée commençait à atteindre son odorat, il eut peur un instant que celle-ci soit empoisonnée et retenu son souffle en posant sa main libre sur le bois.

Bien sûr, il n’allait pas attaquer en premier : Rägmor avait raison et il partageait son point de vue, inutile de trancher trois innocents aussi sorciers étaient-ils à cause de la panique. Mais Bjørn avait une appréhension certaine au fond des entrailles, et bien qu’il n’avait jamais eu un sixième sens très affuté il était prêt, cette fois-ci, à lui faire aveuglément confiance.

La porte était chaude, ferme, loin d’être humide malgré son emplacement dans une grotte sous-marine. Mais hé, pouvait-on vraiment encore affirmer qu’ils étaient dans une grotte sous-marine, vu les changements édifiants et pour le moins étranges qu’ils avaient observés en s’enfonçant dans ce tunnel ? Échangeant un regard avec son ami, le souffle toujours coupé, il attendit d’échanger un signe de tête avec celui-ci avant de pousser le panneau, doucement, silencieusement, pour leur permettre d’observer l’intérieur de la pièce ou qu’importe ce qui les attendait derrière cette porte sans se faire repérer.

Spoiler:

Le spectacle était tout simplement répugnant. Au-delà des psalmodies étranges et indubitablement désagréables aux oreilles, Bjørn ne comprenait pas davantage le petit manège que ces étranges personnes effectuaient. L’autel, leurs mouvements étudiés, la lumière surnaturelle, tous ces détails bien sûr lui faisaient penser à un déroulement magique, peut-être même un sacrifice : quoiqu’il en soit, tout ça ne lui plaisait guère, et un regard en coin lui permit de dire que Rägmor en pensait autant. Fort heureusement l’un comme l’autre avaient le cœur bien accroché, ce qui leur permit de ne pas aggraver la situation lorsque, justement, tout devint encore pire que ce à quoi ils assistaient déjà. La théorie du sacrifice revint hanter l’esprit de Bjørn alors qu’il observait l’homme allongé, un rictus dégoûté aux lèvres, se déformer pour mieux se vider d’un liquide étrange, mais il ne put s’empêcher de sursauter lorsqu’il explosa.

Immobile, les yeux écarquillés, le salinéen ne put s’empêcher de se demander quelle était-là la magie en question : si ça ne pouvait tenir que de la magie noire, impure dans son esprit, il se sentit répugné à l’idée que n’importe qui puisse mettre au point une telle immondice. Lorsqu’il croisa de nouveau le regard de son compagnon, il comprit qu’ils étaient mués des mêmes sentiments et il ne lui en fallut pas davantage pour ouvrir la porte, passant outre le fait qu’un autre fou s’était installé à la place du précédent. Il ne voulait pas rester davantage passif.

Là, alors que la porte claquait contre le mur et que toute la salle tournait vivement des paires d’yeux sur eux, il pesta une demi-seconde dans son esprit, se blâmant qu’il n’était pas le meilleur orateur que la Terre puisse porter et qu’il aurait peut-être dû laisser Rägmor s’occuper du préambule.
« - Navré d’interrompre votre petite sauterie mais je suis plutôt sûr qu’il existe des lois contre ça. articula-t-il alors, son labrys en main, pas réellement à l’aise mais n’en laissant rien transparaître. »
En temps normal, il n’aurait sûrement pas fait de l’esprit, mais faire face à de la magie, quelle qu’elle soit, avait tendance à le faire agir.. plutôt bêtement. Comme s’il voulait prendre le problème avec des pincettes pour mieux le couper à la racine une fois assuré qu’il ne risquait pas de se retrouver affublé d’une malédiction – ou pire, mes aïeux. Ou pire.

