~ Princesse de Flore ~
- Citation :
- Raconte ta fuite de Flore lorsqu'Aile Ténébreuse l'a envahi.
Je m'éveillais au moment même où l'aube pointait à l'horizon. Repoussant les mèches qui tombaient sur mon front, je me relevais et regardais autour de moi. Apparemment je m'étais endormie à même le sol. La robe blanche cousue de fils dorés que j'avais revêtu la veille était à présent tâchée de terre et toute plissée. Me penchant au-dessus du lac auprès duquel je m'étais réfugiée, mon reflet me renvoya un visage que je ne reconnus point et qui me fit presque peur.
J'avais fêté mes 16 ans hier soir et pourtant mon visage semblait avoir vieilli en une seule nuit. Oui, "narcissiquement" moi ce genre de pensée. D'ailleurs, si l'on prenait la peine de bien y regarder, on pouvait même voir les sillons des larmes qui avaient séchées sur mes joues quand j'avais du m'affaler de fatigue. Prestement, je défis les boutons de nacre qui retenaient ma tenue d'apparat, dénouai les rubans qui retenaient le savant montage que composaient mes cheveux et libre de toute entrave, je pénétrai dans l'eau fraîche qui s'étalait sous mes pieds.
Disparaissant sous la surface de l'eau miroitante, je n'en émergeai que quelques minutes plus tard pour finir mes ablutions. Ce petit interlude m'avait permis de remettre mes idées au clair et j'étais à présent décidée sur la conduite à tenir une fois rentrée à Flore. Avant, il fallait juste que je retrouve un peu de ma respectabilité. On disait de moi que je n'étais qu'une égoïste ? qu'une ingrate ? une incapable ? et autres adjectifs tout aussi péjoratifs ? que nenni, je leur prouverai que je méritais ma place, quoiqu'on en dise.
En quelques minutes, je fus prête et repris la route qui menait à ma cité, pleine d'assurance et peut-être aussi un peu d'espoir. Il ne me restait plus que quelques mètres quand mon attention fut attirée par une ombre gigantesque qui passa à toute vitesse au-dessus de ma tête, faisant bruisser alentour les feuilles des arbres de la forêt. Qu'est-ce que cela pouvait bien être ? Flore était une contrée paisible, et ce depuis la nuit des temps. Je n'eus guère le temps d'y penser plus longtemps car une cavalerie dans mon dos fit trembler la terre et me déstabilisa.
A quelques pas de moi, une armée avançait avec force et hargne et... j'ai honte de le dire mais j'eus peur. Amortie par des buissons, je me blottis dans leurs branches et priais pour que l'on passe sans me voir. La nature dut m'entendre car personne ne remarqua ma présence. Comme si la forêt avait décidé de me cacher aux yeux de ces étrangers à l'aura si sombre. Quand ils furent tous passés, je me détachais donc de ces bras de bois et repris prudemment ma route quand une nouvelle fois je levais les yeux au ciel. A présent, celui-ci étincelait d'une étrange couleur orangée.
Malgré les cimes foisonnante des bois, je reconnus sans peine les conséquences d'un immense feu qui s'élevait. Je compris rapidement l'origine de cet incendie et cette fois-ci, sans plus prendre le temps de penser, je courus en direction de la cité. Quand je débouchai sur la place, au pied même du grand chêne qui m'avait vu naître, je vis les maisons et le palais incendiés, et mes soeurs tenter de fuir face à leurs assaillants. «
Pour notre seigneur ! » scandaient ces derniers sans même regarder qui ils touchaient, abattant inlassablement leurs armes et leurs chaînes sur toute vie à leur portée.
Je fus moi-même poursuivie et ce ne fut que par une quelconque grâce que je réussis à me faufiler à travers les ruelles jusqu'à me cacher dans le recoin d'une habitation abandonnée. De là, je pouvais voir mes soeurs prisonnières et enfermées, étroitement gardées par plusieurs soldats, et par je ne sais quelle magie, elles ne pouvaient y utiliser leur pouvoir d'invisibilité ou de transformation pour tenter de s'évader. Si j'avais eu plus de courage, peut-être aurais-je tenté de les aider mais mon coeur faiblit et je ne pus me résoudre à essayer. Fermant résolument les yeux, je me détournai donc et restai dans mon abri.
