Sa Majesté Kerns Indraugnir, Souverain légitime des Glaces et Amiral de la Flotte!

Son héraut avait à peine fini de l'annoncer que le sublime déchu s'avança. Il retrouvait avec plaisir la terre ferme après plusieurs semaines en mer à tenter de reprendre ce que la gestion calamiteuse et les trahisons incessantes des amiraux l'ayant précédé avait perdu : le contrôle des mers impériales.

Et les candidats à s'y opposer étaient légions : Salinéens, Amazones, pirates ou renégats..
En une semaine, le Déchu avait envoyé par le fonds pas moins de cinq navires d'affiliation différentes! Et le butin était... concret.

Les derniers mois avaient rendu l'Orage monstrueusement riche.. Au départ obligé de quémander le soutien économique des elfes et des nains, qu'il acceptait toujours très volontiers il recevait désormais un salaire splendide non seulment pour son poste d'Amiral mais également pour son poste prestigieux au sein de l'ordre des Illustres. Sans parler des butins de guerre.

Tant et si bien que le Prince de Miraclion en était prêt à passer de son statut de quémandeur à celui de pourvoyeur. Et que pouvait-il mieux pourvoir que l'un de ces hobbys préférés, dont il avait toujours regretté l'absence en Glaces : l'Arène. Là où les légendes se font et se défont et où la force pure s'affronte,tonitruante pour le plaisir des yeux des Puissants..

Il apportait donc avec lui une magnifique cargaison de prisonniers de guerre, dans le but de les donner au nouveau gérant du noble établissement. Il voyait là une forme de récompense méritée pour un homme qui avait su, malgré l'hégémonie des démons sur les instances de l'Empire, se faire sa place.

L'Orage jeta un oeil à sa cargaison, pas peu fier de voir graver à même leur chair son noble emblème : la foudre frappant la banquise. Deux amazones farouches, de vrais pestes qui lui avaient donné du fil à retordre ainsi que trois monstrueux Cardrakiens, dont les muscles saillaient sous la crasse et le sang qui recouvrait leur chair..
Il y avait également des lots de moindre haleine, qui devait servir de chair à canon dans la boucherie industrielle qu'était l'Arène... Il se délectait déjà de voir ses hommes se battre pour sa gloire personnelle...

Le Roi des Rois leva les bras en signe d'amitié et parcourut de son regard azur et froid les différents personnages présents. Sa voix s'éleva, chaude et chaleureuse:

Lequel d'entre vous peut me dire où se trouve Camille Anisum? Nous lui apportons un présent!

Camille Anisum avait passé la matinée à dormir après avoir bu quelques verres de trop la veille. Le jeune homme appréciait de plus en plus les méfaits de l’alcool, il ne devenait pas un horrible poivrot avec un nez rouge et un regard vaseux. Il savait se complaire dans un plaisir avec une certaine modération lui permettant de garder un petit contrôle. Si la Fée Blanche appréciait par-dessus tout se laisser emporter par quelques rêveries mais aimait rester maître et créateur de la beauté et de la folie qui l’entourait. Ainsi il ne consommait aucune drogue bien qu’il acceptât avec joie d’en tirer des bénéfices quand l’opportunité se présentait à lui.

L’organisateur des jeux se réveillait donc difficilement dans une pièce très large éclairé par les fentes entre des volets fermés de l’intérieur, une épaisse fumé de narguilé flottait dans l’air et le divan sur lequel s’était assoupi l’illustre laniste était parsemé de taches d’alcools et autres liquides de provenances différentes. Quelques bouteilles renversées jonchaient le sol entre des taches collantes et quelques hommes de joies recouverts de simples draps presque transparents laissant paraître leurs formes gracieuses et élancées.

Mais malgré tout cela, Camille se sentait toujours seul, cela faisait quelques jours que les combats de l’arène étaient devenu ennuyants, toujours les mêmes visages. Une médiocre vie de richesse enrobait le jeune homme comme un parfum trop fort, trop acide. Il se leva difficilement en poussant un râle de fatigue et resta quelques secondes debout et nu à contempler le désordre. Il se décida à quitter la pièce après avoir essayé en vain de se remémorer ce qu’il avait bien pu faire dans la soirée. Les couloirs étaient vides et il pouvait voir en bas, dans le centre de l’arène des hommes s’entraîner avec acharnement. Un spectacle certes surprenant mais qui était devenu monotone et lassant pour la Fée Blanche qui passa devant sans y prêter une grande attention, bien que tous pussent remarquer l’organisateur des jeux qui se promenait dans les couloirs nus et le regard éteint.

