Lencart n'est pas quelqu'un de facilement abordable. Aussi froid qu'un iceberg sur la banquise, il semble être aussi sociable qu'un puma atteint de pneumonie. Et c'est vrai que lorsqu'on l'entend soupirer, affichant son habituel air las voire carrément désespéré, on a de quoi se demander si on ne le gênerait pas un peu... Et quelque part, c'est le cas. L'agitation, les bavardages inutiles qui durent des heures... Tout cela l'exaspère au plus haut point. Déjà que c'est suffisamment le souk dans sa propre tête, alors si en plus ça le devient à l'extérieur... Il risque de perdre patience.

D'ailleurs, venons en à ce dernier point. Oui, le souk dans sa tête. Alors ça, pour être le souk, c'est le souk... ! Si je puis même me permettre d'user d'un langage un peu plus imagé... Disons le carrément, c'est le bordel. Non seulement Len' n'a jamais été quelqu'un de très équilibré mentalement, mais l'âge ne l'a pas arrangé.
Eh oui, ce charmant homme est atteint de schizophrénie. Pour ceux ou celles qui ignoreraient encore de quoi il s'agit, c'est une maladie mentale qui... Comment dirais-je... Fait qu'on est plusieurs dans sa tête. En gros. A l'origine, Lencart est un être au tempérament pour le moins sanguin, dirons-nous. Un rien suffit à le mettre en colère, et chez lui on exprime ce sentiment par des coups. Oh, il n'est pas fondamentalement mauvais, disons juste qu'il a du mal à se canaliser. Mais depuis quelques temps, son autre personnalité arrive le rendre plus doux et plus modéré. Len' n'en reste pas moins un combattant aguerri au sang chaud et aussi froid qu'un glaçon, mais au moins il ne plante plus sa lame dans la poitrine du premier plouc venu qui lui aurait manqué de respect.

Résultat de ce "handicap" mental, Lencart est quelqu'un d'assez lunatique, qui peut changer d'avis du tout au tout en à peine une fraction de seconde. De plus, il ne s'ouvre que très rarement. Une véritable huître, je vous dis. Il n'y a qu'à Galaad qu'il arrive à s'ouvrir un tantinet... Mais pas totalement. Avouons-le, il y a des choses que Galaad ferait mieux d'ignorer... Comme le fait qu'il soit malencontreusement tombé amoureux de la chère et tendre de son meilleur ami. Oui, ça, il vaut mieux que personne ne le sache.

Lencart était le dernier né d'une famille nombreuse. Son père était un forgeron d'exception, mais dont les compétences n'étaient pas reconnues. Son atelier était modeste, tombant même par endroits en décrépitude. Cette forge d'aspect miteux n'attirait pas les clients les plus riches, qui préféraient aller dans celles se trouvant dans les grandes villes. La vie n'était donc pas tout les jours facile. Mais ils s'en sortaient tant bien que mal.

Dans leur village, les Gralhin ne faisaient pas vraiment partie des familles les plus appréciées... Il faut aussi préciser que depuis sa plus tendre enfance... Len' causait déjà de sérieux problèmes. Impulsif et sujet aux coups de sang, il lui arrivait souvent de s'en prendre à ses camarades pour des broutilles. Vous savez, celles du genre "Il m'a volé mon jouet... !"... Eh bien Lencart ne s'embarrassait pas de manières. Il se contentait de cogner, tout simplement. Courir aller chercher les adultes ? Mais pourquoi faire ? Il pouvait très bien se débrouiller tout seul.
Seulement voilà, ça ne plaisait pas à tout le monde. A commencé par sa propre fratrie. Ses trois frères aînés le regardaient d'un sale oeil, jugeant que quelque chose clochait en lui. Quelque part, ils avaient tout simplement peur, car ils ignoraient jusqu'où pouvait aller Lencart. C'est humain de craindre ce qu'on ne connaît pas. Cependant, le benjamin ne parvenait pas à comprendre pourquoi ses propres frères le craignaient, et en a gardé une certaine amertume. Ce qui, forcément... Ne l'a pas arrangé.

Les années passèrent, et Len' grandit. Son caractère ne s'adoucit pas pour autant. Bien au contraire. La moindre peccadille donnait lieu à de véritables règlements de compte. Parfois, les choses allaient même très loin... Mais fort heureusement, personne n'en était mort. Pour le moment, du moins.
Pour essayer de canaliser ses pulsions plutôt violentes, son père lui enseigna l'art de l'escrime. Etonnamment, Lencart se montra être un élève attentif et assidu, qui fit la démonstration d'un grand talent lorsqu'il s'agissait de manier l'épée. Mais ça ne l'aida à se calmer.

