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 Hoc volo, sic jubeo, sit pro ratione voluntas ! [PV Délyë]

 
Hoc volo, sic jubeo, sit pro ratione voluntas ! [PV Délyë] Sand-g10Sam 12 Juil - 0:06
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La fête battait son plein, cette nuit-là. Belles dames et beaux messieurs virevoltaient gracieusement sur la piste de danse, avec un manque de retenue et de dignité qu’on pouvait sans aucun doute expliquer par l’heure avancée, ainsi que la quantité d’alcool qui avait été consommée au cours de la soirée.

Au milieu de cette débauche honteuse, une silhouette vêtue de noir évoluait sans jamais s’arrêter. Elle passait d’invités à invités, de groupes à groupes, sans rester plus de quelques instants au même endroit. Comme une abeille butinant dans un vaste jardin, elle répartissait équitablement son temps entre les nombreuses et différentes fleurs disponibles, afin de collecter le plus de nectar possible. Malgré son sourire enjôleur et ses paroles aimables, elle ne faisait que calculer mathématiquement et froidement la dose d’efforts qu’il lui faudrait pour conquérir le cœur de chacun. La réception n’était pas pour elle l’occasion de prendre du bon temps, mais un métier auquel elle s’appliquait avec assiduité, et sans enthousiasme. Son sourire ne se reflétait pas dans ses yeux améthyste, et les paroles qu’elle adressait à chacun des invités étaient remplies d’une amertume adroitement dissimulée.

Cette silhouette en avait plein le dos de frayer avec la prétendue « élite impériale », cette bande de débauchés qui ne faisaient que se vautrer à longueur de journée dans le stupre et la luxure. Tel était cependant son rôle, et Saeros se devait de l’accomplir de manière parfaite. Si cela impliquait de revêtir un masque et de cacher ses vrais sentiments sous une dose d’épais maquillage, alors qu’il en soit ainsi. Ce n’était pas comme s’il était novice à cet exercice.

Il y eut tout à coup une sorte d'accalmie. La valse au rythme de laquelle ils dansaient venait de se terminer, et une autre musique allait bientôt être choisie. L’intervalle était serré, mais il pouvait en profiter pour s’échapper. Saeros décrocha aimablement le bras de la jeune héritière qui pendait au sien, et lui adressa son plus beau sourire.

« Veuillez me pardonner un instant, mademoiselle. Je vais nous chercher des boissons. »

Et avant qu’elle ait eut temps de rétorquer quoi que ce soit, il s’était déjà détourné, et se dirigeait vers une galerie latérale séparée du reste de la salle par une série de piliers. Une galerie qui se trouvait à l’opposé de l’endroit où était installé le buffet, les verres et les boissons. La jeune fille allait attendre longtemps le retour de son "prince charmant"...



« Hoc volo, sic jubeo, sit pro ratione voluntas ! »
[PV Délyë]


[Ambiance Musicale]

Une fois qu’il se fut mis en retrait, Saeros put enfin souffler. Caché dans l’ombre d’une colonne, il parvenait quasiment à passer inaperçu grâce à ses vêtements aux teintes sombres. De toute façon, tout le monde était bien trop occupé à se donner en spectacle pour regarder plus loin que le bout de son nez. Certain qu’il ne risquait plus d’être dérangé inopportunément, il se détendit et enleva le masque (métaphorique) qu’il revêtait depuis le début de la soirée. Les muscles de son visage se décrispèrent brutalement, remplaçant la gaieté feinte de ses traits par une inexpressivité qui semblait plus naturelle chez lui que toute autre expression faciale. Son sourire s’évapora plus vite que neige au soleil, ainsi que les deux fossettes qui creusaient ses joues. Il poussa un long et profond soupir, n'évacuant que partiellement la frustration accumulée tout au long de la soirée.

Débauche, mensonges et faux-semblants. Existait-il plus exaspérante combinaison que celle-là ?

Saeros était très bien placé pour savoir que non. Sa situation était d'une ironie presque insupportable. Il avait trahi les siens parce qu’il ne parvenait plus à supporter l’hypocrisie de son rôle de « Voix authentique de l’arbre monde ». Et quelle était la première chose qu'il avait fait une fois libre ? Se replonger dans un univers tout aussi hypocrite que celui dont il s'était affranchi. La vérité, c'est qu'on ne pouvait y échapper. Tant qu’il y aurait des êtres vivants sur cette Terre, le même petit manège continuerait éternellement. Alors à quoi avait bien pu servir sa trahison, finalement ? Saeros pouffa. Rien. Quelle importance ? Il n’était qu’une flammèche, sur le point d’être soufflée.

Tout à coup, une odeur caractéristique d'alcool hors de prix lui agressa les sinus.

« Saeros ! Comme je suis content de vous voir ! »

Le masque fut remis aussi vite en place qu’il avait été enlevé. Saeros se tourna vers son interlocuteur avec la brusquerie d'un automate, lui adressant son sourire le plus faux, et le plus superficiel disponible.

