Terra Mystica

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 Rosmarin

 
Rosmarin Sand-g10Ven 26 Juin - 15:19
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Il avait plus sans discontinuer durant dix jours. Les terres détrempées exsudaient une humidité constante, rendaient beaucoup de chemins impraticables et avait noyé la campagne sous des brumes, des brouillards et des bruines incessantes. Pas un instant le ciel s’était vidé ou éclairci de quelque manière que ce soit, et lorsque les averses s’apaisaient, comme un enfant las de trop pleurer, ses sanglots ne se réduisaient qu’à de grands et longs rideaux d’un crachin collant qui s’envolait et fouettait dans les airs sous la poussée d’un vent frais. La rivière d’Avara, gonflée par ces torrents venus du ciel, était sortie de son lit peu à peu, noyant les terres les plus basses autour du village et emportant au passage quelques chaumières trop proches de ses rives. Les pierres des lavandières avaient disparu sous la surface crevée de remous et de bulles brunâtres, et l’on voyait de loin en loin, sur la vaste étendue trouble, flotter quelques vestiges, des branches, des tonneaux et des objets soulevés par la crue.

La campagne s’était tue, figée dans cet hiver précoce où l’eau avait fait silence. Les terres vides, laissées en jachère pour l’hiver, exposaient leur flanc nu au crépitement de la pluie qui creusait les ornières et les sillons des chemins en les transformant en minuscules fleuves hardis et chaque creux en lac et en mare où les canards et les pluviers venaient pêcher une dernière pitance avant l’hiver. Les horizons se floutaient dans la grisaille, et un peintre maniaque avait transformé le paysage en un vertigineux camaïeu de teintes sourdes, de verts profonds et luisants dans les herbages couchés par le vent, de bruns et de brous de noix dans les champs, qui se retrouvaient de loin en loin dans les taches bariolées des feuillages des ronciers et des haies. Quelques vignes vierges, accrochées aux façades de quelques granges et des chaumières rompaient dans un éclat sanglant la monotonie de ces teintes étouffées, mais cela ne suffisait pas à faire oublier la tristesse si profonde de ces vues brouillées de pluie. Dans la forêt, les arbres avaient été dénudés avant l’heure par quelques grains plus violents que les autres et le poids de l’eau qui avait ruisselé dans le vent fort avait fait tomber presque toutes les feuilles, privant les halliers de leur parure flamboyante. Un jour bas et lourd pesait sans cesse, un couvercle de plomb d’un bout à l’autre de l’horizon, comme si le ciel s’était soudain affaissé sur la terre. La lumière était sourde et rare, émergeait difficilement d’aubes avortées pour se traîner jusqu’à des crépuscules amorphes.

Tout était désert, alentour. La mauvaise saison venant, les voyageurs s’étaient faits rares sur la grand-route, qui de toute façon devaient faire un détour de plusieurs jours afin de gagner le pont situé à plusieurs lieues en aval, vers le bourg du Vieufé. On se claquemurait chez soi, on faisait un peu de place pour ceux qui ne pouvaient regagner leurs maisons inondées, et on faisait le gros dos comme on le faisait chaque hiver en attendant que le temps passe. Même s’il y avait encore fort à faire, à commencer par conserver les récoltes et les salaisons, c’était l’époque où, après l’agitation épuisante des moissons et de la fin de l’été, on sombrait dans une léthargie profonde et flottante, presque irréelle, quand l’ouvrage venait presque à manquer dans les hameaux.

Saskia n’avait jamais vraiment su pourquoi elle aimait l’automne. Sans doute la mélancolie des jours déclinants, la lumière douce de ces journées de plus en plus courtes qui allaient vers une léthargie de plus en plus profonde, quand tout s’endort et meurt un peu sous les cieux barbouillés de nuées. Elle cédait elle-même à une lassitude paisible, cette langueur de début d’hiver qui fige les songes et ralentit la vie, comme une graine en stase, un arbre qui attend.

Près du feu, entourée des siens, elle goûtait le confort tout relatif du manoir où venaient trouver refuge les métayers et les domestiques qui s’abritaient dans la grande salle toute engourdie d’ombres grises même au mitan du jour. On filait, on ravaudait, on se donnait les nouvelles, on réparait les outils, et dans la pénombre sourdaient les voix et les murmures, les rires, les ritournelles et les contes, éclaboussés par le murmure constant de la pluie. Le feu craquait dans l’âtre, et toute la grande pièce et ses hauts plafonds étaient emplis d’odeurs de pierre mouillée, de chaume moisi et de fumée. Des senteurs d’automne, à la fois rassurantes et prenantes, comme le parfum de l’humus et des feuilles pourries sur les sentes et dans les fossés ; c’était inqualifiable et pourtant cela suffisait à lui chavirer l’âme à chaque fois.

Cette après-midi-là, Saskia somnolait dans son fauteuil, un tricot sur les genoux qui se partageait la place avec Monseigneur. Elle dodelinait du chef dans la lumière mourante, noyée dans le murmure des conversations autour d’elle. Joreth prêtait main-forte à Tanwen pour préparer la soupe du soir, et on sentait monter de la cuisine des odeurs sourdes et chaleureuses de champignons et de racines, de gibier et de châtaignes. Mélisande était assise devant le feu, sur la jonchée d’herbe humide qu’on avait entremêlée des derniers brins d'herbes aromatiques et de lavande de l’année, près d’une autre servante avec qui elle tissait des passementeries de laine bariolée. Les chiens ronflaient doucement au milieu d’une légère flaque sur le dallage, leur long pelage à peine humecté par la pluie quand on les avait sortis dans la journée, et chacun semblait céder doucement à la même torpeur très suave, comme dans une buée de chaleur et de lumière tamisée. Le feu brûlait vivement, mais la grande salle aux rares fenêtres verdâtres restait noyée dans la pénombre qui avait englouti le haut plafond, les poutres et les solives où une colonie de salaisons et de provisions mises à sécher semblait dormir comme un vol de chauve-souris. Les recoins les plus éloignés de la cheminée étaient rongés par une obscurité vague où on distinguait à peine les silhouettes confuses des buffets, des coffres et des huches, veillant comme une paisible armée domestique.

C’était de ces instants rares, quand l’existence semble tenir toute entière dans le creux de la main, où Saskia se disait qu’à tout prendre, elle n’avait guère besoin de grand-chose de plus : la richesse et le pouvoir sont certes utiles, mais pour les conserver, cela coûtait tant de temps et d’énergie... Finalement, à quoi bon ? Elle avait bien assez, là.

Sa tête avait basculé en avant dans un très léger ronflement quand chacun sursauta au bruit du heurtoir de la grande porte. L’intendant se leva et clopina jusqu’à l’entrée pour ouvrir, escorté par les lévriers qui s’étaient levés en hâte dans un grand renfort de pelages mouillés et de griffes cliquetant sur la pierre. Le battant s’ouvrir sur un paysan trempé comme une soupe ; dehors il faisait si sombre en cette fin d’après midi qu’il avait allumé une lanterne, laquelle grésillait et dansait sous la bruine, derrière ses petits carreaux ternis. L’intendant put néanmoins nettement distinguer que l’homme n’était pas seul et qu’en la personne de la poignée de soldats et de l’officier qu’il put reconnaître se trouvait la raison de l’agitation du pauvre hère.

C'en était fini de la douceur tranquille de cette soirée.

Saskia Blancerf

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Rosmarin Sand-g10Lun 29 Juin - 13:47
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La dernière fois que Théodore avait emprunté le chemin qui descendait de la capitale jusqu'aux terres au sud de Sen'tsura, ç'avait été pour rendre visite à Caliel de la Valérianne, qui s'était révélée être une hôte surprenante. De ce séjour le long des fraiches côtes, il gardait un souvenir agréable et c'était surement ce dernier qui l'avait décidé à s'y rendre de nouveau. Ce souvenir, et notamment ses promesses. Depuis des années qu'il officiait dans l'infanterie de l'empereur, Théodore devait jongler avec tout un ensemble de sentiments et d'idées contraires. S'avouer qu'il perdait chaque jour qui passait un peu plus de l'humanité et de la noblesse qui l'avait caractérisé toute sa vie pour devenir l'idéal fanatique qu'on attendait de tout humain d'être était peu dire. La peur coulait dans les veines du commandant autant que le sang tâchait ses mains, et son âme si un dieu autre que celui à qui il avait juré allégeance pouvait encore le juger. L'inquiétude de l'homme qu'il s'évertuait à tuer le tiraillait toujours et, quand il n'avait plus à se tenir irréprochable, son visage était parcouru de rictus qui ne trahissaient que trop bien son instabilité. C'était dans ces moments qu'il constatait avec énervement cette lutte qu'il menait encore contre lui-même, et qu'il la faisait taire en se mordant les lèvres. Qu'il la haïssait sa morale si ancrée en lui qu'elle le poussait à se détester quand bien même son nouveau monde lui ouvrait ses bras et ne pouvait que le conforter. La satisfaction de ses désirs avait eu de quoi faire disparaître ses anciens préceptes mais, quand il n'y avait plus que Théodore et ses pensées, il regrettait, inévitablement.

Il n'aurait su dire pourquoi il n'avait pas ordonné qu'on rebrousse chemin lorsqu'il fut évident qu'ils n'arriveraient jamais à traverser Blancval. Toujours fut-il qu'ils se retrouvèrent bien bêtes quand ils firent face à la rivière d'Avara qui ne permettait plus l'accès à l'autre rive.. Comme si cela n'avait pas suffit, les plus infortunés du domaine s'agitaient en tous sens pour venir en aide à ceux dont les maisons trop proches des berges avaient souffert des intempéries. Pauvres bougres impuissants. Assis sur sa bête, entouré de ses hommes qui les considéraient avec une indifférence non feinte, Théodore assista à la scène déplorable d'un homme qui pleurait sa demeure engloutie. Théodore, le visage dégoulinant de cette pluie qui n'en finissait pas, avait donné quelques coups de talons à sa jument pour qu'elle le rapproche du paysan crotté de terre jusqu'à la taille. Les sabots de la bête avaient raclé la boue jusqu'à ce que le militaire puisse jeter ses yeux noisette dans ceux de l'homme.

« - Conduis-nous au seigneur le plus proche. »

~ ~ ~

C'était donc ainsi qu'il s'était retrouvé devant la demeure seigneuriale locale, accompagné de ses quelques hommes, tous trempés de la tête aux pieds comme s'ils avaient plongé dans l'Avara. Théodore portait son habituelle tunique, son plastron formant à sa tête un bec inversé qui, comme dans ces jours d'averses, déversait plus la pluie contre son cuir qu'autre chose.

« - Peste. J'espère qu'ils sont là.

- Il y a de la lumière, idiot. »

Le paysan, lui, n'en menait pas large et trépignait sur place, la lanterne qu'il tenait se balançant inlassablement de gauche à droite. Quelle vie de chien. Quand la porte s'ouvrit, Théodore fit signe à leur guide, lui remit une petite bourse et ce dernier prit le chemin inverse pour disparaître dans la brume. De lui, il ne resta plus que le hochement frénétique d'une tâche lumineuse au loin. Le commandant s'avança donc vers l'homme qui leur avait ouvert la porte pour se présenter à la lumière du foyer, et se mettre à l'abri par la même occasion.

« - Théodore Svalt, commandant d'infanterie de l'Empire. Moi et cinq de mes hommes souhaitons bénéficier de l'hospitalité pour la nuit. »

Quand un officier demandait l'hospitalité, il l'ordonnait bien plus qu'il ne la réclamait, mais Théodore, en plus de ne pas être un démon dont les yeux crachaient des éclairs de feu, n'aimait pas s'imposer aussi brutalement. Déjà qu'il était navré de ne pas connaître le maître des lieux, il s'en voulait de débarquer ainsi, mais il n'avait rien choisi et tous devraient s’accommoder de cette situation incongrue.

Théodore Svalt

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Rosmarin Sand-g10Lun 29 Juin - 20:07
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Un tourbillon de bruine s’immisça par la porte ouverte, et rapporta un peu d’air humide et frissonnant dans la salle lorsque les hommes entrèrent, laissant dans leur sillage quelques flaques de pluie sale. Ils étaient crottés jusqu’aux yeux, pour certains, mais Saskia ne put que voir leur livrée et celle du capitaine qui se présenta aussitôt.

