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 Un homme heureux. [Terminé]

 
Un homme heureux. [Terminé] Sand-g10Dim 14 Sep - 13:43
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Pas un signe. La morosité de la vie n'était pas même bercée par un peu de soleil, pas un rayon ne venait caresser sa peau salie, la terre qu'il foulait dans son errance sans fin le marquant comme le sang des siens qu'il voyait toujours sur ses mains, sous ses ongles. Il n'était pas meurtrier mais son incompétence le rendait au moins aussi coupable que celui qui avait attenté à la vie. Quand on se réclamait du seigneur, c'était une faute que de ne pas prévenir et remporter les épreuves qu'il envoyait. Mais était-ce seulement lui ? Était-ce Yehadiel qui décidait encore de la moindre chose dans ce monde ? Où était-il, le seigneur, lorsque les démons massacraient et faisaient de ses temples et de ses enfants les témoins d'une apocalypse jamais annoncée ? Nathaniel ne se sentait plus coupable de douter de la toute puissance de son créateur car le Père tournait le dos à sa chair massacrée ! Le Père les abandonnait ! Lâche, jura l'enfant, jetant au loin son livre sacré. L’œuvre aux écrits millénaires qu'il connaissait par cœur, contenue dans son contour de cuir usé, dévala la pente abrupte qui longeait le chemin caillouteux et bouseux pour s'écraser aux bords de l'eau, frétillante sous les gouttes de pluie, de la rivière calme plus bas. Le livre resta ainsi, jonchant le gravier humide. Oublié, comme les hommes, marmonna Nathaniel, faisant quelques pas en arrière, titubant et tombant dans la boue, ses larmes se mêlant aux lourdes gouttes qui trempaient son visage et son corps. Il aurait hurlé, hors de toute raison, mais même pour cela il n'avait plus la force. Là, sans rien, car même sa foi le quittait, il ne saisissait pas encore l'intérêt de poursuivre. Le monde dans lequel il vivait s'enfonçait dans les ténèbres de jour en jour et rien ne venait apporter un peu de lumière, tous se complaisaient dans la médiocrité démoniaque, ou se tournaient vers des solutions hérétiques. N'étaient-ils pas les plus raisonnables, après tout ? Il valait peut-être mieux sauver sa vie contre son âme lorsqu’on constatait la valeur des dieux.

Nathaniel, étalé de tout son long sur le chemin, tourna son regard au loin. A travers la brume du paysage saumâtre, il distinguait les lumière d'une ville, ou peut-être des feux follets lui jouaient un sale tour ? L'humain savait qu'il n'était pas loin de la côte. Il avait beau errer, ses connaissances géographiques étaient quasi parfaites et il savait plus ou moins où il se trouvait. Il se redressa en grognant, le dos maculé de boue, et s'arracha de son agonie silencieuse, marchant tel un mort-vivant le long du sentier, se rapprochant des murs bercés par le vrombissement des vagues. La mer n'était pas visible, mais on la sentait et l'entendait, comme le râle d'une bête ; elle plongeait l'endroit dans un sentiment d'isolement, comme si rien d'autre ne l'entourait que cette immensité brumeuse et sans horizons. Des enfers, c'était l'image qui apparut à Nathaniel lorsqu'il franchit les portes de la ville, croisant le regard vide des gardes qui le laissèrent passer sans lui porter la moindre attention. Bienvenue frère, pouvait-il entendre, bienvenue parmi les morts. Ils semblaient ne pas vivre, aussi tristes et vides que lui. La joie était un souvenir aussi flou que le paysage alentour. En traversant la rue vide, il se remémora des écrits sélianais ; " Aussitôt la lumière s'éteignit autour de moi, j'embarquais sur le fleuve des morts, voguant à l'allure des cadavres flottants. En regardant derrière, je ne vis nulle silhouette, seulement une terre semblable à celles qui m'entouraient. Au loin, les fantômes des âmes déchues m'attendaient, leurs orbites inexistantes tournées dans ma direction." A quelques choses près, Nathaniel y était aussi, sur cette barque, à voguer sur le fleuve de la mort. Néanmoins, il se rappelait que l'auteur, blessé pendant une bataille, se réveillait de ce voyage parce qu'on le sauvait. Personne ne pouvait sauver Nathaniel, il n'avait aucune chance de se réveiller. La réalité de ce monde lui collait à la peau comme une maladie incurable, le désespoir grandissait en lui comme une tumeur.

Il poussa la porte d’une auberge, le sanglier rieur, le bruit incessant de la pluie se taisant pour lui apporter un peu de paix. La salle était presque vide. Dans une large cheminée, au fond, un feu brulait et chargeait l'atmosphère de couleurs chaudes. Retrouver de la chaleur rappela à Nathaniel à quel point il avait froid, et il se précipita de rejoindre l’âtre, se défaisant de son manteau et se laissant aller aux vagues successives qui venaient le bercer. L'aubergiste se rapprocha alors, sans rien dire, sa démarche lourde trahissant sa présence.

« - Une chambre... une chambre et à manger, balbutia Nathaniel, faisant peine à voir avec ses cheveux mouillés plaqués sur son front et sa mine d'enterrement, s'installant à une des tables. »

L'homme ne dit rien, il se contenta de remuer sa mâchoire, puis retourna derrière son comptoir. Le jeune humain, lui, resta un moment à profiter de cette place qui avait de quoi lui rappeler qu'il était vivant. Des jours sans rien à se mettre sous la dent et avec l'ensemble de sa tenue trempée par le temps de chien. Il ferma ses paupières et ne les rouvrit que quelques heures plus tard.

Il faisait nuit dehors, il pleuvait toujours, et l'aubergiste l'avait réveillé en rajoutant du bois au feu. Les vêtements de Nathaniel avaient plus ou moins séchés, ses cheveux ne coulaient plus devant ses yeux endormis, et une assiette froide lui tenait compagnie. Sans rien dire, l'aubergiste saisit l'assiette et la posa dans un coin de la pièce. Un chien sortit de sous les escaliers et alla dévorer son contenu, suite à quoi une nouvelle assiette fut servie à Nathaniel. Sans attendre, il mangea, redécouvrant le plaisir d'un plat chaud et conséquent ; un ragout de pommes de terre et de viande qui le réveillait agréablement. En même temps qu'il mangeait, il lança des regards autour de lui, voir si l'homme muet et son cabot n'étaient que les seuls êtres vivants dans ce lieu, mais ses yeux eurent vite fait de tomber sur une femme qu'il n'avait pas vu en entrant. Discret, il devait avouer qu'elle était magnifique et se surprit à lancer quelques regards furtifs à sa fine silhouette quand ses yeux n'étaient pas plongés dans son assiette, qui se vidait trop vite à son goût. Elle était comme ce feu, rare et appréciable, mais l'attitude qu'elle renvoyait était difficilement interprétable. Elle semblait intouchable, hors d'atteinte. Quand elle posait ses yeux sur Nathaniel, il sentait qu'il faisait peine à voir, et qu'il n'était rien, au mieux, mais elle avait piqué sa curiosité.

Il se sentait mourir depuis des semaines, sans rien d'autre que sa propre haine de lui-même et de son dieu. Avoir une autre occupation que de se maudire l'encouragea à insister, qu'avait-il à perdre après tout ? Se débarrassant de l'attirail sur son dos, il déposa le fourreau de son épée sur la table, plus loin, et son manteau à côté, ainsi que ses sacoches. Il ne restait de lui plus que son corps de jeune homme enveloppé d'une chemise pas trop usée et d'un pantalon qui l'était, mais il se sentait mieux. Alors que son assiette était presque finie, il toussa et s'adressa à la jeune femme, brisant le silence parfois perturbé par des bruits de vaisselle dans l'arrière-salle.

« - Vous faites quoi... dans la région ? »

Il avait posé sa question avec toute la gêne qu'on pouvait lui prêter, ce qui était très anormal chez lui, mais plus rien ne l'était chez Nathaniel récemment. Quand on voyait la femme qu'on aimait se faire dévorer par un dragon, on était plus trop le même. Il avait abandonné toute sa retenue cléricale, toute son attitude supérieure qui le faisait exister auparavant. A cette table, il était comme tout le monde, d'une banalité qui transparaissait à ce moment. Elle avait tourné ses yeux vers lui, une nouvelle fois, et il se demanda s'il l'ennuyait autant qu'elle le laissait croire. Peut-être pensait-elle qu'il se faisait des idées, mais Nathaniel ne voulait que parler, au moins briser ce sentiment d'être un fantôme.

Nathaniel

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Un homme heureux. [Terminé] Sand-g10Dim 14 Sep - 16:06
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Jour d’hiver, jour de pluie. Pour l’oiseau de feu qu’était Messaline, habituée aux climats brûlants des sables et des savanes, la morne saison des frimas était long moment bien difficile à passer. Pourtant elle avait appris, au cours de ses longues pérégrinations, à apprécier la beauté et le confort de ces jours de grisaille, lorsque, blottie près d’un feu ardent, elle pouvait regarder la pluie tomber de l’autre côté de la fenêtre. Près de la mer, les choses étaient différentes. Le vent soufflait plus fort, à cette saison, ou bien était-il plus froid, plus humide, moins plaisant que durant les jours d’été. La mer grondait de plus belle dans les orages et les tempêtes, et tout sombrait dans une léthargie douce et profonde, comme un sommeil mélancolique et léger. Elle avait trouvé là de quoi s’accorder à ses humeurs mélancoliques, lorsqu’elle se rappelait dans un soupir que tout n’était que passade, et que dans un automne flamboyant, elle s’en irait à son tour comme meurt le soleil au jour de son déclin.

En ces jours d’hiver, dans la froidure, elle trouvait un avant-goût de la mort, dans l’engourdissement qui lui prenait les muscles figés par le vent glacé. C’était frôler la perte, un peu, avant de s’en retourner savourer pleinement ce qui lui restait à vivre, toujours suspendue, un pied entre deux mondes, toujours incertaine. Messaline avait marché, longuement, avant de s’en retourner vers l’auberge où elle logeait, attendant le chaland dans l’espoir de prélever à son prochain de quoi se procurer le boire et le manger.
La salle était presque déserte, et inhabituellement calme, mais pour une fois, ce silence relatif ne semblait pas déranger Messaline qui s’était assise près du feu et écoutait avec ravissement le mugissement des vagues et le bruit étouffé de l’averse qui ruisselait sur les toits. Portant à ses lèvres un verre d’alcool fort, elle avait les yeux à demi clos en observant les flammes, confortablement installée sur son siège comme un chat alangui. La nuit bleue d’hiver pesait lourdement contre les rares fenêtres étroites, et peu à peu les lieux s’emplissaient de clients assoiffés et de vagabonds à la recherche de chaleur et d’un repas consistant, tirant peu à peu Messaline de sa douce torpeur.

C’est en tirant du feu une branchette enflammée pour allumer sa pipe que Messaline surprit le regard d’un homme posé sur elle. Ce n’était aucunement inhabituel, c’était même plutôt bon signe pour son commerce et comme à son ordinaire, elle se prit à jouer de cela en se contentant d’y répondre par cette mine de cygne un brin hautain, laissant à peine ses yeux sombres se glisser vers lui avant de reprendre le fil de ses pensées. Elle jeta le bois dans le feu, et tira quelques petites bouffées sur sa pipe, laissant la fumée s’échapper au coin de sa bouche, tandis que les volutes s’enroulaient mollement dans l’air immobile. Un instant plus tard, alors qu’elle observait à la dérobée ce qui se passait dans la salle, leurs regards se croisèrent à nouveau et elle esquissa un très léger sourire noyé de vapeurs grises et blanches. Il était banal, au regard de ceux qui se pressaient déjà aux tables et au comptoir, au regard de tous ceux qui avaient pu défiler entre ses bras ; tristement banal, même. Jeune encore, et pourtant marqué, un peu, çà et là de quelques signes. C’était dans ses yeux, dans l’expression de son visage, sa manière de se tenir, même. Messaline n’était pas fine psychologue, ni versée dans les tourments de l’âme, mais elle était observatrice et à force de côtoyer mille et mille exemplaires de son prochain, elle avait appris à comprendre ce qui ne se dit pas, et se décèle seulement dans les détails. Ses cheveux encore mouillés de l’averse, ses vêtements un peu fatigués, son dos un peu voûté alors qu’il vidait patiemment son assiette, cette allure maladroite... C’était un vagabond à n’en pas douter, probablement de ceux sans feu ni lieu qui courent les routes, les auberges et les aventures, à ceci près qu’il y avait chez lui comme une profonde mélancolie qui aurait mis le vague à l’âme au plus joyeux des hommes.

Messaline sourit encore, pour elle-même, se détournant de lui avec une lenteur royale. Les hommes tristes font de bons clients, quoique leur compagnie soit propre à étouffer toute bonne humeur, parfois. Baste, il y aurait bien d’autres joyeux lurons pour faire passer cela, si tant était qu’elle parvint à faire affaire avec celui-là.

Quand enfin, se défaisant de son lourd manteau et de ses armes, l’étranger s’adressa à elle, Messaline souleva très lentement ses lourdes paupières fardées, dévoilant ses yeux profonds aux pupilles rétrécies par la drogue. Cela lui donnait toujours un regard étrange, car même dans l’ambre obscur de ses iris, on voyait encore cette tête d’épingle en percer le centre et lui faire des yeux déroutants. Un sourire moqueur lui papillonna sur les lèvres, tandis qu’elle laissait une longue et épaisse bouffée de fumée éclore à sa bouche et lui faire, l’espace d’un instant, comme un masque de brouillard fugace.

— Allons, lança-t-elle avec une gaieté assassine. N’avez-vous donc rien trouvé d’autre à dire ?

Messaline

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Un homme heureux. [Terminé] Sand-g10Lun 15 Sep - 15:28
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Lui et elle n'étaient pas du même monde. Dans son attitude, et le poids de ses mots, il sentait l'expérience d'une femme le frapper. Il l'amusait, c'était au moins ça, et il était évident qu'elle le prenait de haut, peut-être avait-elle raison. En tout cas, le repas l'avait réveillé et semblait lui donner un peu plus de consistance, il se reprit donc en se redressant légèrement, souriant en retour à sa pique. Il fixa les volutes de fumée s'enrouler dans l'air, le parfum de ce qu'elle fumait lui parvenant, lui montant à la tête. Il quitta son banc pour s'asseoir sur l'un des fauteuils devant la cheminée, près de la femme.