« Voyons, Frederick, tout le plaisir est pour vo… moi ! »

Le lapsus qui avait échappé à Saeros sembla passer complètement au dessus de la tête du gros bonhomme. Guère étonnant, si l’on prenait en considération que ce dernier était à présent si saoul qu’il arrivait à peine à marcher droit. Le Conseiller Noir émit un reniflement discrètement méprisant. Quel spectacle pathétique ! Est-ce que le sort de l’Empire reposait sur des gens de si peu de consistance ? Comment cet idiot avait réussi à se hisser aussi loin dans la hiérarchie, c’était un secret qui demeurerait éternellement mystérieux, pour lui.

« Si vous saviez à quel point je désirais vous parler ! C’est que nous ne nous sommes plus revus depuis… depuis… »

Les traits de l’humain se contractèrent sous l’effort qu’il faisait pour se rappeler. S’il n’avait pas lui même été aussi crispé, Saeros aurait sans doute explosé de rire. Mais il fallait dire qu’il n’avait plus rit en public depuis le jour où son prédécesseur au poste de Conseiller Noir s’était pris les pieds dans le tapis de la salle du trône, lors d’une entrevue officielle il y avait des années de cela. Tout à coup, Frederick sembla atteindre une sorte d’illumination. Une étrange lueur s’alluma dans ses petits yeux porcins.

« Oui ! C’était à cette réception dans les plaines mystiques, vous vous souvenez ? »

Le sourire de Saeros s’élargit encore, comme s’il éprouvait de la joie en se remémorant la soirée dont parlait l’humain. Un observateur attentif aurait cependant remarqué que les mains du magicien s’étaient crispées, et que ses yeux s’étaient légèrement – très légèrement – écarquillés. Les tendons de ses mains ressortaient comme des cordages, et ses jointures en avaient blanchies. Oh, oui, il se souvenait parfaitement de cette soirée.

« Comment l’oublier ? »

Frederick hocha vigoureusement la tête, soulignant son approbation par un bruyant claquement de langue.

« N’est-ce pas ? Une soirée extraordinaire ! Véritablement électrisante… »

Un étrange silence plana entre les deux personnages. Saeros avait blêmi sous l’insulte involontaire. Comment l’humain aurait-il pu se douter qu’il venait de taper en plein dans mille ? La nuit qu’il évoquait était celle au terme de laquelle Luz s’était enfuie après l’avoir… comment dire… court-circuité. Une douleur suspecte naquit au creux de son estomac, semblable à une brûlure lancinante. Bien qu’il n’ait conservé aucune cicatrice de cette soirée fatidique, la douleur se réveillait à chaque fois qu’il se la remémorait. Sa confiance avait été mal placée, comme l’était toujours la confiance. En ce monde, on ne pouvait se fier à personne d’autre que soi même. La confiance n’était qu’un joli mot.

Le seul bon point de cette affaire, c’était qu’il avait réussi à la conserver secrète. Les deux gardes qui avaient découvert son corps après que la dragonne l’ait abandonné à même le sol avaient mystérieusement disparus peu de temps après cette nuit-là. Curieux hasard, n'est-ce pas ? Un curieux hasard qui l’avait laissé avec un peu moins d’argent à dépenser, et avec une coquette somme dans les caisses d'une certaine congrégation de très mauvaise réputation.

« C’est le mot... juste. »

Tout à sa peine, Saeros ne remarqua pas le sourire sardonique qui passa en un éclair sur le visage de Frederick, puis disparut tout aussi vite.

« Auriez vous des nouvelles de – comment s’appelait-elle, déjà ? – la cousine de mon très cher ami, Siban Halace ? Vous et elle sembliez très… proches. »

La gorge de Saeros se contracta. Heide Halace, la cousine recluse du Comte Siban, était l’identité secrète que Luz s’était choisie pour assister à la réception. Très peu de gens avaient été au courant que la dragonne se cachait derrière ce masque : les clients avec lesquels elle avait prévu de faire affaire, Saeros et Siban. Il ne savait rien de ces « clients », les nobles qui avaient cherché à nouer des liens avec la confrérie des brumes. Les multiples efforts – et croyez moi, ils avaient été considérables – qu’il avait mis en œuvre pour découvrir leur identité s’étaient révélés inefficaces.


« Non, je ne l’ai plus revu depuis cette soirée. Je crois qu’elle s'est réfugiée dans la solitude. C’est quelqu'un qui semble attacher énormément d’importance à sa liberté, voyez vous ? »

L’amertume contenue dans les paroles du magicien était presque palpable, mais ce n’était pas comme si Frederick pouvait y comprendre quoi que ce soit. Et pourtant, ce dernier sembla s’amuser du commentaire de Saeros.

« Comme cela est étrange. Le courant semblait pourtant s’y bien passer entre vous… »

Le sourire qu’essayait tant bien que mal de maintenir Saeros s’effaça, remplacé par une expression de totale incrédulité. Sans le savoir, l’humain venait de faire un deuxième jeu de mots sur l’incident de cette nuit là. Etait-ce un hasard ? Une coïncidence ? Un doute atroce l’envahit. Saeros savait pertinemment que les coïncidences n'existaient pas. Il ouvrit la bouche pour parler, mais Frederick fut le plus rapide.