« Nous souhaitons. » Comme si ces gens-là étaient du genre à souhaiter... L’hypocrisie de la chose était tellement humiliante, d’une certaine façon, comme si on prenait soin d’enrober l’exigence sous un vernis de bienséance, pour ne pas choquer le manant. Qu’ils crachent le morceau, au lieu de se donner des apparences de personnes polies.

À peine eut-elle entendu ces paroles qu’un sourire de façade s’accrocha au visage fatigué de Saskia pour masque l’élan d’amertume qui lui creva la bouche à la faveur d’un instant d’inattention. Cela n’échapperait aucunement à l’officier, elle en était certaine, mais on ne pourrait certainement pas soupçonner une si digne dame de pensées aussi mauvaises et très vite, quelques ridules aimables de bonne femme lui plissèrent les yeux avec un amusement visible. Déjà, plus rien n’y paraissait, et la châtelaine retrouvait ses marques, ses manières coutumières, tout en se forçant à oublier quel blason funeste ils portaient. Elle avait fini par trouver le truc, à la longue : se rappeler qu’ils étaient humains, et faibles, avant tout, pour puiser dans l’immense réservoir de bonté dont la nature lui avait fait cadeau et enfin oublier à qui ils avaient fait allégeance.

Cela fonctionnait plutôt bien, jusque là, et de surcroît cela évitait d’attirer les soupçons.

— Pour la nuit ? dit-elle en repliant hâtivement son tricot. Vous risquez d'être coincés ici plus longtemps que vous ne le pensez. Le gué est inondé depuis trois jours, déjà et si la pluie s’acharne de la sorte, vous ne traverserez pas d’ici un certain temps. Heureusement, le pont le plus proche est en aval, à quelques jours de marche d’ici.

Elle se leva, encore engourdie par la somnolence, et s’étira un peu avant d’esquisser une révérence. Les chiens grognèrent, reculèrent vivement autour des jupes de la dame.

— Bienvenue au Gué d’Avara, encore que notre châtellenie ne porte guère bien son nom, ces derniers temps. Je suis Saskia Blancerf.

Se redressant, elle frappa dans ses mains et ce fut soudain comme si la maisonnée se mettait en ordre de bataille tandis qu’elle apaisait d’un geste sûr l’hostilité des lévriers.

— Allons, ne restez pas là à tremper le carrelage. Prenez place, il y a bien assez de feu pour tout le monde. Mélisande, Aélis, débarrassez donc ces messieurs de leurs manteaux, et cherchez si nous avons quelque chose de sec à leur donner.

Vêtir et nourrir cinq personnes de plus ne serait pas une mince affaire, mais ce n’était pas là quelque chose d’inhabituel, cela dit. L’important pour le moment restait de veiller à ce qu’ils n’attrapent pas la mort, car la pluie drue et les courants d’air froids qui se faufilaient sous les hauts plafonds pouvaient être fort traîtres.

Saskia et les autres firent diligemment place aux invités près de la grande cheminée, tandis que les chiens venaient renifler prudemment leurs chausses. Monseigneur vint à la rencontre des hôtes, promenant son altière obésité velue avec la même élégance très digne qu’un maître de maison en inspection de ses troupes, avant de retourner se pelotonner dans les bobines de fil et de laine qu’on avait laissées près du foyer. Très vite, Saskia distribua ses ordres, et on entendit quelques éclats de voix depuis la cuisine quand il fallut rappeler à Joreth et Mélisande que, eut égard à l’hospitalité due à leurs invités, on allait devoir raboter les portions du repas de ce soir. L’intendant faisait grise mine, lui aussi, mais il avait l’habitude de supporter la largesse exagérée de sa dame avec une résignation d’autant plus injustifiée qu’il profitait lui-même fort bien de la provende.

La maîtresse de maison veilla donc à ce que, au plus vite, les soldats fourbus et leur commandant soient installés dans un confort tout relatif sur les quelques sièges qu’on disposa pour eux près du feu où séchaient une partie de leurs vêtements les plus superflus. Saskia ne céda néanmoins pas sa cathèdre et s’y assit de nouveau, supervisant à distance le ballet qui s’était déclenché pour trouver de la place pour loger tout ce petit monde.

— Le temps n’est pas bon pour voyager, lança-t-elle au bout d’un moment avec une aimable courtoisie. Si vous venez du nord, vous avez dû essuyer de sacrées averses, ça tombe dru sur les hauts de Havrebois.

Elle reprit son ouvrage, ses doigts usés maniant les aiguilles et le fil avec une habileté presque machinale, tandis qu’elle poursuivait :

— À quelques jours près, vous auriez passé le gué sans encombre, et vous auriez échappé au mauvais temps. Rassurez-vous, la route n’est point trop mauvaise jusqu’à Vieufé, et aux dernières nouvelles, elle est encore praticable : d’ici peu de temps, vous pourrez reprendre votre route.

Saskia parlait d’une voix douce, les yeux baissés sur son ouvrage pour compter les mailles. Elle se gardait bien de demander aux soldats la raison de leur présence ici : ce n’était jamais le genre de curiosités auxquelles elle s’adonnait auprès de ses invités, et elle laissait toujours le soin à l’hôte de parler, s’il le désirait. Cela étant, il y avait chez elle une bonhomie tranquille, quelque chose d’infiniment simple et honnête qui était de nature à pousser les gens à se confier : nul besoin de questions indiscrètes, car bien souvent, c’était de façon tout à fait spontanée qu’on se livrait à elle tant elle semblait inoffensive. Elle semblait pouvoir tout entendre, sans arrière-pensée, sans que jamais ne s’efface ce joli sourire de madone réjouie qui lui faisait des fossettes à ses joues rondes comme des pommes. Dans l’atmosphère paisible de la grande salle, c’était soudain comme si chacun pouvait se sentir chez soi, comme une invite à poser son fardeau pour se reposer un peu, tendre ses mains vers le feu et se laisser bercer par la rumeur domestique.

Monseigneur revint reprendre sa place attitrée sur les genoux de sa maîtresse, couché comme un sphinx qui fixait les soldats d’un air impérieux. Échappant à l’attention de l’intendant occupé ailleurs, les lévriers revinrent renifler autour des invités, et le plus hardi fourra son museau dans la main du commandant.

— Suffit, Gelert ! gronda Saskia. Laisse le tranquille, je doute qu’il ait quelque chose pour toi dans sa musette.

Saskia Blancerf

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Rosmarin Sand-g10Mar 30 Juin - 8:51
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La châtelaine ne s'était pas levée alors qu'ils pénétraient dans la demeure. Théodore s'était tourné vers elle lorsqu'elle avait pris la parole pour ne lire sur son visage que l'exact écho de ses rencontres passées. Il y avait peu de sortes de gens. Ceux qui l'accueillaient avec un grand sourire, les opportunistes, et ceux qui cachaient leur dégoût, comme cette femme qu'il contraignait. Et c'était généralement les seconds qui avaient la sympathie du commandant, sympathie toute relative puisqu'elle naissait dans un contexte difficile mais qui, parfois, lui laissait une chance d'être plus que l'envahisseur ou le traitre. D'ordinaire, Théodore était bien renseigné sur ceux chez qui il comptait être hébergé, mais Saskia Blancerf était son hôtesse malgré lui et, il le regrettait, bien peu lui revenait de l'histoire de ses terres.

« - Enchanté de vous rencontrer, Dame Blancerf. Théodore Svalt, Commandant d'infanterie de l'Empire, répéta-t-il, au cas où elle n'aurait pas entendu, sachant pertinemment que c'était le cas. »

Il était assez rare, ce qui l'étonnait toujours, que les gens ne le connaissent pas, au moins de nom. Cela dépendait de la région, en effet, mais son histoire extraordinaire au sein des démons avait eu de quoi alimenter la noblesse et tous les esprits avares de sensationnel en général. Certains pensaient qu'il était une histoire qu'on racontait pour entretenir les soirées et profiter de la crédulité de certains, d'autres exagéraient ce qui n'avait pas besoin de l'être. Théodore, lui, bien qu'orgueilleux et fier de ses faits d'armes plus que d'autre chose, aimait raconter ce qu'on lui demandait de confirmer mais jamais ne l'exagérait, et préférait se taire sur les pans honteux qu'il tentait d'enfouir au plus profond de sa mémoire. Ne doutant pas que Saskia avait surement entendu parler de lui ou qu'elle savait à qui elle avait affaire, il ne s'était présenté que pour répondre à la bienséance.

« - Encore merci pour votre accueil, ma Dame. Il faudrait envoyer un garçon pour s'occuper de nos bêtes qui attendent à l'extérieur, dit Théodore qui venait de s'asseoir sur un des sièges qu'on avait installé devant le feu. »

A peine assis, il avait retiré son plastron et sa tunique. Il avait installé cette dernière sur sa protection d'acier face au feu, dégoulinante de la pluie que la fourrure recevait depuis des jours qu'ils avaient quitté la capitale. Il enleva ses bottes qu'il laissa sécher également, puis il s'étendit face aux flammes, tout juste en chemise de lin et en braies. Bien entendu, ses mains ne quittèrent pas la garde de son épée qu'il gardait sur ses genoux. Ses hommes firent comme lui et, bientôt, un joli tas d'affaires et d'hommes peu habillés firent face au feu de la châtellerie.

« - En effet, il n'a pas arrêté de pleuvoir depuis que nous avons quitté Sen'tsura. On m'avait bien dit qu'il était plus sage d'attendre mais, que voulez-vous, je suis bien trop têtu. Et puis, cela nous a permis de régler quelques problèmes dans la région, ce n'était pas une si mauvaise idée au final. »

Il aurait bien rajouté que sans cela il n'aurait jamais fait la rencontre d'une si accueillante dame mais ç'aurait été bien trop osé et, bien qu'il ne voyait pas le maître de maison, il n'avait vraiment pas l'intention de créer un litige dans sa demeure. Théodore était un homme à femmes, mais toujours dans les limites du raisonnable et de la bienséance, et tout lui permettait de croire qu'une de ses habituelles remarques cocasses ne serait d'aucun effet dans cette situation. Qu'il se contente de pouvoir manger à sa faim et de trouver le confort d'un feu et de vêtements chauds, c'était déjà bien assez.

« - Nous ne comptons pas nous éterniser, Dame Blancerf. Nous partirons dès demain. »

Il avait senti qu'elle le poussait déjà vers la sortie, mais il ne lui en voulait pas. Elle avait son histoire et, vu l'état de son domaine, elle ne devait pas être brillante. Du moins, ses terres s'en sortaient déjà bien mieux que celles sur lesquelles avait pu régner Théodore dans ses plus jeunes années. Tandis que le silence s'installait, il se mit en quête de se rappeler la moindre chance quant au Gué d'Avara, mais rien ne lui revint. Il s'en voulut, lui qui était si pointilleux sur sa géopolitique. Il réfléchit donc un long moment jusqu'à ce que sa main soit piquée vivement alors qu'il l'avait laissée pendre contre son flanc, insoucieusement. Il la retira vivement avant de comprendre qu'il s'agissait du chien qui était venu renifler le bandage qui entourait sa paume gauche. C'était difficile de le noter, mais si on y faisait attention, quelques tâches de sang avaient traversé le tissu qui collait à la peau, autant à cause de la pluie que de la plaie qu'il devait recouvrir.

« - Oh, ce n'est rien, dit-il, souriant légèrement pour cacher la raideur que son visage avait exprimé suite à la douleur inattendue.

Dans le regard que lui avait jeté la châtelaine, il lut qu'elle allait lui poser la question qu'il ne voulait pas entendre. Il prit donc les devants et adopta de nouveau des traits plus confiants et sereins.

- Nous avons rencontré de la résistance sur la route. Mon départ de Sen'tsura n'avait rien d'officiel, je ne crois donc pas qu'il s'agissait d'une embuscade à mon encontre. Les gredins sont donc mal tombés, cependant l'un d'eux a réussi à m'entailler la main avec son arme. Mais ce n'est rien, j'ai vu bien pire. »

Pour avoir vu pire, il avait vu pire, mais sa blessure n'avait rien d'une plaie qui allait bien. Cependant, montrer le moindre signe de faiblesse était la dernière des choses qu'il pouvait se permettre devant ses hommes. Il balaya donc l'anecdote comme s'il s'agissait d'une broutille et se contenta de caresser la tête de Gelert de son autre main, posant son épée contre sa cuisse. Les hommes, autour, ne pipaient pas mot et se contentaient de jeter des regards curieux ou de caresser les chiens lorsqu'ils passaient auprès d'eux.