« - Je cherchais juste un peu de compagnie... cela fait trois semaines que je n'ai pas vu âme qui vive. »

C'était plus ou moins vrai. S'il avait été honnête, mais il n'avait pas besoin de l'être, il lui aurait dit qu'elle était surement la plus charmante chose qu'il ait vu en trois semaines. La beauté de cette femme le raccrochait un peu plus à la vie que la face patibulaire de l'aubergiste, et il souhaitait entretenir ce sentiment de vitalité qui le gagnait. Quand il posait les yeux sur le visage de la rousse, il était loin de la vision d'horreur d'un cadavre mâché par une bête, c'était agréable, c'était beau, et il aurait pu la fixer ainsi des heures si ç'avait été possible. Il n'était pas sûr qu'elle l'entende de la même oreille.

En s'écoutant parler, et penser, Nathaniel ne se reconnaissait plus. Dans son attitude, on ne décelait pas l'homme d'église qu'il avait été toute sa vie, et sa bienveillance naturelle avait été enterrée sous une façade triste dont il n'arrivait plus à se défaire. Un jeune paumé, voilà ce qu'il était, et comme tous ceux à la dérive dans cette guerre, il tentait de s'accrocher à quelque chose. Elle, cette femme, était ce qui le maintenait près du rivage. Elle était l'obstacle inconscient qui sauvait les malheureux, loin de le vouloir, mais elle le faisait.

« - Je n'ai jamais su trop quoi dire, avoua Nathaniel, joignant ses mains l'une à l'autre. J'ai toujours préféré écouter. »

Il était vrai que Nathaniel était reconnu pour son érudition et son écoute. C'était ce qu'on attendait d'un prêtre après tout. Il avait passé deux décennies à écouter les prières, les souffrances, et les leçons dans un même et seul lieu. Bien sûr, il lui était arrivé de sortir à l'occasion de ses bonnes actions, ses services auprès des blessés qui lui valaient le titre de saint dans plusieurs villages, mais jamais il ne s'était réellement exprimé, n'avait parlé de lui-même ou accosté une femme qui, de toute évidence, se tenait loin de la bienséance du dogme de Yehadiel.

« - Je n'étais jamais entré dans une auberge auparavant. Je n'ai jamais bu, je n'ai jamais fumé, je n'ai jamais... plein de choses, et pourtant, j'ai failli mourir. Je voulais juste parler, me sentir vivant. »

C'était une véritable confession qu'il lui faisait. Lui, le garçon qui se croyait fils d'un dieu, un ange à qui il manquait les ailes, n'était plus qu'une loque qui trainait son passé comme une vieille plaie. Si jeune, et aussi pathétique que les vétérans quarantenaires qui envoyaient paître les jeunes fous de la rébellion. Il ne lui manquait plus que cette même pipe au bec, quelque rides et une choppe pour faire parti des névrosés de la guerre. En attendant, il était un jeune con qui ne savait rien, et dont la parole valait autant que les aboiements du chien, au fond. Quand Nathaniel releva ses yeux vers elle, il se doutait de ce qu'elle pensait ; tu ne sais pas ce qu'est la souffrance, mon garçon. C'était une phrases qu'il était certain de l'avoir déjà entendue dire, tant elle semblait vouloir passer ses lèvres. C'était là qu'ils se trompaient tous. Nathaniel, ce soir-là, sentait remonter en lui la noirceur des hommes qu'il avait sauvés, leurs souvenirs atroces et leurs souffrances. Des images lui revenaient comme les piqures brulantes d'une lame chauffée à blanc, elles s'insinuaient dans son esprit et l'obligeaient à baisser les yeux, à vouloir se laisser aller à une vie qu'il avait toujours blâmée. Il voulait vivre, avant qu'on l'en empêche, avant qu'il s'en empêche ; que sa main mette un terme à ses propres pensées insupportables.

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Un homme heureux. [Terminé] Sand-g10Mer 17 Sep - 18:16
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Messaline esquissa un sourire quand l’homme vint s’asseoir à côté d’elle, près du feu qui ronflait gaiement dans la cheminée. La lumière jaune et dansante des flammes éclairait à présent pleinement le visage de celui-ci, et surtout ses yeux, sombres comme des flaques d’obsidienne, où des lueurs fugaces chatoyaient comme sur les remous d’une mer calme. Mais plus qu’une mer, plus qu’un océan, même ; il sembla soudain, alors qu’il posait de nouveau sur lui un regard paisible, que c’étaient en réalité deux puits insondables où se tapissaient les eaux saumâtres d’un chagrin muet.
La jeune femme se détourna dans un frisson, car malgré les apparences affables de l’étranger, il ne lui inspirait soudain qu’un malaise indicible qui lui glaçait les os. C’étaient peut-être aussi ses paroles, fort nombreuses pour quelqu’un qui se disait écouter plus que de parler, et le ton presque résigné, si doux, si tranquille, sur lequel elles furent prononcées qui étaient la cause de ce sentiment déroutant. Il était jeune, peut-être autant qu’elle, mais soudain il semblait porter sur ses épaules le poids d’un millier de vies, d’hivers, et tous les maux qui allaient avec l’âge. De ces yeux usés par la souffrance, elle ne voulait rien d’autre que de se détourner, car c’était une chose de se repaître sans vergogne aucune de ceux qui avaient le vague à l’âme et aimaient à le consoler dans ses bras pour quelques pièces, c’en était une autre de devoir affronter de plein fouet le regard de quelqu’un qui avait manifestement bien trop vu pour son bien.

Ceux-là, elle les évitait, d’ordinaire, parce que cela lui rappelait toujours qu’au fond, elle pouvait feindre et tromper, mentir comme elle respirait et servir ses beaux discours à tous ceux qui voulaient bien y prêter l’oreille, mais la souffrance des autres était toujours capable de lui soulever le cœur.

Elle n’en laissa rien paraître toutefois et se lova confortablement sur son siège, repliant ses jambes contre elles, semblable à un chat alangui à la lueur des flammes qui faisaient danser des reflets vifs dans ses bijoux. Elle révélait parfois, sous les vagues soieries blanches et vertes dont elle était vêtue, le vague soupçon de sa peau d’ivoire, et se glissait dans sa chevelure pour l’orner de lueurs chaudes comme des averses d’or et de cuivre fondu.

— Pour la compagnie, mon cher, tu es bien tombé, répondit-elle au bout d’un petit moment de silence, tournant vers lui un sourire d’une gaieté feinte.

Un nuage de vapeur s’échappa de la bouche entrouverte de la jeune femme.

— C’est ce qu’on cherche souvent près de moi.

Elle esquissa un sourire, comme pour exorciser le spectre de tout ce qu’il pouvait lui inspirer, lui et cette chappe de plomb qui lui pesait si lourd, et ce qu’il traînait dans son sillage. Au-dehors, il semblait que la pluie forcissait de plus en plus, et l’on entendait la pluie tambouriner sur le toit et contre les petites fenêtres où l’eau s’insinuait par les carreaux disjoints. Il faisait bon, à l’intérieur ; les conversations allaient bon train dans un chuchotement constant qui semblait presque bercer l’âme, autant que la houle océane qui faisait poindre sa complainte à travers les murs épais, un rappel persistant qu’au-dehors il faisait très froid et très sombre, et que l’on était bien, dedans. Tout était sombre ici, et le foyer jetait de toutes parts sa lumière chaude et douce en dessinant des ombres longues et des reflets fugaces. Un temps et un lieu propres à ces torpeurs hivernales, l’esprit vacant. Messaline fit signe au tavernier de lui apporter à boire, ce qu’il fit sans tarder en déposant près d’elle une nouvelle bouteille de cet alcool fort comme un feu liquide dans lequel elle se plaisait à noyer ses idées et ses chagrins.

Messaline y but une gorgée, et la tendit à l’étranger.

— Si tu n’as jamais rien bu de tel de toute ta vie, peut-être est-ce le moment de commencer, tu ne crois pas ? lança-t-elle avec un clin d’œil. Tu as l’air d’avoir besoin d’un bon verre.

Et pour ce qui était de trouver consolation dans les substances délétères, la jeune femme semblait y connaître un rayon, soufflant dans l’air immobile les volutes lourdes et odorantes de la drogue qui semblaient figer son corps dans une torpeur bienheureuse. Ses gestes étaient lents, parfois presque maladroits, comme si elle peinait à se mouvoir, et aux extrémités lointaines de sa conscience, alourdie par l’alcool et la fumée, elle sentait poindre l’aiguillon familier de la souffrance. Sa note aigrelette persistait encore, comme gravée dans le fond de ses os, continue et aiguë comme une pointe qui creusait son sillon.

Messaline

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Un homme heureux. [Terminé] Sand-g10Lun 13 Oct - 10:05
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Nathaniel attrapa la bouteille que lui tendait la femme et se décida à boire une gorgée de l'alcool tant que son cœur le lui permettait. Le liquide traversa sa gorge pour s'engouffrer dans ses entrailles, le brûlant et le réchauffant à la fois. Grimaçant, il rendit la bouteille à son interlocutrice, impatient et curieux de savoir à quelle vitesse le breuvage allait lui apporter le réconfort qu'il en attendait. Essuyant une goutte qui persistait contre son menton, il reporta son attention sur la rousse, se présentant dans les règles.

« - Je suis Nathaniel, de Sen'tsura, commença-t-il avant qu'un remue-ménage vienne briser l'ambiance qu'instaurait le seul son de la pluie contre la toiture et le crépitement du feu dans l'âtre. »

La porte de l'auberge s'ouvrit violemment, laissant apparaître dans son encadrement les silhouettes de deux hommes, l'un soutenant l'autre qui, de toute évidence, ne pouvait plus tenir sur ses jambes. Le blessé avait un morceau de linge pressé contre ses entrailles, ce dernier était gorgé de sang et ne semblait pu servir à grand chose. Les yeux perdus dans le vague, il tituba, échappant à la poigne fatiguée de son camarade, et s'écroula sur le sol, tandis que l'autre criait à l'aide. L'aubergiste n'avait pas attendu une seconde de plus pour tirer les deux à l'intérieur et fermer la porte. Plusieurs bras vinrent soutenir l'humain gémissant et le portèrent sur l'une des tables, des mains envoyant valser les quelques objets gênant. On cria, on ordonnait, l'auberge était devenue un véritable cirque en un instant, puis le silence se fit soudainement lorsque le patron, ses dents serrées derrière sa moustache, avait saisi l'arrivant conscient par le col pour quelques explications. Si certains ne l'avaient pas encore compris, les deux humains étaient de la résistance, et il était maintenant trop tard pour les jeter dehors.

« - L'pauvre gars est perdu, souffla l'un des clients, résigné, en soulevant le linge et dévoilant une partie de flèche plantée entre les côtes de l'homme, des filets de sangs s'échappant de la plaie accompagnée de gargouillements sanglants. Le poumon est perforé, acheva-t-il, replaçant le torchon, résigné, alors que le mourant crachait du sang. »

Nathaniel avait observé la scène, s'étant levé lentement et inconsciemment à mesure qu'elle se déroulait sous ses yeux désormais habitués aux situations de ce genre. Il avait reçu des hommes dans des cas bien pires, celui-ci ne serait que le premier depuis que le prêtre en voulait à son dieu. Était-ce une épreuve que lui envoyait Yehadiel ? Une qu'il ne pouvait refuser et qui avait vocation à le remettre dans le droit chemin ? Il souffla, agacé par le destin, puis s'avança sans précipitation vers la table qui se gorgeait à présent de sang. Des hommes guettaient l'extérieur, à la recherche du moindre signe de la garde, les autres étaient regroupés autour de l'humain, leurs mines grises ne lui laissant aucun espoir alors qu'il s'enfonçait de plus en plus dans l'inconscience menant à la mort.

« - Ecartez-vous, dit Nathaniel dans le plus grand calme, retroussant les manches de sa chemise, si serein que même les gaillards autour de lui le laissèrent faire. Ils n'avaient rien à perdre de toute manière. »

Tout en croisant le regard du compagnon de l'homme qu'il s'apprêtait à sauver, Nathaniel saisit la flèche et la tira d'un coup sec pour l'extraire, arrachant un cri au blessé et des indignations chez les autres. Des mains se ruèrent vers lui pour le dégager mais un des hommes s'écria « Attendez ! » et tous purent contempler les mains du jeune humain, entourées d'une lumière plus belle que les plus chauds rayons de soleil. Les yeux des quelques terrians s'écarquillèrent devant la magie du prêtre et, tous en retenant leur souffle, le virent poser ses doigts contre la plaie béante. Le spectacle, pour ses spectateur, était à couper le souffle et d'une beauté sans précédent, mais il en était tout autrement pour Nathaniel.

A peine avait-il touché la peau de l'homme que ses ténèbres s'immiscèrent en lui comme un poison vicieux, s'insinuant dans son esprit et déchirant son âme, la séparant en morceaux qu'il sentit mourir en lui. A mesure que le teint du mourant se réchauffait, celui de Nathaniel blanchissait à vue d’œil. Le prêtre ne voyait plus ce qui l'entourait, ses yeux convulsés assistaient à toutes les horreurs d'une vie, il n'entendait plus, car seuls lui parvenaient les pleurs et les cris des âmes en peine qu'avait rencontrées cet homme. Toute sa tristesse, sa colère, ses doutes, se déversaient en Nathaniel, le brûlant de l'intérieur, lui faisant subir le temps que la plaie se referme, quelques secondes, une vie de martyr. Enfin, lorsqu'il rouvrit les yeux, son visage trempé de sueur et sa peau livide, il avait sous sa main un homme comme on en retrouve après une bonne nuit de sommeil. La lumière au bout des doigts de Nathaniel s'éteignit, et il tituba quelques mètres jusqu'au fauteuil pour reprendre son souffle, sous les regards de l'assistance, effarée. Là, il s'effondra et, après quelque secondes de ce qui avait semblé être un mort subite, il brandit lentement son bras vers la rousse, plus précisément sur la bouteille qu'il lui avait rendue et laissa échapper « Je vais en avoir besoin, un petit peu. »

Nathaniel

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Un homme heureux. [Terminé] Sand-g10Mar 14 Oct - 22:23
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Messaline allait répondre à l’inconnu qui se présentait, mais ses mots s’estompèrent dans sa gorge aussitôt que la porte de l’auberge s’ouvrit à grand bruit, laissant rentrer l’ombre, le froid, et, dans des torrents de pluie drue, les hommes amenant le mourant. Elle grimaça et se tassa dans son fauteuil comme un chat dérangé par le bruit, détournant bien vite le regard de l’abdomen sanglant du malheureux. Le désordre soudain, le fracas des objets jetés à terre pour dégager une table libre, les clameurs et les voix qui s’élevaient dans la cohue bousculaient sa tête alourdie de trop de drogues et chaque son lui semblait répercuté en million d’échos sur les parois de son crâne. Condamné, pauvre hère ; elle ne voulait rien savoir de ce qui avait pu causer cela, et ne rien voir de plus. Toutefois, la curiosité fut la plus forte quand elle vit son compagnon du soir se lever, calme et tranquille comme un moine, pour s’avancer vers la petite troupe rassemblée autour du blessé. Messaline, dont le siège tournait le dos à la salle, replia complètement ses genoux contre elle et s’appuya à l’accoudoir pour se pencher et mieux épier ce qui se passait ; à mesure que le miracle opérait, ses yeux s’élargirent peu à peu, et ses longues mains se crispèrent sur le bois du fauteuil sans qu’elle y prenne garde.

