[Terminé] "Le loup et le renard" Quelle est la morale ?

Toujours plus. Toujours plus loin. Toujours plus vite. Dans ces moments, notre archer se laissait complètement abandonner à sa nouvelle nature des plus libératrices. Désormais loup blanc, il se laissait aller à ses instincts, peut-être nouveaux, peut-être simplement refoulés, et s'amusait à laisser l'animal mener le bal. Depuis sa transformation, il se sentait revivre, ressusciter. Et ces moments où il pouvait tout fuir pour simplement redevenir humble chasseur l'emplissaient d'une certaine joie. Teintée de nostalgie ? Peut-être. Cette époque où il était un humble chasseur. Où il ne faisait qu'un avec la nature qui l'entourait. Où il vivait, simplement, avec une heureuse ignorance des souffrances du monde. Il n'y avait que lui, son village et sa forêt. Il jubilait de pouvoir aujourd'hui retrouver ce sentiment. Ce sentiment d'intégration totale dans un monde qui était le sien. Sous cette nouvelle peau de loup, il pouvait retrouver son monde, sa forêt, sa liberté.

Courant à en perdre haleine à travers les bois, il se plaisait à sauter habillement les reliefs couverts d'épines de pin. Cela ne faisait que quelques courtes journées qu'il avait revêtu sa nouvelle nature, et déjà, il se sentait beaucoup plus heureux, beaucoup plus libre, beaucoup plus... lui. Lui et sa part lupine s'étaient rapidement très bien entendus, tant il avait déjà en lui les qualités qui feraient de lui un bon loup. L'amour de la famille, l'efficacité à la chasse, l'aisance en forêt... Néanmoins, même si son esprit s'accordait avec le côté animal, il n'en fut pas de même avec son corps. Devenir loup était une expérience... troublante. Vous êtes beaucoup plus petit et devez jouer avec deux pattes de plus que d'habitude, si bien que le pauvre bougre trébucha bien souvent en ne croyant avoir que deux appuis. La queue aussi était un nouveau protagoniste déroutant. Il fallait composer avec elle aussi, éviter qu'elle n'aille n'importe où. Plusieurs fois, Trataïr gémit en constatant que sa pauvre queue était retenue par une branche.

Enfin, mis à part ces quelques détails pratiques, le chasseur s'entretenait plutôt bien avec sa nouvelle part animale. Celle-ci aimant surtout se promener, manger, boire et avoir de la compagnie, il était facile de la contenter. Sauf pour le dernier point malheureusement. En effet, depuis son départ des Montagnes, Trataïr n'avait pas eu la chance de croiser à nouveaux d'êtres humains. Bizarrement, le loup en lui l'incitait à passer par les forêts. Lieux où, en général, il n'y a pas grand monde. Le bougre dû donc se contenter de la compagnie des... des vents. Et bien oui, les animaux de la forêt n'appréciaient pas grandement les loups... il fallait les comprendre en même temps. La solitude n'était guère son ami, et encore moins de l'animal qui était en lui. Il avait besoin de compagnie, et c'était cela qu'il cherchait. Animal, humain, n'importe quoi pourvu qu'il puisse passer un peu de temps avec un être vivant le comprenant.

C'était peut-être cela qu'il cherchait aujourd'hui, en cavalant partout à travers la forêt. Il esquivait habilement les branches piégeuses, les fourbes fosses qui se cachaient au creux des reliefs de la forêt, les tapis de feuilles et d'épines aussi glissants que de l'huile... tout les dangers masqués des bois emportés par l'automne. Le loup blanc n'était pas très discret de son habit d'albâtre au milieu du tableau ambre et brun qu'affichait la forêt. Cependant il faisait de son mieux pour ne pas être aussi visible qu'il l'était.

Au milieu de cette journée ordinaire, il sauta finalement sur une butte comme il en existait tant d'autres qui dessinait encore un peu plus le sol de la forêt. Sur son perchoir, ses yeux émeraudes envoûtants scrutaient l'horizon. De son museau sensible, il sentit au loin une odeur préoccupante. Un parfum fruité, sucré, bien différent de ce qu'il avait l'habitude de sentir jusqu'alors au milieu de ces feuilles mourantes. Concentré, il suivit ce parfum enchanteur, mais peut-être un peu trop, jusqu'à finalement arriver à un sentier. A l'horizon, il aperçut enfin le... enfin là propriétaire de cette senteur sublime. C'était une elfe, une elfe ordinaire, donc tout à fait ravissante, accompagnée d'un canidé aussi roux que les feuilles qui dansaient dans les airs aux rythme des vents. Prit d'un étrange sentiment d'intrusion, le loup argenté se mit à grogner sur le duo qui arpentait la forêt. Et plus particulièrement sur le renard. Il considérait l'animal comme un intrus sur son territoire. Et son instinct bestial lui intimait de le chasser. Ne rétorquant aucunement, il marcha à pas lents sur le chemin vers l'elfe et son roux compagnon. La queue relevée, les crocs bien en évidence et la tête droite. Tout cette attirail était là pour montrer sa dominance et sa mise en garde contre les étrangers. Qu'ils n'osent pas le défier, ou ils leur en coûtera ! Voilà le message qu'il voulait faire passer en cet instant à ces pauvres étrangers qui n'avaient rien demandés.

Quelques temps s'étaient écoulés après l'anniversaire d'Ashae quelque part dans les plaines de Terre, et Alys et Heylë y étaient restés le temps de finir de ranger avant de repartir pour l'ancien QG des Lames d'Argent, devenu celui de la Néo-Voëlkara. La jeune Elfe put enfin passer du temps avec son compagnon, Voyl Vanguard, et Heylë s'amusa à se prendre pour un renard humanisé, marchant sur deux pattes de temps en temps.

Un jour, Alys décida d'aller marcher dans la forêt proche pour s'aérer, et Heylë décida de la suivre. Après tout, rester enfermé dans une maison, aussi grande soit-elle, ce n'était jamais bon pour un animal qui a souvent besoin de se dégourdir les pattes.

Ils partirent assez tôt, Alys laissant un message à Voyl pour le rassurer, et s'engagèrent dans la forêt toute proche. Marchant tranquillement, ils laissaient l'air pur emplir leurs poumons respectifs. Un pur bonheur.

Soudain, Heylë, qui trottinait en tête, se figea et glapit d'inquiétude : un gros loup argenté se trouvait face à eux, grondant comme s'il protégeait son territoire. Alys se figea à son tour et appela Heylë, qui revint vers elle, avant de s'accroupir devant le loup en tendant la main :

N'aie pas peur, nous ne sommes pas tes ennemis. Nous ne faisons que nous promener.

Euh... Alys ?

Oui ?

C'est pas un loup ordinaire... Il a une odeur humaine qui traîne derrière lui...

Oh... Tu es sûr ?

Aussi sûr que je le vois et que je le sens. Ce type est un LOUP-GAROU !!

Et Heylë se mit à trembler derrière Alys. Là, il ne faisait clairement pas le poids, hors de question de faire le fier avec le loup... Pourvu qu'il ne les mange pas...

Continuant de sa démarche assurée aux accents funèbres, le loup blanc ne s'arrêtait pas. Les intrus, eux, avaient stoppés leurs pas. Le canidé roux s'était réfugié derrière l'elfe en quête de protection. Mais cela était vint. Si ces étrangers étaient bel et bien des ennemis, les chasser serait aisé pour Trataïr, c'est ce que lui soufflait l'animal qui était en lui. Depuis qu'il avait senti cette odeur, c'était le loup qui était aux commandes. L'humain n'influait même plus dans les décisions, il n'en avait pas envie. Il voulait laisser le contrôle totale à la bestialité qui l'habitait. Même arrivé devant le duo, il continuait de grogner farouchement, bien décidé à montrer qui était le dominant ici. Ces derniers jours en réalité, il avait peur. Peur d'être plus fragile dans cette nouvelle peau. D'être prit pour cible. Voilà pourquoi il sentait le besoin de montrer sa supériorité à tous les étrangers. Lorsqu'il croisa le regard de l'elfe, il calma légèrement ses bougonnements, tant celui-ci était dépourvu de tout sentiment d'hostilité. Comment penser que la propriétaire de telles prunelles soit une ennemie ? Mais il restait quand même sur ses gardes, préférant fixer le renard transit de peur, une persuasion typique dans le regard. "Ne bouge pas toi." Voilà ce qu'il envoyait comme message par le biais de son attitude.

Rapidement, la jeune femme se baissa vers lui, et le loup ne put se retenir de reculer, sur la défensive, prêt à bondir. Continuant de scruter l'humanoïde de ces beaux yeux verts.