« Il faut dire que dame Weiss n’est pas une femme facile. »
Ce fut comme si un bloc de pierre lui tombait dessus. La tête lui tourna, et il dut s’appuyer à une colonne pour ne pas vaciller. Sa bouche s’ouvrit et se referma à plusieurs reprises, comme celle d’un poisson hors de l’eau. En face de lui, Frederick savourait visiblement son petit effet. Malgré son ébahissement, Saeros remarqua que le gros bonhomme semblait tout à coup beaucoup moins ivre, et qu’il ne titubait plus le moins du monde. Il se tenait bien droit, presque raide, et un sourire amusé illuminait les traits de son visage.

« C… comment ? », parvint-il finalement à articuler.

« Comment ai-je su ? Mais voyons, très cher, vous devez bien vous douter que dame Weiss n’était pas venue uniquement pour vos beaux yeux, n’est-ce pas ? Même un être incroyablement naïf tel que vous - car vous êtes un naïf, mon ami, malgré tout ce que vous semblez croire - a bien dû deviner qu’elle était venue pour affaires, cette nuit-là ? Le magicien ne répondit pas, mais son visage parlait pour lui. Oui, je vois que vous saviez déjà tout cela. Mais vous ne vous doutiez pas que j’étais l’un de ses clients, pas vrai ? Dame Weiss non plus, d’ailleurs. Je comptais lui parler discrètement pendant que nous danserions ensemble, mais voilà… vous m’avez coiffé au poteau… »

La vérité avait du mal à faire jour dans son esprit. Tout cela était bien beau, mais n’expliquait toujours pas comment Frederick était au courant de ce qui s'était passé avec Luz. Le teint déjà pâle de Saeros atteignit des nuances de blancheur jusqu'alors inégalées. A moins que…

Frederick sembla deviner la conclusion à laquelle il était parvenu.

« Ah ! Vous avez enfin compris, mon jeune et stupide ami. Vous y avez mis le temps. Oui, c’est bien moi qui ai provoqué ce petit incident avec les gardes. Je ne pouvais tout simplement pas laisser passer une telle occasion. Si on avait su que vous frayiez avec l’une des organisations secrètes les plus actives du continent, vous étiez certain d’être discrédité, et j’aurais enfin pu me débarrasser de vous... »

Il s'arrêta un instant pour se tapoter pensivement le menton.

« Mais cette chère Luz a trouvé une issue à laquelle je n'avais pas pensé. Les gardes que j’avais envoyé pour l’arrêter m‘ont raconté qu’ils vous avaient trouvé étendu sur le sol, tout grésillant. L'humain éclata d'un petit rire cruel. Voilà une façon particulièrement brutale de rejeter les avances de quelqu’un ! Enfin… toujours est-il que grâce à ça, vous avez échappé à l’arrestation. Puis vous avez réussi à étouffer l’affaire, et tout s’est terminée en "flop". Je dois dire que le dénouement de mon plan génial m’a quelque peu déçu. »

Ce fut la goutte d’eau qui fit déborder le vase. Saeros sortit brutalement de sa torpeur, possédé par une colère si intense qu'elle semblait le consumer de l'intérieur. Il émit un grondement menaçant, et ses lèvres se retroussèrent pour dévoiler une rangée de dents pointues. Cédant totalement à sa fureur, il fit un pas en avant.

« Comment... osez vous... »

Frederick se contenta de pouffer.

« Allons, allons. Vous savez très bien que vous ne pouvez pas toucher à un seul de mes cheveux ! Et même si vous le pouviez, ce ne serait pas très avisé, petit elfe de rien du tout. Vous n’avez plus le pouvoir de vous débarrasser de moi, à présent. Pourquoi croyez vous que je ne vous révèle cette histoire que maintenant ? Les nouvelles de votre récente disgrâce se sont répandues comme une trainée de poudre ! L’Empereur vous trouve trop... distrait, paraît-il. »

Le gros bonhomme enfonça à plusieurs reprises son index boudiné dans la poitrine de Saeros, comme pour l'humilier encore un peu plus. Le conseiller fut tenté de lui briser le doigt, mais les derniers restes de bon sens qui subsistaient en lui le conjurèrent d'attendre. S'il perdait le contrôle maintenant, il signerait son arrêt de mort, et c'était exactement ce que l'humain attendait de lui. Voyant qu'il ne répondait pas à sa provocation, le noble se détourna.

« Vous êtes un homme fini, Saeros... »

Et sur ces dernières paroles, Frederick le planta là. Le magicien le suivit des yeux à mesure qu'il s'éloignait, déchiré entre l'instinct de survie et la fureur de plus en plus dévorante qui l'envahissait. Si les regards avaient pu tuer, l’humain serait déjà mort depuis longtemps. De toute sa vie, jamais Saeros n’avait éprouvé une haine aussi intense envers quelqu’un. Le sang lui battait furieusement aux tempes, assourdissant les bruits de la fête alentour. Une rage quasiment démoniaque l’animait. Ses mains gantées - qui pourtant étaient tout à fait normales l'instant auparavant - avaient commencé à grésiller bizarrement, tandis que ses dents semblaient s’allonger et s’effiler un petit peu plus à chacun de ses battements de coeur.