La tête de dix kilomètres de long que Bjørn se permit de tirer lorsqu’ils se firent dépasser par le nombre presque instantanément n’était clairement pas à l’image de son état d’esprit : s’il ne paniquait pas – encore – il était totalement dépassé par la situation. S’il avait pensé pouvoir la gérer à la base, aidé de son nouvel ami aussi largement bâti que lui, il resta désœuvré un quart de seconde, observant ces têtes de serpent sortir de toute part pour mieux les cerner. Bien vite cependant il fronça les sourcils avec détermination, hochant la tête à la proposition de Rägmor pour mieux le suivre dans le dédale par lequel ils étaient arrivés. En vain, bien évidemment, et n’ayant d’autres choix que de prouver son honneur, il se saisit fermement de son labrys pour mieux commencer à faire ce qu’il faisait de mieux : découper, au nom du Roi, de sa patrie et de son nouveau compagnon qu’il n’aurait pour rien au monde abandonné à ce sort.

Mais les voies de la magie sont impénétrables et bientôt le salinéen vacilla pour mieux s’effondrer, endormi, contre le sol. Pensant son heure venue, sa dernière pensée alla à Harald ; au moins, se dit-il, il serait mort en répondant à l’un de ses ordres.

Lorsqu’il rouvrit les yeux, Bjørn, qui ne s’attendait visiblement à ce coup du sort, laissa s’écouler quelques secondes avant de se redresser vivement. Sa tête était lourde, contrecoup de l’étrange fumée qu’il avait inhalé sans doute, mais à part ça, il était entier. Sûrement avaient-ils été traînés comme de vulgaires sacs à patates, mais son recouvrement exceptionnel avait pris soin de faire disparaître les minces coupures et hématomes que cela avait pu engendrer sur son corps. Reniflant son désarroi, il jeta un coup d’œil autour de lui : ils étaient dans une alcôve et il devinait quelqu’un, sûrement un garde, à la sortie de celle-ci. Ils étaient attachés, mais les liens n’étaient pas quelque chose de rédhibitoire pour leurs personnes, aussi Bjørn se sentit-il rasséréné à cette idée. Ils n’étaient pas condamnés.
« - Rägmor ? Tout va bien ? lança-t-il à son voisin, n’étant pas certain que celui-ci soit réveillé mais commençant d’ores et déjà à jouer de ses poignets pour se libérer. »

Rägmor se réveilla dans une alcôve sombre. La lumière passait très peu. Les lieux sentaient la moisissure et le cadavre : Ils n'étaient pas les seuls à être passés par ici, et Rägmor avait l'intime sensation qu'ils ne seraient pas les derniers.


Rägmor répondit d'un oui bien net. Il tentait de distinguer les lieux mal éclairés. Dans le silence, ils entendaient d'étranges voix au-dessus d'eux. Les voix se répétaient dans une même harmonie que ce qu'ils avaient entendu précédemment. Il semblerait que de mêmes abominations soient effectuées, et leur emprisonnement leur empêche de sauver des vies sacrifiées. Rägmor ébouillanta de rage. Il ne serait pas l'acteur ni la victime de toutes ces exactions.

Alors qu'il s'apprêtait à essayer de briser les barreaux qui les retenaient, la porte s'ouvrit. L'un des acolytes recouvert d'une capuche s'approcha des deux individus.

A la fin de ce discours, d'autres acolytes s'approchèrent et ligotèrent Rägmor et Bjørn afin qu'ils ne puissent pas se défendre. Ils furent conduits à travers d'étranges couloirs traversés par des fumées malodorantes. Les murs étaient recouverts de traces et liquides verdâtres. Parfois, certaines prisons étaient creusés dans la pierre et renfermaient d'étranges créatures à apparence humanoïde. Rägmor écarquilla les yeux : Il avait déjà vu cette scène quelque part et tout lui revint rapidement. Les acolytes étaient en train de les conduire droit vers le scientifique Antripus, génie du mal et créateur d'une nouvelle magie et alchimie qui relevait les morts. Il avait déjà rencontré Rägmor auparavant.