- N'aie pas peur, nous ne sommes pas tes ennemis. Nous ne faisons que nous promener.

Le loup argenté, en entendant ceci, s'accorda une minute de réflexion. Fixant les sombres bois derrière les arbres. Etaient-ils vraiment de simples promeneurs ? Pouvait-il leur faire confiance ? Du coin de l'œil, il observa les réactions du renard. Celui-ci était de plus en plus terrifié. Cela ne laissait pas trop place aux doutes, ils n'étaient pas là en ennemis. Il dévisagea encore un peu les deux randonneurs. Ses traits avaient pris une allure plus détendue, plus rassurante, mais toujours avec cette prestance qui caractérisait les dominants. Il entama alors sa transformation. Sa fourrure d'une blancheur immaculée disparue pour laisser place à de la peau légèrement hâlée par les semaines de travail sous le soleil brûlant. Il se dressa sur ses pattes arrières et redevint enfin humain d'apparence. Il était tant que cette partie là de lui reprenne un peu les rênes. Désormais, il dépassait l'elfe en taille. Il était torse nue mais avait retrouvé un pantalon et des bottes. Une expression de concentration sur le visage, comme si il guettait toujours le danger.

- Excusez ma méfiance, dame de la forêt. N'en soyez nullement offensée. Votre odeur m'a simplement.... interpellée.

Il baissa ensuite encore les yeux vers le canidé roux. Son pelage flamboyant allait décidément parfaitement avec le décors.

- Quant à toi petit, tu n'as pas à trembler, je ne te ferais aucun mal.

Il esquissa un sourire rassurant, presque paternel devant le duo pédestre. Il recentra son attention sur la jeune femme. Elle était belle, indéniablement. Et de surcroît, il n'émanait pas d'elle cette fierté hautaine caractéristique des autres elfes. Elle avait le visage doux et sincère, ce qui rassurait encore un peu plus le chasseur sur leurs bonnes intentions. Mais toujours une pointe de méfiance, toujours.

- Vous avez faim ? Mon campement n'est pas très loin. J'ai de la viande et il doit me rester quelques poires que j'ai trouvées il n'y a pas très longtemps. J'espère que cela vous conviendra.

Son sourire s'élargit alors qu'il s'étirait pour reprendre peu à peu bon appui sur ses deux pieds. Passer de deux à quatre pattes n'était jamais simple. Mais il se jura qu'il s'en accommoderait un jour.

Heylë, toujours terrifié en voyant le loup, se risqua à sortir sa tête de derrière les jambes d'Alys. Le loup resta immobile quelques instants, puis il se transforma en un jeune homme vêtu d'un pantalon et d'une paire de bottes, assez costaud. Il y avait un air de concentration sur le visage, mais Heylë se rassura un peu lorsqu'il déclara :

Excusez ma méfiance, dame de la forêt. N'en soyez nullement offensée. Votre odeur m'a simplement.... interpellée.

Alys sourit mais ne broncha pas lorsque le jeune homme regarda Heylë pour lui dire :

Quant à toi petit, tu n'as pas à trembler, je ne te ferais aucun mal.

Le canidé prit le temps d'analyser la phrase de l'humain ; le sourire qu'il lui fit finit de le rassurer complètement, et il sortit de derrière les jambes d'Alys pour venir réclamer une caresse au jeune homme. Celui-ci demanda à l'Elfe :

Vous avez faim ? Mon campement n'est pas très loin. J'ai de la viande et il doit me rester quelques poires que j'ai trouvées il n'y a pas très longtemps. J'espère que cela vous conviendra.

Alys lança un regard en coin à Heylë, qui acquiesça avant de suivre l'humain redevenu loup. Ils le suivirent jusqu'au campement ; Alys se présenta :

Je m'appelle Alys et voici Heylë, mon Familier. Et toi, quel est ton nom ?

Elle s'installa près du feu et Heylë vint s'allonger à côté d'elle, lorgnant sur les pièces de viande qui trônaient à côté du foyer. Elles semblaient bien saignantes, en plus son estomac se mit à gronder à l'idée du délicieux repas qu'il allait faire. Miam miam miam...

Rapidement, très rapidement même, les deux compères semblèrent promptes à suivre notre loup. Le renard avait calmé sa terreur et venait désormais réclamer des attentions que Trataïr, en bon dominant affectif, appréciait de satisfaire. Il y avait, dans son comportement, une nouvelle vision de la vie en société. Les loups agissent différemment des humains quant ils sont entre eux. Cependant cela reste le même principe, il y a des codes à respecter, une hiérarchie etc... Simplement, elle était différente, plus simple et structurée, moins chaotique. Le chasseur aimait cet aspect de la vie de loup. Il surpassait le renard par la force, il était donc le dominant. Il avait un devoir de protection et d'affection envers lui désormais. C'était aussi simple que ça. Pas d'égoïsme, pas de sujétion... Simplement des codes à respecter pour bien vivre ensemble sans que les conflits n'apparaissent.

Sans dire plus de mots, l'archer les guida pendant quelques minutes jusqu'à une clairière où se trouvait son campement. Celui-ci ne se composait que d'un matelas de feuilles rousses devant un foyer éteint en cette heure, sa sacoche et ses autres biens se trouvaient prêt d'un arbre. Ses provisions de viandes, fruits de sa dernière chasse, trônaient dans un coin comme pour provoquer le pauvre canidé qui bavait presque sans retenu devant elles. Dans un coin, un cheval attaché à un arbre broutait paisiblement un carré d'herbe. La destination de Trataïr était simple, Sen'Tsura. Et pour y arriver plus rapidement, toujours la même méthode. Voyager à cheval en le changeant assez souvent pour maintenir un rythme soutenu et arriver plus vite. Cependant, aujourd'hui, il faisait une pause qu'il estimait mériter, profitant de la paix et de la protection qu'offrait la forêt. Un moment de lassitude très apprécié dans ce quotidien des plus remplis.

Il prit quelques secondes pour vérifier si il n'y avait pas d'odeur suspecte qui annoncerait la présence d'un intrus. Constatant le calme de la clairière, il se retourna vers ses invités, car c'est comme cela qu'il les traitait à présent.

- Je m'appelle Alys et voici Heylë, mon Familier. Et toi, quel est ton nom ?

Doucement, il esquissa un sourire franc mais trop léger pour être très important. Il connaissait désormais leurs noms. Une confession appréciée mais peut-être erronée. Oh et puis, quelle importance. Devait-il vraiment être constamment sur la défensive avec eux ? Le temps sera le seul conseiller... Les émeraudes de ses yeux restèrent ancrées dans le bleu océan de ceux d'Alys.

- Mon nom est Trataïr. Ravi de faire votre connaissance Alys. Il s'accroupit ensuite pour mieux voir le renard. Et toi Heylë, je suis ravi de te rencontrer aussi. Et ne t'inquiètes pas, tu auras bientôt droit à ta part de ma chasse.

Son sourire s'élargit alors qu'il se relevait pour pouvoir de nouveau se perdre dans la profondeur du regard de l'elfe.

- Encore désolé de vous avoir ainsi traité. Votre sourire, votre visage... tout m'indique que la haine et la violence sont des choses qui vous rebutent. Pourtant... vous avez aussi eu l'occasion de les voir à l'œuvre, c'est ce que je vois dans vos yeux...

Perdu dans ses réflexions, il ne remarqua pas que ce qu'il disait était peut-être incongru. Il secoua un peu la main comme pour annoncer la fin de cette étrange aparté et le retour à la normale.

- Vous voulez peut-être manger ? Je sais que votre compagnon en meurt d'envie. Venez, installons-nous pour déjeuner.

Il s'assit en tailleur sur le matelas de feuille et sortit de sa sacoche quelques fruits qu'il gardait pour les petits creux. Il les donna à Alys en guise de maigre déjeuner. Cependant, quant il voulu inviter Heylë à commencer le repas, le loup qui était en lui ne fut pas d'accord. Car oui, selon la hiérarchie lupine, le dominant mange en premier et les autres après. Mais son côté humain privilégiait la politesse. Un conflit interne qu'il voulait régler au plus vite. Il attrapa un large morceau de viande saignante et en arracha un bout pour le donner au renard. Il en prit un autre pour son compte cette fois et l'avala rapidement. Comme ça, les deux partis étaient presque contents. Il passa ses yeux sur ses invités, l'air désolé.

- Je m'excuse de cette hâte mais j'ai le ventre vide et le mien à tendance à se plaindre très fort depuis quelques temps.

Il invita de sa main ensanglantée les deux compères à manger.