Cet homme... était responsable de tout. Et par les Dieux, il allait le lui faire payer !

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Hoc volo, sic jubeo, sit pro ratione voluntas ! [PV Délyë] Sand-g10Mar 15 Juil - 1:31
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« Le château soufflait de la musique dans la nuit. »

Un château... en Flore... les démons n'ont donc aucun respect pour les races qu'ils soumettent. Loin de respecter les constructions féeriques et naturelles de ces demoiselles ailés, ils ont détruit sans pitié tout un champ de fleurs pour y construire leur imposante demeure et gouverner de là-haut, les écrasant de leur supériorité. Une résidence rectangulaire en pierre, imposante, où s'y déroulent quelquefois les fêtes audacieuses des nobles dignitaires.

« Les invités étaient si nombreux que l’on peinait à avancer dans les couloirs pour passer d’une salle à l’autre. »

Plus qu'audacieuse, c'est d'une fête pantagruélique, monstrueuse, démesurée dont il s'agit aujourd'hui. La salle principale est si haute que l'on peine à distinguer la délicate coupole de verre qui la surmonte. Et malgré sa largeur, il est rare de trouver un espace de plus d'un mètre, vide de bruits, de foule, d'odeurs. Quant aux étroits couloirs à ses extrémités qui lui donnent des allures d'araignées démoniaque, ils ne servent qu'à mener à des pièces plus intimes, aux plaisirs plus charnels.

« Les cartes du temps étaient brouillées dans cette fête costumée où les époques se chevauchaient, où les modes vestimentaires de plusieurs siècles se croisaient, se bousculaient, s’enlaçaient. »

C'était Ewas qui me murmurait ses mots à l'oreille quand, après l'amour, nos corps nus étaient blottis l'un contre l'autre, la chambre parfumée de nos souffles et les draps encore chauds de nos étreintes. C'était le récit d'une fête, racontée par son père, qu'il n'avait jamais oublié. Et il continuait à me bercer ainsi de sa voix jusqu'à ce que, lentement, mes yeux se ferment et mon esprit plonge dans le sommeil.

« Toges maculées de vin, gantelets de chevaliers, longues poulaines à la mode tudesque, chasubles avec orfroi brodé gorgées de sueur, ivoire sculpté des cols de dentelles, tout cela se mêlait dans une explosion de couleurs et de parfums. »

J'ai revêtu ici une robe simple couleur bleu nuit dont le corsage laisse mes épaules à nus. Afin de cacher mes poignards, de longues mitaines de soie parfumées à la lavande montent jusqu'à mes coudes, et mes chaussures, mêlant habilement la forme des sandales et des bottes, me permettent ainsi de garder mes armes sans souffrir de la chaleur ambiante. Pour compléter le tableau, j'ai souligné mes yeux d'un trait noir et masqué mes lèvres d'une couleur pourpre faisant écho à l'améthyste qui scintille à mon cou. Mes cheveux sont relevés en un complexe chignon où, dernière touche de fantaisie que je me suis permise, a été soigneusement piquée une jolie violette qui étincelle à la lueur des lumières factices, seule touche de nature et de vrai dans ce monde où tout n'est qu'apparence et illusions.

Mais je suis loin, bien loin d'être la plus extravagante. Partout ce n'est que profusions de dorures, d'étoffes, de richesses, tant est si bien que cela en devient ridicule. Seules quelques personnes se distinguent au milieu du lot. L'une d'entre elle en particulier a attiré mon attention, entraperçue au détour d'une danse, entièrement vêtue de noir.

Tiens, en parlant du loup... voilà que je l'aperçois, au détour d'une colonne, presque camouflée par l'ombre qu'elle lui procure, juste avant d'entendre son souffle, harassé, fatigué de cette fête qui n'en finit plus. Je prends un temps à remarquer ses longs cheveux blancs qui tranchent de manière brutale avec l'ébène de ses vêtements, et un temps plus long encore à distinguer la couleur de ses yeux, un violet profond qui n'appartient pas à ce monde. Soudain, ma respiration se fige et mon esprit se fragmente en mille morceaux d'une haine brûlante et indicible. Saeros Yggdrasil.

Ce Conseiller Noir, chien d'Aile Ténébreuse qui a commis l'outrecuidance et l'audace de déplaire à Nayris, est là, à seulement quelques mètres de l'endroit où je me situe. Moi qui avait pris garde à ne pas me laisser emporter par mes émotions au cours de la soirée... tout vole en éclat à présent. Mon ancienne cible d'assassine s'est volatilisée pour faire place à celle, bien plus alléchante, de l'Adoratrice que je suis. Ce soir, il mourra, pour le bonheur de la Déesse. Et mes mains seront tâchées d'un sang que j'aurais pris le plus grand plaisir à faire couler.