La lumière qui s’échappait comme un halo de soleil contenu entre les doigts de Nathaniel n’avait sans doute pas son pareil dans la nature, et il y avait quelque chose dans cet éclat chaleureux et chatoyant qui était fascinant à regarder. C’était comme contempler la brillance d’un premier matin de paix, celle qui vient après l’orage, mais plus pure et plus belle encore. Elle n’avait rien de terrible, rien de ces prodiges étonnants que réalisent certains magiciens, rien d’effrayant non plus. Elle était, finalement, à l’image de celui qui la produisait : simple, douce, presque humble dans ses variations changeantes comme la lueur du jour au travers de fugaces nuées. Elle ne s’imposait pas, elle émergeait, se dessinait, avec une évidence soudaine comme si elle ne pouvait être que cela. Messaline ne comprit pas, au début, ce qu’elle pouvait faire, et s’abîma un instant dans cette contemplation sereine dont la perception était comme altérée par la drogue qui lui faisait voir bien plus que ce qu’il y avait réellement à observer. Mais en levant brièvement les yeux sur Nathaniel, un sentiment glaçant lui noua le ventre et ce fut comme une douche froide : les couleurs qui étaient revenues au visage du blessé avaient quitté celles du jeune homme, livide comme un masque mortuaire, et c’était sans doute bien plus terrible que les lacérations qu’il était occupé à guérir, que tout le sang et toute l’horreur qu’on eut pu voir sur le corps d’une victime. Elle ne distingua qu’à grand-peine l’éclat de son regard, mais l’infime reflet qu’elle y saisit lui fit courir un frisson infâme le long des os. C’étaient des yeux de cadavre, qui ne clignaient plus, et des lèvres blêmes encore entrouvertes sur un souffle absent. Entre ses mains, toujours, brillait la lueur, et tant de beauté qui voisinait avec cette atrocité rendait la scène si étrange que tout semblait se distordre, comme si ces deux choses ne pouvaient cohabiter au même endroit.

Elle se prit à retenir sa respiration, stupéfaite par ce qu’elle voyait, et surtout par ce qu’elle croyait saisir : était-il en train d’offrir sa propre vie pour sauver cet inconnu ? Il était manifeste que l’énergie qu’il redonnait au mourant le quittait au même instant ; mais jusqu’où allait-il ?
Il y avait beaucoup de choses que Messaline se savait incapable de comprendre en ce bas monde, et l’altruisme dont certains pouvaient faire preuve en faisait partie. À quoi bon se sacrifier pour les autres ? On ne récoltait jamais que l’ingratitude, et la récompense céleste de la bonne action, de la bonne conscience, n’était jamais pour elle qu’un pieux mensonge pour se cacher l’horrible vérité du monde. Il était vain d’être méritant dans un univers pourri jusqu’à sa racine première. Alors, pourquoi ?

Lorsque Nathaniel bougea enfin, laissant la lueur décroître devant lui, un long soupir se faufila à travers la gorge de Messaline, rappelée à l’ordre par quelque tiraillement de ses poumons malmenés. Lentement, elle déplia ses doigts crispés et resta un moment, les yeux dans le vague, regardant sans le voir Nathaniel qui revenait s’asseoir à ses côtés.

Un million de voix discordantes s’étaient soudain mises à hurler dans sa tête. Et s’il pouvait la guérir ? Et si ce don précieux qu’il semblait posséder, quelle qu’en soit sa nature, avait le pouvoir de retirer de sa chair meurtrie l’aiguillon de son mal ?
Tout au fond, quelque chose murmura : tu sais la souffrance, tu sais combien elle est terrible, combien tu as souhaité mourir durant ces nuits fissurées de fièvres et de convulsions où tu te tordais dans le noir sans que rien ne t’apporte le repos. Tu connais chacune de ses variations, de ses nuances, de ses tons, tu sais sa note grêle et perfide qui troue chacun de tes os, qui ronge et mord et mâche et dévore à n’en plus finir sans jamais être rassasié. Tu sais quel spectre te talonne, hante chacun de tes pas, quel fauve immonde est tenu à distance par les fumerolles et les résines de tes drogues chéries. Tu sais quel gouffre implacable t’attend au milieu du chemin, ce qui te fauchera avant l’hiver comme un blé à peine monté en graine. Es-tu seulement capable de partager ce fardeau, de l’infliger à un autre pour en être guérie ?

Messaline cligna des yeux, lentement, et son corps, tendu comme un arc, se défit alors et retomba un peu plus sur le dossier du fauteuil, retrouvant sa mollesse coutumière dans les replis de ses boucles et de ses soieries.

Une main tremblante fit tinter le goulot de la bouteille contre le rebord du gobelet que tendait Nathaniel, et elle but à son tour, longuement, avant de s’exprimer enfin.

— Un petit peu ?

La voix de la jeune femme s’étrangla à demi tout en parlant, laissant grincer un rire dont l’amertume aurait rongé une pierre.

— Je ne sais pas qui tu es, ce que tu es, mais ça, ça !

Ce disant, elle désigna d’un revers de main l’homme, à présent remis sur pied, qui semblait se féliciter de ce miracle inespéré.

— C’est un don rare que tu as là, reprit-elle d’un ton plus posé comme si elle retrouvait le contrôle d’elle-même après ce moment de trouble.

Elle se tut un instant, tirant longuement sur sa pipe en cherchant ses mots. Ses yeux, noirs et dorés à la lueur du feu, le scrutaient avec une curiosité féroce.

— Je t’ai vu mourir, souffla-t-elle d’une voix si basse qu’il en fut rendu à une sorte de feulement brisé par trop de fumée.

Messaline

Messaline


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Un homme heureux. [Terminé] Sand-g10Mer 15 Oct - 10:45
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Nathaniel avait au moins attiré l'attention de la rousse, en plus d'avoir sauvé une vie, se permit-il de railler alors qu'il portait le gobelet à ses lèvres, grimaçant de nouveau lorsque les effluves lui montèrent à la tête et que le liquide lui brûla la gorge, lui apportant une douleur momentanée plus réelle et à laquelle il pouvait se raccrocher. Devant ses yeux dansaient encore les fantômes d'une vie dont il ne soupçonnait pas même l'existence quelques minutes auparavant.

« - Je doute qu'il s'agisse d'un don, railla Nathaniel, mais le Seigneur m'a insufflé assez d'altruisme pour que je le considère comme tel. »

Le prêtre avait assez lu et étudié les ouvrages saints pour se rappeler que chaque souffrance qu'il endurait était une épreuve que lui envoyait le Père, pour faire émerger de lui ses faiblesses, mettre à la lueur du jour ses péchés et ce dont son âme était faite. Ces principes lui revenaient ce soir-là comme un coup dans les côtes, une punition pour lui rappeler ce à quoi il était destiné.

« - Tu m'as vu renaître, souffla l'humain, répondant d'un regard plus que sérieux à la curiosité dévorante des opales sombres, la tutoyant, cette fois, comme poussé par quelque chose qu'il ne possédait pas avant. »

Peut-être était-ce l'alcool qui lui permettait cette familiarité soudaine, ou la fatigue, mais au fond il savait ; son âme était une toile tâchée par la noirceur de celles qu'il sauvait. Ses yeux se posèrent sur elle différemment, et il sentait en lui remuer les pensées d'autres hommes, maintenant les siennes, qui n'étaient jamais plus oppressantes que lorsqu'il usait de ce don. Il la voyait comme il ne l'avait pas vue jusque là ; ses cheveux étaient comme des langues de feu qui lapaient l'air langoureusement en tombant sur sa peau claire et les étoffes dont elle la couvrait. Une couche que ses doigts désiraient déchirer pour laisser à ses yeux le spectacle sauvage et brut de formes naturelles, d'une chair qu'il voulait toucher, sentir, dévorer. Plus il laissa son regard s'abandonner à sa description, plus il saisissait avec frustration le désir dont pouvaient souffrir les hommes, une faim incomparable qui brouillait les sens et le frappait plus que jamais ce soir-là, autant d'horreur que d'envie.

« - Ah ! grinça-t-il en s'arrachant de sa contemplation silencieuse, gêné rien qu'à l'idée qu'elle puisse lire la fureur des démons qui l'habitaient alors. J'ai moins l'air d'un mort d'ordinaire, je n'avais juste pas fait ça depuis longtemps. »

Nathaniel se pencha en avant pour faire face aux flammes et réchauffer son corps malgré tout frigorifié. Son esprit s'était peut-être enflammé, mais sa chair était transie de froid.

« - Avant que les démons ne prennent notre cité, il m'arrivait d'en sauver cinq comme lui par jour, si ce n'était plus. »

D'autres fantômes dansaient à présent devant lui, cette fois ceux de ses propres souvenirs. Il tourna sur lui-même dans son siège pour adresser un rapide coup d’œil à l'homme qu'il venait d'aider. Ce dernier lui lança un sincère remerciement et disparut avec son camarade aussi vite qu'il était arrivé, leurs deux silhouettes s'évanouissant dans les ténèbres de la nuit pluvieuse, accompagnées de quelques hommes qui quittaient également l'auberge, laissant alors l'établissement plus vide qu'auparavant. L'aubergiste resta interdit quelques instants, puis referma la porte tout en portant sur Nathaniel un regard curieux, mêlé de respect.

« - Ceux-là, dit-il en jetant la flèche qu'il tenait toujours au feu, ils n'apprennent pas. Les blessés de guerre se jettent de nouveau au combat aussitôt qu'ils sont sauvés. Les plaies ne servent que lorsqu'elles durent ; la souffrance est une leçon. C'est... un peu comme une peine de prison. »

C'était l'une des choses qu'il avait apprise à pratiquer au fur et à mesure de ses années de guérisseur. Son pouvoir ne devait lui servir que lorsque la situation était désespérée car, en plus de le faire souffrir atrocement et de corrompre ses pensées, il y avait toutes les chances que celui qu'il soigne commette la même erreur par insouciance.

« - Bref... je suis Nathaniel, se présenta-t-il de nouveau, tendant cette même main qui venait de sauver un homme des griffes de Nayris vers elle. »

Nathaniel

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Un homme heureux. [Terminé] Sand-g10Mer 15 Oct - 13:52
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Messaline plissa légèrement les yeux avec un brin de méfiance quand il lui répondit sur le même ton. Il y avait quelque chose de changé, là : il n’était soudain plus le même, et cette espèce d’humilité très douce qui avait marqué chacun de ses gestes, qui l’avait imprégné tout entier jusque dans la légère courbure de son dos comme usé par trop de prières. Mais après tout, qui pourrait se targuer de demeurer identique après une telle épreuve ? Il y avait autre chose, toutefois, quelque chose qui ne devait rien aux reflux de la souffrance et aux évidentes cicatrices qu’elle laissait derrière elle.

— Renaître est bien un grand mot, répliqua-t-elle en le constatant encore livide et glacé.

La jeune femme soutint longuement le regard qu’il posait sur elle, qui n’avait plus rien du morne miroir qu’elle avait entrevu un moment plus tôt. Elle connaissait bien cette expression qui s’y faufilait, cet aiguillon comme une braise qui perçait même au travers des plus chastes apparences. Difficile de juger de ce qui avait pu causer cette mutation soudaine, s’il y avait eu réellement métamorphose entre l'instant où il lui avait adressé la parole pour la première fois et celui où il se laissait aller à la détailler sans pudeur. Peut-être tout simplement s’était-elle trompée sur son compte en premier lieu.

Elle se fendit d’un sourire narquois quand il détourna enfin les yeux. Certains ne semblaient guère assumer leurs penchants, mais elle fit comme si de rien n’était, car à vrai dire, ce n’était qu’une broutille. Il y avait bien plus importants, et quelque chose dans son esprit chuchotait encore, comme un fol espoir titubant, qu’elle avait peut-être en face d’elle la clef de son salut. Peut-être, qui sait... Mais il y avait eu tant de rêves, tant de promesses qui n’avaient abouti qu’à l’amère déception de se découvrir à jamais incurable et condamnée à un sort funeste, quoi qu’il arrive. Elle était lasse de cela, lasse de désirer et d’attendre, comme si finalement elle ne voulait même plus de la perspective d’être un jour libérée du fardeau de ses maux.

— Et cela fut toujours à ce prix ? Es-tu à ce point disposé à te sacrifier pour les autres ?

Messaline avait dit cela sans méchanceté aucune ; elle ne comprenait tout simplement pas ce qui pouvait le pousser à s’infliger cela pour soigner son prochain, ce qui pouvait encore motiver ces gestes qui dévoraient peu à peu son énergie et le menaient parfois aux portes de la mort. Pas de moquerie, pas de jugement : la question était sincère, bien qu’elle doutât qu’il y répondît vraiment. Ses yeux le scrutaient toujours, comme si elle cherchait déjà un indice sur son visage, partout où elle pouvait débusquer un début de solution à ses interrogations.

Elle ne fit même pas attention à l’homme qui vint remercier Nathaniel avant de s’en retourner dans la nuit pluvieuse, mais les paroles du guérisseur, alors que les flammes de l’âtre consumaient la flèche souillée de sang, firent naître un long et lent sourire très amer. Les plaies ne servent que lorsqu’elles durent. Elle rit, soudain, et cela éclata avec la brusquerie d’un orage chargé d’une colère sourde qui semblait fendre l’air comme il fendait sa bouche d’un rictus plein de fiel. Son beau visage se tordait d’une expression terrible, comme si elle ne pouvait qu’à peine exprimer tout ce que ces mots pouvaient lui inspirer. Une leçon ? Quelle leçon avait-elle pu retirer de ces années entières de souffrances de maux effroyables, quelle leçon retirer de son sort, de cette injustice fondamentale qui régissait son existence et la promettait à une fin prématurée ?

— Il y a du vrai dans ce que tu dis, mais je serais bien curieuse de savoir quel enseignement tu en as reçu, lança-t-elle dans ce qui fut presque un sifflement à travers ses dents.