- Je vous en prie, la faim est certes la meilleure des maladies, mais le remède à celle-ci l'est encore plus.

D'une façon presque instinctive, les crocs et les griffes du chasseur s'étaient légèrement montrés quant il partagea la nourriture. Prémices d'une transformation qu'il ne voulait pas mais que la présence du sang déclenchait invariablement. Il espérait seulement qu'elle n'aille pas plus loin...

Le jeune homme sourit doucement avant de répondre à Alys :

Mon nom est Trataïr. Ravi de faire votre connaissance Alys. Et toi Heylë, je suis ravi de te rencontrer aussi. Et ne t'inquiètes pas, tu auras bientôt droit à ta part de ma chasse.

Le renard lui adressa un sourire reconnaissant ; Trataïr se releva et fixa Alys dans le blanc des yeux avant de reprendre :

Encore désolé de vous avoir ainsi traité. Votre sourire, votre visage... tout m'indique que la haine et la violence sont des choses qui vous rebutent. Pourtant... vous avez aussi eu l'occasion de les voir à l'œuvre, c'est ce que je vois dans vos yeux...

L'Elfe esquissa un sourire un peu triste ; le souvenir de ce qu'elle et Heylë avaient vécu, en se confrontant à un Avatar des Ténèbres du nom de Vanitas, était encore vivace malgré le temps passé entre cet événement et le moment présent. Il secoua la main et reprit :

Vous voulez peut-être manger ? Je sais que votre compagnon en meurt d'envie. Venez, installons-nous pour déjeuner.

Une fois installés, il tendit à Alys les quelques fruits qu'il gardait ; mais au moment de s'occuper d'Heylë, il y eut un moment d'hésitation avant que Trataït ne se décide à partager en deux un morceau de viande bien saignant, lançant une moitié à Heylë qui l'attrapa au vol et engloutissant la seconde assez rapidement. Il s'excusa :

Je m'excuse de cette hâte mais j'ai le ventre vide et le mien à tendance à se plaindre très fort depuis quelques temps. Je vous en prie, la faim est certes la meilleure des maladies, mais le remède à celle-ci l'est encore plus.

Alys nota qu'il se retenait pour ne pas se transformer totalement, mais déjà les crocs et les griffes caractéristiques du loup étaient sortis ; elle croqua dans un fruit avant de demander :

Excuse-moi de poser une question qui risque d'être indiscrète, mais... cela ne fait pas longtemps que tu es un loup-garou, n'est-ce pas ? Et comment peux-tu savoir que j'ai pu voir la haine et la violence à l'œuvre ?

Attendant une réponse, elle croqua à nouveau dans son fruit, et ne se rendit pas compte qu'Heylë la fixait avec attention tout en mangeant son morceau de viande.

Le moment du repas. Ces quelques instants où l'on partage avec son prochain de quoi lui remplir l'estomac, mais pas que. On partage aussi avec lui ses joies, ses peines, ses souvenirs, tout ce qui fait qu'un homme en est un. On rit avec lui, on mange avec lui, parfois-même, on pleure avec lui. Et tout ça pendant cet humble moment de la journée, qui ne sert à la base qu'à nous sustenter. Entendre ses convives se reposer et se nourrir lui arracha un sourire. Cependant, les mots qui suivirent, le firent étrangement disparaître. de son visage durcit par les voyages.

- Excuse-moi de poser une question qui risque d'être indiscrète, mais... cela ne fait pas longtemps que tu es un loup-garou, n'est-ce pas ? Et comment peux-tu savoir que j'ai pu voir la haine et la violence à l'œuvre ?

Il marqua un long silence. Pendant lequel il réfléchissait à la question tout en mangeant. Il n'y avait pas photo, on réfléchissait mieux le ventre plein. Finalement, après quelques bouchées d'un gibier des plus savouré, il s'essuya la bouche avant de regarder l'elfe, un sourire navré aux lèvres. Quelques tâches de sang persistaient encore autour de celles-ci.

- Tu as raison, je ne suis pas loup depuis longtemps. Mais j'aime à croire que je l'ai toujours été un peu...

Un léger silence suivit, comme prémisse de la douloureuse déclaration qui allait suivre. Son masque sympathique se transforma en un visage marqué par le chagrin et les remords.

- Je te l'ai dit non, tes yeux. Le sang reste à jamais gravé dans nos yeux. Tu ne pourras t'en défaire. Je connais cette sensation, voilà pourquoi je l'ai si vite perçue chez toi...

Il savait depuis longtemps que dans son regard brillait la même lueur que dans le sien. Celle qui prouve la violence subie, donnée, vue, sentie et supportée. Il l'avait accepté, et continuer de répandre le sang ne lui faisait plus aucun effet. C'était dans ses obligations, ses réflexes, c'était même dans sa nature désormais. Et il fallait l'accepter. Mais ces rares moments où il pouvait, pendant quelques instants, échapper à cette haine était des plus libérateurs. Malheureusement, leur fréquence diminuait et il désespérait de trouver un jour la paix et le repos. Un nouvel instant de silence, presque de recueillement, suivit. Après quoi il retrouva se sourire si profondément gravé sur ses traits.

- Mais nous ne sommes pas ici pour parler des choses qui fâchent. La forêt n'est pas là pour voir notre douleur. Vous devez le comprendre mieux que quiconque non, dame de la forêt.

Il reprit un nouveau morceau de viande et en savoura le goût. La viande, chaude ou froide, le calmait. Il était plus serein après un repas de gibier. Un besoin avec lequel il allait falloir composer également, mais il y arriverait. Il lança aussi un nouveau morceau au renard avant de s'étirer un peu et de mettre le reste de la viande dans un sac.

- Bien, j'espère que vos estomac me remercieront. Je ne peux décidément pas laisser des invités le ventre vide.

Un rire franc s'échappa de sa lèvres, c'était un moment d'une simplicité magnifique, et il était bien décidé à en profiter auprès de ses deux invités.

Tu as raison, je ne suis pas loup depuis longtemps. Mais j'aime à croire que je l'ai toujours été un peu...

Alys ne rompit pas le silence qui s'installa après cette première réponse. Lançant un regard en coin à Heylë, elle nota qu'il la fixait intensément tout en finissant son morceau de viande. Fronçant les sourcils, elle tourna la tête vers Trataïr lorsqu'il reprit :

Je te l'ai dit non, tes yeux. Le sang reste à jamais gravé dans nos yeux. Tu ne pourras t'en défaire. Je connais cette sensation, voilà pourquoi je l'ai si vite perçue chez toi...

L'Elfe hocha doucement la tête et finit son fruit, souriant lorsque Trataïr rappela que ce n'était pas l'endroit pour en discuter. La forêt était leur protectrice, elle leur apportait une certaine sérénité qui ne pouvait que réchauffer leurs cœurs.

Ils finirent enfin leur repas, et Alys se tourna vers Heylë pour lui demander :

Pourquoi tu me fixes comme ça ? J'ai un moineau dans les cheveux ?

Rigole, patate. Je remarque juste que tes cheveux sont en train de virer au bleu... Comme avant.

Que QUOI ?! Et tu pouvais pas me le dire plus tôt ?!

Alys, j'ai cru que je rêvais... Je voulais être sûr que ce n'était pas un mirage...

L'Elfe farfouilla dans son sac et y trouva un petit miroir. Elle s'y regarda et laissa les larmes de joie et de surprise déborder de ses yeux ; en effet, sa chevelure reprenait doucement sa couleur bleue, pour s'arrêter aux pointes qui restaient rousses. Heylë se leva et vint se lover contre elle, partageant sa joie de retrouver une partie de son passé qu'elle avait perdu, ce funeste jour où elle était tombée face à Vanitas.

Tu as raison, je ne suis pas loup depuis longtemps. Mais j'aime à croire que je l'ai toujours été un peu...

Alys ne rompit pas le silence qui s'installa après cette première réponse. Lançant un regard en coin à Heylë, elle nota qu'il la fixait intensément tout en finissant son morceau de viande. Fronçant les sourcils, elle tourna la tête vers Trataïr lorsqu'il reprit :

Je te l'ai dit non, tes yeux. Le sang reste à jamais gravé dans nos yeux. Tu ne pourras t'en défaire. Je connais cette sensation, voilà pourquoi je l'ai si vite perçue chez toi...

L'Elfe hocha doucement la tête et finit son fruit, souriant lorsque Trataïr rappela que ce n'était pas l'endroit pour en discuter. La forêt était leur protectrice, elle leur apportait une certaine sérénité qui ne pouvait que réchauffer leurs cœurs.