Pourtant, alors que je m'apprête à l'approcher d'un pas décidé, une coupe de vin à la main, un inconnu s'interpose. Un inconnu qui n'est rien de moins que la raison de ma présence ici. Frederick, un noble ventripotent qui passe sa vie dans des bals comme celui-là à boire, manger et danser. Un noble réussissant à garder sa place et ses faveurs auprès d'Aile Ténébreuse, chose que je ne m'explique pas devant une telle stupidité et déraison. En tous les cas, un faible que l'on m'a demandé d'éliminer, et ce, le plus rapidement possible.

Mes deux cibles au même endroit, c'est plus que ce que je pouvais seulement imaginer. Il me sera facile de « faire d'une pierre deux coups », comme le dit l'expression. Continuant donc ma marche un instant stoppée par l'arrivée de Frederick, je me glisse telle une ombre derrière une colonne adjacente. Je parviens ainsi à épier discrètement leur conversation, guettant le moment où je pourrais m'y infiltrer et leur voler, plus que la parole, la vie.

Cependant, rien ne m'avait préparé aux révélations que me dévoilent, sans le savoir, les deux hommes lancés dans un conciliabule enflammé. Avec une surprise non feinte, j'apprends que Saeros Yggdrasil est en contact avec Luz Weiss, dragonne légendaire et reine du marché noir. J'apprends également que ce cher Frederick aurait aimé discuter affaire avec elle si le Conseiller Noir n'était pas intervenu. J'apprends, en plus de tout cela, que cette rencontre a troublé l'elfe de telle façon que même Aile Ténébreuse s'en est aperçu. J'apprends, enfin, que cela réjouit son adversaire au plus haut point, et, avant d'avoir réussi à m'en remettre, ce dernier quitte Saeros et se dirige... vers moi.

– Nos palabres vous ont-elle plu ? me questionne-t-il en arrivant à ma hauteur.

Je comprends qu'il me savait là depuis le début et qu'il ne sert à rien de nier. Sous-estimer Frederick a visiblement été une grave erreur. Malgré les apparences, c'est quelqu'un de fin. De très fin.

– En effet. C'était... enrichissant, je décide de répondre en savourant une gorgée de vin.

Tout en parlant, j'observe le ballet froufroutant des danseurs, comme si je n'accordais qu'un intérêt mitigé à notre conversation.

« Furieux désordre des âges, bacchanale de fantômes ivres de musique sur les pistes de danse. »

– Je ne me rafraîchirai pas de cette façon-là, à votre place, reprend-il en désignant ma coupe du doigt. Il me semble que la boisson vous a porté préjudice récemment...

Je me retiens, à l'ultime moment, de tourner les yeux pour lui dédier un regard admiratif. Comment est-il au courant que, le mois précédent, j'ai provoqué Victo Féral dans une joute d'alcool dont ni lui ni moi ne sommes sortis indemnes ?

– Vous n'êtes pas à ma place, je rétorque d'un ton neutre, le visage impassible.

– C'est exact, approuve-t-il avec un petit rire tandis que ses yeux, eux, restent froids. Embrasse-t-il aussi bien qu'on le dit ?

Cette fois, je plante mon regard dans le sien sans pouvoir m'en empêcher. Il est décidément extrêmement bien informé. Néanmoins, contrairement à Saeros, m'attaquer sur ce front-là ne lui assurera aucune emprise sur moi. J'ai pour habitude d'assumer mes actes, mêmes les plus irréfléchis, et je n'éprouve rien d'assez fort pour que cela ait un quelconque impact. Pour le moment, je dirais que ma curiosité est piquée au vif, et qu'il titille l'amoureuse des combats verbaux que je suis. Oui, le jeu me plaît, et me plaît même terriblement. Pourquoi ne pas se laisser aller, après tout...

– Vous n'avez qu'à vérifier par vous-même. Il n'est pas difficile.

Il rit une nouvelle fois, et une nouvelle fois ses yeux ne cillent pas, toujours habités de cette dureté glaciale, si différente de l'apparence qu'il se donne.

– Et... avait-il conscience qu'il affrontait non seulement une assassine, mais également une Adoratrice de Nayris ?

Je manque de m'étouffer avec ma coupe de vin, tandis que mon cœur s'accélère de façon tangible. Je n'ai pas le temps de trouver une excuse, me cacher derrière un mensonges ou me camoufler derrière une barrière verbale qu'il a penché sa tête vers la mienne, prêt à déverser son sombre venin comme il sait si bien le faire.

– Eh oui très chère, susurre-t-il à mon oreille, peu de choses m'échappent, et votre présence à cette soirée afin de me tuer n'en fait pas parti. Croyez-vous que j'ignore qui sont mes ennemis, et quels contrats déposent-ils sur ma tête ?

Il se relève et prends le temps de glisser son regard sur ma silhouette, un sourire concupiscent s'étalant lentement sur les lèvres.

– Même si je me dois d'avouer que je ne m'attendais pas à une représentante de la Congrégation aussi séduisante. Avec un léger manque de formes, ceci dit...

– Désolée de ne pas être à votre goût, je crache, avant de comprendre qu'il cherchait justement à me faire perdre mon sang-froid.