Si les gladiateurs et autres personnels des milieux des jeux n’étaient pas réputés pour leurs penchants homosexuels où leurs gouts pour les formes délicates préférant la grossièreté de femmes badigeonnées d’un maquillage douteux. Dans le cas actuel c’était un contre-exemple car tous regardaient leur supérieur avec des yeux ronds, comme subjugués par cette beauté éblouissante. On aurait dit un ange dénudé qui traversait un lieu abandonné des dieux. Finalement, Anisum pénétra dans ses appartements et après avoir pris un bain qui le réveilla il se mit à choisir ses vêtements. Un haut osé, une sorte de chemisier rosâtre qui s’arrêtait au nombril avec un long pantalon blanc et des sortes de sandales en roseau. De plus il ajouta un long tissu fin sur lequel étaient représentés de magnifiques camélias fleuris, une ombrelle beige venait arranger le tout. Sa Jian était rattaché à sa ceinture par une boucle en cuir clair.

À peine avait-il fini de se préparer qu’il entendit tout un tintamarre vers l’entrée de l’arène. Encore ? Qu’est-ce que cela pouvait encore être. Camille prit calmement la direction d’où venait toute la fanfare, il remarqua qu’il ne s’agissait pas d’un simple évènement quand il vit Maxence, le responsable de la garde arrivé en sueur vers lui avec un regard tout pétillant.

« Monsieur ! C’est incroyable ! L’Amiral Kerenese Eindro… Enfin, l’Amiral quoi. Et bah il est là et il vous attend. Il a ramené plein de mondes avec lui, y'a des prisonniers. Et surtout il dit qu’il a un cadeau pour vous. »
« Pa..pardon ? »
« Ouais, j’vous en donne ma parole ! L’Amiral est ici avec un cadeau pour vous ! »
« Non, ça j’ai compris, mais tu n’arrives pas à te souvenir de son nom, Kerns Indraugnir, alors que tu viens tout juste de l’entendre ? »
« Excusez-moi monsieur. »

Sans attendre son reste le laniste prit la destination supposée et arriva devant un flot de gladiateurs et d’entraineurs qui admiraient béat la troupe d’arrivants. Ils se poussèrent tous quand leur maître fit son apparition. La rencontre était importante, l’Orage et la Fée Blanche se retrouvaient parmi les gueux. Camille eut à peine le temps d’admirer la magnificence ombrageuse de son hôte qu’il inclina la tête et mima une révérence d’un air moqueur.

« Camille Anisum, la Fée Blanche, Organisateur des jeux de l’arène de Sen’tsura et laniste de qualité. Pour vous servir. »

Les yeux azur du Roi des Rois continuèrent à fixer l'assistance avec un calme plat. Personne ne bougeait, obsédé soit par la beauté de l'Orage soit par la taille des muscles des créatures qui l'accompagnaient. Il eut un sourire conciliant et dit

Et bien.. Où est-il?

Un homme s'avança balbutiant et l'informa qu'il aprtait sur le champ chercher la "Féé Blanche"; Indraugnir tiqua sur le surnom, il était des plus intrigants assurément.

Après quelques minutes, le laniste apparut en mimant une révérence d'un air moqueur. On lui avait décrit l'homme comme un individu assez cynique, voire subversif et il ne s'attendait pas à un grand respect de l'étiquette.. De toutes les façons, Kerns avait vieilli et les moqueries ne le touchaient guère plus. Dans un Empire où tout était mensonges, l'ironie était presque la seule chose vraie. Tant qu'il ne s'agissait pas d'un manque de respect.

Camille Anisum, la Fée Blanche, Organisateur des jeux de l’arène de Sen’tsura et laniste de qualité. Pour vous servir.