Ils finirent enfin leur repas, et Alys se tourna vers Heylë pour lui demander :

Pourquoi tu me fixes comme ça ? J'ai un moineau dans les cheveux ?

Rigole, patate. Je remarque juste que tes cheveux sont en train de virer au bleu... Comme avant.

Que QUOI ?! Et tu pouvais pas me le dire plus tôt ?!

Alys, j'ai cru que je rêvais... Je voulais être sûr que ce n'était pas un mirage...

L'Elfe farfouilla dans son sac et y trouva un petit miroir. Elle s'y regarda et laissa les larmes de joie et de surprise déborder de ses yeux ; en effet, sa chevelure reprenait doucement sa couleur bleue, pour s'arrêter aux pointes qui restaient rousses. Heylë se leva et vint se lover contre elle, partageant sa joie de retrouver une partie de son passé qu'elle avait perdu, ce funeste jour où elle était tombée face à Vanitas. Enfin, elle redevenait vraiment elle-même... Un vrai miracle se produisait actuellement, elle en connaissait un qui serait surpris et tout aussi heureux de la voir avec sa chevelure bleue, celle avec laquelle il avait connu Alys.

Le repas se termina dans une ambiance relativement agréable. La paisible forêt leur susurrait des poèmes à travers le chant des oiseaux et le soleil passant à travers les branches à demi dévêtus posaient ses rayons chaleureux sur les quelques vagabonds de la clairière. Le cheval hennissait dans son coin, n'ayant plus d'herbe à se mettre sous la dent. S'excusant d'un geste de la main, l'archer se leva de son tapis de feuilles pour aller le changer d'endroit, et le mettre de préférence à l'ombre. C'était le début de l'automne, mais quand le soleil était à son zénith, il continuait de brûler les peaux.

Tandis qu'il s'affairait à contenter sa monture, des sanglots se faisaient entendre derrière lui. Inquiet, il termina rapidement d'attacher le cheval à un nouvel arbre et revint auprès de son invitée. Il constata avec surprise que celle-ci avait désormais les cheveux aussi bleus que l'étaient ses yeux. Il s'agenouilla auprès d'elle, la mine inquiète.

- Que t'arrive-t-il donc ? Ce sont tes cheveux qui te mettent dans cet état ?

D'un doigt, il écarta une mèche azur du visage de l'elfe. Dieux qu'elle était belle, mais il ne fallait pas y penser. Il échangea ensuite un regard avec le renard. Lui semblait très heureux, ce qui rendait la situation d'autant plus bizarre. Il le regarda d'un air dubitatif.

- Tu veux bien m'expliquer ce qui se passe toi ?

Soudainement, son regard porta vers le fond de la forêt, derrière-lui. Un réflexe qui le dépassait. Et peu lui importait. Il reporta rapidement son attention sur le duo d'amis.

- Quelqu'un veut bien m'expliquer ?

Il était légèrement frustré de ne pas avoir de réponse. Cependant les deux compères se regardaient. Comme si ils échangeaient une conversation silencieuse, onirique, et que le pauvre en était exclu. Il n'était pas jaloux, ça non, mais il aurait bien aimé pouvoir comprendre le pourquoi du comment.

Pour la première fois depuis longtemps, Alys et Heylë pleuraient de joie. Un retour vers le passé s'opérait pendant qu'Alys recouvrait en partie ses cheveux bleus d'autrefois, ne laissant que les pointes rousses. Un vrai miracle, comme si ses prières les plus profondes étaient exaucées.

Alys ne réagit pas tout de suite lorsque Trataïr s'agenouilla près d'elle, inquiet :

Que t'arrive-t-il donc ? Ce sont tes cheveux qui te mettent dans cet état ?

Elle ne répondit pas, se contentant de hocher la tête, encore sous le choc. Trataïr se tourna vers Heylë, qui souriait béatement, et lui demanda :

Tu veux bien m'expliquer ce qui se passe toi ?

Le renard câlinait Alys sans vraiment prêter attention à Trataïr, qui se tut quelques instants avant de redemander :

Quelqu'un veut bien m'expliquer ?

Heylë donna un coup de langue pour sécher les larmes d'Alys avant de se tourner vers le jeune homme pour lui répondre :

Tu as vu Alys avec les cheveux roux, mais autrefois elle avait de magnifiques cheveux bleus, comme la nuit. Elle les a perdus peu de temps après notre rencontre avec un Avatar des Ténèbres du nom de Vanitas : ils sont devenus roux quand nous avons été confiés au bon soin d'une guérisseuse dans les Montagnes. Moi-même y ai hérité du don de parole, avant je ne pouvais communiquer que par la pensée, et généralement uniquement avec Alys.

Et là, je ne saurai pas t'expliquer pourquoi, mais notre amie retrouve en partie ses cheveux bleus, et c'est ce qui nous rend heureux. Elle va enfin, peut-être, retrouver une vie normale...

Les deux amis semblaient si heureux. Tant de joie émanait d'eux. Ils se câlinaient, ils jouaient, ils pleuraient... C'était un spectacle d'une telle beauté, d'une telle humanité... Trataïr vit son visage s'étirer en un sourire enjoué, presque nostalgique. Depuis combien de temps ne s'était-il pas laissé aller dans les bras d'un ami ? Il avait quelques amis, certes, mais les aléas de ses voyages l'empêchaient de les côtoyer aussi régulièrement qu'il le souhaiterait. Etait-ce forcément une mauvaise chose ? Car l'éloignement, couplé avec une longue attente, ne rend que meilleur les retrouvailles. C'était une immuable vérité de ce monde. Quant on est loin de quelqu'un, s'en rapprocher est la plus belle des joies. Après quelques minutes de candide affection, le renard s'occupa enfin de répondre à nôtre cher archer. Le fait qu'il parle ne l'étonnait pas franchement. Il était presque habitué aux étrangetés de ce monde.

- Tu as vu Alys avec les cheveux roux, mais autrefois elle avait de magnifiques cheveux bleus, comme la nuit. Elle les a perdus peu de temps après notre rencontre avec un Avatar des Ténèbres du nom de Vanitas : ils sont devenus roux quand nous avons été confiés au bon soin d'une guérisseuse dans les Montagnes. Moi-même y ai hérité du don de parole, avant je ne pouvais communiquer que par la pensée, et généralement uniquement avec Alys.

Et là, je ne saurai pas t'expliquer pourquoi, mais notre amie retrouve en partie ses cheveux bleus, et c'est ce qui nous rend heureux. Elle va enfin, peut-être, retrouver une vie normale...

Alors voici l'origine de ce changement si important. Une mauvaise et fortuite rencontre qui les a amené à recevoir des soins qui eurent pour effets secondaires de teindre les cheveux de l'elfe et de donner la parole au renard. On aurait dit un conte de fées. Mais cette épopée était véridique, le chasseur en était certain. Toutes les émotions qui résultèrent de cette mutation ne pouvaient être que sincères. Ou alors ils jouaient très bien la comédie. Ce que Trataïr ne comprenait pas par contre, c'était le terme "vie normale". Est-ce que les elfes étaient tellement vaniteux qu'un simple changement capillaire les faisaient sombrer dans le désespoir ? Une idée bien ridicule et l'archer espérait qu'il n'avait pas trouvé la bonne réponse. Il s'agenouilla auprès des deux compères et esquissa un franc sourire en voyant Alys aussi heureuse.

- Je suis heureux pour vous, vraiment. Ça me fait plaisir de voir un bonheur pareil. Cependant j'aimerais comprendre le terme de "vie normale". Tu ne vivais pas normalement avec tes cheveux roux ? Est-ce que les elfes rejettent leur semblables quant ils ont des cheveux de feu?

La question était sincère, il n'y avait aucune ironie dedans. Trataïr connaissait assez mal les coutumes elfiques et il ne voulait pas dire de bêtises en affirmant que c'était ridicule d'être aussi heureux à cause de ses cheveux. Il jeta un regard au renard qui était toujours aussi béat devant son amie. Il lui caressa distraitement la tête tandis qu'il souriait toujours en voyant les deux compères.

Alys finit par se calmer, séchant les dernières larmes de joie qui coulaient de ses yeux, et sourit lorsqu'elle entendit Trataïr lui dire :

Je suis heureux pour vous, vraiment. Ça me fait plaisir de voir un bonheur pareil. Cependant j'aimerais comprendre le terme de "vie normale". Tu ne vivais pas normalement avec tes cheveux roux ? Est-ce que les elfes rejettent leur semblables quant ils ont des cheveux de feu?