Son regard étincelait d’une allégresse mauvaise, et tout au fond on sentait poindre la noirceur d’un désespoir bien trop lucide qui la rongeait jusqu’à l’os. Il était rare qu’elle se dévoile de la sorte, mais après ce qu’elle avait vu, elle peinait à retrouver le contrôle d’elle-même et les paroles qu’il avait prononcées n’aidaient certainement pas à cela. Il avait touché juste, sans le savoir.

Messaline fixa la main qui se tendait, et déplia lentement ses longs doigts minces pour en effleurer à peine la paume.

— Eh bien, Nathaniel ; je crois que pour ce qui est de la conversation, tu es bien tombé. Je m’appelle Messaline.

Elle releva sur lui des yeux de chat, chargés d’une crispation presque palpable. Elle se prit presque à le haïr, soudain, lui et sa voix trop douce et toutes ces vaines promesses qu'il amenait avec lui, sa sagesse de prêtre et sa mélancolie d'âme égarée. Et qu’en savait-il, vraiment ? Il pouvait encore s’échapper de cette prison dont il parlait ; elle, était condamnée à y demeurer, et à s’y laisser périr sans jamais connaître quel goût avait la liberté.

Messaline

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Un homme heureux. [Terminé] Sand-g10Jeu 16 Oct - 12:44
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A mesure qu'il avait parlé, il n'avait pu ignorer que ses paroles avaient réveillé en son interlocutrice quelque chose. Comme à son habitude, il ne laissait pas indifférent. Il était resté silencieux, à chacune de ses questions, les recevant avec son calme habituel, ce que la plupart pouvaient confondre avec de l'indifférence, mais Nathaniel ne parlait jamais en vain. Il cherchait à comprendre, en toute circonstance. Alors, une fois qu'il serra sa main hésitante, il reprit ces mêmes traits qui avaient passés la porte de l'auberge, plusieurs heures auparavant.

« - Je ne me suis jamais posé ces questions. Comment pourrais-je laisser un homme à sa mort ? Si Yehadiel m'a donné le don de soin, je ne crois pas qu'il l'ait fait pour que je le conserve égoïstement. Et... quelques instants de souffrances valent bien une âme, tu ne penses pas ? »

C'était faire une grossière image de ce qu'il endurait pour sauver la vie de quelqu'un, mais l'idée y était. C'était amusant, si on pouvait dire, que même après avoir juré au visage de son créateur, l'avoir détesté pour son apparent laxisme, Nathaniel gardait en lui la profonde conviction qu'il existait pour servir sa parole, malgré tout. Il aurait été impossible pour le jeune homme, et la preuve en était faite, de laisser un des siens périr parce qu'il refusait de souffrir.

« - La souffrance nous sert à apprécier les plaisirs. La chaleur d'un feu n'existe que parce que nous connaissons le froid, et nous nous satisfaisons de manger parce que nous avons eu faim. Souffrance et plaisir sont indissociables, et sans m'enorgueillir de mes actions, j'en tire plus de plaisir que j'en souffre. »

Il était redevenu celui qu'il était avant d'avoir soigné l'homme ; un sage sous les traits d'un jeune qui énervait de son esprit mais étonnait de son savoir. Cela ne l'empêchait pas de continuer à la tutoyer ; son aisance semblait s'être inscrite comme ayant toujours fait partie de lui. Reprenant des couleurs à mesure que la chaleur des flammes réchauffait sa peau, il tourna vers Messaline un regard mêlé de compassion, et de curiosité.

« - Je t'agace, souffla-t-il finalement après avoir attendu ainsi quelques instants, ayant lu en elle qu'il l'énervait comme tous ceux qui pensaient avoir souffert assez pour le prendre de haut ou mettre en doute ses certitudes. Tu te demandes ce que je peux bien raconter. »

Dans le ton de sa voix, on aurait pu croire qu'il s'était énervé à son tour, mais il n'en était rien. Il s'était levé et avait tourné le siège pour faire face à Messaline, se rasseyant dessus et, dès lors, ne quittant plus ses yeux. Il tendit sa main de nouveau, face au plafond, l'invitant à lui donner la sienne.

« - Tous les mots du monde ne servent à rien parfois, alors autant te montrer. »

Aucune lumière, rien. Sa main n'avait rien d'extraordinaire, elle était juste là, offerte à elle comme une promesse qu'on avait jamais pu lui faire. Bien entendu, Nathaniel ne se doutait pas un seul instant du mal qui rongeait Messaline, il s'imaginait qu'elle souffrait peut-être d'un difficile passé, qu'elle avait connu la perte d'être chers. Ainsi, il était certain qu'il lui apporterait du réconfort sans avoir à souffrir de guérir un mal aussi inscrit en elle qu'il était invisible. Il péchait d’orgueil, et si la rousse avait le courage de croire une nouvelle fois en sa guérison, il paierait sa vanité.

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Un homme heureux. [Terminé] Sand-g10Ven 17 Oct - 19:26
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Messaline garda un silence obstiné quand Nathaniel parla de nouveau. Ses traits durcis par la flamme de l’amertume s’étaient figés dans un masque qui faisait de sa pâle figure comme une sculpture de pierre aiguë où ses yeux d’ambre noir étaient sertis dans leurs cernes comme des joyaux animés de braises furieuses. La fumée s’échappait mollement de sa bouche entrouverte dans un sourire qu’on aurait cru tracé par la lame d’un couteau sur ses lèvres pourpres pour s’envoler en volutes lourdes et paresseuses. Elle ne cillait presque plus, son regard comme un gouffre, et elle l’écoutait avec cette attention féroce qui semblait produire comme une sorte de succion mentale qui forçait presque à parler pour combler le vide.

Enfin, la jeune femme laissa son sourire s’élargir, sans toutefois apporter plus de chaleur à son beau visage.

— Pour certains la vie est bien trop courte pour se permettre de prendre le temps de souffrir. Tu parles comme quelqu’un qui ne connaît pas ce que c’est que d’y vivre enfermé, c’est certain. Quand elle ne cesse pas, ou peu, comment peut-on parvenir à apprécier ce qu’il y a encore de bon ? Quand elle est partout, elle n’enseigne rien, elle empoisonne chaque chose, jusqu’à transformer chaque heure en supplice.

Ses paupières s’abaissèrent un instant avant de se relever comme les grandes ailes poudreuses d’un papillon las. Ses pupilles rétractées laissaient tout l’espace à ses iris couleur d’ébène et d’ocre doré, chatoyants à la lumière des flammes comme ces pierres précieuses qui sont chargées de reflets changeants, piquetés et striés de veines iridescentes.

— Qu’en sais-tu vraiment ? susurra-t-elle d’un ton très doux. L’as-tu sentie te ronger sans cesse, sucer la moelle de tes os et te mener aux portes du trépas ? A-t-elle suivi tes pas comme une ombre, sans jamais te lâcher ? As-tu jamais supplié un ciel vide de t’apporter un repos qui n’est jamais venu ? T’es-tu jamais vu condamné à vivre avec ce fardeau, et à ne rien faire d’autre que d’attendre qu’un destin cruel coupe le fil, lorsqu’il sera las de te regarder te débattre ?

Tout en parlant, elle s’était penchée vers lui, comme consumée par sa propre souffrance, presque menaçante. L’amertume la plus profonde s’épanchait de toutes parts, s’écoulant à grands flots noir de cette blessure béante qu’elle avait à la place du cœur. En lieu et place de cela, il n’y avait jamais eu que l’obscurité et cette plaie qui réclamait tant et plus, avide, si avide que rien ne pouvait jamais la rassasier. Elle pouvait y jeter des âmes, des hommes, des tonneaux entiers que rien n’était jamais apaisé, rien n’était jamais assez, et tous les plaisirs du monde n’étaient jamais que broutilles, fugaces instants volés face à l’inéluctable, comme une étincelle qui tente de repousser la nuit.

Messaline se redressa, lentement, et rit.

— Non, dit-elle d’un ton suave. Les mots ne me convaincront pas.

Ses yeux se baissèrent sur la main qu’il tendait de nouveau.

— Que crois-tu faire, Nathaniel ? Crois-tu vraiment que tu peux me guérir ? D’après ce que j’ai vu tout à l’heure, tes miracles ne sont pas sans conséquences... Je ne voudrais pas ta mort sur la conscience, fût-ce le prix de ton orgueil.

Un instant de silence, et elle continua à le fixer de son regard pénétrant. Et pourquoi pas. Pourquoi ne réussirait-il pas ? Pourquoi pas un prodige ? Cela ne coûterait qu’à lui d’essayer, à elle seulement la déception, qui était pour elle un sentiment bien trop familier.
Alors, lentement, elle éleva la main jusqu’à la sienne, et la saisit d’un geste tremblant.

Peut-être.

Messaline

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Un homme heureux. [Terminé] Sand-g10Sam 18 Oct - 8:26
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La main de Messaline s'était posée sur la paume ouverte de Nathaniel, leurs doigts se joignant. Elle était tremblante, hésitante ; malgré sa colère et ses mots acerbes, l'espoir brillait au fond d'elle. Ce n'était pas le geste désintéressé ni un quelconque défi, elle croyait en lui, assez pour espérer que cette main qu'elle avait vu briller d'une magie aussi pure que la lumière de l'astre puisse chasser ses démons. Nathaniel, lui, ne doutait pas. Il resserra ses doigts autour de ceux de la rousse, et les recouvrait de son autre main, plongeant ses yeux dans ceux de la femme avant de lui adresser quelque mot.

« - Tu vas te sentir beaucoup mieux, avait-il chuchoté, fermant peu à peu ses paupières tandis que la lumière commençait à suinter de toutes parts des pores de sa peau. »

Les rayons avaient émergés des paumes de Nathaniel, coinçant la main de Messaline dans un carcan de lumière. Le prêtre n'avait aucune idée du sentiment de bien-être que laissait derrière elle sa magie, il ne pouvait que se rapporter aux témoignages de ceux qui en avaient bénéficiée. C'était comme si toutes les peines de la vie, toutes les souffrances, n'avaient jamais existées. Tous les problèmes disparaissaient pour ne laisser plus qu'en vue les meilleurs choses qui soient. On se gorgeait soudainement d'un amour infini, d'une extase que les plus futiles beautés venaient à stimuler. On ne ressentait plus de peine, mais seulement de la joie, ou une tranquillité absolue.

Nathaniel, pourtant si proche, était loin d'éprouver les mêmes sensations. A peine sa lumière le quittait pour un autre qu'il plongeait dans les affres d'un monde de ténèbres. Ces derniers, des volutes de fumée noire recouvrant tout ce qu'il pouvait voir, dansaient nerveusement à ses côtés, piquant son âme. Chacun chose était un souvenir, une larme qui avait coulée sur une joue. Des plus petites flammes de ce monde sans soleil aux brasiers furieux, il n'était question que de douleur, sa douleur. Tout ce que Messaline avait jamais éprouvé, il le recevait de plein fouet, lâché dans cette turpitude sans aucune autre échappatoire que la souffrance.

Il n'eut pas le temps de regretter, et il ne regretterait pas, de toute manière.
Qu'importait la longueur du terrain de ronces que son âme nue avait à franchir, il le traverserait avec l'ultime réconfort d'avoir fait le bien. La vie de Messaline, de ses épisodes quotidiens à ses passages les plus sombres, jaillit dans son esprit comme un acide, une furieuse tempête de rochers tranchants qui déchirait les fondements de sa raison. A peine avait-il crée le contact que tout le corps de Nathaniel fut secoué d'une décharge, ses mains se resserrant d'autant plus autour de celle de Messaline, ne la lâchant plus comme s'il s'accrochait à son dernier espoir de se sortir un jour des enfers. Dans ce nuage noir qu'il traversait, il la voyait se tordre de douleur et pleurer, et les échos de sa voix d'enfant résonnaient en lui, ses lamentations étranglaient son cœur. A mesure qu'il avançait, ses cheveux tombaient de son crâne, disparaissant dans l'air pestilentiel comme poussière et les extrémités de son corps se consumaient, la peau de ses doigts se flétrissant, pis tombant, s'écrasant sur le sol en tas grisâtres. Les os décharnés de ses mains lui apparaissaient alors à vif, sous sa chair pourrie que les vers rongeaient, et tombaient en miettes sur le sol brûlant. L'immensité sadique de ce monde sans vie le dévorait ; il levait ses yeux vers le ciel vide mais le soleil qu'il aurait espéré y voir était absent, tout n'était qu'infini et douleur, sans lumière, et pourtant il voyait. Il pouvait voir, même si les yeux lui manquaient. Ses orbites vides et sanglantes balayaient son chemin, inlassablement, tombant sur le spectacle désastreux de la débauche. Entre douleur et pleurs, il assistait à la fusion des corps sans passion. La chair s'entremêlait à la chair sur un lit d'asphalte fumante, l'amour se décharnait, il ne restait qu'un besoin, une envie bestiale qui grondait tout autour, assourdissante, puis tout cessa.

L'instant n'avait duré que quelques secondes. Ce fut certainement trop bref pour Messaline, mais Nathaniel, lui, venait de passer une éternité d'errance. Son corps tremblait, spasmodique, ses mains lâchant petit à petit Messaline, la libérant de son emprise. Sur son visage aux paupières fermées en un rictus de douleur, on pouvait lire les traits d'un suppliant, il pleurait. Ses dents grinçaient sous la pression de sa mâchoire qui semblait n'en plus pouvoir de retenir les cris qui le secouaient. La lumière avait disparue, et Nathaniel était tombé à genoux ; dans les derniers instants de la guérison, il avait retenu contre son torse la main de Messaline comme pour ne pas la quitter, désireux dans son inconscience de ne pas la laisser s'échapper pour venir à bout du mal qui la rongeait. La vermine invisible avait traversé la lumière comme un portail et était maintenant en lui, insidieuse et vicieuse. Frigorifié, abandonné de toutes les couleurs de la vie, il avait glissé lentement en avant, sa tête tombant finalement sur les genoux de la miraculée, les mains du prêtre la délivrant. Plus aucun de ses déboires ne la marquait, elle était une âme neuve dans un corps neuf, comme si son passé n'était qu'un souvenir lointain.

Nathaniel

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Un homme heureux. [Terminé] Sand-g10Sam 18 Oct - 12:26
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Messaline retint son souffle, presque sans le vouloir, quand il referma ses mains sur la sienne et que s’en dégagea peu à peu la même clarté bienfaisante qu’elle avait vue à l’œuvre un moment plus tôt. Elle observa un instant le visage de Nathaniel, la pâleur qui gagnait ses traits, et un pauvre, triste sourire lui vint. Elle ne savait pas comment fonctionnait son don, très exactement : mais si ce qu’il ressentait avait quelque chose en commun avec les blessures qu’il pouvait soigner, alors il devrait s’attendre à quelque chose qu’il n’avait probablement que rarement éprouvé, heureusement pour lui.