Kerns observa quelques secondes son interlocuteur et un sourire fraternel apparut sur ses lèvres avant qu'il ne commence à parler
.
Enchanté Sire, je suppose que votre homme m'a déjà présente. Je suis Kerns Indraugnir et tout ce qui va avec.. Vous connaissez l'étiquette j'en suis certain!

Etant un grand amateur des Jeux je me desesperais de ne point encore vous avoir rencontré. C'est chose faite désormais.

J'amène avec moi un lot des plus intéressants. Des prisonniers de guerre tout neufs prêts à mouiller le sable de l'Arène avec leur sang.

Il me plairait beaucoup de voir ses hommes se battre pour mon nom. Si vous consentiez à les entraîner et à faire jouer les meilleurs, vous m'illumineriez le coeur.

Mais vous aurez tout le temps de les regarder, et je viens pour des affaires plus sérieuses. Peut-être il y a t'il un endroit où nous pourrions discuter? Avec, oserais-je, une coupe de vin?

Camille regardait le seigneur en face de lui avec attrait et dégout. Ce Roi représentait tout ce qu’il détestait, une noblesse sûre de sa position qui pense que ses droits lui sont dus de naissance. Une sorte de fantasme de l’époque, une réalité virtuelle qui laissait penser aux nobles que tout était acquis pour eux et que si on leur refusait leurs désirs, c’est qu’il y avait une faute, un manquement à leur ordre inné. Mais, malgré cela, ce personnage renvoyait un certain attrait ensorcelant. Une magie envoutante, comme un désir mystérieux.

Il savait ce que c’était. Un incube, le jeune homme avait déjà eu la chance, ou la malchance, au choix, de rencontrer quelqu’un de son espèce et avait appris comment résister aux charmes, bien que l’envie de sauter au cou de l’Amiral était extrêmement forte. Cette fois-ci, un homme, une personne qu’il pouvait potentiellement aimer était l’objet de cette demande surnaturelle venant de ses entrailles et provoqués par une magie millénaire. Il ne fallait pas faiblir, ne pas chanceler, garder le cap. C’est alors avec difficulté que le laniste tourne le regard vers l’entrée par laquelle il était apparu. Et désigna d’un doigt faussement relâché, comme les colosses de pierres blanches de l’ancien temps ce trou béat qui s’enfonçait dans le long labyrinthe qu’était l’arène.

« Ami-râle, je vous en prie, suivez-moi, j’ai exactement ce qu’il nous faut. »

Le jeu de mots passait presque inaperçu, mais il était malgré tout présent et suffit à faire sourire le jeune homme ainsi qu’a ajouté une pointe grotesque à son invité, enlevant ainsi l’espace de quelques secondes de la superbe à ce Roi militaire. Ils s’avançaient dans les profonds et obscurs couloirs noirâtres. La bête infernale qu’était l’arène dévorait les deux princes, le prince du sang et le prince de spectacle. Alors que les deux hommes marchaient, Camille ponctuait la marche de quelques questions de politesse.

« Vous avez fait bon voyage ? Je vous remercie encore pour votre visite ainsi que ce présent, je vous promets que vos petites trouvailles sauront se faire admirer et haïr de la foule. Vous êtes de passage sur Sen’tsura pour quelques jours encore ? Vous repartez bientôt ? »

Au fur et à mesure de leur avancer, enfin ils arrivèrent dans l’un des imposants salons de l’arène, lieu qui se prêterait volontiers à la discussion. Le salon était composé de plusieurs chaises, une table principale sur laquelle trônait une ribambelle d’alcools et tout genre ainsi que des coupes de fruits découpés en petits cubes et épluchés avec soin. Ces mets avaient dû être préparés pour un autre invité qui devait venir dans la journée, mais la surprise de l’arrivée de Kerns avait fait changer le sens des priorités. Camille, d’un sourire radieux, laissant son parfum emplir le pallier fit de nouveau un geste de la main invitant le silenaste à rentrer.

« Prenez donc place, et dites-moi quel alcool en particulier vous préfèreriez. Mais surtout, dites-moi la raison réelle de votre venue. Je me doute bien que vous n’êtes pas seulement ici pour débattre de la qualité de mes spectacles. »