Bjørn jeta un coup d’œil à Rägmor lorsque celui-ci lui répondit, comme pour s’assurer de la légitimité de son état, mais ne fit aucuns commentaires. Libérant ses mains des liens qui les emprisonnaient, il se remit debout dans le même mouvement que son ami, massant paresseusement son épaule tout en réfléchissant à la situation. Bien. Il y avait plusieurs possibilités : la manière forte semblait la plus adaptée compte tenu de leur gabarit respectif, cependant s’ils leur retombaient encore sur le coin de la gueule à cent ils reviendraient vite à la case prison sans passer par la case départ et sans toucher une once d’honneur pour cela. Grimaçant quelque peu, le salinéen observa la cellule dans tous ses recoins sans parvenir à trouver une autre solution ; l’odeur et l’environnement n’aidant pas à la chose, il s’apprêtait à se concerter avec Rägmor lorsque le garde vint les visiter. Le discours qui leur tint n’émoustilla pas réellement le barbare des glaces mais, pour la forme, il lui jeta un regard dépité. Bjørn n’avait rien contre le fait d’être traité de pantin car, au fond, c’est ce qu’il était et il en était plutôt fier, aussi surprenant que cela pouvait paraître.
« - Qu’est-ce que.. marmonna-t-il néanmoins lorsqu’on revint l’attacher : lui qui avait mis si peu de temps à se libérer auparavant. »

Et c’était reparti pour une petite exploration caverneuse. Las mais loin d’être rassuré puisque son sort lui semblait alors complétement imprévisible, Bjørn se laissa guider en échangeant un regard avec son ami. Là, il sembla remarquer le changement d’attitude de ce dernier et, haussant un sourcil curieux, lui lança plus pour la forme qu’autre chose :
« - Quoi, ça te dit quelque chose ? demanda-t-il presque légèrement en observant les créatures enfermées sur leur chemin. »
Rien de ragoûtant, en définitive. Et cela le fut encore moins lorsqu’ils débouchèrent sur une nouvelle grande salle où semblait les attendre sagement un homme. Homme qui ne disait rien au salinéen, d’ailleurs : placide, celui-ci l’observa en silence, préférant le laisser démarrer les hostilités avant de l’envoyer se faire paître. Ou pas, d’ailleurs, tout dépendait de la menace magique qui allait peser sur sa tronche, mais ça.

Bjørn avait beau être un barbare avec le cœur bien accroché, il ne put s’empêcher de plisser le nez lorsque le type retira sa capuche. Il était d’une répugnance sans nom, donnant au salinéen l’envie de détourner le regard alors même qu’il ne se sentait pas réellement acculé. Il s’agissait simplement là d’une sorte d’instinct de conservation et, levant une main pour se frotter le philtrum avec le dos de son poignet, il tenta par là-même d’atténuer l’espèce de nausée dégueulasse qui venait alors à peine de s’installer dans son estomac. Il y avait des créatures – car cette chose n’avait plus rien d’humain – que Bjørn se sentait l’envie presque immédiate d’exécuter d’un revers de labrys, proprement, rapidement, sans bavure. Atripus en faisait incontestablement partie ; pire encore, le salinéen ressentait pour la première fois le besoin de s’exécuter dans la seconde.

Le concerné s’approcha d’ailleurs d’eux pour mieux s’adresser à Rägmor et son compagnon sentit ses poils se hérisser à l’écoute de la voix lente et sifflante de la carcasse décharnée. Pitié qu’il ne s’adresse pas à lui, songea Bjergsen en pinçant les lèvres, semblant retenir sa respiration pour ne pas avoir à respirer une once de l’odeur qu’Atripus pouvait dégager, aussi bien corporellement qu’en exhalant son haleine qu’il imaginait putride. Bien sûr néanmoins ce n’était qu’une demande dans le vide car bien vite le regard de la créature se porta sur lui et l’interpellé leva les yeux au ciel, presque déçue de la question.
« - Inutile de s’attarder en palabres inutiles, après tout vous êtes déjà au courant de mon identité – oh et à ce sujet, je ne crois pas que quoi que ce soit vous ai jamais donné la légitimité d’appeler le Roi Wallah par son prénom. répliqua-t-il en haussant un sourcil agacé, pas réellement provocateur mais simplement impatienté par cette mascarade qui n’était pas sans lui rappeler les danses et fioritures inutiles dans lesquelles les terrestres aimaient à se vautrer sans vergogne. Allons-en au fait, qu’est-ce que vous voulez ? grogna-t-il ensuite en jouant sur ses chaînes, marquant la fin de sa phrase par un petit cliquetis discret. »