Elle lança un regard en coin à Heylë, qui hocha la tête pour l'encourager à répondre, puis planta son regard bleu dans celui, vert, de Trataïr et répondit :

C'est... compliqué. Je n'ai pas été élevée à Drayame, ma famille ayant préféré partir peu avant ma naissance, et au final je n'ai pas vraiment été élevée comme une Elfe. Je pense que j'ai eu en partie une éducation humaine...

Mais la question n'est pas là. Par "vie normale", Heylë entend peut-être une vie où je pourrais me caser, comme quand j'étais enfant, sans avoir à courir les routes et à connaître des aventures merveilleuses ou cauchemardesques...

Elle lui adressa un sourire :

Puisqu'on en est à parler de nos vies, quelle est la tienne ?

Heylë s'allongea près d'Alys et fixa le jeune homme avec attention. Il était curieux de connaître son histoire, même s'il se doutait - tout comme Alys - qu'elle était trépidante. Car la vie n'est jamais un long fleuve tranquillement, contrairement à ce que prétendaient certains humains.

Quelques instants passèrent. Ils étaient ni courts, ni longs, mais peut-être essentiels pour l’elfe. Peut-être qu’elle en profita pour chercher ses mots, ou simplement l’appui de son ami quadrupède, nul ne saura ce qu’ils se sont dis lors de ce brève regard. Toujours est-il que ça a eu le mérite de conforter Alys dans ses idées. Elle fut, dès cet instant, convaincue qu’elle pouvait parler, visiblement. Elle planta ses yeux océans dans ceux de Trataïr. Les larmes versées précédemment les rendaient si beaux, si bleus.

- C'est... compliqué. Je n'ai pas été élevée à Drayame, ma famille ayant préféré partir peu avant ma naissance, et au final je n'ai pas vraiment été élevée comme une Elfe. Je pense que j'ai eu en partie une éducation humaine...

Mais la question n'est pas là. Par "vie normale", Heylë entend peut-être une vie où je pourrais me caser, comme quand j'étais enfant, sans avoir à courir les routes et à connaître des aventures merveilleuses ou cauchemardesques...

Un charmant sourire vint ensuite illuminer son visage qui brillait quelque peu sous l’effet des larmes. Comme orné de milliers d’étoiles.

- Puisqu'on en est à parler de nos vies, quelle est la tienne ?

La mine radieuse du chasseur s’assombrit quelque peu. Légèrement, un changement presque invisible. Mais il était là. Sa vie ? Quel était sa vie ? Une question qui lui revenait durant ses songes oniriques. Mais il prenait soin de ne jamais avoir à le faire durant la journée. Cela aurait des conséquences néfastes… funestes même pour les gens présents à ce moment, se disait-il depuis quelques jours. Le loup blanc ne comptait pas le moins du monde leur parler de ça. Il ne les connaissait pas après tout. Pourquoi leur infliger une histoire, au pire triste, au mieux ennuyeuse ? Non, il était décidé à se taire aujourd’hui, et peut-être toujours dorénavant. Il leur adressa une mine désolée.

- Ma vie… ma vie n’est pas importante ici, dans cette forêt. Enfin, pas plus importante que celle des lapins ou des arbres. Alors je ne tiens pas à la raconter. Veuillez m’en excuser.

Il esquissa un sourire gêné avant de se lever du sol moelleux de la forêt pour aller tendre un bol en terre cuite rempli d’eau à sa monture. Elle devait avoir soif la pauvre. Mais c’était peut-être aussi un moyen d’échapper à leurs regards, à leurs questions. Nul ne le saura.

Alys put noter la tristesse qui voila quelques instants le regard de Trataïr. Elle comprit aussitôt le message, et se contenta de hocher la tête en caressant Heylë pendant que le jeune homme répondait :

Ma vie… ma vie n’est pas importante ici, dans cette forêt. Enfin, pas plus importante que celle des lapins ou des arbres. Alors je ne tiens pas à la raconter. Veuillez m’en excuser.

L'Elfe posa une main apaisante sur l'épaule de Trataïr et, souriant, le rassura pendant qu'Heylë quittait les caresses d'Alys pour se poser près de lui :

Tu es pardonné, Trataïr. Nous ne poserons plus de questions indiscrètes, je vois bien que ça te dérange.

Soudain, Heylë se mit à gronder après les arbres, bondissant sur ses pattes, avant de se mettre à courir dans les fourrés. Sans chercher à comprendre, Alys banda son arc et suivit son renard pendant cinq bonnes minutes, avant de le perdre de vue. Elle appela Trataïr :

Viens avec moi, je crois qu'Heylë a senti quelque chose...

Elle continua d'avancer, et finit par retrouver un Heylë qui pleurait doucement ; un autre renard roux gisait sur la route, mourant. Alys sentit son cœur se serrer pendant qu'Heylë essayait de tenir son collègue éveillé, et elle se précipita près du canidé. Qui s'avérait en fait être une femelle, mais qui pouvait être sauvée...

Elle lança à Heylë :

Va me chercher mon sac, j'ai les plantes à l'intérieur. Si on fait vite, on va pouvoir la sauver...

Elle déchira une partie de sa tunique pour bander la plaie au cou de la renarde qui saignait abondamment, et priait pour que son canidé fasse vite. Tant qu'elle avait de l'espoir, elle pouvait sauver la renarde. Et elle comptait bien le faire.

Trataïr ne voulait plus entendre de questions. Ces derniers jours avaient été pour lui une sorte de pause. Des vacances prisent avec la vie pour renouer avec lui-même, ce qu'il était, ce qu'il voulait être, ce qu'il ne voulait pas devenir... Il voulait, pendant ces quelques jours, oublier l'homme qu'il était, oublier l'archer, l'impérial, le tueur patenté. Trataïr voulait redevenir, pour un bref moment seulement, ce qu'il était avant. Un simple vagabond, qui voyageait au gré de ses humbles envies, dont le plus grand bonheur était d'entendre le vol des oiseaux, le chant de l'eau qui coule dans la rivière, le silence qui régnaient parfois au creux de la forêt... Son rêve désormais était de tout arrêter. L'Empire, les missions, les voyages, le temps même, et de se poser dans ce havre de paix, à l'abri de tout, si fragile et si beau, mais en même temps si éternel et si indomptable. Un endroit qui ressemblait fort à son petit village, perdu dans un bois similaire, sans nom, sans identité propre, mais épargné de tous soucis, se laissant couler avec le temps et vivre simplement.

La nostalgie l'emportant au-delà de la réalité, il tressauta lorsque l'elfe posa une main sur son épaule.

- Tu es pardonné, Trataïr. Nous ne poserons plus de questions indiscrètes, je vois bien que ça te dérange.

Toujours de dos, il sourit cependant en entendant les paroles d'Alys. Elle disait qu'elle ne lui torturerait plus l'âme avec pareilles interrogations. Il voulait la remercier mais ne dit rien. L'odeur... l'odeur était de nouveau là. L'odeur fauve d'un prédateur en mal de proie. Entendant ses invités s'en aller en courant dans les fourrées, il prit quelques instants pour se transformer complètement. Améliorant ainsi son odorat pour mieux déceler l'odeur du carnivore qui était en train de faire couler le sang... Il découvrit avec effroi la vérité de ce danger et parti immédiatement rejoindre ses amis. Tout en prenant soin de récupérer la sacoche de l'elfe pour ne pas que son contenu disparaisse le temps qu'ils reviennent.

Le chasseur couru, sans relâche, pendant de longues minutes. Evitant les pièges que lui tendait la forêt. Malgré son gabarit, ses pas agiles étaient légers et s'entendaient à peine autour de lui. Il voulait absolument empêcher un désastre de ce produire.

Finalement, il stoppa sa course à quelques mètres d'une route. Il sentit très clairement l'odeur caractéristique de l'elfe, de celle, plus fauve et ordinaire du renard, et une autre odeur vint se glisser dans le tableau. Une très faible bribe de senteur perdue dans un océan de sang au parfum âcre et fort. Quelqu'un était blessé ici même, et il fallait l'empêcher de mourir à tout prix... il ne voulait pas que la paix de ce lieu soit rompue...

En s'approchant de la route, il arriva finalement dans le dos d'un homme qui se tenait caché dans les fourrées. C'était un chasseur, vraisemblablement expérimenté vu qu'il avait le corps recouvert de boue, ce qui masquait son odeur. Son arc était bandé et pointé vers le groupe d'amis. Prit d'un accès de colère, Trataïr ne laissa pas le temps à l'homme de se retourner et le projeta à l'aide de son bras quelques mètres plus loin, en plein milieu du chemin. Ni une ni deux, il bondit vers lui pour le saisir par le col et le soulever du sol tel une branche morte. Il ne prit même pas le temps de regarder l'elfe et ses compagnons et se concentrait uniquement sur le chasseur entre ses mains. Ses yeux brillants d'une lueur inquiétante et prédatrice restèrent fixés sur ceux de l'homme dont le visage exprimait sans peine sa terreur grandissante face à un tel monstre.