« - Cela me revient maintenant, annonça Théodore dans un éclair de lucidité seulement trahi par son sourire et son léger haussement de sourcil approbateur. J'avais envoyé un recruteur ici, il y a un an.

Tout s'était éclairci dans son esprit engourdi par le froid et les derniers évènements, mais il y voyait clair désormais.

- Il m'a surtout parlé de votre fils, il me semble. Je m'en souviens. Brilliant, disait-il. Il est ici ? »

En plus d'assouvir sa curiosité, ce rebondissement détournerait complétement la femme de sa blessure. Tous les deux ne pouvaient que mieux se porter tant qu'elle s'en désintéressait.

Théodore Svalt

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Rosmarin Sand-g10Mar 30 Juin - 12:21
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En fait, le tout, c’était de ne pas réfléchir. Entendre, mais ne pas écouter, et surtout ne pas se représenter ce qui pouvait être dit. Toujours sourire, toujours être aimable, faire le gros dos et attendre que ça passe, qu’à l’instar des oiseaux migrateurs, les soldats en maraude reprennent leur route vers Dieu sait où. C’était lâche, Saskia en était très bien consciente, mais, que pouvait-elle faire ? On ne mène pas la révolution avec des marmites et des valets de ferme, et l’amertume était une compagne par trop familière, en ces situations.

Elle feignit de battre des paupières pour chasser la fatigue, mais en réalité, elle essayait simplement de s’en tenir à cela, juste parce qu’elle était le pilier de cette maison et que les ennuis accourraient bien vite si même elle ne pouvait faire montre d’un comportement correct envers les impériaux. Pourtant, pourtant... Elle se souvint de quelques mots, des rumeurs et des contes : le commandant Svalt n’avait rien d’un boucher, mais il avait la froide efficacité de son couperet. Un chien de guerre comme on en fait plus, un fin limier, tenace comme une belle-mère. Évidemment, personne ne se serait laissé aller à imaginer que l’officier, au demeurant fort courtois et plutôt bel homme, fût la terreur de bien des rebelles. Et de fait, un ennemi dans sa propre maison.

Saskia posa un regard absent sur l’épée qu’il gardait sur ses genoux, esquissant un geste de la main pour signifier à un des valets qui traînaient près de la cheminée qu’il fallait s’occuper des bêtes. Elle sourit, hocha la tête, s’en retourna à son tricot. La lame au clair reflétait le feu, comme un avertissement qui la rendait tellement nerveuse... Quel personnage pouvait se croire menacé dans une maison sans soldats, peuplée de métayers et de domestiques ?

— Finalement, à tout malheur quelque chose est bon, dit-elle d’un ton léger.

Elle prit soin néanmoins de ne même pas imaginer quels « problèmes » ils avaient pu régler en cours de route. L’esprit obtus de la châtelaine ne pouvait concevoir ni admettre qu’ils aient pu simplement maintenir l’ordre dans une région paisible, mais parfois sillonnée par quelques bandes de brigands en maraude. Devoir sa sécurité à un homme de cette sorte, quelle horreur...

— Nous avons bien assez de place et de provisions pour vous accueillir un peu plus longtemps, s’empressa-t-elle d’ajouter machinalement, feignant de n’avoir pas saisi que ses paroles avaient pu laisser entendre qu’on les poussait gentiment vers la sortie.

Saskia releva ses yeux plissés d’une fausse malice, mais c’était une étrange froideur qui nageait en dedans, voilait la pupille noisette, étouffait l’or et l’ambre chauds de ce regard qui ne semblait fait pour rien d’autre que le sourire et la tendresse. Pourtant, c’est de manière tout à fait sincère qu’elle fit une moue inquiète en voyant le bandage qu’il avait à la main et sur lequel Gelert venait fort opportunément de fourrer son long museau ; Saskia avait l’œil, et quand le commandant lui assura que ce n’était rien, elle lui répliqua par ce regard typique qui disait clairement « on ne me la fait pas, à moi ». Il semblait impossible de soustraire quoi que ce soit de ce genre à l’attention de la châtelaine, un peu comme à celle d’une mère : quoi d’étonnant de la part d’une guérisseuse ?

Néanmoins, vu la manière dont Théodore sembla éluder la chose, elle ne posa pas de question, mais ne pinça pas moins la bouche avec une désapprobation visible. À l’entendre, cela faisait plusieurs jours qu’il gardait ce bandage douteux sur une plaie ouverte : c’était un coup à y laisser se loger la vermine, et à se retrouver avec une infection de tous les diables.

— Loin de moi l’idée de vous dire quoi faire, commandant, mais vous devriez me montrer ça tantôt, il serait dommage de se retrouver avec une mauvaise fièvre à cause d’une blessure.

Elle avait peut-être réussi à en placer une à ce sujet, mais très vite, il lui cloua littéralement le bec en mentionnant l’épineuse visite du recruteur.

Un frisson désagréable comme une meute de rats mouillés lui dégringola le long de la moelle épinière, mais elle ne montra rien d’autre qu’un intérêt poli, le regard allumé dans une curiosité attisée par les paroles du commandant. Elle inclina légèrement la tête sur le côté, et le rythme infatigable des aiguilles du tricot ralentit un peu, et manque peut-être même une maille ou deux. Une tresse lourde, brune comme un bouquet de fougères dans les sous-bois, roula le long de sa gorge, chassée machinalement par un geste au tremblement infime.

— Je m’en souviens, dit-elle avec un sourire faux. Il a emmené beaucoup de nos jeunes gars, mais mon Joreth a refusé de le suivre. Je suis flattée que messire Geralt ait vanté les qualités de mon aîné jusqu’à la commanderie, en dépit de cela.

D’un geste de la tête, elle désigna la porte des cuisines qui exhalait des parfums de rôtissoire et des feux infernaux.

— Il est là, oui. Dois-je le faire appeler ?

Pas de crispation, pas de crainte. Pourtant, quelque chose avait vacillé dans sa voix, quelque chose s’y était immiscé, le ton s’était posé, un rien plus tranquille, un rien plus froid. Elle avait peur, c’était évident, mais au-delà de cela, on voyait très bien qu’elle avait tenté envers et contre tout de ne pas laisser quelqu’un de l’extérieur rompre l’équilibre du foyer.

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Rosmarin Sand-g10Mer 1 Juil - 17:18
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Théodore lui avait parlé de son fils pour qu'elle ne l'embête pas plus avec sa main, mais il n'avait pour lui aucun intérêt. Alors, certes, s'il s'agissait d'un garçon aussi prometteur que le portrait qu'en avait dressé son recruteur, le commandant aurait pu se pencher sur lui de manière plus intéressée, mais il ne comptait pas retirer à sa mère un garçon qui n'avait, de toute manière, certainement pas l'intention de rejoindre l'armée. De plus, il n'avait surement reçu aucune éducation militaire. Une tête bien remplie, peut-être, mais des bras qui lui vaudraient de ne pas tenir bien longtemps.

« - Laissez-le, répondit Théo, balayant l'idée maintenant qu'il avait obtenu gain de cause. Nous vous dérangeons bien assez comme cela pour l'embêter avec des histoires qu'il ne veut pas entendre. Non, ce n'est pas la peine. Si j'avais eu le choix, j'aurais moi aussi choisi la terre et les lettres, rajouta le commandant en s'étirant, évoquant son passé avec une pointe de nostalgie. »

Il étendit ses jambes au plus près du feu et se pencha, faisant craquer son dos. Puis, il se leva, toujours vêtu de cette simple chemise de lin et de ses braies, laissant entrevoir sur chacune de ses parties nues les cicatrices de celui qu'on surnommait l'immortel. Pour les bras, il s'agissait d'estafilades et d'entailles, ou de rares morsures. Cependant, sur le haut de son torse dévoilé, on apercevait le début d'une série de larges étoiles qui étaient sans nul doute les marques laissées par les flèches elfiques lors de la bataille pour Drayame. Le bas de ses jambes, lui, était similaire aux bras. C'était la belle gueule du commandant qui avait le plus été épargnée dans l'histoire, bien qu'on devinait sous cette barbe qu'il laissait pousser de légères balafres que les poils recouvraient.

Une fois de plus, il avait menti. Depuis sa toute jeunesse, Théodore admirait les faits d'armes et n'avait jamais souhaité autre chose que rejoindre son père dans ses batailles. Personnellement, il estimait qu'il était lui aussi mort le jour où ce dernier s'était jeté contre les démons pour retarder leur avancée de plusieurs années, du moins c'était ce qu'il aimait croire. Sa lente et glorieuse agonies sur les terres brûlées et désertées de ses ancêtres avait donné naissance à ce qu'il était aujourd'hui. Alors, non, Théodore n'aurait jamais choisi les lettres s'il avait eu le choix, il aimait tuer plus qu'il ne pouvait l'avouer à Saskia Blancerf. Il éprouvait à chaque coup qu'il portait à la chair une satisfaction qu'elle était incapable de comprendre, une jouissance qui lui échapperait éternellement. Les démons avaient réveillé ça en lui, et Zelphos l'encourageait. Bien sûr, il pouvait apprécier les plaisirs des lettres et reconnaître les vertus du travail de la terre, mais c'était bel et bien mentir que d'affirmer qu'il les préférait au pouvoir qu'il exerçait.

« - Mon tuteur m'a déjà parlé de votre maison, les Blancerf. Je me souviens de chacune de ses leçons, et celle-ci me revient, maintenant. Il n'a tenu à rien que vous soyez à la place de Caliel de la Valérianne, ironisa-t-il bien que ce fut vrai. Je comprend aisément que vous souhaitiez vous éloigner de toutes ces histoires, d'autant que les intrigues de la noblesse ont poussé les deniers propriétaires à devenir de véritables coupe-jarret. Il vaut mieux se tenir loin des troubles. »

Et par troubles, il entendait beaucoup de choses qu'il laissait à Saskia le soin de deviner. Les menaces n'étaient jamais brutes et annoncées simplement par Théodore, elles étaient sous-entendues dans ses commentaires moralisateurs. Ici, il lui faisait comprendre qu'il savait pour sa mari et que la voie que ce dernier avait choisie était, de toute évidence, celle que devrait éviter son fils. Ironique, encore une fois, quand on savait que Théodore avait commis la même erreur, mais c'était bien parce qu'il avait récolté les fruits de la trahison de ses anciennes valeurs qu'il pouvait les réfuter. Enfin, bien qu'elle semblait intelligente, le commandant n'était pas sûr qu'elle saisisse où il voulait en venir.

« - Quels sont vos projets ? Ceux de vos enfants ? Il y a à Sen'tsura de nombreuses occasions et, avec les bonnes relations, il n'est pas difficile de nourrir des projets ambitieux. Plus que jamais, Terre est devenu méritocratique. Les titres ne sont qu'une passerelle mais il appartient à chacun d'arriver à ses fins. Beaucoup vous diront qu'il s'agît là du plus grand avantage de cette guerre. Si je pouvais vous rendre service d'une quelconque manière, n'hésitez pas. »

Théodore Svalt

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Rosmarin Sand-g10Jeu 2 Juil - 11:25
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Entre les doigts courts de Saskia, les aiguilles s’agitaient, pointe en haut, pointe en bas, une maille après l’autre, égrenant le temps des paroles et des silences. Si un trouble passager avait pu la rendre nerveuse au point de manquer quelques rangs un peu maladroits, tout était revenu à la normale et les longues tiges de bois dur avaient repris leur mécanique discrète et imperturbable. Elle avait un peu baissé les yeux sur son ouvrage quand elle sourit, avec une douceur tout à fait surprenante quand on percevait l’espèce de raideur inquiète que lui inspirait le commandant ; mais elle n’y pouvait rien et ces élans de nostalgie lui faisaient au cœur comme un pincement d’une mélancolie très suave.
Cela la rassurait aussi, d’un certain côté, bien qu’elle ignorât à quel point c’était un mensonge dans sa bouche. Elle ne voyait ni n’entendait que ce qu’elle voulait y saisir : pas un regret, rien d’aussi amer, car c’eut été délaisser le devoir et se dire qu’on n’aurait pas dû faire ce qui devait l’être. C’était plus subtil, comme de vieilles réminiscences, comme un parfum oublié. Juste songer à ce qui aurait pu être, ce qui avait été autrefois et n’était plus.

Sakia releva vers lui un regard qui s’osa rieur, illuminant la pupille noisette d’un éclat renouvelé.

— Vraiment ? À vous voir, c’est difficile de vous imaginer absorbé par l’étude et la vie domestique.