– Enfin, lâche-t-il en un soupir étudié, évitant ma pique comme d'autres des flèches, si vous saviez comme je m'ennuie... Les nobles ont le sens du spectacle, non celui de l'esprit. Je vais donc vous laisser la vie sauve, voir si vous savez jouer, qu'en dites-vous ? Attention cependant ! Des membres de ma garde personnelle sont dispersés parmi les invités, et d'autres soldats surveillent les sorties. Ils ne savent pas que vous êtes Adoratrice, mais si jamais vous essayez de me tuez, ils sauront prendre des mesures... irrémédiables, je le crains.

Un dernier sourire, victorieux celui-ci, avant de me planter là, bouillante de honte, de rage et d'incompréhension.

– Passez une bonne soirée, mademoiselle...

Il me faut une poignée de secondes pour me rendre compte de la situation dans laquelle je me retrouve empêtrée de l’extrémité des cheveux jusqu'au bout des ongles. En l'espace de quelques minutes à peine, je viens d'être mise à nu dans mes actes et ma double identité, et de me faire moucher d'une telle façon que c'en est insultant. Plus qu'insultant, dangereux. Car, si ce qu'il dit est vrai, je me retrouve dans une posture on ne peut plus délicate, pour ne pas dire suicidaire.

Ce qui n'était qu'un vulgaire contrat de routine est devenu à présent une affaire de la plus haute importance qu'il me faut régler... définitivement. De plus, je ne suis pas la seule en cause. C'est également de la caste des Adorateurs dont il s'agit, de leur honneur comme de leur situation. Autant dire que le faire taire revêt désormais un véritable caractère d'urgence. Mais je suis pied et poings liés. Il m'a eu, et toutes les discussions du monde n'y changeront rien. Ce qu'il me faudrait, c'est parvenir à le surprendre et le mettre au pied du mur. Ce qu'il me faudrait, c'est trouver un plan d'une subtilité telle qu'il n'en saisira la juste saveur qu'une fois emprisonné dans mes filets. Ce qu'il me faudrait, surtout, pour arriver à mes fins, c'est d'un... allié.

Un allié, j'en ai un tout trouvé. Lui, Saeros Yggdrasil, que Frederick a rendu tellement hors de lui que ses traits sont crispés de fureur et qu'il émane autour de lui une aura de rage absolue. En l'observant, une vague de feu ardent me parcoure. Lui, le Conseiller Noir ? Lui, que je hais de toutes mes forces, à l'image des autres partisans d'Aile Ténébreuse ? Impossible. Et pourtant... et pourtant, ai-je le choix ? Non. Je crains malheureusement que, cette fois-ci, le hasard ne me force la main.

Très bien. Formons donc une alliance, si son désir de vengeance est aussi irrépressible que le mien. Mais pour ce soir, et ce soir seulement. Cette trêve sera brève telle l'étoile filante dans la nuit, et s'évanouira dans la brume du petit matin comme si elle n'avait jamais existé, impensable et unique, à l'image du bal que nous sommes en train de vivre.

« Une fête comme je n’en avais jamais vécu. Une opulence scandaleuse ! »

Je m'approche de lui, une expression de circonstance sur les lèvres.

– Conseiller Noir, c'est un honneur !

Puis, avant qu'il ait eu le temps de répliquer quoi que ce soit, je souffle à son oreille.

– Il paraîtrait que vous avez commis l'audace de déplaire à la Déesse Nayris, louée soit-elle. Et je devrais vous punir pour cela...

Je reprends une posture normale et continue, ma voix semblable à un murmure inaudible que lui seul peut percevoir.

– Toutefois, je tiens autant à ma liberté que Luz Weiss et n'apprécie pas qu'un homme tel que Frederick s'avise de me la subtiliser. D'autant plus qu'un autre souhaite sa fin sans se salir les mains, quémandant ainsi une créature de la Nuit telle que moi.

Je me tais quelques secondes, le temps de lui laisser digérer mes paroles. Puis mon masque se transcende, laissant apparaître le visage d'une admiratrice éperdue, et je lui tends ma main.

– Mon nom est Délyë. Délyë... Yggdrasil. Une de vos lointaines cousines. Je suis ravie de vous rencontrer. M'accorderez-vous cette danse ?

Oui, dansons, de cette danse voleuse de vie dont Frederick ne se relèvera pas. Que les parades se déploient et que les pas s'enchaînent pour l'atteindre en plein cœur. Et rions, nous qui avons passés un pacte avec le diable. Nous qui aurons du sang sur les mains ce soir.

Le bal, bien avancé, pensez-vous ? Que nenni, dames et damoiseaux. En réalité, il ne fait que commencer. Car il est l'heure de la danse des esprits infortunés et des âmes damnées.

Alors, comme le disait si bien Ewas pour conclure son histoire :

« Il me prit la main et m'entraîna parmi les loups. »



Toutes les citations en italique sont de l'auteure Carole Martinez.