- Que fais-tu là chasseur ?! Pourquoi viens-tu troubler la quiétude de cette forêt ? Lâcha-t-il dans un grognement. Il marqua une légère pause avant de reprendre, tenant toujours fermement l'homme au-dessus du sol. Pourquoi est-ce que une vingtaine d'hommes en armes se dirigent vers nous ?!

Il continuait à le tenir sans lui laisser aucune possibilité de s'échapper. Il avait senti l'odeur très caractéristique d'une vingtaine de combattants qui se dirigeaient tous vers cet endroit. Ils sentaient le vin, la sueur, le sang et leurs pas étaient tous sauf légers. Des bandits certainement. Mais que venaient-ils faire ici ?!

- Lâchez-moiiiii !!! Moi je devais juste... rapporter la kitsune ! C'est... tout ! Maintenant lâchez-moi et je.... je partirais !!!

La kitsune ? Mais de quoi parlait-il ?! Trataïr jeta un regard vers le groupe et s’aperçut que la créature blessée était en fait une magnifique renarde, au pelage similaire à celui d'Helyë. Une entaille profonde se laissait deviner sur son flan rougit de toute part, et elle semblait aux portes des Limbes. Ce qui frappa encore plus le chasseur fut qu'il découvrit avec surprise que cette renarde là possédait deux queues au lieu d'une seule. Quelle était donc cette nouvelle étrangeté qui s'offrait à ses yeux ? Sans dire mot, il relâcha le bandit qui partit en courant vers le sud, et ses compagnons. Il s'approcha ensuite avec hâte du corps de la petite renarde. Inspectant avec application la blessure... que faire ? Il lança un regard désespéré à Alys tout en reprenant sa forme humaine. Elle saurait sûrement elle, il en était sûr. Il le fallait.

Alys ignorait où était passé Trataïr, s'il les avait suivis ou non, mais l'important était de sauver la renarde. C'était dans ses moyens et si elle faisait vite, cette pauvre petite survivrait...

Elle sursauta lorsqu'elle entendit derrière elle Trataïr foncer sur un homme et le maîtriser rapidement ; sous sa forme lupine, tout lui était possible, y compris protéger la forêt des intrus. Elle l'entendit gronder :

- Que fais-tu là chasseur ?! Pourquoi viens-tu troubler la quiétude de cette forêt ? Pourquoi est-ce que une vingtaine d'hommes en armes se dirigent vers nous ?!

Heylë se mit en position, prêt à mordre le mollet de ceux qui les dérangeraient, pendant qu'Alys continuait de prodiguer ses soins à la renarde. Elle s'arrêta lorsque le bonhomme paniqua :

Lâchez-moiiiii !!! Moi je devais juste... rapporter la kitsune ! C'est... tout ! Maintenant lâchez-moi et je.... je partirais !!!

Une kitsune ?! Ah, en effet, Alys, Heylë et Trataïr purent remarquer le fait que la renarde avait deux queues, au lieu d'une seule... Alys sentit le désespoir dans le regard du jeune homme lorsqu'il reprit forme humaine et le rassura aussitôt :

Je vais la sauver, ne t'inquiète pas. J'ai déjà plus ou moins commencé.

Elle fit signe à Trataïr et Heylë de reculer pour laisser respirer la kitsune, et reprit ses soins. Appliquant sur la plaie un baume à l'achillée, plante reconnue pour ses vertus antiseptiques et cicatrisantes, elle finit son office en quelques instants en pansant la blessure de la kitsune. Ceci fait, elle la souleva délicatement et la ramena au campement ; Heylë se mit en tête de lui trouver un peu de nourriture afin qu'elle reprenne quelques forces.

L'Elfe déposa doucement la kitsune près du feu et veilla sur elle le temps qu'Heylë revienne de sa chasse qui fut productive ; cette fois, ses proies n'étaient pas des perdrix, mais de jolis faisans, qu'il déposa près de la renarde avant de s'allonger près d'elle. Alys soupira :

Nous n'avons plus qu'à attendre qu'elle se réveille... Peut-être pourra-t-elle nous expliquer le pourquoi du comment.

Paniqué, voilà comment était le chasseur en ce moment. Il ne voulait pas, pendant son paisible séjour, voir une autre vie innocente être effacée à cause de la cruauté de l’homme. Il disait qu’il devait récupérer cette étrange créature ? Mais… pourquoi ? Il y avait-il des gens assez vénaux pour vouloir tirer de l’argent d’un être si magnifique et si ignorant du monde qui l’entoure ? Pourquoi est-ce que le monde regorgeait de ce genre de personnes. Cela désolait le pauvre lycan, qui essayait au maximum de ne pas penser à l’avenir du monde. Car celui-ci s’annonçait des plus sombres et se torturer l’esprit en essayant d’en entrevoir toutes les facettes était une flagellation mentale inutile. Le jeune homme fut rapidement rassuré par son invitée qui semblait si bien connaître les plantes médicinales. Elle avait déjà commencée à panser la plaie de l’étrange animal.

- Je vais la sauver, ne t'inquiète pas. J'ai déjà plus ou moins commencé.

Acquiesçant, la mine inquiète, il recula à la demande de l’elfe pour la laisser soigner en paix. Quelques longues minutes passèrent, puis, en silence, la demoiselle souleva doucement la créature et le groupe repartit en direction du campement de Trataïr. Un périple silencieux s’en suivit. Les uns étaient sûrement trop inquiets pour oser dire mot aux autres. Tandis que l’archer centrait toute sa concentration à suivre de son odorat canin la piste des hommes. Ils se dirigeaient toujours de leur pas nonchalant vers eux. Peut-être que l’homme n’était toujours pas revenu leur dire. Le loup devait s’attendre à bientôt les voir accélérer la marche pour atteindre plus rapidement le petit renard et l’enlever. Il ne les laisserait pas faire, même à un prix défiant la raison. Il se battrait et ferait couler leur sang s’il le fallait, sans hésiter. Il avait apprit depuis quelque temps que tuer n’était pas forcément un acte barbare d’où on se plaçait. Si il trucidait pour une cause juste, il ne devait pas s’inquiéter du salue de son âme, voilà ce que le général Anima lui avait révélé. Espérons qu’il dise vrai. Parce que l’archer comptait bien défendre la pauvre blessée jusqu’au bout.

Arrivés au campement, chacun se répartit des tâches précises. Tandis que le renard roux devait aller chasser pour nourrir sa congénère, Alys devait veiller auprès d’elle jusqu’à son réveil. Trataïr, lui, c’était réservé le pistage des hommes. Il devait préparer un plan de fuite tout en continuant de suivre du nez les déplacements des bandits. Comme il l’avait tristement prévu, ils avaient accélérés le pas depuis quelques minutes, et ils se dirigeaient en hâte vers le campement. Ils savaient vraisemblablement comment suivre la Kitsune à la trace. Quant à savoir comment ils faisaient… c’était une autre histoire.

Quand Heylë revint de sa chasse, Trataïr avait fini d’élaborer le plan. Il devait réussir ou ils étaient tous en danger. Contre une vingtaine d’hommes en armes, même lui allait avoir du mal. Et il ne savait pas si Alys savait se battre efficacement. C’est pourquoi il appela les deux amis auprès de lui pour leur annoncer le pot au rose.

- Bien, nous nous sommes mis dans une bien mauvaise situation. Le groupe de bandits se rapproche de plus en plus de nous et ils semblent pouvoir nous localiser où que nous allions. On va devoir faire avec. Il nous faut fuir. Je propose qu’Alys et notre blessée montent sur le cheval pour aller plus vite, tandis qu’Helyë et moi, nous traverserons la forêt à pattes. Si nous n’allons pas assez vite, je m’occuperais d’eux. Enfin j’essaierais. Bien, tout le monde est d’accord ?

Il attendait leurs réactions avec impatience, il fallait faire au plus vite. Ne pas hésiter, ne pas douter. Il fallait juste fuir le plus loin possible. Son visage exprimait son inquiétude et l’extrême sérieux de ses propos. Puissent-t-ils accepter sans faire d’esclandres…

Quelques instants après le retour d'Heylë, Trataïr, qui humait l'air fréquemment, finit par faire venir Alys et son renard près de lui pour leur expliquer un plan :

Bien, nous nous sommes mis dans une bien mauvaise situation. Le groupe de bandits se rapproche de plus en plus de nous et ils semblent pouvoir nous localiser où que nous allions. On va devoir faire avec. Il nous faut fuir. Je propose qu’Alys et notre blessée montent sur le cheval pour aller plus vite, tandis qu’Helyë et moi, nous traverserons la forêt à pattes. Si nous n’allons pas assez vite, je m’occuperais d’eux. Enfin j’essaierais. Bien, tout le monde est d’accord ?

