Combien de temps s’était-elle battu elle n’en savait rien… Tous ses membres la lançaient, accablés par diverses blessures, mais le géant qui tenait l’épée était tombé, enfin.
Son ancienne lame, émoussée, fendue par endroit, inutilisable gisait sur le sol, trempant dans la marre de sang qu’avait laissé son opposant. Lui semblait avoir depuis longtemps rejoint le royaume de Nayris.
Bordeau avait la tête qui tournait et même se souvenir de son propre nom lui aurait fait mal à la tête. Où était l’épée qui l’appelait où ? Où était-elle !
-Ah… Te voilà, viens ici, tu es à moi, à moi !! Dit-elle en agrippant l’arme métallique. Là alors elle fut envahie par l’esprit démoniaque de l’épée. Une étrange mélopée, une déclaration d’amour démoniaque.
N’importe qui d’autre aurait perdu l’esprit. N’importe qui d’autre serait devenu le pantin de cette monstruosité qui débordait d’un amour mauvais pour son manieur mais surtout pour ce qu’il pouvait lui apporter…
Mais Bordeau elle était différente… C’est comme si elle était capable de retourner la donne, de renvoyer le même genre de sentiment. Oh oui elle aimait déjà cette arme qui lui donnerait pouvoir et puissance, et elle ferait n’importe quoi pour assouvir sa soif de sang. Un amour des plus macabres venait de se créer entre eux.
-Oh oui, toi et moi allons rester ensemble pour toujours maintenant, je t’aime aussi ne t’en fais pas… Je t’aimerais toujours… Mais pour l’instant laisse-moi dormir un moment… Juste un petit moment.
Et la démone s’endormit ainsi la tête reposant sur l’énorme lame.

Elle-même ignora qu’elle était restée ainsi durant trois longues journées. Quand elle se réveilla ses plaies avaient en grande partie disparues, les démons ne fonctionnant pas de la même façon que les humains.
-Dah, Beurk ! Quelle odeur !
En effet, trois jours suffisent largement à rendre la puanteur d’un cadavre insupportable pour un nez délicat.
-Oui je sais, tu as soif… Je sais… Ne t’en fais pas.

Bordeau se leva et saisit son arme à la main, l’ancienne fixation dans son dos pour maintenir son ancienne épée n’était pas ajustée pour celle-ci, qu’à cela ne tienne, elle arracha elle-même sa carapace pour en créer une nouvelle plus adaptée.
Le liquide noir luisant s’écoula des pores de sa peau et pris lentement la forme voulue avant de durcir, passant du liquide à une forme plus malléable, puis à un étrange matériel presque métallique, bien plus résistant.
-Voilà tu seras bien là… La démone leva la tête lorsque le vent apporta un étrange bruit à ses oreilles. Ce son… Est-ce que ce serait, des pas ?

En effet au loin Bordeau pouvait entendre la marche d’un petit groupe. Tel un fauve elle se glissa dans les escarpements rocheux jusqu’aux visiteurs, des créatures semblant humaines venaient dans sa directions…
Peut-être pas que des humains, la plupart en fait semblaient différents. Plus petits… Ah oui des nains, c’est ainsi qu’on les appelle, se souvint-elle… Sans doute était-il venu pour l’ancien porteur de l’épée… Trop tard bien trop tard, cette merveille était sienne, et elle ne la donnerait à personne !!

Quand elle surgit devant eux, animé par son envie de bataille et celle de l’épée, les guerriers s’étonnèrent d’avoir à faire à une femme et non un homme comme les villageois l’avaient assuré. Le guide leur expliqua qu’il s’agissait d’une démone qui sévissait dans la région.

Les nains furent tout de suite mécontent, ce n’était pas ce qui était prévu, mais ils décidèrent de la retenir le temps que le mage humain la désensorcelle… Ce dernier s’exécuta et commença ses paroles magiques, s’étonnant tout de même de la vivacité de cette ennemie… Ne devrait-elle point ressembler à une vulgaire marionnette dirigée par une épée ? Et pourtant…

Bordeau avait un rire fou alors qu’elle bondit avec puissance sur ses assaillants, les griffes en avant, sa queue démoniaque enroulée contre la garde de son épée.
Déjà, l’arme virevoltait, décontenançant les petits assaillants. Elle n’avait pas combattu de nain depuis des lustres… Leur lourdes haches était à la fois dangereuse et protectrice… Il était si difficile de percer la garde de ces êtres trapus, la jeune femme rageait de ses nombreux échecs. Ils ne combattaient pas sérieusement, ils gagnaient visiblement du temps…

-Allons, allons, n’allez-vous pas me combattre plus hardiment que cela ? Il s’ennuie !
-Mais de quoi parle-t-elle donc… Magicien, combien de temps encore te faut-il ?
-Je… je crois qu’elle n’est pas ensorcelée…
-Comment ?!
-J’ignore par quelle miracle… ou plutôt diablerie cela est possible mais cette femme n’est pas contrôlée par l’épée… Elle… Elle semble presque s’entendre avec…
-Entre démon cela ne parait pas étonnant !!
Et sur cette phrase Bordeau fut blessée au bras par ce qui semblait être le chef des nains. Sa lourde hache et sa force avait brisé la protection sur son bras, entaillant la chair. Le sang coula bien vite…
-Je… Je vais essayer d’exorciser l’épée à distance.
-Il n’en est pas question !!
Le visage haineux de la démone était sincèrement effrayant lorsqu’elle prit son épée dans les bras comme pour la protéger.