Son sourire s’accentua encore, se fit comme celui d’une madone funeste, tout emplie d’une douceur mortuaire alors qu’elle fermait lentement ses yeux poudrés. Et tout à coup, ce fut comme si tout refluait, tout le poison qui s’était accumulé au fond d’elle, toutes les ténèbres, les souffrances, les cris et les horreurs étaient aspirés comme on aspire le venin d’une plaie. Cela ne laissait que le vide, derrière ; car que peut-il demeurer lorsqu’on a érigé son existence tout entière sur ce socle de peines et de douleurs ? Son esprit perdit pied, peu à peu, et elle s’enfonça dans une sorte de rêverie profonde, comme un sommeil consolateur qu’aucun songe ne vient troubler. Son corps s’était quelque peu affaissé sur lui-même et sa pipe éteinte avait roulé de sa main molle qui pendait le long du siège. Plus de tensions, plus rien, rien. La jeune femme s'abandonnait, dérivant dans une obscurité douce, encore nimbée de cette lueur si apaisante qu’elle voyait percer à travers ses paupières, et se laissait perdre pied en cédant derrière elle tant de fardeaux...

Jamais il n’y eut de drogue, d’étreinte, de plaisir assez furieux, assez fort, assez transcendant, même, pour effacer à ce point d’elle tout ce qu’elle cherchait à fuir depuis le début. Jamais un seul jour ne s’était passé sans qu’il y ait mal, sans qu’il y ait souffrance, sans que quelque chose ne vienne rappeler à elle l’absurdité de sa condition, ce destin malin qui s’était ingénié à la faire vivre encore et encore alors même que tout, de son origine, de sa mise au monde à sa propre constitution hurlait à qui voulait l’entendre qu’elle n’aurait jamais, jamais dû naître et encore moins exister aussi longtemps. Mais aujourd’hui sa blessure trouvait remède de ces sombres étendues de noirceur qui reposaient au fond d’elle plus rien ne s’épanchait plus, comme si l'illumination qui se dégageait des mains de Nathaniel se propageait jusqu’aux tréfonds de son âme, de ce qui lui tenait lieu de cœur et de conscience pour jeter des miroitements nouveaux dans des recoins qui n’avaient jamais rien connu de pareil.

Sans le savoir, Messaline adopta peu à peu la même position que Nathaniel, et tous les deux se firent face comme deux cygnes aux gorges courbées, leurs têtes se frôlant tandis que l'embrasement les enveloppait tous les deux d’un éclat d’or pur qui révélait sans fards et sans rien dissimuler l’étrange échange qui se produisait entre eux : les couleurs et la vie qui quittaient le visage du guérisseur venaient à Messaline, à ses joues pâles et son allure constante de madone alanguie. Plus vive encore que le feu, la clarté de leurs mains jointes rendait la scène belle et terrible à la fois, si brève, si fugace... Il semblait à Messaline qu’il n’y avait soudain plus rien autour d’elle, l’univers dilué dans la flamme et la paix, plus rien, enfin, pour la faire souffrir, plus rien... Oh, le vide apaisant, béant, non pas dévorant, mais qui l’entourait de ses bras comme une mère, un père, comme un être aimant qui prend soin de son enfant. Plus rien. Peu à peu tout s’en allait, tout guérissait, et d’un baiser de lumière on venait refermer cette plaie immense qu’elle avait au fond d’elle.

C’était fini. Elle sentait dans ses os, dans sa chair, que le mal n’y était plus logé, qu’enfin elle était libérée et purifiée de tout cela. C’était étrange, soudain, de ne plus avoir cette sensation familière, toujours présente, et c’est lorsqu’il n’y eut plus de souffrance, plus de maladie, qu’elle se rendit compte à quel point cela avait été toujours là, obsédant, comme un bruit persistant que l’on ne remarque qu’une fois qu’il a cessé.

Messaline respira, lentement, profondément, et sur sa belle figure parut un sourire d’une sérénité sans pareille qui évoquait quelque déesse voilée de ses longs cheveux ruisselants. Les yeux fermés, elle éleva le visage en l’air alors que Nathaniel lâchait sa main et rit avec une incrédulité d’enfant, elle rit encore et encore de sa voix de cristal brisé avant que cela ne meure dans un soupir profond qui ressemblait à celui qui vient après l’extase. Peu à peu, elle rouvrit les yeux, relevant lentement ses paupières, et se redressa en soulevant ses mains devant elle, les contemplant comme si elle les voyait pour la première fois. Elle frotta ses doigts entre eux, et il n’y avait plus rien de ce léger fourmillement glacé qui lui courait le long des phalanges, pas plus que cette raideur qui était toujours là pour entraver ses mouvements. Son esprit peina à formuler la pensée qui lui vint, constatant cela : elle était guérie.

La jeune femme sourit, rit encore, même si au fond d’elle quelque chose murmura : « vraiment ? » Une part d’incrédulité subsistait, mais diable, elle voulait y croire ! Elle voulait cesser de douter de tout et de tout le monde, et se dire que tout était fini, réellement, terminé. Cela avait été trop rapide, trop simple, cela ne pouvait être ainsi. Elle demeura figée un instant, vacillante entre les contraires, entre avoir la foi et se défier, et puis, dans un élan presque désespéré, se raccrocha à l’idée qu’enfin, peut-être, elle avait trouvé le salut. Cela ne lui ressemblait pas, mais en ce jour, cette nuit, pour une fois dans sa vie, elle voulait croire qu’elle pouvait être sauvée.
Quelques larmes vagabondes se glissèrent aux coins de ses yeux, et elle cligna des paupières, s’apercevant enfin que Nathaniel était tombé à genoux dans les derniers moments, terrassé par le mal qu’il lui avait pris, et que sa tête inerte reposait à présent sur elle.

Messaline se baissa pour le relever et prit son visage entre ses mains. Des pleurs silencieux coulaient encore sur ses joues, mais elle paraissait si paisible, soudain. Sans doute nul ne l’avait jamais vue ainsi, auréolée de cette joie tranquille qui vient à ceux qui sont libérés de leur prison. Il y avait là quelque chose de très triste et très doux à la fois, et cette sérénité immense des martyrs et des saints. Elle semblait à son tour nimbée de sa propre lumière, qui était dans ses yeux, dans chacun de ses traits, dans son beau visage délivré de ses supplices, jusque dans les profonds puits de ses iris d’ambre et d’or fugace.

— Quel dieu peut être assez cruel pour t’avoir infligé cela ? murmura-t-elle. Quel dieu a pu être assez cruel pour que tu sois ainsi fait que tu ne peux te refuser à laisser ce don inutilisé ?

La question était sincère. Messaline connaissait assez les mille et une subtilités de la souffrance pour savoir que la guérison n’était jamais un prix suffisant pour cela, et ne souhaiter à personne de l’endurer à ce point.

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Un homme heureux. [Terminé] Sand-g10Sam 18 Oct - 19:15
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Nathaniel sentit la chaleur des mains saisir son visage et le ramener de sa léthargie, le contact des doigts contre sa peau le tirant de ses visions troublées. Des pensées noires vrillaient dans son crâne, fusantes en tous sens, lui arrachant des grimaces périodiquement. Leur poids grandissait en lui comme un fardeau insoutenable dont il fallait qu'il s'allège. Haletant, sa peau trempée d'une sueur froide, il tenta de se redresser, rejetant, avec la force qu'il lui restait, les mains de la rousse. Il s'écroula de nouveau sur elle, presque incapable de discerner le réel de ses visions d'horreur. Il l'avait revue, Maria, et le dragon, cette bête malfaisante à l'âme noire de crimes !
Contre elle, le teint blafard et éclairé par la danse des flammes, ses cheveux lui tombant sur le front, masquant à moitié son regard nerveux, il avait tout l'air d'un fou. Il resta ainsi, crispé et incapable de prononcer un mot, pendant presque une minute, puis, semblant se calmer soudainement, il quitta des yeux le plafond, vers lequel s'était dirigé son attention depuis le début de sa crise de panique, pour revenir sur Messaline. Alors il redevint sensiblement lui-même, plus calme, la fureur dans ses iris diminuant progressivement, mais la fatigue, bien réelle elle, le marquait toujours de larges rides.

« - Tu devrais lui être reconnaissante. »

Il lui avait soufflé ces mots, ses dents claquant ; il était transi de froid. Hésitant, puis finalement n'en pouvant plus de trembler, il saisit les mains de la femme qu'il venait de rejeter. Il les attrapa comme il l'avait fait pour la soigner, à cette différence qu'il les saisissait seulement pour se tenir chauf, cette fois. Il était si gelé que la simple chaleur de ses mains lui apportait un réconfort comparable à la chaleur des flammes sur ses jambes. Il aurait pu aller chercher son manteau, mais il était tellement faible qu'il pouvait seulement se borner à serrer ses doigts sur ceux de Messaline. Comme un animal, il se blottit contre elle, chavirant entre sommeil et réveils en sursaut au souvenir des visions. Il n'avait pas encore fini d'assimiler le mal de Messaline, son venin se dispersait en lui mais il lui faudrait bien plus de temps que pour une blessure par flèche, par exemple ; sa guérison s'opérerait complétement au bout de plusieurs jours.

« - Peux-tu m'apporter mon manteau ? J'ai très froid, demanda Nathaniel, comme un petit garçon aurait demandé s'il pouvait rentrer à la maison parce qu'il pleuvait. »

Nathaniel avait beau être affaibli et presque endormi, seule la douleur l'en empêchait, il savait pertinemment ce qui allait arriver. Son âme noircissait, c'était la raison pour laquelle son corps souffrait. La majorité de ceux qu'il avait soignés pensaient à tort que Nathaniel payait le prix de sa magie, mais c'était faux. Nathaniel était un mage en plus d'être guérisseur, et s'il pouvait être affaibli par l'utilisation excessive de ses pouvoirs, son don de soin menaçait autre chose que sa magie. Comme l'avait fait remarquer Messaline, le don du garçon était également une malédiction ; en quelques heures, il allait assimiler tous les aspects les plus sombres de la femme pour les faire siens.

Quand il sentit son manteau sur ses épaules, il se recroquevilla alors davantage, se couvrant de la chaleur du cuir.

« - Je vais rester ici... un moment. »

Il ne dit rien d'autre. Sa tête penchait en avant, de temps en temps, puis un sursaut la ramenait en arrière, comme si à chaque fois qu'il avait l'occasion de s'endormir quelqu'un s'amusait à le piquer. Finalement, il s'arrêta de bouger, sur le point de s'endormir sur le sol, devant le feu de cheminée que n'avait pas alimenté l'aubergiste, seul spectateur de cette guérison miracle. Dehors, la pluie ne s'était pas interrompue, l'orage continuait, rien n'avait changé.

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Un homme heureux. [Terminé] Sand-g10Sam 18 Oct - 20:20
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Messaline ferma lentement les yeux sur les larmes qui lui venaient encore. Une ou deux, plus drues que les autres, glissèrent le long de ses joues pour s’écraser sur le visage de Nathaniel, sur ses genoux. Elle aurait tellement aimé pouvoir de nouveau enclore son cœur de froideur et d’égoïsme, drapée de ce cynisme et de cette cruauté latente que lui permettait son statut de martyre. Car après tout : cette souffrance et l’infâme condition qui en découlait ne l’autorisait-elle pas, ne l’avait-elle pas toujours autorisé à se montrer odieuse avec son prochain ? Il y avait une excellente justification à ses comportements, mais soudain, plus rien. Point de mal, plus rien ; elle était guérie et Nathaniel paraissait avoir emporté avec lui toutes ses ténèbres en plus de sa maladie. Son cœur se chargeait de joie, et elle se sentait si bien, si paisible et si heureuse que c’en était comme d’en être transfigurée. Tout ne semblait que plus beau à présent que la douleur ne hantait plus chaque seconde, et plus encore que jamais elle se prit à savourer tous les sons et les parfums de l’existence. Il pleuvait toujours, et le vent s’acharnait sur les toits ; quelques braises craquantes sous la cendre, des odeurs de nourriture, de bière, de bois chauffé, quelques reflets fugaces et la chaleur douce de l’auberge... La nuit calme, si anodine, la nuit chérie où elle aimait se perdre, pour sa pénombre complice et ses clairs-obscurs magnifiques, pour ce qu’elle avait de propice à la confidence, au repos et à l’intimité.

Mais comment pouvait-on vraiment profiter de cela, lorsqu’on avait conscience du prix que cela avait coûté ?

Pauvre, pauvre âme... Les tourments ne semblaient pas avoir cessé avec leur contact et il souffrait toujours, c’était évident, si bien que Messaline se trouvât incapable de lui venir en aide. Ce qu’il affrontait, d’une certaine façon, c’était elle-même. Elle était devenue son poison. Comme pour mieux boire jusqu’à la lie le vin amer de cette certitude, Messaline ne fit rien, au début. Elle se contenta de scruter, sans mot dire, celui qui avait absorbé tout ce qu’il y avait de sombre, de douloureux, de tordu, en elle. Elle contempla sans ciller tout ce que cela produisait sur lui, toute la souffrance que cela lui causait. C’était elle, et personne d’autre, qui lui faisait aussi mal, qui le détruisait à ce point.

Elle était son poison.

Messaline regarda Nathaniel s’effondrer à demi, serrant ses mains comme si elles pouvaient lui apporter le salut. Sa voix, si frêle, brisée comme un jouet d’enfant, résonna avec une tristesse particulière à ses oreilles, mais ce n’était pas à elle de pleurer pour lui, elle devait se réjouir de ce don dont elle n’avait pas tant voulu que cela. Elle le regrettait presque, car jamais elle n’aurait souhaité avoir à supporter le poids de cette culpabilité-là, fût-ce un inconnu, un homme dont elle ne savait rien et qu’elle ne reverrait jamais. Sans doute, dès l’aube suivante elle oublierait cela, mais pour l’heure, l’expression de ces yeux morts encore chargés d’un désespoir presque tangible était trop bouleversante, et bien trop terrible. Pourrait-elle vraiment l’effacer de sa mémoire ?