Le duo s'échangea un regard : ils étaient d'accord avec le plan de Trataïr, faute d'en avoir un autre meilleur. Alys prit donc la kitsune dans ses bras et la déposa doucement sur l'encolure de la monture avant de se placer derrière elle pendant qu'Heylë se préparait à courir.

L'Elfe n'attendit pas que les hommes en armes sortent des fourrés pour éperonner le cheval, qui se cabra légèrement avant de partir au galop, emportant sa cavalière et sa passagère loin des agresseurs. Cependant Alys, malgré sa concentration, ne put s'empêcher de s'inquiéter pour Heylë et pour Trataïr, qui certes devaient courir vite mais seraient les premiers à être touchés en cas d'attaque... Et il lui était impossible pour le moment de soit utiliser ses pouvoirs, soit son arc. Quoique...

Prestement elle attrapa son arc et ses flèches et se retourna : il était temps, les hommes couraient vers eux, prêts à en découdre pour récupérer la kitsune. L'Elfe banda son arc et visa : ses flèches allèrent se ficher dans un homme, puis un autre, et encore un autre... Jusqu'à ce qu'il n'en reste que deux, qu'elle laissa à Trataïr et Heylë pendant qu'elle mettait son précieux chargement à l'abri.

Les deux compagnons acceptèrent le plan de Trataïr. Bien, au moins ils ne tergiversaient pas. C'est donc en grande hâte que l'elfe mit l'étrange renarde sur le destrier du chasseur et partit au triple galop sur les sentiers de la forêt. Enfin, le galop était plutôt un rapide trot. Les virages, les obstacles, les débris sur la route empêchaient le cheval d'aller aussi vite que sa cavalière le voudrait bien.

Les deux canidés, quant à eux, s'empressèrent de courir le plus vite possible derrière la meneuse sur son cheval. Trataïr avait revêtu sa forme hybride ce qui lui permettait de courir bien plus vite. Mais est-ce que ce serait assez rapide ? Visiblement, non. Les bandits, en grand nombre, sortirent des fourrées pour pourchasser, les armes à la main, le pauvre groupe de voyageur. Ils étaient si déterminés que l'archer doutait sur leur capacité à pouvoir les fuir. Il entendait leurs cris de barbares survitaminés. Soudain, il vit avec surprise Alys se retourner avec agilité sur le destrier et armer son arc pour pouvoir freiner les assaillants. Il salua son courage d'une prière silencieuse mais il devait aussi faire quelques choses. Après quelques minutes où il laissa l'elfe se battre seule, il se retourna vers le groupe d'assaillant déjà bien réduit. Le groupe freina de surprise. Ne s'attendant pas à un tel retournement, excusez le jeu de mots, de situation. Trataïr laissa s'échapper un hurlement terrifiant de sa gorge avant de se jeter sur le restant du groupe, toutes griffes et crocs dehors.

S'ensuivit ensuite de longues minutes ou le chasseur tailla, trancha, trucida, mit en pièces tout ce qui lui tombait sous les pattes. Il ne faisait que laisser à son corps de prédateur sanguinaire le contrôle des opérations. Son corps tout entier était rapidement recouvert du tristement célèbre pourpre qui ornait le corps des guerriers lors des batailles. Mais il ne s'en rendait pas compte. L'adrénaline était aux commandes et ses yeux rougeoyants faisaient fuir tout ceux qui les croisaient par hasard. Il se prenait parfois quelques coups de lames mais jamais cela ne le freinait dans son avancée meurtrière. En quelques minutes, des monceaux de corps couvraient le sol de la forêt sur un large périmètre. Lui était au milieu, essoufflé, le buste se gonflant et se dégonflant pour traduire son manque de souffle. Il avait les pattes, la gueule, le torse, les pieds... tout était recouvert de sang. Un boucher, voilà ce qu'il était en cet instant. Avec un flegme terrifiant, il reprit forme humaine et abandonna le champ de bataille sans un remord, sans une prière. C'est tout juste si il baissa la tête dans un futile geste de pardon. Il ne regrettait aucunement ce qu'il venait de faire. Et il s'en alla pour retrouver ses amis plus loin. Comment allaient-ils réagir ?

Il les rejoignit, quelques dizaines de mètres plus loin, dans une clairière ombragée. Le cheval se reposait, attaché à un arbre, et la kitsune était allongée près de l'elfe et de son compagnon à quatre pattes. Le corps toujours abondamment habillé de sang, l'archer s'approcha doucement de la convalescente. La mine tirant entre le sérieux et le sévère. Il s'agenouilla et posa une main sur sa tête enfiévrée.

- Pour toi je viens d'enlever de nombreuses vies. J'espère que tu vaux cette peine...

Puis il se releva tranquillement, n'accordant pas un regard à ses compagnons, préférant s'asseoir contre un arbre en face d'eux, quelques mètres plus loin, et de faire mine de dormir. L'odeur de sang séché imprégnait toute la clairière et le sentier d'où ils venaient, mais il s'en fichait éperdument. Il ne pensait plus à rien, il ne voulait plus. Il voulait... oublier les dernières minutes.

Alys finit par arriver dans une clairière à l'écart de toute autre forme de vie que celle de la forêt. Elle descendit de sa monture, qu'elle attacha à un arbre, et reprit délicatement la kitsune avant de l'allonger près d'elle. Heylë revint à ce moment-là et vint prêter patte forte à son amie pendant qu'elle finissait de soigner sa patiente.

Quelques instants plus tard, Trataïr les rejoignit, couvert du sang des bandits qu'il avait dû éliminer pour protéger la kitsune. Il s'agenouilla près d'elle et, posant sa main sur son front, marmonna :

Pour toi je viens d'enlever de nombreuses vies. J'espère que tu vaux cette peine...

Puis il s'éloigna pour s'abandonner quelques instants à la méditation. Alys reporta son attention sur la kitsune, qui était anormalement fiévreuse, et fronça les sourcils : pourtant, elle lui avait apporté tout le soin qui lui était nécessaire, pourquoi donc la fièvre la prenait-elle ? Heylë s'assit à côté d'Alys et dit tristement :

Je ne sais pas du tout si elle s'en sortira. J'ai l'impression qu'elle a été touchée plus profondément que l'on pensait... J'essaie de la réveiller pour qu'elle nous explique ?

Je partage ton doute... Essaie toujours.

Heylë se mit à donner des coups de langue à la kitsune, qui entrouvrit les yeux avant de reculer précipitamment. Le renard roux la rassura et dialogua avec elle un petit instant, l'Elfe restant muette pendant leur échange. Elle sentit son cœur se serrer lorsqu'elle vit la kitsune se redresser péniblement et s'éloigner d'eux avant de s'effondrer définitivement au cœur de la clairière. Un regard lancé à Heylë lui fit comprendre que pour la petite renarde, c'était la fin.

Le cœur lourd, Alys se releva et se rapprocha de la kitsune, avant de tomber à genoux à côté d'elle. L'Elfe, si proche de la nature, souffrait quand un être vivant innocent tombait sous les coups de la brutalité humaine. Elle resta immobile un moment, fermant les yeux pour essayer de retenir les larmes de tristesse qui montaient à ses yeux, pendant qu'Heylë creusait un trou qui servirait de tombe à la kitsune. Le duo faisait tout cela en silence, pour ne pas troubler Trataïr, enfin essayaient-ils.

Pendant sa méditation, l'archer se concentra sur tout ce qu'il pouvait ressentir autour de lui. Il entra dans cette état de transe caractéristique de ses plus intenses moments de concentration. Il percevait chaque vibrations qui émanaient de la forêt, et cela faisait du bruit. Les hordes de divers bestioles à six ou huit pattes qui s'activaient sous ses pieds, les oisillons affamés qui demandaient subsistance à leurs parents à grands cris, l'écureuil fébrile qui cherchait péniblement de quoi survivre cet hiver... la forêt vivait, et il sentait son cœur battre. C'était émouvant. Cependant, un triste tambour se faisait aussi entendre dans cette plaitorde d'activité. Les heurts que produisait le petit cœur de la créature qu'ils venaient de sauver. Cette mélodie était dramatique car son rythme allait decrescendo à mesure que le sable du temps s'écoulait tranquillement. Ces funèbres percussions annonçaient la fin imminente d'une histoire et le début d'une autre. Simplement, le renouveau ne se ferait pas ici, sur ces terres, mais dans le territoire de Nayris. La pauvre petite renarde allait mourir.