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Hoc volo, sic jubeo, sit pro ratione voluntas ! [PV Délyë] Sand-g10Dim 27 Juil - 19:37
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Peu de situations au cours de son existence l’avaient laissé complètement démuni. Depuis longtemps habitué aux fourberies et traîtrises de la cour du Roi-Démon, Saeros était l’un des membres les plus vicieux de l'entourage impérial. D’innombrables intrigues s'étaient nouées et dénouées autour de sa personne (certains dont il avait été l'instigateur) d'autres dont il avait été la cible - et malgré cela, il était encore vivant pour en parler. Après tant d’années passées aux côtés de son maître, Saeros se plaisait à croire que la nature humaine n'avait plus beaucoup de secrets à lui révéler.

Sa désillusion n’en était que plus amère !

Bien qu’il ait encore du mal à le croire, la vérité était devant ses yeux. Saeros n'était pas aussi intelligent qu'il avait bien voulu se l'imaginer. Le fait qu'un requin comme Frédérick ait réussi à se faire passer pour un agneau auprès de lui alors qu'ils se fréquentaient depuis des années en était la preuve ! Il s'était tout à l'heure demandé comment le gros bonhomme était parvenu à se hisser si haut au sein de la hiérarchie impériale. La réponse aurait dû lui paraître évidente. L’Empire avait peut-être ses défauts, mais la tolérance vis-à-vis de la faiblesse n'en faisait pas partie. Une méritocratie violente et sélective, voilà ce qu'était l'empire, et voilà ce qu'il n’aurait jamais dû oublier. On ne parvenait jamais au cœur du pouvoir sans une bonne raison. Il jeta un coup d'œil à Frédérick qui semblait s’être engagé dans une discussion animée avec une jeune femme à la robe bleu nuit. Le noble était redevenu ce petit homme jovial, sympathique et un peu benêt pour lequel tout le monde le prenait. Si Saeros avait eu un verre à la main, le cristal aurait volé en éclats. Lui qui se prenait pour le roi de la dissimulation avait été abusé par les apparences. Trompé par le masque d’un courtisan ! Le roi des pitres, voilà ce qu'il était...

Instinctivement, ses yeux se levèrent en direction du dôme qui ornait le plafond de la salle. La beauté de cette contemplation apaisa momentanément sa colère. Le palais dans son ensemble était une magnifique œuvre d'art, un éblouissant chef d’œuvre architectural. Le fait que des hectares de forêt aient du être rasés pour qu'il soit construit le laissait de marbre. Contrairement à la plupart de ses congénères, il n'éprouvait pas la moindre affection pour mère nature.

« Conseiller noir, c'est un honneur ! »

Grave erreur de timing de a part de cette jeune personne. Peut-être que sa colère ne se lisait pas de manière suffisamment claire sur son visage, mais ce n’était certainement pas le moment de l’aborder. Déjà qu’il ne ressentait que rarement l’envie d’être en compagnie d'une tierce personne dans son état normal, autant dire que l’approcher en cet instant devenait quasiment dangereux. Un grondement sourd lui échappa. Il s’apprêtait à congédier l’importune de la manière la plus brutale possible, quand il remarqua que celle ci ressemblait étrangement à la jeune femme avec laquelle Frédérick discutait un instant auparavant. Surpris, il ouvrit la bouche pour parler, mais se fit inélégamment couper la parole.

« – Il paraîtrait que vous avez commis l'audace de déplaire à la Déesse Nayris, louée soit-elle. Et je devrais vous punir pour cela... »

Pour la deuxième fois en l’espace d’une seule soirée, son cœur rata un battement. A la mention de Nayris, le souvenir de son envoyé lui revint brutalement en mémoire. Dans ses veines, son sang ne fit qu’un tour. La peur qu'il avait ressentie devant l’ignoble créature coula à nouveau dans ses veines, torrent furieux qui vint résonner de concert avec la haine que Frédérick et ses provocations avaient déjà instillée en lui plus tôt dans la soirée. Une irrésistible envie de meurtre fit trembler ses membres. Le punir ? Elle allait le punir ? Est-ce que c'était une mauvaise blague ?

« Toutefois, je tiens autant à ma liberté que Luz Weiss et n'apprécie pas qu'un homme tel que Frederick s'avise de me la subtiliser. D'autant plus qu'un autre souhaite sa fin sans se salir les mains, quémandant ainsi une créature de la Nuit telle que moi. »

Le magicien s'efforça de ne pas craquer. Avec une infinie patience, il se mit à compter jusqu'à dix. Il prit de longues et profondes inspirations, remplissant ses poumons de grandes bouffées d’oxygène.

Saeros ne devait surtout pas s’énerver. Même s’il le désirait ardemment, rien ne garantissait qu’il parvienne à massacrer facilement l’énigmatique jeune femme. Le fait qu’elle ait réussi à s’introduire ici était la preuve qu’il ne fallait pas la prendre à la légère. Un frisson courut le long de sa colonne vertébrale quand il réalisa que si elle n’avait pas d’elle-même révélée son identité, il aurait sans doute terminé la soirée avec un couteau entre les deux omoplates. La proximité de la jeune femme le rendit soudain mal à l’aise. Il fit prudemment un pas en arrière, s'établissant un périmètre de sûreté. Entre les lames d’un assassin et ses sortilèges, il savait pertinemment qu’il ne serait pas le plus rapide s’il ne maintenait pas ses distances.