Quelques gouttes de son sang glissèrent alors sur le métal froid et l’épée brilla d’une lueur rougeâtre.
-Hin hin… Ha ha ha ! HA HA HA !! Oui je comprends, je comprends tu avais si soif, mais maintenant sa va mieux… Achevons ensemble ces misérables !!
A voir Bordeau, ce qu’elle vivait semblait jouissif. Elle brandit l’épée au dessus d’elle et les picots noir ébènes sur ses flans se mirent à tourner à une vitesse folle, un vrai instrument du diable. Ceci donna un tournant décisif à la bataille, car cette arme endommageait maintenant sévèrement les armes et les armures de ses assaillants.
Le sang se versait de toute part, et plus l’épée en était couverte plus elle semblait pouvoir découper les matériaux solides en tranches.
Bordeau, elle, riait en découpant sans pitié le corps de ses assaillants. Et quand Crimsus cria si fort qu’elle l’entendit dans sa propre tête, souffrant face aux paroles du magicien, elle se jeta sur cet ennemi et le trancha en deux sans vergognes, envoyant voler la partie supérieure de son corps à travers le petit enfoncement dans les rochers, et le regarda heurter le mur et tomber inertes, alors que ses jambes juste en face d’elle tombait au sol comme une masse. Le pouvoir tranchant de cette épée semblait sans limite, son rire dément résonna jusque dans les vallées en contrebas.

-Ha ha !! Allez, venez, venez tous le nourrir, venez lui sacrifier votre sang et votre vie !!
Les nains tombèrent comme des mouches sous les coups violents et répétés de la démone qui semblait séduite par sa folie meurtière.
Puis Bordeau vit le guide s’enfuir sans demander son reste. Après avoir achevé tout ses assaillants de petite taille, elle se mua en prédateur et poursuivit le malheureux qui gémissait de terreur à chaque virage entre les pics rocheux.
-Je te tiens !! Cria-t-elle alors qu’elle s’apprêtait à l’achever.
Mais alors qu’il avait déjà vu toute sa vie défiler devant ses yeux, cette presque victime vit l’épée s’arrêter à peine quelques centimètres au dessus de lui.
-Que veux-tu dire « celui-là n’est pas bon »… Il n’est pas assez fort ? Oui, je comprends… Tuer la vermine n’a rien d’intéressant… Tu as raison… Elle se tourna alors vers son ancienne proie. Hey, tu entends l’insecte ? Hors de mon chemin !!

Le guide s’en alla en hurlant sa terreur, sous le regard amusée de la démone.
-Ah c’est à la fois drôle et ennuyeux, bizarre n’est-ce pas ? Que dis-tu ? Le suivre… oui bonne idée suivons-le… Allons voir si à son village il y a quelqu’un de bien…

Mais il n’y avait personne de « bien ». Juste des êtres terrorisés osant à peine la défier du regard.
-Eh toi, dit-elle en saisissant un jeune homme au regard agressif pas la gorge, ne me fais pas ses yeux là si tu ne veux pas te battre ! Ou alors dégaine ton arme, allez !! Fais quelque chose, montre-moi ce que tu vaux !!
Mais l’homme effrayé de perdre la vie, baissa les yeux. Elle le balança alors comme un vulgaire paquet contre le mur d’une des petites maisons.
-Vous êtes ennuyeux !! Tous, tous des bons à rien ! C’est ça la différence entre nous les démons et vous les races inférieurs ! Vous gardez ceux qui ne servent à rien ! Si tu ne peux te défendre alors meurs !! Votre peuple ne mérite que le dédain ! Vous feriez mieux de tous disparaître !

Elle ragea encore pendant un moment jusqu’à ce qu’un enfant, un jeune garçon excédée de la voir terrifier tout le monde, finissent pas lui dire d’une faible voix.
-L’arène de Sen’Tsura…
Tous se figèrent devant cet acte de bravoure. Chacun espérait secrètement qu’elle finisse par s’en aller d’elle-même…
-Hein ? Son visage n’était pas très interrogateur, plutôt autoritaire, elle lui intimait clairement l’ordre de répéter plus fort.
-Les… les grands parlent parfois d’une arène ou les méchants se battent à morts… Normalement on force les gens à y aller mais il y a des volontaires aussi parfois… Des… des fous…
-Ouuuuh, et c’est vrai ça ? … … C’est toi le père non ? C’est vrai ce que dit ton gosse…
-Hum…
-La madame à poser une question, réponds avant qu’elle se fâche… T’AS COMPRIS ?
-C’est vrai, c’est vrai, il y en a une dans les contrée de la Terre, c’est le grand démon qui l’a instaurée pour se divertir, on en sait pas plus…
-Eh ben voilà… Elle avait un sourire faussement amical qui ne trompait personne, avant de reprendre un visage plus dur. Donnez-moi des vivres et un cheval et vite…

Tous restèrent coi devant cet ordre sortit de nulle part.
-J’ai dit vite ! Ou je me sers moi-même, et j’ai rien contre la chair humaine !! Surtout celle des jeunes, c’est plus tendre !
Les malheureux s’activèrent donc et lui fournirent ce qu’elle voulait, il n’avait pas le choix et beaucoup la maudirent à voix basse.
-J’espère que c’était votre meilleure bête !
Fut la dernière phrase qu’elle leur adressa avant de lancer l’animal au galop vers l’ouest, ou se trouvait la capitale de la Terre.

-Allons-y Crimsus et devenons une légende qui fera couler autant d’encre que de sang… Je ferai de toi la première épée démoniaque à s’incarner… Oui, ensemble nous deviendrons les plus grands de ce monde !