Dans son introspection, le chasseur pouvait aussi percevoir le grand chagrin qui émanait de ses deux amis. Pourquoi fallait-il qu'ils souffrent ainsi ? Ils n'avaient rien demandés tous... Et puis la mort ne signifie pas l'arrêt de toute chose. Elle allait renaître dans un autre monde. Différent, peut-être mieux même. Et elle allait sûrement, là-bas aussi, trouver le bonheur. Il ne fallait pas la pleurer, mais au contraire, l'encourager à ne pas faiblir devant la Grande Porte et de la franchir sans peine, sans peur, sans regrets.

Ouvrant enfin ses paupières, il put admirer le splendide mélodrame qui se jouait devant lui. Les sanglots étouffés de l'elfe. Les couinements du renard. Une musique si amer, si poignante, que Trataïr voulut y participer et rajouter sa touche personnelle. Il prit tranquillement la forme si belle d'un loup argenté. S'approchant doucement, à pas de loup si j'ose dire, du groupe endeuillé. Il s'assit devant la défunte renarde et se mit à jouer de cette musique si particulière dont seuls les loups connaissaient le secret des partitions. Il hurla au ciel une mélodie touchante qui pouvait être apparentée à des sanglots. Un champ funèbre digne de la vie qui venait de s'éteindre au milieu de cette clairière sans nom. Elle-même à l'intérieur d'une forêt qui n'en était pas moins anonyme qu'elle était vaste.

Après cette messe improvisée, le loup ne changea point d'état et s'approcha de l'elfe, visiblement transit de peine. Il s'assit devant elle et posa délicatement une patte sur le pied de la demoiselle, tout en gravant ses iris émeraudes dans les siens. Il comprenait sa douleur. Les elfes étaient bien connus pour être intimement liés à la nature. D'une façon certes différente des gens de sa race, mais avec nombre de similitude. Il regarda ensuite le goupil couleur de feu et vint se placer devant lui. Il était, certes, un plus imposant canidé, mais cela lui donnait une sorte de devoir. Un devoir de protection et de soutien. Il était intimement convaincu de ce qu'il faisait et ce n'était plus l'homme qui guidait le loup, mais l'inverse. Il lui glissa des mots rassurants en essayant de parler le même langage que lui, qui différait un peu de celui des loups. Allez savoir si il a réussi. En tout cas, après cette tirade incompréhensible pour les humains, il se retransforma en homme. Posant un regard d'un sérieux troublant. Il n'exprimait ni peine, ni colère... Juste un profond respect mais sans plus. Comme si la mort de cette créature en elle-même ne lui faisait rien.

Il posa ensuite un regard profond sur Alys. Il semblait... fatigué... mais fatigué de quoi ? Nul ne le saura car il esquissa un demi-sourire avant de regarder de nouveau le corps de la renarde.

- Je me charge de lui donner la meilleure sépulture qui soit en ces lieux. Elle le mérite.

Il attendait la réaction de ses compagnons. Peut-être avaient-ils quelque chose à redire ? Trataïr espérait que non. Il n'aimait pas vraiment lorsqu'on l'empêchait de faire ce qu'il voulait.

Alys et Heylë restèrent prostrés pendant un moment, silencieux. Les hurlements de loup derrière eux leur firent savoir que Trataïr était sorti de sa méditation, et qu'il partageait leur peine.

Une vie s'en était allée, et la peine qu'elle procurait à l'Elfe lui fit oublier la joie que lui avait procuré le retour, du moins en partie, de ses cheveux bleus. Un poids s'était posé sur ses épaules, et rien, si ce n'était le temps, ne pourrait le lui retirer.

Heylë, lui, ne songeait à rien. Les responsables de la mort de la kitsune avaient été expédiés ad patres, il n'y avait plus rien à faire, sinon aller de l'avant. Ni l'un ni l'autre ne bronchèrent lorsque Trataïr déclara :

Je me charge de lui donner la meilleure sépulture qui soit en ces lieux. Elle le mérite.

Une aimable invitation à se retirer pour le laisser faire. Mécaniquement, Alys et Heylë se relevèrent et reculèrent pour le laisser faire son office, l'Elfe fermant les yeux pour tenter de retenir les larmes qui montaient dangereusement dans ses yeux.

Pendant longtemps, elle resta muette, avant de pousser un soupir pour se reprendre ; se lamenter ne servait à rien, on ne pouvait aller à l'encontre du destin. Elle posa une main sur l'épaule de Trataïr et souffla :

Il faut y aller, maintenant. Elle reposera en paix.

L'elfe aux cheveux céruléens comprit rapidement le message que lui communiquait le chasseur et se retira un peu plus loin, ainsi que son compagnon à quatre pattes, pour laisser seul Trataïr rendre hommage à cette noble créature. N'ayant pas de pelles sous la main, il dû prendre sa seconde forme pour creuser avec ses puissants bras pourvus de griffes. En quelques minutes ce fut fini et il pu déposer solennellement la renarde dans son humble sépulture. Recouvrant ensuite mécaniquement le corps, il resta quelques instants devant cette tombe anonyme, priant pour le salue de son âme, pour la damnation de ses tueurs, pour que la paix règne dans cette forêt tant que son corps y sera enterré... Tant de choses à demander aux déités mais il ne pouvait décidément pas lister toutes les choses qui devaient changer en ce bas univers.

Une douce main se posa sur son épaule et lui causa, malgré lui, un frisson de surprise. Il savait que c'était Alys, il l'avait simplement quelque peu oubliée, plongé tout entier comme il était dans ses réflexions idéalistes.

- Il faut y aller, maintenant. Elle reposera en paix.

Il se retourna vers la gardienne de la forêt, affichant un sourire doux mais avec une pointe d'amertume.

- Espérons que celles de ses meurtriers soient bannies à jamais de ce monde... Tant de choses pourraient être meilleurs dans ce monde...

Son regard se perdit dans un rêve de futur merveilleux qui n'allait être que songé durant l'éternité. Car il savait au fond de lui que ce rêve ne se réaliserait jamais... Le chaos était le plus puissant des dieux, car quoi que l'on fasse, il est là, à chaque fois. Et il domine tout, même les si puissantes divinités. Car tout le monde était régit par les mêmes règles, et les dieux même ne peuvent échapper à l'emprise du chaos... L'archer reprit finalement ses esprits pour finir sa phrase.

- Mais tu as raison, il faut y aller. Ma destination est la capitale, Sen'Tsura. Ce serait une grande joie si vous m'accompagneriez... Mais c'est à vous de décider, je ne veux point vous forcer.

Au fond de lui, il avait l'espoir que la demoiselle accepte. Il ne pourrait pas supporter les suivants jours de deuil seul. Il pourrait être capable du pire désormais, et il le savait... Pour chasser ces mauvaises pensées, il prit quelques instants pour humer l'air ambiant. Apprécier le parfum des fleurs qui conservaient encore un brin de couleur sur les arbres endormis. Il esquissa un bref sourire avant de reporter le regard sur son amie afin d'entendre sa réponse.

Alys pouvait sentir l'amertume dans la voix de Trataïr lorsque celui-ci répondit :

Espérons que celles de ses meurtriers soient bannies à jamais de ce monde... Tant de choses pourraient être meilleurs dans ce monde...

Elle lui serra fort l'épaule sans rien dire, respectant son silence. Heylë vint se frotter contre lui pour lui témoigner son amitié, sans glapissement ou quelconque autre bruit qui pourrait rompre le silence qui s'était installé.

Trataïr se reprit quelques instants plus tard :

Mais tu as raison, il faut y aller. Ma destination est la capitale, Sen'Tsura. Ce serait une grande joie si vous m'accompagneriez... Mais c'est à vous de décider, je ne veux point vous forcer.

Alys et Heylë échangèrent un regard pour en discuter silencieusement ; ce fut le renard qui répondit en se mettant en marche :

Bon, c'pas tout ça, mais on a un loup à escorter jusqu'à Sen'tsura. Z'avez l'intention de lambiner là longtemps ? La route est longue !

Alys sourit, et se mit à suivre Heylë, sachant que Trataïr les suivrait. Ils avaient le temps d'oublier ce qu'il venait de se passer, d'ailleurs un air vint à l'esprit d'Heylë :

"Des souvenir du passé
Heureux, ils se souviennent
O dilali, o dilali
Quel beau jour vraiment !"