Son cœur semblait se fendre en deux quand il avait ces mouvements fébriles d’enfant, quand il se blottit contre elle, frissonnant. Mais elle ne fit rien, ou presque, à peine esquissant un geste de réconfort, et ses mains tremblaient de devoir assister à ce spectacle tout en sachant en être la cause. Rien n’était feint, rien n’était méprisable, elle n’avait aucun moyen de passer outre. Elle le regarda s’effondrer, parler encore, et puis décida que c’en était assez. Très vite, s’empressant d’une maladresse troublée, elle fit signe au tavernier, qui les épiait des yeux stupéfaits, de lui apporter le manteau du guérisseur. L’homme n’était pas d’une grande finesse, mais il savait quand il n’avait pas à intervenir outre mesure dans ce qui se déroulait ; deux miracles le même soir dans son auberge ? C’était plus qu’il n’en fallait. Il tendit à la jeune femme le vêtement de Nathaniel, et elle l’en couvrit avec soin. Sa gorge se noua d’un sanglot irrépressible quand il lui souffla qu’il allait sans doute rester là encore un peu, et elle souleva sa tête pour l’appuyer sur ses genoux et rendre sa position plus confortable.

Délicatement, ses longs doigts minces, à présent retrouvant toute leur sensibilité et leur agilité, se glissèrent dans les cheveux sombres du jeune homme pour chasser de son visage épuisé les mèches qui y ruisselaient, mouillées de cette sueur glacée qui lui maculait la peau. Quelques larmes tombèrent encore sur le front de Nathaniel comme quelques gouttes éparses d’une averse brûlante.

— Ce n’est pas ton dieu que je vais remercier, murmura-t-elle tout doucement. Ce n’est pas lui qui a décidé de me soigner.

Relevant les yeux, Messaline vit que le tavernier s’était approché pour s’enquérir de l’état du prêtre. Sans plus attendre, il proposa avec sa rudesse coutumière d’emmener Nathaniel dans une chambre pour qu’il puisse se reposer et récupérer ses forces mieux qu’en étant allongé sur un carrelage crasseux. Messaline ne prit même pas la peine de demander l’avis du concerné, et ils transportèrent tous les deux le jeune homme enveloppé de son manteau dans la chambre la plus proche, où il fut étendu sur le lit bancal.
Ceci fait, elle s’assit près de lui, guettant un signe de vie sur son visage blême. Un étrange sentiment lui tordait le cœur ; elle cherchait comment le remercier, mais il lui semblait qu’elle ne pourrait jamais lui rendre ne serait-ce qu’une parcelle de ce qu’il lui avait offert. Quelque chose, quelque chose qu’il avait pris d’elle, était irréparable et incurable, autant qu’elle l’avait été jadis. Cela l’attristait, et à voir la différence qu’il y eut entre la réaction du jeune homme après la guérison du soldat et cet insondable désespoir qui était le sien à présent, elle se doutait bien que les choses n’étaient pas les mêmes.

Le silence les enveloppa un moment. La pluie chantonnait sur les toits, sur les carreaux. Les conversations et les sons filtraient des murs et des portes disjointes, des éclats de rire, des éclats de voix, des tintements de vaisselle. La mer mugissait au loin comme un monstre inassouvi. Tout était calme, tout était froid, et dans l’obscurité, à l’unique lueur d’une chandelle, Messaline se mit à fredonner quelque chose, retenant quelques larmes qui venaient encore.

Messaline se pencha sur lui, posant une main sur son front fiévreux.

— Parle-moi, murmura-t-elle. Que cela fait-il, d’aspirer mes ténèbres ? Que cela fait-il d’être empoisonné par moi ?

Je suis ton poison.

Messaline

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Un homme heureux. [Terminé] Sand-g10Dim 19 Oct - 22:09
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Nathaniel aurait voulu lui dire de s'en aller, et c'était ce qu'il aurait dû faire, mais sa volonté avait ses limites, d'autant plus lorsqu'elle était affectée par toute la noirceur des pensées les plus sombres d'un esprit humain. Les lèvres du jeune homme étaient plissées de frustration, d'une rage silencieuse et hésitante. Quand Messaline posa sa main sur son front, une bouffée de chaleur lui monta à la gorge et en finit de le dissuader. Il ne dit rien. Dans le calme de la nuit qui les entourait, la voix de la femme et son souffle furent une caresse qui le tira des méandres de son agonie. Sa main contre son front lui apporta un peu de cette paix qu'il lui avait offert, elle lui permit d'imaginer seulement ce que devait être cette sensation de liberté que ressentaient tous ceux qu'il avait sauvés. Leur extase lui semblait alors plus que jamais irréelle.

Le prêtre posa sa main sur celle de Messaline, une fois encore. Doucement, il la serra entre ses doigts faibles et la ramena contre sa joue, le parfum de sa peau lui permettant d'oublier les odeurs de mort émanant du monde flou qui se dessinait autour d'eux. Elle était encore la seule chose qui ne lui inspirait pas un profond dégoût, et son être tout entier ne reposait plus que sur ses envies désormais, sans quoi sa raison lui aurait crié de la repousser, pour leur bien commun. Il ne réfléchissait plus, Nathaniel, son âme se consumait, noircissait comme la mèche d'un cierge brûlait. Doucement, il alla chercher l'autre main de Messaline, l'attirant à lui subtilement avec la lenteur désespérée d'un mourant. Il l'obligeait à se pencher sur lui, ses doigts montaient le long des bras de la femme, ses ongles griffant le tissu de ses manches. Quand il arriva à la hauteur de ses épaules, il passa ses mains derrière sa nuque et amena son visage à se rapprocher du sien, assez près pour qu'il puisse pleinement distinguer les nuances de ses beaux yeux, aussi sombres que ses pensées.

« - Tu le sais, non ? murmura alors Nathaniel, sa voix s'échappant d'entre ses lèvres plus sourde encore que les complaintes des morts. »

Tout s'était déroulé très vite. Il avait plongé ses doigts dans sa chevelure comme on trempe ses jambes dans l'eau froide d'un courant d'eau, tandis que son autre main était allée caresser la chaleur de sa joue, son pouce essuyant les traces luisantes de ses larmes. C'était toujours ainsi quand on liait son âme à une autre, on créait d'un regard quelque chose qui ne pouvait s'exprimer avec des mots, puis le corps suivait le cours d'un mouvement qui semblait si naturel qu'on ne l'en empêchait pas. Il la tira à lui brusquement, retrouvant soudainement la force du jeune homme qu'il était. Leurs visages furent alors si proches que leur nez pouvait se toucher. Dans les yeux de Nathaniel, on ne lisait plus la morne absence d'une âme à la dérive, mais la fureur de quelque chose de réveillé ; ils brillaient d'une lueur étrange, animés par les flammes d'un désir bien plus prononcé qu'il n'avait jamais pu l'être. Il tira de nouveau Messaline à lui, plongeant son nez dans ses cheveux qui lui tombaient dans le cou, humant longuement son parfum, joue contre joue.

« - ... ça brûle, souffla-t-il avec une bestialité toute nouvelle dans la voix, le transfigurant. »

C'était lui, et ce n'était pas lui. C'était à ce moment que Nathaniel se disait renaître, et nombreux étaient à lui rétorquer que cela n'avait rien d'une renaissance, Messaline elle-même s'en était moqué auparavant. Qu'était-ce alors ? Qu'était-il ? Un humain ? Si oui, quel dieu se réjouissait de voir un si bel être déchirer la splendeur de son âme pour la disséminer aux alentours des sentiers du mal ? L'image de Yehadiel passa furtivement dans l'esprit de Nathaniel, mais il la rejeta avec véhémence et dédain, resserrant davantage sa poigne sur l'être qu'il avait purifié. N'était-elle pas sienne ? Il l'avait sauvée, elle était à lui ! Il était elle, elle était lui.

« - Reste ! lui ordonna-t-il, son souffle désespéré, agité par l'indécision furieuse qui divisait sa conscience, caressant l'oreille de Messaline. Ne me laisse pas, finit-il par dire, ses paupières se refermant sur un lit de chaudes larmes. »

Il ne la lâchait pas, s'agrippant à elle comme à la dernière chose qui le raccrochait à l'existence, comme s'il avait laissé son âme en elle. Ils étaient un. Il la haïssait autant qu'il l'aimait, et il avait peur de briser leur contact. Il sanglota alors qu'il la serrait contre lui, luttant contre les insidieuses voix qui hurlaient en lui, comme des violons furieux.

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Un homme heureux. [Terminé] Sand-g10Lun 20 Oct - 9:37
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Messaline eut un bref sursaut quand elle sentit les doigts glacés du guérisseur se refermer sur ses mains ; dans la lumière si infime, vacillante et dérisoire de la chandelle, il lui semblait qu’il était réduit à l’état de fantôme, comme un cadavre à peine doué de vie. Finalement, il était devenu ce qu’elle-même avait été pendant très longtemps, une chair déjà promise au trépas qui ne sait plus bien s’il se meurt ou s’il vit, s’il voit ou s’aveugle dans les derniers feux du jour. L’horreur avait fait place à la crainte et au chagrin, car soudain son esprit encore bouleversé par tout ce qu’elle venait de vivre et sans doute pas tout à fait purgé des drogues qu’elle avait prises plus tôt s’abîmait peu à peu dans une glaçante certitude. Ces mouvements, fébriles, comme ceux d’un mourant qui se convulse dans son ultime soupir, cette convoitise qu’elle y sentait tandis qu’il s’accrochait à elle pour la faire basculer, c’était la sienne. Elle connaissait très bien, tellement bien ce sentiment, et elle comprenait jusqu’au moindre geste, au moindre frémissement, et alors qu’elle retombait sur lui, elle le regarda dans les yeux et se contempla elle-même. C’était elle, sa propre noirceur, sa propre avidité haineuse, sa propre colère, ses propres tourments qu’elle voyait dans ce gouffre sombre. Nathaniel ne s’était pas contenté de purger son être de sa maladie, il avait tout emporté, tout. Le poison absorbé le dévorait de l’intérieur.

Ses doigts glacés comme un spectre se glissaient dans ses cheveux, sur sa nuque, sur son visage, brûlants de givre comme la morsure d’un vent d’hiver, l’emprisonnaient de leur étreinte transie. Elle se sentait prise au piège comme d’une araignée fébrile qui tissait sa toile, et à l’horreur s’ajoutait la fascination de se voir elle-même, et le reflet de tout ce qu’il y avait eu de mauvais en elle dans les yeux d’un être aussi doux que Nathaniel avait pu l’être au départ. C’était regarder la souillure s’étendre dans un bassin d’eau limpide, regarder les ténèbres s’étendre et tout dévorer, avec une curiosité malsaine qui était la même qui l’avait poussée à poser la question fatidique.

Alors, comment est-ce de vivre avec cela dans le cœur ?

Quelque chose au fond d’elle riait, riait à s’en fendre la gorge. Peut-être que Nathaniel n’avait pas tout prit, tout compte fait. Peut-être qu’elle était déjà ainsi, ainsi faite que le mal ne pouvait que lui venir au bout du compte, peut-être tordue et délétère dès la naissance. Peut-être qu’ils avaient tous eux raison, jadis, qu’à être fille d’infidèle on ne peut qu’être vile et putain.

Les yeux de Nathaniel semblaient s’enflammer à la lueur de la bougie qui jetait sur lui un éclat oblique et laissait de longues flaques d’ombre sur son visage distordu. Elle soulignait son beau profil de statue, son front lisse et accrochait à ses cheveux, dans un contre-jour subtil, des fils d’or et de lumière pure qui s’en allaient glisser des reflets fugaces sur sa peau livide encore humectée de sueur. Mais ses yeux, Dieux... L’ambre incandescent d’un lac en fusion n’aurait été que pâle à côté, et tout s’embrasait comme un million d’incendies mêlés. Messaline s’y plongea sans aucun détour ni aucune peur ; comment aurait-elle pu craindre cela ? Elle avait vécu avec toute son existence, elle l’avait ressenti un millier de fois, ce désir violent et terrible qui la rongeait jusqu’à l’os jusqu’à être assouvi, de quelque manière que ce soit.

— Ça brûle ? murmura-t-elle dans un sourire fugace. Oui. C’est même un faible mot.

Elle regarda sans ciller les vagues et les fracas s’étendre, s’étendre aencore et puis s’éteindre dans un chuchotement de gosse perdu. Ses yeux se fermèrent enfin, voilant l’incendie, mais elle le sentait toujours présent. Cela devait être étrange de se trouver avec ce gouffre au fond du ventre quand on n’avait été que calme et chasteté autrefois... Messaline ne pouvait le laisser seul ainsi, désarmé face à tout ce qu’il avait puisé en elle. Elle espérait que cela passerait, qu’il parviendrait à se laver de ces souillures, et rejeta l’idée qu’il pourrait ne cesser de s’abîmer plus encore dans les ténèbres chaque fois qu’il soignait quelqu’un. Non, Yehadiel était réputé dieu de miséricorde, le père de l’humanité, et si elle n’avait jamais été gâtée de lui, ni n’avait reçu d’autre présent que celui d’une semi-vie aussi fragile que la flamme d’une bougie, elle ne pouvait croire un instant qu’il avait été cruel au point de le faire comme cela. C’était impossible.

— Je ne te laisserai pas, petit prêtre, chuchota-t-elle sans s’écarter de lui. Si ce soir je dois être ton fardeau, je le porterai avec toi.

Messaline n’avait pas bougé, restant au-dessus de lui, comme une onde de chaleur suspendue sur le corps glacé du guérisseur. Elle était à demi étendue sur lui, prenant appui sur ses mains posées de part et d’autre de la tête de Nathaniel, tandis que le long ruisseau de sa chevelure les enveloppait comme un nimbe de cuivre et de soie rousse. Qu’il l’entrave et l’oblige à demeurer ainsi ne la dérangeait pas outre mesure, c’était bien là la moindre des violences qu’on lui fît. Il y avait quelque chose, là, soudain, qui l’effrayait et l’attirait tout en même temps. Elle se repaissait de cette horreur, sans pouvoir en détacher les yeux, s’en abreuvait, sans se lasser de se voir elle-même dans son œuvre de destruction. Pauvre, pauvre âme. Quelque chose de froid, au fond. La pitié qu’elle avait ressentie s’en allait peu à peu, et tout revenait au vide, mais elle espérait, encore, elle espérait pour lui qu’au bout du chemin il y aurait sa propre guérison.

— Tu souffres ? reprit-elle à voix basse en se penchant à son oreille. Je n’ai jamais trouvé de remède à cela. Ni au mal, ni au reste. J’ignore ce que tu as vu, j’ignore ce que tu sais de moi, mais tant que cela durera, tant que tu auras ça dans le ventre, je puis simplement te dire que d’y résister ne servira à rien. La brûlure va s’étendre, et te dévorer tout entier.

Pourvu que cela s’efface... Pourvu que cela s’en aille, et qu’il se purge lui-même de cela comme il l’avait ôté d’elle. Elle ne souhaitait à personne de vivre ainsi, et surtout pas à lui.