Dans la lueur rasante, les cicatrices couraient, des filaments, des déchirures, des lignes de chair pâle et contournée qui jouaient de leur faible relief et traçaient autant de nervures douloureuses, partout où se posait le regard. Elles se déployèrent sous les yeux de Saskia, qui fixa un instant Théodore de son regard songeur, sans s’émouvoir plus que de raison par tout ce qu’un œil exercé pouvait déceler de plutôt charmant chez l’officier au demeurant assez peu chaudement vêtu pour ne pas cacher grand-chose de certains attraits que les dames aiment à trouver chez leurs soupirants. Cela étant, elle révisa quelque peu son jugement sur l’inconstance du soldat qui refusait de mieux soigner sa blessure : il avait écopé de bien pire, à voir l’état de certaines balafres, et semblait s’en porter comme un charme.

C’était étrange, à quel point il suffisait de peu, parfois. Saskia n’eut guère d’efforts à faire pour se rappeler que tout cela, il l’avait gagné face à ceux qu’elle-même défendait en secret et que sans doute, plus d’une fois, il avait passé par le fer des gens qu’elle-même avait soignés, dont elle avait pris soin. L’ironie du sort était cruelle, mais elle n’en blâmait pas Thédore, étrangement : le schéma semblait limpide. Il avait été seigneur de sa terre, comme Jebraël en son temps, et puis le démon était arrivé, et sans doute avait-il fait un choix différent de Jebraël...

Et lui était encore en vie.

Une boule d’amertume, lourde comme un sanglot, se logea aussitôt dans la gorge de Saskia, à cette pensée. Elle s’était embusquée au détour de ses réflexions, alors même qu’elle s’apprêtait à se dire que, sans doute, il y avait quelque chose à sauver : mais soudain c’était Jebraël qui avait repris toute la place, et la brûlure terrible de se dire que s’il avait rejoint les bourreaux, il aurait survécu. Ses mains tremblèrent à nouveau, et elle se courba un peu plus sur son tricot, tâchant de ne rien montrer. Malheureusement, le tour que prit la conversation ne fut pas pour l’aider à s’apaiser.

Le sourire qu’elle lui lança, alors qu’il ironisait sur la noblesse de sa famille et la déchéance dans laquelle certains étaient tombés, fut terrible à voir dans ce rond visage de bonne femme, presque contre nature, si rempli de noirceur et d’une aigreur douloureuse... Mais elle ne dit rien, haussa les épaules comme pour lui signifier qu’elle faisait ce qu’elle pouvait à sa manière mais qu’on ne pouvait parfois pas lutter comme on le voudrait. Elle ne put s’empêcher de vivre cela comme une minuscule et dérisoire humiliation, peut-être involontaire, mais pas tant que cela quand on voyait le regard du soldat se faire perçant et soudain bien plus éloquent que ses propres mots. Rester à l’écart des troubles, hein ? C’était à se fendre les côtes. Dans un siècle encore, on parlerait d’eux comme des traîtres, sans doute.

Et puis, Saskia l’écouta parler, et tout reflua, parce que son discours lui semblait tellement étranger, et à la foi tellement sincère, qu’elle ne put s’empêcher d’en rire de bon cœur. Elle releva la tête, et plus rien de triste ou d’amer ne parut sur son visage qui s’amusait réellement de la chose, avec une espèce de sérénité très apaisée qui lui faisait prendre de ces airs de madone et de vieille déesse sous sa couronne de tresses brunes.

— C’est fort aimable de votre part, dit-elle d’un ton chaleureux. Mais au risque de vous étonner, mes projets ne vont pas plus loin que les limites de mon domaine. Je n’ai envie de rien d’autre que de garder le plus longtemps possible ce que je possède déjà, et vous savez comme moi que compte tenu des évènements récents, ce n’est pas si facile que cela. Je fais tenir cette maison debout, je soigne ceux qui me le demandent, et c’est déjà bien assez pour remplir une seule vie.

Le sourire de Saskia s’infléchit d’une note très tendre, et il y avait dans ses beaux yeux fauves la lueur rare de ceux qui ont trouvé la paix.

— Je ne manque de rien, et ne désire rien de plus, reprit-elle en esquissant un geste de la main pour désigner ce qui l’entourait. Mes enfants sont auprès de moi, encore pour un certain temps, j’ai de quoi nourrir ma famille et mes gens de façon tout à fait confortable et j’ai suffisamment d’occupations quotidiennes pour ne pas m’ennuyer jusqu’à mon dernier souffle. Que pourrais-je vouloir de plus ? Encore plus de richesses qu’on convoiterait et voudrait me prendre ?

Elle rit encore, et quelques ridules lui plissèrent la commissure des yeux.

— Je suis bien consciente de la place que j’occupe en ce bas monde, commandant. Elle est dérisoire, et cela me convient très bien. Répondez-moi : que peut espérer la veuve d’un traître ? Rien, et rien, c’est très bien.

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Rosmarin Sand-g10Ven 3 Juil - 20:17
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« - Vous m'auriez rencontré il y a quinze ans, vous n'en croiriez pas vos yeux. Mais il en est de même pour chacun de nous, j'imagine, avait-il répondu lorsqu'elle s'était amusé de l'entendre dire qu'il aurait suivi le chemin de son père s'il avait pu. »

Elle était étonnante, Saskia, a toujours sourire. Elle impressionnait le commandant, même. Elle avait eu la force d'accepter son sort, en outre ce qu'il n'avait jamais été capable de faire, et il n'eut rien d'autre à ajouter tout le long de son explication. Les mots avaient beau être doux, les visages éclaircis d'une résolution heureuse, Théodore n'ignorait pas qu'ils jouaient toujours un rôle et qu'il faudrait bien plus qu'une soirée à discuter pour percevoir en chacun ses réelles intentions.

« - Je ne pousse personne à se mettre en avant. On ne trouve pas la paix dans les complots sen'tsuriens. »

C'était certain. Théodore avait évité la mort, mais il n'avait jamais touché la paix, quelle qu'elle soit. Il craignait toujours les ombres des murs qu'il longeait, avec dans le creux de son oreille l'insidieuse voix de sa conscience, lointaine, qui lui murmurait qu'un jour la balance pencherait en sa défaveur. En début d'année, Théodore avait été à deux doigts de flancher et de tout abandonner, puis il s'était tourné vers Zelphos. Il savait, depuis, que les seules craintes qui l'inquiétaient étaient celles qu'ils s'imposait, car la vie qu'il menait récompensait tout ce qu'il nommait autrefois infamie.

« - Je ne parlais pas de plus de richesses, ou de renom. Rien de cet ordre. Je sais seulement qu'il existe des aspirations chez les jeunes gens, des rêves, qu'il n'est pas simple de combler sans le support d'un peu d'influence. Il pourrait s'agir de n'importe quoi, que sais-je, mais si cela me permettait de vous rendre votre hospitalité, j'en serais comblé, expliqua Théodore, défaisant peu à peu le bandage qui entourait sa main, lentement et simplement. Je me doute que votre aîné compte reprendre le domaine, mais qu'en est-il des autres ? Bien entendu, je ne veux pas m'imposer, c'est une simple main tendue, entendons-nous. »

Quand il finit d'assurer qu'il ne voulait qu'aider et se sentir moins coupable d'avoir surgi chez elle ainsi, il gratta discrètement le tissu crasseux qui recouvrait sa main, claquant de la langue comme s'il était agacé.

« - Auriez-vous un endroit où je puisse me laver les mains, et changer ce bandage ? demanda-t-il, finalement. »

Saskia lui indiqua alors la cuisine, juste à côté d'eux, où se trouvaient les enfants, à n'en pas douter par les éclats de voix qui s'en échappaient, la cuisinière et surement le fils de Saskia. Théodore s'était levé et leur avait fait face, en chemise et en braies, toujours, mais aucun d'eux n'ignorait qui il était et ils se saluèrent donc. Puis, assez vite, le commandant demanda où il pouvait se nettoyer les mains et la servante l'amena au baquet d'eau. Là, sous les yeux curieux des enfants, et des autres même s'ils le cachaient mieux, il retira le bandage poisseux pour dévoiler sa plaie.
Au-dessus de la surface limpide de l'eau stagnante, la main de Théodore déversait son sang. Sur son dos, on distinguait nettement les traces profondes d'une morsure, humaine. Les dents avaient pénétré la chair et laissé une empreinte que l'humain garderait surement à vie. Le visage du commandant n'exprimait pas de souffrance mais de l'agacement, une sorte de déception. Enfin, quand il retourna ses yeux vers les enfants et notamment l'aîné, il sourit.

« - De toutes les armes de l'homme, ce sont bien celles qu'on oublie trop vite de craindre. »

Sur ce, il plongea sa main dans l'eau, la nettoyant du sang qui maquillait sa peau, et lava sa plaie. Il passa quelques minutes ainsi, accroupi à brasser l'eau et l'opacifier, puis il se releva et pansa de nouveau la marque sur sa main avec le tissu qu'on lui confia après qu'il en ait fait la demande. En se relevant, il eut une terrible envie d'adresser un mot au garçon qui n'était pas loin d'avoir le même âge que lui lorsque son père avait disparu à la guerre. Il avait envie de le pousser à être fier de son père, de lui dire qu'il n'avait rien d'un traître, mais il ne dit rien. Il se contenta d'un regard, simple, mais sans humanité, rien qui ne puisse avoir la moindre importance pour le garçon, et retourna s'asseoir près du feu, un bandage neuf à la main.

Théodore Svalt

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Rosmarin Sand-g10Ven 3 Juil - 23:47
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L’eut-elle rencontré quinze ans plus tôt, les choses auraient été très différentes, c’était certain, songea Saskia en observant le visage effilé du commandant. À croire le peu qu’il voulait bien dire de lui, sans doute Jebraël l’aurait apprécié, comme il aimait s’entourer de compagnons de cette noblesse peu prestigieuse, mais bien dotée qui avait goût pour la chasse, la poésie et quelques frasques occasionnelles propres à nourrir quelques contes au coin du feu. Elle eut un sourire, empreint d’une mélancolie charmante, lorsqu’elle pensa à cela, tenant à distance le deuil et ses mâchoires de fer.

Elle haussa néanmoins un sourcil intrigué, sentant qu’elle était somme toute passée à côté de ce qu’il essayait de dire, et pour être franche, Saskia eut un certain mal à le suivre, encore une fois.

— Je veux bien vous croire, pour ce que je sais des complots et des intrigues, ils ont l’air d’apporter bien plus de difficultés que de bien.

Un rire lui vint, suivi d’un haussement d’épaules qui trahissait une sorte de simplicité d’esprit qui ne relevait pas de la bêtise, mais qui était au sens le plus propre, de la simplicité. Un esprit franc, honnête, dépourvu de duplicité et de menteries : Saskia avait beau avoir ses petits secrets, elle n’en affichait pas moins en toutes circonstances la dignité tranquille de quelqu’un qui n’a non seulement rien à se reprocher, mais qui avait bien autre chose à faire que de mener des intrigues et des complots. Elle respirait soudain une évidence paisible, unie et sans complexité aucune.

— Pardonnez, sire, mais je crois que j’ai un peu de mal à vous suivre.

Elle regarda autour d’elle, cherchant sa fille du regard : Mélisande, qui ne goûtait jamais la présence des étrangers, était déjà partie se réfugier en cuisine. La simple pensée que sa sauvageonne de fille, à demi muette et aussi farouche qu’une biche puisse vouloir autre chose que le loisir de courir la forêt le jour durant avec ses chiens lui sembla soudain tout à fait cocasse.

— C’est à mes enfants que reviendra le domaine, reprit-elle d’une voix lente, comme si elle tentait encore de réfléchir tout en parlant. Peut-être mon garçon a-t-il d’autres projets, mais rien qui ne puisse se régler avec un bon mariage. Quant à ma Mélisande, eh bien... Elle et moi savons fort bien ce qu’il en est. Je n’ai guère d’intuition quant à l’aide que vous pourriez nous apporter, je le crains.

Une pause, et puis son visage fut pris par un sourire plein d’une sollicitude reconnaissante.

— C’est néanmoins fort aimable de votre part et je voudrais bien vous prier de ne rien en faire : il est normal de ne pas laisser des gens à la rue par un temps pareil. Je devine qu’il est inutile de discuter de cela et je ne vous ferais pas offense en refusant tout net. Il nous arrive de visiter quelques amis à Sen'tsura et d’y faire un peu commerce ; peut-être serons-nous amenés à nous y croiser.