Quand les hostilités cessèrent, le soleil avait déjà fini sa course et les seules lumières de Flore étaient celles des cendres des dernières maisons qui se consumaient encore.
«
Qui vous gouverne femmes ? demanda une voix rauque.
-
La Nature », répondit l'une des prisonnières. A sa voix, je sus qu'il s'agissait de Lindë l'Impétueuse.
Un bruit sec claqua dans l'air et celle-ci tomba à terre.
«
Que ceci te serve de leçon femme. Vous êtes désormais sous le joug de notre seigneur et maître, Aile Ténébreuse. »
Plusieurs protestations se firent entendre mais elles furent bien vite interrompues par la force.
«
Peu m'importe que vous acceptiez ou non, vous n'avez pas le choix. Ceci est la fin de votre ère... » claqua une dernière fois l'obscure voix.
Tremblante, je perçus ces propos jusqu'au plus profond de mon âme et mon coeur déjà si lâche m'abandonna car je me laissais glisser à terre, ne sachant pas quoi faire. Devais-je me rendre ? Seigneur, je n'avais que 16 ans, des responsabilités m'incombaient, mon peuple me désavouait et voilà qu'avant même que je n'eus à monter sur le trône aux côtés des autres dirigeantes, ma cité tombait aux mains d'ennemis terrifiants.
Je restai prostrée ainsi de nombreuses minutes, probablement des heures, car quand je me décidai enfin à bouger, mes muscles endoloris me firent gémir de douleur. Erreur fatale de ma part car je fus repérée par des gardes qui patrouillaient. «
Là ! Là ! Il y en a une qui se cache ! » Oubliant mes manières, je me relevai promptement et déboulai sur la place affolée où mes soeurs prisonnières crièrent à mon encontre ce que je perçus pour la première fois comme une forme d'amour à mon égard.
«
Cours Eolia !-
Sauve-toi ! -
Ne reste pas ici.-
Fuis Eolia, fuis. »
Le fait que malgré tout elles tiennent à me voir en vie me rendit mon courage. Les mains tendues vers moi, elles me montraient le chemin à suivre. Elles durent s'apercevoir que j'hésitais car l'une d'entre elles se détacha du groupe et me cria de m'en aller et «
tout de suite ». Les larmes aux yeux, je reconnus Marny. Ma tendre et douce Marny. Je pensais qu'elle ne m'aimait plus pourtant sa voix et son regard me prouvaient le contraire. Sans un mot, je hochais de la tête et, le coeur lourd, je tournai les talons et disparus dans les ténèbres, obéissant pour la première fois à ce que mes aînées me demandaient.
Oubliée la fière adolescente que j'étais. Indifférente à mes vêtements déchirés et à mon allure, je fuyais les gardes d'AT sur mes talons, prêts à tout pour me capturer, et redoublais d'efforts. Plus d'une fois j'essayais de prendre la forme d'un animal ou d'un arbre mais je n'y parvins pas. Probablement étais-je encore dans le champ de protection que ces occupants avaient du mettre en place pour nous envahir. Pas le temps d'y penser, derrière moi les pas et les cris se rapprochaient dangereusement. Une nouvelle fois, je me concentrais. Cela me fit trébucher et je tombai lourdement à terre à l'instant même où la meute derrière moi jaillit. Incrédule, je les vis passer sans me voir et continuer leur chemin en me contournant, comme si je n'étais pas là.
Si un rocher avait pu s'exclamer, alors nul doute que j'aurai probablement signalé ma présence... mais les rochers ne parlent pas... et ne pleurent pas... aussi la nuit s'acheva dans le silence alors que commençait mon exil.