Messaline

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Un homme heureux. [Terminé] Sand-g10Lun 20 Oct - 20:12
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Qu'elle était mystérieuse, et pourtant il lui semblait la connaître si bien. Dans ses mots, on sentait qu'elle souffrait avec lui, mais Nathaniel devinait également que, quelque part, elle se réjouissait d'avoir pu lui démontrer qu'il avait eu tort de lui parler comme il l'avait fait. Malgré son rétablissement, en dépit du bonheur qu'il lui avait offert, il résidait en elle quelque chose. Ce n'était pas une négligence de sa part, elle choisissait bien ses mots, au contraire. Ne pas résister à la douleur, ne pas lui résister, il croyait saisir ce qu'elle voulait lui dire et il aurait été hypocrite, et futile, de le nier.

La main de Nathaniel qui caressait la joue de Messaline glissa le long de son cou pour se poser sur son épaule. Les doigts du jeune homme n'avaient jamais caressé la peau d'une femme, ils étaient hésitant et tremblaient avec autant de peur que de douleur, mais surtout d'excitation. Il n'en pouvait plus de sentir toutes ces idées germer en lui malgré sa volonté de les ignorer, elles devenaient aussi pesante que la douleur, et bientôt il fut incapable de discerner ce qu'il voulait et ne voulait pas, il se contentait de laisser son instinct agir. La raison qui lui avait crié de la rejeter auparavant s'était volatilisée et tout ce qui lui importait à présent, hormis faire taire la douleur qui saisissait son corps entier, était de la serrer contre lui. Il l'attira donc une nouvelle fois, collant davantage leurs corps l'un à l'autre, puis il l'embrassa.

Elle lui sembla brûlante sous ses lèvres, mais c'était surement parce qu'il mourrait de froid. Il n'eut pas le temps d'y réfléchir de toute manière ; une vague de chaleur parcourut son corps et l'encouragea à continuer, à ne plus lâcher prise. Les deux mains de Nathaniel plongèrent dans la chevelure de feu de Messaline, comme on plonge ses mains dans les flammes ; sa raison, depuis longtemps violée par le poison qu'elle avait distillé en lui, hurlait dans les tréfonds de son âme qu'il agissait mal, mais poussé tel un animal par la bestialité réveillée en lui, il agissait sans penser aux conséquences. Même ce mot lui paraissait fade alors qu'il goûtait à la chair de cette femme, sentant son cœur battre contre le sien, devinant le sang qui coulait sous sa peau, si belle à la lueur de la chandelle, vacillante à cet instant.

Il avait voulu l'embrasser, et sous ses conseils il n'avait pas résisté à cette brûlure qui le rongeait. Seulement, il en voulait plus. Il avait pensé qu'une fois qu'il aurait franchi le pas, le mal se serait estompé pour le renvoyer à son supplice, mais il n'en était rien. Sa chaleur lui devenait indispensable et s'il avait réclamé sa présence au début, il sentait qu'il allait bientôt désirer plus. Brisant le nouveau lien qu'il venait de créer brutalement, il s'arracha d'elle, tournant son visage sur le côté, ses doigts laissant filer la soie de ses mèches rougeoyantes, se haïssant assez l'espace d'un bref moment pour repousser son désir.

Il plongea sur le côté du lit, face contre le mur, enfouissant une moitié de son visage dans l'oreiller, ses paupières fermées, retenant tant bien que mal les larmes qu'il cachait. Il fit pivoter son corps afin de s'allonger sur la tranche, remontant son manteau sur lui, se cachant d'elle.

« - Je n'aurais pas dû... Va t'en Messaline, je vais te faire du mal. »

Sa voix avait changée. Ce n'était plus celle du garçon effrayé ou souffrant qui avait supplié Messaline de rester. A ce moment, on sentait dans son ton la décision d'un homme résolu ; c'était son dernier avertissement avant qu'il ne puisse plus revenir en arrière. C'était à elle de faire un choix, de s'exposer réellement à ce qu'elle avait engendré malgré elle.

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Un homme heureux. [Terminé] Sand-g10Lun 20 Oct - 22:16
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Un frisson fit frémir Messaline jusqu’à la moelle de ses os quand Nathaniel s’enhardit à laisser s’égarer sa main sur son épaule et qu’il l’entraîna plus encore avec lui pour l’embrasser. C’était comme étreindre un cadavre, et sa chair, sa peau, tout était glacé, sous elle. Comme s’il était déjà presque mort, transi, tremblant, pris par les affres de ce qu’elle lui avait infligé sans le vouloir. Quelque chose la troublait, là ; peut-être la violence larvée dans ses mouvements, dans la crispation de ses doigts dans ses cheveux, peut-être l'élan sauvage qui guidait ses gestes, cette passion morbide et funeste qu'elle avait tant cherchée autrefois, ce bûcher dans lequel elle avait tant aimé se laisser consumer tout vive. Qu'à la fin il ne reste que des cendres. Plus rien. Les anciennes habitudes ont la vie longue, difficile de se défaire des anciennes passions.

Et c'était à lui, à présent, d'endurer cela... Le mal, le manque, ce qui rongeait et consumait sans fin, ce gouffre avide au fond de l'être. Idiot ! Personne n’écoute les avertissements. On croit toujours que l’autre exagère, qu’il s’agit de métaphores, des mots voilés, des mensonges pour se faire paraître différent, personne ne voit vraiment la vérité quand elle est là. Elle ne l’avait pas suffisamment prévenu, c’était de sa faute, à elle, à elle aussi. Sa guérison valait-elle vraiment ce prix ? Elle sentait courir en elle plus de feu, plus de vie qu’il n’y en avait jamais eu et tout son être hurlait sa volonté de s’abîmer plus encore dans tous les étourdissements possibles pour profiter autant qu’il lui était concevable de ce miracle. Elle voulait vivre, plus que jamais, et l’énergie éclosait dans sa poitrine comme un brasier qui brûlait, mais ne se consumait point, qui ne rongeait ni ne détruisait rien et se contentait d’être, sans jamais décroître.

Elle percevait la tension animer tout le corps du jeune homme, elle en pouvait saisir tous les mouvements, tout ce qui affluait en lui, comme si elle pouvait presque déceler le poison instillé dans ses veines qui y répandait sa morsure délétère. S’il souhaitait chercher l’abandon dans ses bras et bien qu’il prenne ! Tant d’autres y étaient venus quérir on ne sait quoi, l’amour, l’affection, le plaisir et tant d’autres choses qu’ils étaient les seuls à trouver là. Mais elle savait ô combien ce serait inutile.

Sans un mot, elle le laissa se détourner, le regardant se recroqueviller dans le coin du lit pour retrouver ses esprits. Lorsqu’elle parla enfin, son sourire était empli d’une douce tristesse.

— Cela n’a rien apaisé, n’est-ce pas ? dit-elle sans répondre à son ordre. Il t’en faudra bien plus pour oublier. Je t’enseignerai volontiers ce qui pourrait atténuer ce que tu m’as pris, mais c’est un remède amer, plein de turpitudes et de péchés. J’ai assez souillé ton âme comme cela.

Lentement, pantelante et troublée par tout ce qui venait de se passer, Messaline s’assit sur le bord du lit, lui tournant le dos à son tour.

— Tu sembles pouvoir guérir tous les maux, mais je crois que ce don sera une malédiction tant que tu ne pourras pas te guérir toi-même.

Ses mains tremblaient encore, mais cette fois, ce n’était pas à cause de ce qui les avait rongées. Elle rassembla ses cheveux épars, chassant de son front quelques mèches que Nathaniel avait froissées entre ses doigts, les lissa du plat de la main, rajusta le col de sa robe qui avait glissé sur ses épaules. Il avait sans doute raison, quoi qu’elle ne sût pas vraiment quel mal il pourrait lui faire, dans cet état. Elle n’avait plus rien à faire ici, plus rien que de le laisser à ses affres, et se l'abandonner, consumé par le venin qu’elle avait instillé. À chacun son fardeau, à lui la déchirure, à elle la culpabilité.

Un rire la secoua comme un sanglot.

— Comment puis-je vivre maintenant ? Dis-moi, prêtre, que dois-je faire pour me réjouir de ce que tu m’as offert, tout en sachant quel mal cela t’a fait ? Je suis parfois sans cœur, mais j’ai la lâcheté de l’être lorsque je n’ai pas à voir la souffrance que j’inflige.

Messaline se leva, lentement. Son mouvement fit vaciller la bougie, la flamme se coucha sur la mèche et plongea la chambre dans un instant d’obscurité presque totale.

— Mais si c’est cela que tu souhaites, alors... Je te laisse, bien que je doute que tu puisses me faire le moindre mal. Je suis prête à t’apporter mon aide, toutefois si tu le désires.

Mais pourquoi le ferait-elle ? Parce qu’elle ne supportait pas de voir le mal qu’elle causait, ou bien parce qu’elle voulait se laver du poids de cette culpabilité dévorante ? Un mélange subtil des deux, sans doute, et elle n’avait pas menti en se disant lâche face à cela. Elle avait pu se montrer odieuse avec certains, chaque fois parce qu’elle ne devait rien qu’un peu d’argent, quelques vains biens matériels, jamais quelque chose de si important que sa propre guérison. Et aussi, surtout, parce qu’elle ne les avait pas vus se morfondre et se tordre comme lui, parce que cela n’avait jamais été pour elle que des inconnus brièvement découverts et oubliés. Rien n’avait eu de prise dans sa vie, personne, à quelques rares exceptions ; sans doute voulait-elle faire taire la souffrance de Nathaniel pour un simple motif égoïste. À croire que le mal était en elle, larvé, à la racine, et que rien ne pouvait vraiment l’extraire.

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Un homme heureux. [Terminé] Sand-g10Mar 21 Oct - 14:30
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« - Ce sera fini bien assez vite... »

Il avait lancé cette phrase en geignant à moitié, pas trop sûr lui-même que ce serait fini si vite. Il avait déjà guéri des maux à s'en tordre de douleur, mais celui-ci était surement le plus vil qu'il ait eu à purifier. L'état dans lequel il ressortirait de cette guérison était incertain, et il préférait expérimenter seul la corruption de son âme plutot que de mettre en danger celle pour qui il souffrait.

« - Va t'en, maintenant. »

Nathaniel ne se retourna pas, il resta prostré sous sa couverture de fortune, les paupières fermées sur ses pupilles furieuses qui ne se satisfaisaient pas de l'obscurité. Plus rien n'avait de saveur quand tout le faisait souffrir, et sa plus grande souffrance était également son plus grand désir. Il hurlait intérieurement jusqu'à briser sa raison, ébranlant les piliers fondateurs des principes qui faisaient de lui une personne si exceptionnelle. A ce moment, chaque seconde qui passait alourdissait son fardeau d'une idée supplémentaire, et il était incapable de savoir si elles lui appartenaient. Il ne savait plus qui il était ni ce qu'il voulait.

Quand elle ferma la porte de la chambre, il éclata en sanglots silencieux. Il n'était pas certain qu'entre les planches et brèches de la battisse sa complainte ne soit pas entendue, mais il n'y pensait pas. Il ne se cachait pas par honte de ses larmes, cette idée dépassait Nathaniel, mais il se cachait parce qu'il ne voulait pas accepter de se laisser aller à la détresse. Il sombrait pourtant, mais se retenir importait et l'aidait à accepter que les ténèbres s'insinuaient dans son cœur. Se retournant puisqu'elle était parti, il éteignit la bougie et tourna son visage vers la lune qui apparaissait timidement entre les nuages sombres du ciel nocturne. Il la contempla un long moment, avant de se déshabiller avec une lenteur exécrable pour se glisser sous les draps.

Dans sa solitude, il se laissa aller à ces visions qui taraudaient sa chair, n'en pouvant plus de retenir toute cette tension en lui. Il abandonna toute résistance, dans le silence d'une nuit qui marquait son âme de sa noirceur.

~ ~ ~

La nuit fut remplie de visions de cauchemar, de frustration qu'il avait essayé d'écarter. Il avait malgré tout réussi par s'endormir, son corps et son esprit n'en pouvaient plus. Le soleil timide d'une matinée aussi grise que la veille avait jeté ses pâles rayons sur son visage blafard, le tirant d'un semblant de rêve qui l'amenait encore à désirer ce qu'il avait laissé s'échapper. Ses paupières s'étaient levées avec l'entrain d'un condamné au billot, délivrant sur la pièce éclairée par la lumière du jour un regard morne. Tout semblait gris.

Il enfila de nouveau ses vêtements, plus rapide toutefois que la veille. Son corps n'était plus traversé de souffrances et son esprit semblait avoir atteint un certain équilibre. Habillé sans être soigné, la gueule enfarinée, il traîna la patte en dehors de la chambre. L'aubergiste était à son poste, et on sentait poindre dans ses yeux le respect autant que la pitié. Bafouillant qu'il avait laissé son épée sur la table la veille, l'homme la sortit de derrière le comptoir pour la rendre à Nathaniel qui la rattacha à sa ceinture, appréciant de retrouver son poids contre sa hanche.

« - Et... Messaline, où est-elle ? »

Il avait été hésitant puis après avoir posé la question, il lui sembla que rien d'autre ne comptait que de la revoir. Il ne savait pas s'il devait s'excuser, sa bonté le poussant à considérer qu'il s'était mal comporté. Était-ce le cas ? Il était encore trop perturbé pour porter un jugement sur ce qui s'était passé la veille, il voulait surtout pouvoir poser sur un elle un regard neuf.

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Un homme heureux. [Terminé] Sand-g10Mar 21 Oct - 18:52
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L’univers, ou peu s’en faut, se trouva comme suspendu à la question de Nathaniel. Légitime interrogation en effet : que pouvait-on faire à présent, quand on était guéri ? Messaline avait longuement médité sur le sujet, et soudain, comme un vertige, elle n’avait plus su de quelle manière mener son existence libérée de ce fardeau qu’elle avait toujours connue. La vérité était qu’elle ne s’était jamais demandé ce qu’elle ferait, après, parce que la seule perspective de se voir à jamais délivrer de sa maladie ne s’était plus jamais présentée à elle. Jamais elle n’y avait songé et s’était contentée de marcher vers son destin, quitte à le hâter en se réduisant à néant avec bonheur dans tout ce qu’elle pouvait puiser de bon et de destructeur à la fois. C’était tellement plus aisé, ainsi... Et tout à coup, la simplissime équation qui avait régi son comportement était effacée d’un revers de main. Que pouvait-elle faire, que devait-elle faire ?