Saskia dissimula très habilement le malaise étrange que cette proposition, qu’elle devinait tout à fait sincère, avait insinué en elle. Il y avait un décalage presque horrifiant entre ce qu’elle savait de cet homme et la réalité. Quant à ce qu’elle devait en croire... C’était terrible de voir à quel point elle aurait pu l’apprécier, réellement, s’il n’avait porté ces maudites couleurs et servi le mauvais camp. Deux voix contraires s’affrontaient sans cesse au fond d’elle : l’une disait qu’il n’y avait rien à demander, rien à espérer des assassins de Jebraël, l’autre chuchotait qu’il était peut-être temps de pardonner, au moins aux plus méritants d’entre eux. Après tout, Théodore avait fait son choix, et peut-être qu’en le poursuivant d’une rancune tenace, elle n’était pas meilleure que ceux qui faisaient d’elle et de ses enfants des traîtres en puissance, juste parce que le père et mari avait décidé de se rebeller.

Elle remit néanmoins ces considérations à plus tard quand elle vit le soldat défaire en partie son bandage, révélant la crasse qui encroûtait le tissu d’humeurs nauséabondes. Son regard ne put que s’y fixer, avec une célérité qui trahissait l’exercice et l’aptitude à repérer les blessures. Elle ne put s’empêcher non plus d’avoir une petite mine froissée, à la fois désapprobatrice et sévère. Un élan tenace comme une mauvaise habitude lui fit ouvrir la bouche pour lui déconseiller vivement de gratter la plaie, mais elle jugea bon de ne rien dire et se contenta d’indiquer à Théodore où il pouvait faire quelques ablutions qui s’avéraient de toute évidence plus que nécessaires s’il ne voulait pas se retrouver avec son bandage poisseux incrusté dans la main.

Dans la cuisine régnaient une chaleur bienfaisante et une agitation assourdissante. Joreth supervisait un quarteron de gamins de tous âges, assis autour d’une grande table et occupés à diverses tâches élémentaires que la servante pouvait leur déléguer. Une marmite ventrue fumait dans la grande cheminée, voisinant avec d’autres gamelles et marmites sur le feu. Mélisande battit en retraite près du feu dès qu’elle vit Théodore entrer, et son large sourire mourut aussitôt sur ses lèvres, comme sur celles de son aîné qui salua poliment, mais froidement, le commandant. Les deux jeunes gens ressemblaient beaucoup à Saskia : les mêmes cheveux bruns très épais, la même allure trapue et solide, mais quelque chose de très farouche et de beaucoup plus altier dans le visage qui devait leur venir du père. Ils avaient les mêmes yeux verts, héritage paternel à n’en pas douter, et des allures mal dégrossies de jeunes sauvageons.

L’accueil fut plus chaleureux de la part de la marmaille, et quelques enfants parmi les plus hardis quittèrent leur poste, non sans avoir jeté quelques regards vigilants à Tanwen et à leur jeune maître, pour s’assemblée comme une volée de passereaux autour du soldat. Une rouquine à la mine effrontée se pencha même au-dessus du baquet pour regarder l’eau tourner au rouge brique, avec cet air fasciné qu’ont les enfants devant quelque chose de particulièrement morbide. Quelques exclamations, haut perchées comme des pépiements d’oiseaux, se firent entendre quand la blessure devint visible, et elles montèrent dans les aigus pour mourir dans des rires sporadiques et surexcités quand Théodore leur fit part de sa sage maxime.
Joreth ne riait pas, lui, et il affronta le regard de l’officier sans broncher, affichant une politesse froide et farouche. Les gens d’armes étaient monnaie courante, à la belle saison comme à la mauvaise : il n’était pas rare de voir quelques grappes de soldat loger ici et là, mais pour des fils de métayers et de paysans ou de domestiques qui n’avaient rien connu de plus tranchant que le hachoir du boucher, ces silhouettes massives et ces armures avaient quelque chose de superbe et de fascinant. Il y avait toujours des récits, pour aller avec, et plus d’une fois un soldat en maraude avait trouvé une grappe de ces enfants remuants pendus à ses basques pour quémander une histoire.

L’aîné de la châtelaine ne partageait certes pas ce goût pour les récits de bataille, quand ils étaient délivrés par l’ennemi ; mais il se taisait, faute de mieux, et il se replongea bien vite dans son ouvrage, ignorant la présence de l’officier avec la même obstination tranquille que le faisait sa sœur. Celle ci jouait furieusement du tisonnier dans le foyer, s’attirant les récriminations de la servante. Quelques autres femmes étaient là, mais la domesticité du château semblait réduite au point que même les enfants de Saskia mettaient la main à la pâte. Difficile de savoir qui était qui, tant chacun vivait au côté de l’autre, les nobles avec les manants.

Cela se vérifia plus encore au repas : les plus jeunes, pour le bien-être auditif des adultes, probablement, mangeaient à l’office, sous la houlette de Tanwen qui ne semblait guère mettre les pieds hors de son domaine attitré, et de la mère de l’un d’eux. À la table de la châtelaine, outre ses enfants et ses hôtes, on trouvait ainsi l’intendant voûté sur sa gamelle, un garçon d’écurie qui était revenu un moment plus tôt après s’être occupé du cheval de Théodore, ainsi que quelques métayers et servantes. Il était évident que Saskia ne se préoccupait pas beaucoup d’étiquette, et de toute manière, la relative modestie du logis ne lui permettait guère une séparation bien nette, et puis à quoi bon, quand l’hiver menace et que le froid rampe ? La maisonnée se révélait fort réduite, en vérité, et il s’avéra que la plupart des dîneurs occupaient des logis dans les ailes annexes de la maison et que seule Saskia et sa famille vivaient dans le corps principal.

Une certaine tension semblait animer la tablée, mais très vite, les langues se délièrent sous l’effet de la piquette un peu trop âpre qu’on servait à pleines carafes et qui rougissait plus que de raison les joues de Saskia. De toute évidence, l’art de lever le coude était fort consommé ici, et on ne négligeait aucunement la chaleur d’une bonne rasade d’alcool. La provende aurait été plus abondante, n’eût été l’irruption soudaine de six personnes supplémentaire, mais elle fut plus que confortable, et très vite les conversations allèrent bon train. Joreth s’était placé de manière à pouvoir éviter toute interaction non désirée avec les invités, et, avec une habileté certaine, se déroba très vite pour s’absorber dans la discussion animée qui agitait le bout de table où étaient assis les métayers. Plus que de la défiance, c’était une prudence de bon aloi qui empêchait ces petites gens de trop se frotter à la soldatesque et à leur officier que l’on avait placé, eut égard à son rang, près de la châtelaine.

De fait, comme Saskia semblait de toute évidence capable de tenir à elle seule une conversation courtoise, c’est elle qui se chargea d’alléger l’atmosphère de ce côté-ci de la tablée. Difficile d’éviter les sujets fâcheux, cependant, mais on pouvait faire confiance à la loquace châtelaine pour savoir louvoyer et se garder de mentionner des choses qui auraient pu inspirer le malaise d’un côté ou de l’autre. Évidemment, les sujets pouvaient manquer d’intérêt, sans doute, mais c’était un peu comme recevoir le babillage d’une vieille tante à qui l’on ne pouvait vraiment tenir rigueur. De fait, il y avait réellement quelque chose désarmant chez Saskia, chose qu’elle cultivait avec d’autant plus d’habileté que cela la mettait au-dessus de tout soupçon. Malgré toutes les réserves ô combien méfiantes que lui inspirent ces séides du démon, elle se comporta en hôte tout à fait courtoise et prévenante, bien plus par habitude que par désir de servir. Une chance qu’ils n’eussent aucun moyen de savoir que sa générosité était bien plus grande envers ceux qui avaient eu la bonne idée de ne pas arborer chez elle les couleurs de l’Aile Ténébreuse...

Il faisait nuit noire et la pluie tambourinait de plus belle sur la toiture quand le repas s’acheva. La plupart levèrent le camp aussitôt, rassemblèrent leur marmaille et s’en furent en souhaitant la bonne nuit. Une bouteille de cette liqueur à tout faire, aussi bien bonne pour désinfecter les plaies que pour réchauffer le ventre et réveiller les malades circula entre les derniers convives, tandis que le feu baissait dans la cheminée et que Mélisande et quelques servantes battaient en retraite dans la cuisine, visiblement peu enthousiastes à l’idée de demeurer plus longtemps en cette compagnie. Joreth ne tarda pas à les rejoindre, si bien qu’en dehors de quelques personnes qui s’attardaient, ne resta plus que Saskia.

— J’ai fait préparer une chambre pour vous, commandant, dit-elle que Monseigneur se faufilait sous la table pour chercher quelques restes. Il y a bien assez de place dans la grange, et il y fera chaud, pour vos hommes. Je ne puis hélas céder davantage que cela et des couvertures.

Elle avait un eu petit haussement d’épaules désolé, disant cela, mais elle savait fort bien que pour un voyageur fourbu, une nuit de sommeil dans la paille tiède d’une écurie, fut-ce au milieu des odeurs de cheval et de bétail, valait cent fois mieux que l’obscurité mouillée de la nuit automnale.

Saskia Blancerf

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Rosmarin Sand-g10Mar 7 Juil - 16:54
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Théodore se méfiait de l’alcool depuis un moment, notamment depuis son épisode avec Camille Anisum. Il avait donc évité de boire, tout comme ses hommes, afin de garder un esprit aussi clair que possible. Une gorgée ou deux pour ne pas se priver du bon goût, mais il s'était tenu à cette simplicité qui suffisait amplement. La chère les avait assez comblés pour qu'ils ne se compromettent pas à un exercice de beuverie. Les impériaux avaient mangé, observateurs de leur commandant et de leur hôtesse qui troublait le silence général de quelques échanges. On parlait de tout mais surtout de rien.

Quand vint la nuit, plus sombre et fraiche que le voile qui les enveloppait dans la journée, la majeure partie de l'assemblée avait disparue. Ne restait plus que Théodore, ses hommes, et Saskia Blancerf entre quelques autres des siens qui passaient pour achever leurs tâches. Le commandant s'était installé de nouveau près du feu qui se mourrait dans l'âtre, sentant le sommeil envahir son corps, l'engourdissant mais ne lui faisant pas oublier les sensations de brûlure et d'étirement qu'il ressentait à sa main. Au moins, il pouvait goûter à l'agréable toucher des vêtements qu'on lui avait donnés.

Lorsque Saskia s'était adressé à lui, brisant la silence qui le berçait de plus en plus, il n'avait pas sursauté mais s'était légèrement redressé.

« - C'est déjà bien assez, Dame Blancerf. Je ne pouvais espérer mieux, et eux non plus, répondit-il en appuyant sur ses derniers mots comme il laissait peser son regard sur ses hommes. »

Les quelques sen'tsuriens se levèrent, difficilement pour certains, puis quittèrent la salle afin de rejoindre la grange. Dormir sur de la paille sèche avait plus d'attrait pour eux que ne pouvait surement se l'imaginer Saskia et ils ne tardèrent pas. Chacun adressa ses remerciements à leur hôte, la bonne soirée au commandant, et ils disparurent à l'extérieur.

« - Je n'arrive pas à me débarrasser du goût de votre fromage, dit-il amusé en faisant claquer sa langue contre son palais, à la fois agacé et satisfait. Je n'en avais jamais vraiment mangé jusqu'ici et c'est loin d'être aussi mauvais qu'on le prétend parfois. »

Il blaguait, mais il se doutait qu'il n'importait à Saskia qu'une chose, c'était qu'il aille se coucher et que la nuit passe au plus vite afin qu'elle n'ait plus à voir son visage. Il le savait, il l'avait senti, les impériaux n'étaient pas les bienvenus ici, et il ne lui en tenait pas rigueur. Après tout, Théodore aurait pu être celui qui avait tué son mari s'il n'avait pas été hors jeu à cette époque là. Il l'aurait tué de nouveau d'ailleurs, s'il avait été vivant. Bien qu'il aurait voulu que les choses soient différentes, car il appréciait sincèrement cet endroit et ses gens, il était désormais le serviteur de desseins bien plus grands que tous les intérêts humains, et il s'était porté garant d'une charge qu'il ne comptait pas abandonner.