Ce qui devait arriver arriva, forcément. Emporté par son élan et aveuglé par la colère, Len' se rendit coupable d'un meurtre. Paniqué et complètement déboussolé, le jeune homme s'enfuit de chez lui sur un coup de tête, au petit bonheur la chance.
Lencart finit par s'arrêter de courir au plein milieu d'une forêt. La raison ? Bah il s'était perdu, tiens. Eh oui, quand on est doué, on est doué, hein... Torturé par la culpabilité, il se recroquevilla dans un coin, contre le tronc d'un arbre, se mettant à pleurer sans pouvoir se contrôler. Qu'on soit sujet aux coups de sang n'empêche pas d'être un Humain. Et tuer, on pourra dire ce qu'on veut, mais ce n'est pas un geste anodin. A vrai dire, Len' se sentait si mal à cet instant, qu'une pensée lui traversa l'esprit, comme un éclair de lucidité. S'il avait pris une vie... Il serait logique qu'il perde la sienne en échange, non... ? En tout cas, c'est ce qui, sur le coup, lui paraissait le plus logique.
Lentement, le jeune homme tira son sabre de son fourreau, ses sanglots comme apaisés par la perspective de mourir ici et maintenant. Le mieux serait de se tailler les veines... Ce serait le plus rapide, et le moins douloureux. Lencart poussa un profond soupir, et posa le tranchant de sa lame sur son poignet gauche. Au moment où il allait entailler sa chair... Une voix fit irruption dans son esprit.

*Qu'est-ce que tu fabriques, espèce d'idiot ? Si tu crois que c'est comme ça que tu vas te racheter, détrompes-toi. Se suicider, c'est de la lâcheté pure.*

Le jeune homme lâcha son arme, les yeux écarquillés de stupeur, se relevant d'un bond pour jeter des regards nerveux alentours. Passant la main sur ses joues encore inondées de larmes, Len' ramassa son sabre se mettant en garde.

- ... Qui a parlé ? Montrez-vous !

*Tu peux t'agiter, tu ne me verras pas. Je suis dans ta tête. Enfin, en quelque sorte.*

- .... Dans ma tête ?

*Tout à fait. Disons que... Tu as un grain.* rit la voix. *Si tu meurs, je meure. Et je n'y tiens pas. Il y a mieux à faire, bien mieux à faire. Pour te racheter, tu pourrais très bien... Voyons... Et si tu entrais dans l'armée ? Tu pourrais protéger les plus faibles.*

- Dans l'armée... ? Je ne suis même pas sûr de pouvoir tolérer l'autorité d'un autre...

*Oh allons... Tu es plus tolérant que tu ne crois. Et je serai là pour te calmer. Crois-moi, tu as tout à gagner en m'écoutant.*

- Bon...


Lencart suivit donc le conseil de cette Voix, qui le guidait depuis cet instant. Certes, il eut quelques petites problèmes avec l'autorité, mais somme toute, les choses se déroulèrent plutôt bien. C'est lors de son entraînement à l'armée qu'il fit la rencontre d'un homme qui allait être à l'origine du tournant le plus important de sa vie. Galaad et Len' se lièrent vite d'amitié. Ce genre d'amitié solide et durable, inébranlable, que rien ne peut atteindre. Pour la première fois depuis longtemps, le jeune homme sentit qu'il pouvait faire confiance à quelqu'un sans craindre d'être raillé ou trahi.
Lors d'une manoeuvre à l'extérieur, ils tombèrent dans une embuscade tendue par un groupe de bandits. Pris par surprise, les choses auraient pur très mal tourner... Mais pour une fois, le sang chaud de Lencart le servit bien. Tempéré un tant soit peu par la Voix, l'épéiste parvint à rester suffisamment lucide pour ne pas s'en prendre à ses propres alliés... Et ô miracle, il épargna même à son meilleur ami une mort douloureuse. Oh je sais, ça n'a l'air de rien, comme ça... Mais le fait d'avoir pu se rendre utile lui a fait un bien fou.

*Tu vois, je te l'avais dit que tu avais mieux à faire...*

Et à quel point cette Voix avait raison ! Aile Ténébreuse prit le pouvoir, et Galaad, lui... Prit la fuite. Pas lâchement, non. Parfois, il faut savoir rester en vie aujourd'hui pour mieux se battre demain. C'est ainsi que naquit la Rébellion. Et forcément, Lencart en était.

Que les Démons viennent... Len' les attend.