Messaline n’avait trouvé aucune réponse à tout cela. Alors, elle avait prit la résolution d’agir comme elle le faisait toujours, comme elle l’avait toujours fait, et le ferait jusqu’à son dernier souffle : elle avait cédé à ses caprices et n’en avait fait qu’à sa tête. Peu importait bien ce qu’en penserait son guérisseur, car sans doute porterait-il un œil très désapprobateur sur ce qu’elle avait décidé de faire de sa vie nouvelle, mais elle s’en fichait. Elle n’avait jamais prêté attention à l’avis des autres, car il s’était toujours avéré destructeur, source de doutes et de plus de problèmes plus que porteurs de solutions. Nathaniel, fût-il son sauveur, ne ferait pas exception, et elle ne s’attendait aucunement à ce qu’il comprenne.

L’aubergiste, sans doute ne désirant pas être le messager des mauvaises nouvelles et ne sachant s’il devait dire la vérité ou non ânonna quelque chose, comme quoi la jeune femme était encore en haut et ne se lèverait pas d’ici un long moment. Et en effet, il fallut patienter avant de la voir descendre l’escalier d’un pas incertain, enfilant à la hâte un manteau épais sur sa robe froissée. Derrière elle, une porte claqua, et une voix masculine lança quelques paroles indistinctes auxquelles elle répondit par quelques mots et un signe de main en s’éloignant.

Sa mine réjouie, quoique tout aussi chiffonnée et fatiguée que le reste de sa mise, vacilla quelque peu en apercevant Nathaniel, dans la salle. Son fin sourire demeura comme suspendu sur son visage, et quelque chose s’éteignit soudainement dans ses yeux alors que toute l’agitation de la veille lui revenait d’un bloc. N’avait-elle pas cherché à oublier, en réalité ? Elle n’avait pas changé grand-chose à son comportement, si ce n’était cette funeste volonté de destruction qui l’amenait à se mener elle-même dans ses derniers retranchements, à pousser le plaisir jusqu’à ce point extrême qui lui faisait frôler la souffrance. Et en quoi cela le regardait-il ?
Elle se secoua brièvement, comme pour se sortir de ces sombres pensées, et demeura là un instant, ne sachant comment réagir, avant de se décider à s’avancer vers lui. Elle ne pouvait faire comme si rien ne s’était passé, et déjà, elle se sentait soulagée de le voir un peu plus vivant que la veille, et sa culpabilité s’en trouva quelque peu atténuée.

— Bonjour, lança-t-elle un peu au hasard, avec une prudence perceptible.

Une pause, elle tortilla entre ses doigts une mèche de ses cheveux, avant de reprendre.

— Je crois n’avoir pas eu l’occasion de te remercier, au bout du compte.

Malgré la fatigue et les dommages causés par l’abus d’alcool, Messaline se tint droite, disant cela, et fixa Nathaniel sans ciller, essayant de rassembler le peu de dignité qui lui était possible en ce lendemain brumeux. La sincérité était une chose rare chez elle, mais elle se faisait entrevoir, dans sa façon d’être et de parler, dans son regard soudain ferme et décidé, ce pli un rien pincé que prenait sa bouche quand elle tâchait d’être sérieuse.

Elle esquissa un sourire, et sa tête s’inclina très légèrement de côté, brisant son attitude hiératique.

— Merci, petit prêtre.

Messaline

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Un homme heureux. [Terminé] Sand-g10Mer 22 Oct - 12:36
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Nathaniel avait attendu près de la cheminée dans laquelle brûlait encore un feu, peut-être pas le même que la veille mais il était rare qu'on laisse son établissement mal chauffé à cette période de l'année. Le jeune homme s'était vu offrir une soupe bien chaude par l'aubergiste, un brave homme qui ne voulait pas d'ennuis, mais qui n'aimait pas non plus les démons et le nouvel ordre qui s'imposait en Terre.

Nathaniel avait sauvé des résistants la soirée dernière, et il ne serait pas surprenant que la nouvelle de son exploit apporte à son hôte autant de nouvelles têtes curieuses que de questions. Il était néanmoins assez reconnaissant de cette surprenante soirée pour lui proposer de rester plusieurs jours à ses frais et Nathaniel, qui n'avait jusqu'ici rien de prévu si ce n'était errer, voyait d'un bon œil ce toit qui s'offrait quelques temps. Il le remercia avec toute la reconnaissance dont il pouvait faire preuve sans pour autant confirmer qu'il comptait rester.

Il avait fini de manger lorsque la porte à l'étage s'ouvrit et qu'on entendit des voix. Nathaniel ne bougea pas lorsqu'il reconnut celle de Messaline, il se contenta de racler son auge, ne rien gâcher était une des premières leçons qu'il avait apprise, puis il s'était levé pour aller à sa rencontre, d'une lenteur hésitante qui allait de pair avec la réaction de la femme. Lui aussi se rappelait cette soirée, ce qu'il avait fait et ressenti. Il ne savait pas encore s'il devait en être honteux, le sentiment d'inachevé était la seule chose dont il était certain.

« - Bonjour, avait-il dit presque en même temps qu'elle, la gêne du garçon moins perceptible, surement parce qu'il portait sur le visage sa fatigue. »

Ils restèrent plantés l'un devant l'autre quelques secondes, puis elle le remercia. Nathaniel n'avait jamais ressenti une quelconque fierté à chacune des guérisons qu'il offrait, il était toujours parti du constat que c'était la normalité, qu'on ne pouvait pas ne pas agir lorsqu'un être souffrait, et pourtant il avait lu dans les hommes et savait qu'il était une exception. Il savait qu'il était une étoile dans un ciel noir, mais au grand jamais il ne devait se considérer comme tel ; un sage de Sen'tsura lui avait un jour dit qu'on voyait les étoiles parce qu'elles brûlaient, visibles de tous, plus belles, mais assurément mourantes. Restait à savoir si Nathaniel voulait s'éteindre dans la lumière ou vivre dans l'ombre.

Il se rapprocha d'elle et saisit ses mains dans les siennes, ses pouces caressant le dos de sa peau claire. C'était un geste affectueux, rien de plus, une manière de répondre à son remerciement sans passer par ce qu'il devinait être pour elle une erreur ; pas de "Tu aurais fait la même chose" ou de "C'est tout naturel", ils savaient que c'était faux. Elle lui devait plus qu'elle ne pouvait lui rendre, mais il s'en fichait, le simple fait qu'elle puisse envisager un nouvel avenir remplissait Nathaniel d'une satisfaction incompréhensible aux yeux de ceux qui ne voyaient que par l'intérêt.

Il eut envie de lui dire qu'elle ferait mieux d'envisager la vie sous un autre œil, d'arrêter de se détruire comme elle le faisait mais parce qu'il avait lu en elle, parce qu'il avait fait sienne ses souffrances, il savait qu'elle ne l'écouterait pas. La plus grande frustration de Messaline était de reconnaître que Nathaniel avait surement agi en vain, parce qu'elle se condamnait elle-même à sa propre destruction, elle ne savait rien fait d'autre de sa vie. Alors il ne fit aucune remarque, il plongea simplement ses yeux tristes au fond des siens, bien plus joyeux et moins méprisants que la veille, puis il la serra dans une tendre accolade, lui offrant la chaleur d'un geste bienveillant, plus sensé que toutes les paroles. Ils n'avaient plus tellement besoin de se parler, ils se comprenaient assez pour s'épargner tout ça.

~ ~ ~

Il n'était pas resté finalement. Sans plus de mots, il avait souri pour déchirer la morosité de son visage dépressif, et s'en était allé comme il était arrivé, sous le crachin gris de la matinée avec pour seul horizon le flou de la brume. Il avait néanmoins repris ce petit chemin à travers montagne par lequel il était descendu en ville. Il avait longé la pente vers la rivière qui coulait toujours, paresseuse éternelle qui se moquait des hommes, et s'était penché, là où il avait jeté par rage et manque de foi celui qui l'avait toujours suivi. Le livre saint était toujours sur le gravier, intact, comme si la pluie d'une nuit n'était jamais tombée. Le cuir laissait glisser sur lui les gouttes d'eau, se moquant du temps, dans l'attente d'un fidèle. Nathaniel le ramassa, se courbant comme on se plie devant la grandeur d'un seigneur, et le sien le contemplait d'une hauteur qu'il ne pouvait pas mesurer, et le rangea dans l'une de ses poches. Il revint sur ses pas, et quitta les alentours de cette ville, laissant derrière lui cet épisode marquant qu'il ne soupçonnait pas être plus qu'une remise dans le droit chemin.

Nathaniel

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Un homme heureux. [Terminé] Sand-g10Mer 22 Oct - 16:11
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Laura's Baptism - Bear Mc Cready

Il n’y eut pas un mot de plus. Quel besoin de parler, de toute manière ; tout avait déjà été dit, tout avait déjà été fait, il n’y avait rien à ajouter à cela. Rien d’autre à faire qu'un adieu, avec au cœur cette lancinante sensation d’inachevé, comme une fissure persistante, un malaise. Messaline gardait l’amer sentiment d’être passée à côté de quelque chose, d’avoir, dans cette histoire, fauté par omission. Cela n’aurait pas dû se dérouler ainsi, les seules larmes qu’elle aurait dû verser auraient été des larmes de joie, rien de plus.

La jeune femme recueillit l’accolade de Nathaniel avec un peu de surprise, et lui fut surtout reconnaissante de ne rien dire. Il n’avait pas pu ignorer tous les signes qui trahissaient son activité de la nuit, et il aurait pu lui faire la leçon pendant des heures, s’il l’avait voulu. Mais au fond ; il avait compris, maintenant qu’il avait au cœur les mêmes ténèbres. Elle courba brièvement le chef pour appuyer sa joue contre lui, et puis s’éloigna dans l’élan d’un pas gracieux pour esquisser un salut.

Et tout fut terminé, sans adieu.

Les trajectoires des deux existences qui s’étaient croisées par hasard et entremêlées dans le chaos reprenaient leur chemin propre, s’écartaient pour ne plus jamais se retrouver, sans doute. Le visage de Nathaniel rejoignit la longue cohorte de ceux d’un soir qui apparaissaient, s’évanouissaient, guère plus tangibles que des fantômes, engloutis dans le flot de la mémoire. Rien de plus à présent qu’un souvenir, comme si l’esprit volage de Messaline ne s’attachait pas plus aux corps qu’aux êtres rencontrés, déjà élancée à la poursuite d’un autre jour, sans cesse courant dans une fuite éperdue vers nulle part. Qu’importait tout cela : elle pouvait vivre, à présent, et le départ du guérisseur l’avait libérée du fardeau du trouble et de la culpabilité. Qu’il aille, loin, loin d'elle, pour ne plus lui rappeler quel prix terrible cela avait coûté à tous. Jamais elle n’aurait pu se réjouir, avec ce poids près d’elle, comme s’il lestait son âme d’un chagrin insondable, comme l’œil dans la tombe qui ne cillait point et ne cessait de lui remémorer ce poison qu’elle était devenue pour lui.

Comme un oiseau hors de sa cage, Messaline était partie, courant presque dans la lande, sans se soucier du froid qui mordait ses doigts et ses pieds, de la bise qui rougissait ses joues et embrouillait ses cheveux. C’était l’aube d’un jour nouveau, encore enfant, encore neuf et vif dans la lumière si douce de ces jours incertains où ne règne plus qu’une mélancolie paisible qui se déployait dans une vertigineuse palette de gris étincelants. Elle avait marché, longtemps, sans but, pour le simple plaisir de voir le souffle lui revenir, de pouvoir s’accrocher ça et là aux rocs et aux aspérités des sentiers escarpés le long du rivage, de pouvoir aller à sa guise sans souffrir des chaînes et des entraves trop lourdes. L’air froid lui déchirait la gorge et elle sentait son cœur battre à n’en plus finir, ses bras et ses jambes lui faisaient mal, mais, dieux... Comment ne pas savourer cela après des éternités condamnées à l’immobilité ?

Après une interminable progression, elle parvint à ce qui semblait être un promontoire surmontant l’océan. Elle rampait à demi dans les broussailles, s’écorchant les doigts sur les ajoncs et les bruyères, mais qu’importait cela ! On respirait partout l’odeur de l’iode et des algues molles, les parfums fugaces des arbustes et des mousses trempées. La nuit avait laissé derrière elle un monde délavé, ruisselant, chargé de fragrances profondes de terre humide et de sable salé, puissantes et subtiles comme un vin vieux au goût de chêne.

La mer battait furieusement les rochers et rugissait mélodieusement dans le vent du large. La bruine tombait toujours, des rideaux successifs qui balayaient l’horizon de longs fils de perles minuscules, pluie et brouillard entremêlés, portés au gré des tourmentes, hurlant et sifflant, chantant parfois quand le ton se modulait dans un instant d’apaisement. Plus haut, sur les falaises, le ciel paraissait plus immense que partout ailleurs, comme si l’on s’y trouvait presque suspendu, à peine ancré d’un pied dans la terre, soulevé par les rafales qui s’engouffraient en vibrant contre la pierre. Tout semblait neuf, alors ; le froid, l’humidité rampante, les embruns glacés qui venaient raviver le souvenir de ces sensations qui s’étaient longtemps perdues dans les limbes du mal et de ses fumées. Le monde se dévoilait dans de nouveaux atours, drapé de dentelles d’écume et de reflets de plomb fondu, comme à nouveau infusé de cette magnificence qui faisait rêver les poètes.

Sous le fil acéré de la tempête, les nuages se déchirèrent dans un éclat fugace, et la lueur aveuglante d’un limpide soleil d’hiver se déversa par leur fissure en laissant pleuvoir sur la mer, au loin, une averse d’or pâle qui dessinait de délicats rais presque tangibles. Les flots s’illuminaient d’une blancheur de givre et d’argent embrasé comme si un feu splendide consumait la surface des eaux profondes, s’effaçant dans une ombre, le creux d’une vague puissante, reflétant de nouveau comme un miroir liquide. Quelques voiles lointaines, perdues dans cet océan incertain, semblaient flotter dans ces remous de lumière, comme de diaphanes et féériques vaisseaux venus de rivages merveilleux.

Lentement, Messaline s’était assise, rassemblant autour d’elle les pans épars de sa robe et de son manteau. Elle souriait, doucement, son cœur las de trop de turpitudes et de vices se ravissant des visions offertes. C’était comme redécouvrir le monde, sa saveur, ses parfums, sa lueur, après une éternité de vide, comme si elle avait marché dans le noir pendant des années en oubliant de regarder, de goûter, de sentir. Pourtant elle avait pourchassé ces plaisirs sans relâche, mais quelque chose s’était toujours ingénié à les gâcher, les souiller de sa griffe sordide. La douleur, obsédante, avait été partout, noyée dans les remous de la drogue, parfois chassée à l’arrière-plan, mais sans cesse là.

À présent, elle était libre.

Messaline

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