« - J'ai toujours aimé les choses simples, rajouta Théodore, se dispersant de nouveau dans ses songes rapportés à voix haute. Lorsque j'étais enfant, j'adorais écouter les voix des femmes au lavoir, le bruit de l'eau, des linges frappés contre la pierre, et votre maison est chargée de cette simplicité que j'affectionne. C'est un bel endroit, c'est certain. »

Lorsqu'ils avaient mangé, Théodore et ses hommes avaient laissés leurs épées à leurs côtés, debout contre les bancs. Depuis, le commandant avait récupéré la sienne et elle reposait de nouveau sur ses jambes, dans son fourreau. Il ne s'en rendait pas compte, les habitudes ont la vie dure. Cependant, il fit une exception cette fois et la déposa en face de lui, à quelques mètres du rebord de la cheminée, puis vint se rasseoir.

« - Je suis navré de vous retenir davantage, non pas que votre compagnie me déplaît, au contraire, mais je comprend que vous souhaitiez aller vous coucher. Seulement, pourriez-vous jeter un oeil à ma main ? Je dois bien avouer que cette blessure me fait un mal de chien et je serais bien idiot de refuser l'aide que vous m'avez proposée. »

Théodore Svalt

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Rosmarin Sand-g10Lun 20 Juil - 23:48
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Saskia se sentait lasse. Pas seulement parce qu’elle avait pratiqué pendant plus d’une heure l’art délicat de parler pour ne rien dire sans sembler consciente de la vacuité de son babillage, mais aussi parce qu’il y avait tout un faisceau d’éléments qui se rejoignaient au point précis où elle n’avait plus envie d’autre chose que de sommeiller sur son siège jusqu’à ce que son fils la réveille en allant barrer la porte. L’hiver rampant, l’absence de lumière, et la nervosité rampante qui lui rongeait les nerfs avec l’usure patiente d’une toute petite lime sur un tronc d’arbre, tout cela s’ajoutait à fatigue d’une journée déjà bien longue. Néanmoins, elle faisait bonne figure et s’abstint de faire un sort au cruchon de liqueur qui demeura hors de sa portée, sur la table. S’enivrer en une compagnie aussi risquée était tout, sauf une bonne idée, encore que la châtelaine eut pour coutume de savoir maîtriser sa langue même quand elle y voyait double.

Elle aurait encore besoin de toute sa tête et de ses yeux en état de marche, pour au moins jusqu’au lendemain, espérait-elle. Sans doute pourrait-elle aimablement, mais fermement, pousser ses hôtes encombrants vers la sortie, parce que c’était la meilleure chose à faire : tout sympathique, aimable et courtois que ce fut ce damné commandant, ou capitaine, ou quel que soit son grade, elle préférait le savoir loin de chez elle, et se savoir elle-même hors de sa vue.

Saskia accompagna néanmoins les soldats d’un regard et d’une parole bienveillante quand ils sortirent pour aller rejoindre leurs pénates provisoires, parce qu’elle ne pouvait se défaire de l’idée qu’il y avait probablement, et c’était là le plus tragique, des bons gars qui n’avaient rien fait de plus que de faire ce qui était le mieux pour eux. Ils avaient des familles, peut-être ; des proches, des amis, et eux-mêmes, âmes simples, n’avaient pu envisager de se rebeller. Après tout, un roi, un autre, fut-il muni de cornes et d’ailes membraneuses, qu’est-ce que cela changeait, pour les petites gens ? Les impôts étaient prélevés, on voyait de temps à autre les baillis et les sénéchaux envoyer des troupes ça et là pour apaiser les troubles d’une façon aussi cordiale que certains souverains des temps passés, et le monde tournait toujours, à sa façon.

Elle ferma brièvement les yeux, soupira, et reprit son tricot là où elle l’avait laissé. Monseigneur s’était assis près de l’âtre, royal et noble comme une statue de quelque divinité féline et passablement obèse, et fixait Théodore de ses petits yeux verdoyants, ainsi qu’il en avait la détestable habitude quand il jugeait qu’un hôte méritait son attention. Comme tous les chats, on se demandait ce qui allait suivre et s’il n’était pas en train de planifier un égorgement nocturne ou un épanchement sadique sur les effets du capitaine, ou bien s’il comptait tout simplement lui réclamer son dû de cajoleries. Ceux qui connaissaient de près la châtelaine et son irascible matou pourraient répondre aisément à cela, le plus souvent en exhibant d’éloquentes blessures de guerre.

Saskia battit des paupières quand la voix du commandant la ramena à la réalité, et un rire d’une gaieté nouvelle lui échappa aussitôt. Ah ça, le Gué d’Avara avait peut-être peu de ressources et ne brillait en rien si ce n’était en terme de banalité, mais Saskia pouvait s’enorgueillir d’avoir dans sa maison la plus fameuse fromagère du canton. Tanwen aurait pu inventer l’arme bactériologique avant l’heure, avec un peu plus de temps et de lait caillé à sa disposition. Une plaisanterie commune chez les garnements du village consistait justement à aller faucher quelques croûtes dans la laiterie pour les glisser fourbement dans les encadrements de fenêtre des maisons et regarder les infortunés propriétaires se demander si on avait pas laissé quelque chose moisir dans le cellier ces quinze dernières années. La rumeur disait même que, au milieu des meules mises à vieillir sur les claies de l’atelier, on avait vu rôder dans l’ombre de vieux crottins de chèvre, retournés à l’état sauvage. Même Monseigneur ne s’aventurait pas là-dedans (et pas seulement par crainte des coups de balai de la cuisinière : l’odorat délicat des félins devait plier boutique devant un quarteron de pavés bien fermentés).

— On a les fiertés qu’on peut, commandant, répondit Saskia en souriant. Et il se trouve qu’ici, on est plutôt forts en fromages. En général, un coup de gnôle suffit à faire passer le goût pour quelques heures.

L’alcool en question étant aussi de nature à décoller les papiers peints et à dissoudre la laque, on sortait généralement de table en ayant les papilles anesthésiées pour quelques jours. Mieux valait ne pas avoir des goûts trop aristocratiques quand on s’aventurait dans les campagnes et fut-elle de haute naissance, Saskia n’avait jamais rien connu d’autre que de solides nourritures qui tiennent au corps et dont l’arôme (ou les remugles, diraient les plus perfides) était propre à tenir la vermine éloignée et à cacher l’éventuellement rancissement des victuailles en fin de saison.

De toute évidence, Théodore n’était pas fait d’un bois différent — preuve en était qu’il n’avait guère été sensible au décapage olfactif imposé par la proximité des spécialités de Tanwen — et c’était encore plus tragique de constater que, ainsi que Saskia l’avait déjà amèrement découvert, c’étaient rarement des monstres qui se cachaient sous l’uniforme tant haï. Rien que des hommes. Variables, inconstants, parfois très braves, parfois très lâches, touchants à leur manière.

« Ce que tu ne fais pas pour le Démon, fais-le pour les Hommes ». Elle se répétait cela comme un mantra. Cela fonctionnait, à la longue : parce qu’au fond, difficile de voir autre chose. Des humains, avec leurs faiblesses, leurs failles, leurs hontes et leurs bassesses. Et le sang sur leurs mains. Autant de vie à chérir, autant de vie dont il fallait prendre soin, quand on savait la fragilité de ces choses dans un monde en guerre...

Elle sourit, encore. Doucement, tendrement, ses yeux éclairés d’une lueur chaleureuse qui émaillait la surface brune et ambrée d’éclats d’or comme des paillettes serties dans un joyau usé. Il était manifeste que ces paroles lui faisaient bien plus de bien que toutes les promesses et toutes les courtoisies qui avaient pu être dites plus tôt : à voir ce visage las qui se perdait dans la contemplation pensive du feu, Saskia ne put douter de la franchise du commandant, et regretta avec plus d’amertume que jamais ce gouffre qui les séparait irrémédiablement. Elle eut soudain envie de lui dire, de lui crier qu’il n’avait qu’à y retourner, à cela ! Ce serait si simple. Il pouvait toujours renoncer, et cette simplicité qu’il chérissait, eh bien, pourquoi lui préférer la carrière militaire, pourquoi se blanchir sous le harnois quand il pouvait y retourner ? Il était ce qui menaçait le plus ce qu’il semblait tant apprécier : il n’y avait plus grand-chose à faire pour redresser la barre et revenir dans le droit chemin, songeait-elle. Il avait déjà trahi sa propre nation, après tout : une fois qu’on l’a fait une première fois, les autres ne sont-elles pas plus simples ?

Mais autant par sagesse que par lâcheté, Saskia ne dit rien : néanmoins, son regard irradiait quelque chose, un non-dit, un mutisme chargé de quelque chose qui semblait s’exprimer autrement que par les mots. Son sourire ne l’avait pas quitté, mais il s’affaiblissait un peu tandis qu’elle le fixait avec la même acuité presque sévère, comme intransigente, que le matou à ses pieds. Pris dans le faisceau croisé des quatre yeux perçants, on se serait presque attendu à le voir prendre feu.

Et puis, doucement, tout doucement, la châtelaine se détourna. L’instant était passé, et elle se doutait bien que ses remontrances et ses conseils n’auraient pas été accueillis favorablement. Elle suivit pensivement du regard l’homme qui se levait pour se défaire de son arme, et étrangement, elle s’en sentit un peu plus soulagée.

— Voilà des paroles bien sincères, dit-elle. Je ne m’attendais certes pas à cela de votre part, je l’avoue tout net, et cela me va d’autant plus droit au cœur. Nous essayons tous de faire de notre mieux, par les temps qui courent, n’est-ce pas ? C’est déjà beaucoup, pour ma part.

Elle redressa un peu la tête, disant cela, et il y avait chez elle la fierté infime des gens de peu, et des petits exploits domestiques à qui personne ne prêtait attention parce que tout le monde tenait certaines choses pour acquises : elles ne l’étaient pas, surtout en des temps troublés, mais cela, il n’y avait guère que la faune domestique des cuisines et des offices pour le savoir.

Enfin, Saski leva les yeux au ciel avec la mine typique de « je vous l’avais bien dit » quand il fit mention de sa blessure.

— Je vois que vous avez enfin décidé de vous montrer raisonnable, lança-t-elle en osant une petite effronterie presque maternelle, comme une mère qui se moque d’un adolescent rétif. Montrez-moi ça. Vous pouvez encore bouger vos doigts, ça n’a pas l’air trop grave.

Et aussitôt, avec la douceur ferme et intransigeante d’une femme accoutumée à manipuler les malades, les blessés et les éclopés mêmes les plus obstinés, elle se saisit de la main en question pour défaire le bandage. Elle tira légèrement son siège pour se rapprocher du soldat, et le fit se pencher un peu pour avoir assez de lumière, fronçant un peu les sourcils pour y voir plus clair, ce qu’elle regretta presque aussitôt. Son joli visage pâlit un peu, même elle avait vu bien des plaies et des suppurations affreuses, mais ce qu’il avait là, sur sa paume calleuse, avait quelque chose de glaçant par ce que cela suggérait. Saskia avait le cœur bien accroché et restait une femme solide, néanmoins quelques limites se posaient et parmi celles-ci, elle découvrir que l’empreinte d’une mâchoire à priori humaine se posait en bonne place. Les dents s’étaient profondément enfoncées dans la chair, épargnant un peu les tendons, mais cela avait était d’une violence assez difficile à concevoir : cela n’avait rien à voir avec la morsure d’un animal, il y avait quelque chose de profondément dérangeant et de tout à fait contre nature dans ces plaies disloquées. Et puis, elle respira un grand coup, palpa divers endroits avec une délicatesse toute relative, inspecta attentivement l’ensemble et s’en fut vivement chercher le nécessaire pour les soins.

Une fois revenue près de son patient, elle osa enfin relever les yeux sur lui, mais ne posa aucune question et se contenta d’un sourire rassurant, assorti d’un hochement de tête. Elle parlait avec l’assurance tranquille et bon enfant qu’elle avait toujours avec ceux qu’elle soignait : c’était presque automatique, comme une seconde nature qui lui faisait considérer toute personne passant entre ses mains expertes comme un enfant qui ne voulait en faire qu’à sa tête — ce qui était peu ou prou le cas, quand on y réfléchissait.

— Pas de folies les prochains jours, commandant. Cela mettra un peu de temps à cicatriser, mais je n’aurais pas besoin de faire une couture. Il faudra éviter les mouvements brusques, et évidemment de manier une arme si vous voulez que ça se referme d’ici à l’an prochain.


Elle était revenue d’un recoin obscur avec cette espèce de sacoche usagée, tachée, recousue maintes fois, qu’on voyait souvent près de la porte chez les accoucheuses de toutes sortes, en cas d’urgence absolue. Il y avait toujours à portée de main de quoi nettoyer et panser une plaie quelconque, ou guérir quelques menus maux courants. Plus inquiétant, elle avait ramené avec elle le cruchon de gnôle qui était encore sur la table : à l’odeur, pas de doute que ce liquide félon était capable de décaper toute chair morte et toute vermine, et aussi de ronger un peu les muscles jusqu’à l’os, sans doute. D’une main experte, Saskia nettoya consciencieusement les plaies à l’aide d’un tampon de chiffon imbibé d’alcool. Pour éviter tout dégagement intempestif dû à la brûlure de l’eau de vie sur la peau à vif, elle gardait la paume du blessé enfermée dans l’étau étonnamment ferme de ses mains de travailleuse, presque aussi usées et calleuses que celles de Théodore.

De temps à autre, elle levait les yeux vers lui, guettant peut-être son expression. D’autres qu’elle se seraient émus de cette proximité presque complice, dans le silence de la nuit précoce, à la lueur du feu. Penchée qu’elle était, si près de lui, elle sentait une l’odeur rance et fade flotter autour de lui, sourde et épaisse, comme s’il était encore couvert de sang, derrière les relents coutumiers aux cavaliers qui n’avaient pas vu de bain depuis plusieurs jours. Elle se prit à sourire, un tout petit peu. Quelque chose en elle ne pouvait s’empêcher de débusquer un souvenir de Jebraël dans chaque homme qu’elle croisait, mais loin de la faire souffrir, c’était comme on déterre un vieux souvenir, comme on sort de sa cachette quelque trésor ancien dont on contemple le lustre antique avant de le rendre à la poussière et à la décrépitude. Elle s’y attardait parfois, se complaisait dans sa mélancolie, et puis se donnait quelques claques mentales pour repartir du bon pied. On ne gagnait rien à se languir sur une pierre tombale.

Une fois la plaie nettoyée, elle y passa un baume poisseux qui empestait le suif et les herbes rances, puis noua solidement un bandage savamment entrelacé pour protéger le mieux possible les plaies tout en laissant une certaine liberté de mouvement.

— Voilà, fit-elle en serrant une dernière fois le nœud. Changez le pansement tous les jours, et lavez la plaie à l’eau claire de temps en temps. Ceci étant dit, je doute qu’un soldat comme vous ait quelque conseil à recevoir d’une bonne femme, mais on ne sait jamais.

Elle conclut ses paroles par un sourire aimable, un peu moqueur, quelque chose de polisson dans le regard qui lui creusait dans les joues des petites fossettes malicieuses et lui donnait à nouveau de ces airs de bonne fée dont on ne pouvait décidément pas se méfier. Il y avait un fond de vérité cependant : un soldat doit savoir un minimum comment se soigner, faute de quoi il risquait tout bonnement de se voir pourrir sur pied à cause d’une mauvaise blessure.

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Rosmarin Sand-g10Ven 31 Juil - 20:27
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Il ne rajouta rien à sa demande et se laissa faire le temps qu'il fallut à Saskia Blancerf pour panser sa plaie. Son visage se crispa bien lorsqu'elle appliqua son alcool sur sa chair mais il resta muet. Hormis la douleur, c'était un moment agréable ; Saskia rappela à Théodore combien une mère lui avait toujours manquée et il ne manqua pas de profiter de cet instant. Depuis toujours, il ressentait l'insatiable besoin d'une présence féminine à ses côtés, mais pas comme les autres hommes. Les désirs du commandant pouvaient se révéler aussi obscurs que simples.

« - Cette bonne femme vient surement de sauver ma main, je ne peux que lui être redevable. Alors l'écouter, cela va sans dire, répondit-il, un sourire égayant ses traits. »

Combien de fois une femme s'était-elle occupé de lui dans sa vie, sans rien attendre en retour ? Il aurait été naïf de penser que Saskia Blancerf agissait par simple compassion mais il y avait dans ses yeux, son sourire et ses gestes la tendresse naturelle d'un être aux antipodes de ceux qu'il côtoyait depuis toujours. Théodore était un parti, un homme de pouvoir qu'il était intéressant d'avoir pour ami, et il avait donc toujours été entouré d'opportunistes. Rares, et même inexistantes, étaient les femmes qui n'avaient jamais espéré un retour de leurs faveurs, et c'était ces dernières qui intriguaient le plus l'humain. Saskia Blancerf avait refusé les offres du commandant, mais s'était évertuée à l'aider dans la mesure de ses moyens, et c'était là une attitude qui plaisait à Théodore bien plus qu'elle ne pouvait le soupçonner.

« - Ne vous en faites pas. Si la duchesse n'a pas quelque mage chez elle capable de soigner ma main, j'en trouverai un sans mal à Sen'tsura. »

L'armée Terrianne comptait dans ses rangs des mages, et on avait tendance à les oublier. Un oubli malheureux car la valeur d'une telle unité était inestimable et pouvait se révéler décisive dans une bataille. Si Sent'sura était le pire endroit pour faire usage de magie, la plupart de ces derniers s'y retrouvaient, mais on pouvait compter sur quelques grandes villes des terres plus éloignées pour y trouver de ces hommes qui faisaient disparaître les plaies comme si rien n'avait jamais eu lieu. Théodore doutait qu'il trouverait chez la duchesse le moindre mage mais il n'était jamais au bout de ses surprises.

« - Il faut surtout espérer que nous ne rencontrerons pas d'autres... rebelles, ajouta Théodore. »

Il avait adopté, pour ce dernier mot, un ton différent de celui qu'il avait tenu tout le long de leur discussion, et on ne pouvait que mal comprendre quel sentiment il avait pour ceux qu'on appelait ainsi. C'était surement parce qu'il existait toujours en Théodore une part de celui qui avait résisté aux démons qu'il n'était pas complétement rongé par la rancœur vis-à-vis de ceux qui sabotaient l'ordre en Terre. Bien entendu, son rôle et celui qu'il était à présent les exécrait, comme des rongeurs, nuisibles vermines qu'il fallait éradiquer, mais il ne s'exprimait jamais en ces termes.

« - J'aime notre peuple pour les gens tels que vous. Vous êtes admirable.

Il avait saisi sa main de travailleuse entre les siennes pour accompagner ses mots, souriant légèrement alors que son regard reconnaissant et chaleureux se muait en quelque chose de plus terne..

- Cependant, les gens bons souffrent malgré eux de leur générosité, j'ai eu l'occasion de le constater depuis des années. Ces rebelles ne seraient plus s'ils ne bénéficiaient pas d'aide. Je n'ignore pas que les aider part d'une bonne intention, mais sous le couvert d'une bonne action s'en cachent de bien plus mauvaises.

La menace qu'éveillait Théodore était belle et bien présente, mais jamais il ne se montrait menaçant, au contraire. Dans sa voix, sa pose et son regard, on sentait l'intérêt d'un homme qui craignait une catastrophe.

- Vous savez ce qu'il en coûte de résister à l'Empire, autant que moi.

Pour avoir surement été l'un des résistants à l'envahisseur les plus teigneux, Théodore savait quelles pensées pouvaient germer dans les esprits généreux et bons, mais il s'était détourné depuis longtemps des illusions qui aveuglaient les humains.

- Je n'ai aucun doute que vous aiderez n'importe quel homme qui se présentera à votre porte, qu'il soit un criminel ou pas, et j'ai beaucoup de respect pour cela, croyez-le. Cependant, ceci va m'obliger à surveiller la région, dit-il en désignant sa main bandée, et je n'aimerais pas que l'un de ces rebelles vous désigne un jour comme celle qui l'a aidé. Ces hommes ne servent plus le bien de notre peuple depuis que l'Empire tient ces terres. Votre sécurité et votre avenir résident dans la fidélité à notre seigneur.

La main bandée de Théodore, reposant sur le dos de celle de Saskia, la libéra doucement alors qu'il se levait pour retourner prendre son épée.

- Vous avez beau ne rien désirer, il n'y a peut-être rien qu'on puisse vous offrir, mais vous avez encore tout à perdre. Ne gâchez pas ce que vous chérissez pour quelques fous qui n’œuvrent plus que pour eux-mêmes. »

Théodore Svalt

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Rosmarin Sand-g10Ven 31 Juil - 21:35
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La pluie tombait toujours au-dehors. On entendait son crépitement léger sur le chaume, et ça et là le claquement d’une goutte qui s’infiltrait et tombait sur le carrelage. Silence, tout autour. Le calme d’une nuit d’automne. Saskia souriait, emmitouflée de la douceur tranquille d’un instant de répit : soudain il souriait, et à l’espièglerie de la châtelaine répondait l’amusement du soldat. Cela lui fit comme une fulgurance douloureuse, juste là, au creux du ventre. Cet homme qui aurait pu être son ami et qui souriait dans l’ombre... Mais elle goûtait ce regret amer comme on se plonge dans un feu purifiant, comme on se pince pour se rappeler du réel, de la direction à prendre. Il fallait qu’elle se méfie, ne pas se laisser aller, oublier l’amour inconsidéré qu’elle éprouvait pour toute chose vivante, juste revenir à la vérité nue et immonde de ce bas-monde, même si c’était dur, même si un élan intérieur l’amenait à vouloir croire, aveuglément, à faire confiance et ne demandait qu’à pouvoir partager toujours plus.

— Vous avez tort de faire confiance à ces remueurs de sorts, répliqua-elle avec un geste de la main qui indiquait bien ce qu’elle en pensait. Un beau jour ils vous feront pousser par erreur un troisième bras et vous serez bien marri.

Saskia péchait par ignorance, cela allait sans dire : mais que diable la petite noblesse de campagne pouvait-elle savoir de la magie. Rien, hormis les superstitions, les légendes et les colportages de grand-mère. Autant dire que pour elle, tout ça n’était que du bricolage dont elle se tenait soigneusement à l’écart et qui n’avait rien à faire dans son domaine de prédilection. Elle exagérait sans doute un peu, mais ses paroles reflétaient assez fidèlement le fond de sa pensée.

Et puis, cela passa, encore. Il fallut qu’il ramène le reste sur le tapis, rappelle à lui le réel et ses dents longues qui rongent les illusions et dissolvent les rêves. C’était salutaire, et cela fit frissonner Saskia qui ne laissa pas sa main trembler quand il la saisit avec une délicatesse surprenante. La douceur, là, se nichait dans la rudesse de ses paumes et de sa voix, comme s’il parlait à sa mère, comme s’il voulait la protéger. Ah, la bonne plaisanterie. Elle savait, la sotte. Elle savait que le commandant Svalt était un nom qu’on s’échangeait avec crainte au coin du feu, et qu’il l’aurait passée par le fer, elle et tous les siens avec, s’il avait eu le moindre soupçon. Il aurait tué Jebraël, et l’aurait tué encore, s’il l’avait pu.

Non. C’était salutaire, en vérité, qu’il vienne encore à la charge pour la mettre en garde : la douceur sans doute, mais feinte plus qu’autre chose, encore que ses prunelles assombries laissassent planer le doute, un doute dont la bonté naturelle de la châtelaine ne pouvait que s’emparer pour le secouer sous son nez.

Elle sourit, cependant.

— Admirable ? Voilà un compliment qui fait plaisir à entendre, d’autant que je le devine sincère.

Pas de fausse modestie, chez elle. Elle savait quel travail elle abattait au quotidien, elle savait qu’elle le méritait. Qu’il reconnaisse cela était tout à son honneur, et il semblait avoir bien conscience de la valeur d’une maison bien tenue et accueillante à chacun. Eut égard à cela, elle le laissa parler, ne baissa pas les yeux, même si son sourire se figea un peu sur place. Elle avait froid, soudain, comme un souffle glacé, une menace insidieuse qui se glissait dans son dos pour peupler les ténèbres de silhouettes hostiles. Elle avait tellement à perdre, oui... À commencer par ses enfants, tout ce qu’elle s’était échinée à reconstruire après la mort de Jebraël. Pourtant, elle ne savait que penser de ces paroles : c’était comme s’il lui accordait une aide, infime, un avertissement. Ne l’eut-elle accueilli ce soir-là, elle aurait tout ignoré de cet accrochage, aurait continué à ouvrir sa porte aux rebelles, et peut-être que l’un d’eux serait tombé entre ses griffes, la bouche toute pleine de son nom... Maintenant, elle savait qu’elle devait se méfier, et être plus prudente encore qu’à l’ordinaire : sans le savoir, ou peut-être que si, Théodore venait probablement de lui sauver la mise.

— Je sais ce qu’il en coûte de se rebeller, oui, dit-elle d’un ton très calme, qui trembla un tout petit peu. Je sais bien que vous dites vrai, je le sais autant que tout autre ici : la sécurité et l’avenir, oui, très justement. Nous savons tous très bien que même s’il y a quelque chose de très noble à aider ceux qui parlent de liberté et de toutes ces choses, cela n’a jamais mené qu’à la ruine et au malheur. Ils vivent sur les petites gens en leur remplissant les oreilles d’absurdités, et nous ne voulons pas de cela.

Sur la corde raide, Saskia. Un pas pouvait être fatal, un mot, un faux mouvement, et c’était la chute. Elle haïssait sa bouche pour les mots qu’elle prononçait, mais c’était un mensonge si bien rôdé qu’il lui venait comme une espèce de dignité qui irradiait de sa figure ronde comme une pomme blette, lorsqu’elle parlait. Calme, irréprochable, une vraie matrone sur qui on ne pouvait laisser peser aucun soupçon de trahison volontaire.

Elle se tut quand il revint chercher son épée, et son regard se posa sur la lame, y resta fixé avec une horreur fascinée. La menace n’avait pas été perceptible dans les paroles du commandant, mais elle se matérialisait très nettement dans le fil luisant de l’arme silencieuse comme un fauve à ses pieds. Voilà ce qui l’attendait. Un sourire lui vint, lent, un peu hésitant aux entournures, ses yeux noisette toujours posés sur le fer nu.

— Je n’ai pas le sentiment que vous pourriez comprendre quel prix revêt une vie à mes yeux,
dit-elle à regret. Je n’en dirais pas plus, car comme vous le disiez si bien, j’ai tant à perdre. Ma fidélité ne me sauvera pas de vos soupçons ni de ce que vous pourriez penser de mes actes.

Saskia Blancerf

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Rosmarin Sand-g10Jeu 13 Aoû - 16:03
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L'épée à la main, Théodore resta debout quelques secondes. Il fixait Saskia d'un œil attendri, comme s'il s'agissait d'un enfant. Comme beaucoup, elle n'avait surement pas la moindre idée des cataclysmes qu'avait engendré la guerre, et quelle puissance émanait des démons. Théodore n'avait que trop affronté le feu infernal des envahisseurs pour ne plus s'y opposer et, tel un loup bien dressé, il s'était soumis à leur pouvoir. Il souhaitait que Saskia Blancerf n'ait jamais à voir ce à quoi il avait assisté. Théodore souffla, et il s'avança vers la femme pour déposer sur son épaule sa main valide, serrant sous ses doigts l'étoffe qui recouvrait sa peau.

« - Je vous souhaite d'honorer vos valeurs aussi longtemps que possible, Dame Blancerf. »

Il était vrai que le commandant la trouvait admirable, comme plein d'autres choses. Elle était de ces êtres bons dont le plaisir personnel était d'aider les autres. Après des années sombres de massacres, de rencontres avec la mort et de trahisons, c'était un indescriptible plaisir de rencontrer une telle personne. Seulement, par cette expérience qui l'avait corrompu, Théodore savait que Saskia Blancerf viendrait à trahir tout ce qui lui était cher lorsque la vie de ses enfants serait mise en danger. Les mères étaient ainsi ; fortes et magnifiques mais dotées d'une faille béante que tout être vil était en mesure d'exploiter.

C'était un moment agréable, pour Théodore en tout cas. Il profitait de la chaleur d'un foyer et, comme il n'avait pas manqué de le dire, il aimait la compagnie de Saskia Blancerf. Le silence qui suivit son souhait fut, pour lui, un instant curieux qui laissa à chacun le loisir de lire dans le regard de l'autre les réponses sans mots. Théodore et son devoir, Saskia et ses valeurs. Sa main toujours sur l'épaule de la châtelaine, il ne pouvait s'empêcher de repenser à ses choix, remettre en doute ses certitudes. C'était un exercice qu'il menait au quotidien mais qui n'aboutissait jamais à rien, si ce n'était l'évidence qu'il n'aurait rien pu faire d'autre que ce qu'il avait déjà fait. Cependant, il doutait, encore et toujours, surtout lorsqu'une âme comme celle de Saskia lui renvoyait l'image de lui-même, celle d'un homme qu'on ne peut croire, une belle silhouette, séduisante mais menaçante, qui trompe. Il portait un masque abîmé par les mensonges et les crimes, un masque que les âmes les plus pures pouvaient lui ôter à la faveur d'un véritable regard. Il y avait, dans l’œil de Théodore, toute sa souffrance et ses désirs que ses traits masquaient sous quelques sourires et froncements de sourcils. Il y avait les espoirs morts d'une jeunesse écrasée et le désir d'un homme mûrissant, la recherche incessante d'un manque jamais comblé.

Il plia les genoux pour s'abaisser à la même hauteur qu'elle et déposa à ses pieds l'épée pour libérer sa main, qu'il déposa sur son autre épaule. Face à elle, il plantait son regard dans le sien, ne sachant pas lui-même ce qu'il comptait faire. Il avait ressenti le besoin de la rassurer, étrangement, bien qu'il sentait qu'elle avait toutes les raisons d'être mal à l'aise, et il le comprenait. Mais cela ne l'avait pas empêché d'agir, au contraire, il lui semblait qu'il jouait un peu plus avec l'interdit qui les retenait de se parler franchement. Maintenant qu'il la tenait entre ses mains, il lui semblait certain qu'il ne ferait rien contre elle, même si elle lui révélait sa "traitrise".

« - Si je suis commandant d'infanterie, Dame Blancerf, c'est parce que je sais mieux que quiconque dans notre royaume comment tuer des hommes à moindre coût. Je suis un homme d'armes, et j'ai survécu justement parce que j'ai tué autant de démons que d'hommes. J'ai, dans ce grand conflit qui nous divise, peu d'intérêt pour chaque camp, désormais. J'essaye simplement de survivre et, lorsque j'en ai l'occasion, j'use de mon pouvoir pour préserver les belles choses de notre monde ; votre domaine qui a su garder son authenticité, dit-il en laissant glisser sa main valide le long du bras de Saskia, la déposant finalement sur ses doigts pour les envelopper d'une douce étreinte. Vous.

Il resserra ses doigts contre le tissu qui séparait leur peau comme pour le franchir et accentuer le contact.

- Je n'ai peut-être pas la même considération que vous pour chaque vie que je rencontre, je vous l'accorde. C'est ce qui rend celles que j'estime si particulières, surement. Vous n'avez rien à craindre de moi, ma Dame. Je ne faisais que vous mettre en garde ; aussi surement que vous êtes admirable, certains retourneront contre vous votre bonté. »

Il finit ses mots alors que son pouce caressait le dos de cette main travailleuse, sentant sous ce grain épais autant de douceur que de fermeté. Il ne lui en voulait pas d'être méfiante, surtout parce qu'il la poussait à l'être, mais, à ce moment, il aurait apprécié pouvoir la convaincre. Il y avait en Saskia Blancerf une innocence et une simplicité qui lui rappelaient les allures des femmes des vignes sur lesquelles ses yeux de jeunes hommes s'étaient posés toute sa jeunesse, et un mystère qui l'intriguait.

Théodore Svalt

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Rosmarin Sand-g10Ven 28 Aoû - 23:44
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Saskia ferma les yeux, réprimant un soupir. Quelque chose nouait son souffle dans une sorte d'infime sanglot brisé d'amertume et elle baissa doucement les yeux, tristement, un peu. Son visage aimable ne reflétait rien de la mélancolie sourde et de l'émotion vive que lui inspiraient les paroles de Théodore. Elle ne pouvait plus mettre en doute sa sincérité, à présent : nul homme ne pouvait mentir avec ces yeux là. Quelque chose au fond de Saskia y répondait, ardamment, avec un empressement brutal et impérieux. Elle voulait y croire, elle voulait se sentir protégée, à l'abri, enfin. Cesser de se méfier, de craindre et de redouter, cesser d'être le seul pilier de ce monde et pouvoir compter un peu plus sur quelqu'un, savoir qu'il y avait un peu, au-dessus ou près d'elle, quelqu'un pour s'assurer qu'elle et les siens seraient en sécurité.

Et puis, presque aussitôt, ce qui était né, attisé par ces paroles, se haït lui-même et se méprisa tout autant de ces pensées indignes. Elle n'avait pas besoin du soutien et de la protection de celui qui avait tant de sang sur les mains, quand bien même n'avait-elle pas d'autre envie que de le faire revenir du bon côté. Cela semblait si facile, tout d'un coup : qui professe de telles paroles ne peut être qu'à un pas de se défaire de ses allégeances, mais il y avait encore trop en jeu, trop de risques qu'elle ne pouvait prendre.

Saskia lui sourit, répondant avec douceur au geste de sa main sur les siennes. Elle avait de nouveau cette belle et suave expression de madone qui traçait sur son visage une longue vague de mélancolie sereine.

- J'aimerais sincèrement vous croire, Thédore, répondit-elle d'un ton légèrement contrit. Mais en toute franchise, mon ami, je ne puis croire que votre estime, si grande soit-elle, sera à l'épreuve de votre loyauté et de votre devoir. Je vous suis infiniment gré de cela, et vos paroles me touchent plus que vous ne pouvez l'imaginer. Néanmoins, je crois savoir à quoi m'attendre avec les gens de guerre. Je ne peux que souhaiter m'en tenir à l'écart.

Une pause, et puis, elle osa une question qui lui brûlait les lèvres depuis un moment.

- Pourquoi vous battre pour une cause qui ne vous importe pas? Je ne puis imaginer que vous puissiez tuer autant sans raison. Pas vous, cela... Cela ne vous ressemble pas. Vous n'avez pas l'air d'être de ceux qui n'ont besoin que de peu, ou de rien, pour tuer. Il vous faut un idéal, ou à tout le moins un bon prétexte...

Elle secoua la tête, et son incrédulité dissipa la tristesse, comme si elle se raccrochait au réel pour ne pas risquer de trop en dire ou de tomber dans le piège.

- Je ne puis croire que Théodore Svalt, dont on propage le nom avec tant de respect et de crainte, n'a que "peu d'intérêt" pour l'empire. Il vaut avoir la foi pour agir comme vous le faites, ou bien ne l'avez-vous en rien, et auquel cas vous avez toute ma compassion. Ce doit être terrible d'avoir à agir ainsi quand on n'a pas de fidélité pour son maître.

C'était trop beau, trop beau pour être vrai. Il ne pouvait que mentir, un peu, peut-être à demi, pour essayer de l'avoir en traître. Pourtant elle sourit encore, serra un peu plus la main du commandant entre les siennes, dans un geste ferme et réconfortant qui semblait tenter d'exprimer un peu de toute la compassion dont elle était capable.

- Je vous suis très reconnaissante pour votre respect et vos mises en garde, commandant, cela me va droit au coeur, vraiment ; j'en saurais faire bon usage, je crois, mais je voulais simplement que vous sachiez à quoi vous attendre, de ma part. C'est ainsi, je ne serais plus moi-même si je reniais ce principe. Vous devez savoir de quoi je parle, vous qui êtes un homme d'honneur. Je sais l'ingratitude des Hommes, et des autres. Cela n'ôtera rien de l'amour que je porte à ceux qui vivent ici bas.

Et malgré tout, il y avant dans les yeux noisette de la châtelaine quelque chose de précieux, quelque chose de vivant : quelque chose qui disait en somme "toi aussi." Il n'y avait besoin de rien, ou presque ; c'était si proche, si proche, tellement infime que la barrière qui les séparait ne semblait plus réduite qu'à une feuille de verre qui rendait muettes tant de choses, tant de cachotteries et de petites vérités. Elle aurait voulu lui dire, le mettre à l'épreuve : oui, elle aidait, soignait, et protégeait des rebelles, et priait Yehadiel au lieu de Zelphos. Elle était plus traîtresse que quiconque dans le village : aurait-elle encore son admiration après cela ? Elle en doutait et ne souhaitait en rien prendre ce risque.

Un fin sourire lui glissa le long des lèvres et elle baissa coquettement les yeux comme dame pleine d'une digne pudeur de matrone.

- Même à vous, commandant, même à vous, quand un mot de vous peut m'amener rejoindre feu mon époux.

Saskia Blancerf

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