« Mon nom est Délyë. Délyë... Yggdrasil. Une de vos lointaines cousines. Je suis ravie de vous rencontrer. M'accorderez-vous cette danse ? »

Le magicien ne réfléchit qu’un instant. Entre se venger de Frédérick et risquer la mort en insultant une fois de plus un envoyé de la déesse, son choix était vite fait. Mécaniquement, il prit la main qu’elle lui tendait et se pencha pour y déposer un baiser froid et sans passion. Un sourire faux étira ses lèvres, l’un des plus hypocrites qu’il ait jamais été forcé d’adresser à quelqu’un.

« Comment pourrais-je vous refuser quoi que ce soit, très chère cousine ? »

Avec toute la bonne volonté d’un condamné à mort qui se rend sur l’échafaud, il entraîna Délyë au centre de la piste de danse. Comme le cérémonial l’exigeait, il exécuta une nouvelle révérence devant sa « cousine », puis déposa sa main droite sur la hanche de la jeune femme. Il tendit alors l’oreille pour discerner ce que l’orchestre jouait. Après un court instant, il reconnut une valse asymétrique à cinq temps. Lui qui croyait que cette soirée ne pouvait pas s’empirer encore plus !

Sérieuse et grave, rigide et formelle, la valse était l’une des danses qu’il avait eues le plus de mal à maîtriser quand on l’avait initié aux usages de la cour. Les elfes étaient habitués à se mouvoir librement, sans la moindre restriction. Jamais ses congénères n'auraient dansé selon ce genre de schémas préétablis, ces mouvements guindés que les humains se plaisaient à créer. C’était une "mauvaise" habitude qu’il avait dû corriger chez lui, comme tant d’autres choses depuis qu’il était devenu un singe savant. Saeros poussa un profond soupir. La liberté était en effet une mauvaise habitude lorsqu'on évoluait dans les hautes sphères de l'Empire.

« J’espère que vous savez danser ? »

Sans attendre que la jeune femme lui réponde, il entama la chorégraphie. Un pas à gauche, un pas à droite, puis un autre pas à gauche. Machinal et mécanique, Saeros n’était pas un bon danseur au sens propre du terme. Si du moins il ne marchait pas sur les pieds de ses partenaires, on pouvait cependant sentir son manque d’investissement et d’intérêt à chaque pas qu’il exécutait. La danse avait pour lui une fonction sociale, pas ludique.

Distraitement, il jeta un coup d’œil en direction de Frédérick. Ce dernier observait leur couple d’un œil amusé. Quand son regard croisa celui du magicien, il leva son verre dans sa direction et remua les lèvres silencieusement. « A votre santé », pût lire Saeros. Sans même le remarquer, le jeune elfe se mit à serrer main de sa partenaire un peu plus fort qu’il n’était convenable de le faire.
Comment assassiner quelqu’un qui avait toutes les cartes en mains, quelqu’un qui savait tout de leurs intentions ainsi que de leurs capacités d’action ? Délyë et lui étaient comme des fauves dans une cage dorée.

« J’ose espérer qu'au moins vous avez un plan...», maugréa t-il.

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Hoc volo, sic jubeo, sit pro ratione voluntas ! [PV Délyë] Sand-g10Ven 29 Aoû - 0:53
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Un baisemain à la légèreté et la froideur d'un papillon dont on aurait gelé les ailes. Puis un sourire, visiblement esquissé au prix d'un lourd effort. Un sourire trompeur. Dissimulateur. Sournois. Le sourire d'un ennemi.

– Comment pourrais-je vous refuser quoi que ce soit, très chère cousine ?

C'est à présent à moi de sourire. Un sourire lumineux. Moqueur. Satisfait. Au moins a-t-il décidé d'entrer dans mon jeu. Tous deux faisons cela à contrecœur, mais tous deux savons également que nous n'avons guère le choix. La lutte pour le pouvoir est parfois bien plus périlleuse que de nombreux combats d'armes, hélas...

Il me conduit jusqu'à la piste de danse, et ses longs doigts se déposent sur ma taille fine. Je retiens un frémissement. Un contact physique avec un ennemi est quelque chose qui m'insupporte particulièrement. Sauf exception, bien sûr. Mais peu importe, nous allons danser, et j'aime la danse. Qu'elle soit mortelle ou amusante, rigide ou déliée, je prends plaisir à laisser mon corps prendre le contrôle et m'émerveiller de ses prouesses. Une façon pour moi de m'approcher plus encore de la liberté.

– J’espère que vous savez danser ? fait-il d'ailleurs remarquer d'une voix sans âme.

Mon sourire s'élargit.

– Bien sûr, sinon pourquoi vous l'aurais-je proposé ? je rétorque avec une pointe de moquerie.

Je dépose ma mains sur son épaule et nous entamons la chorégraphie. Ses pas sont parfaits, mais sans la moindre once d'une quelconque émotion. Il est tellement crispé que je me demande s'il ne va pas rester coincé. Quel étonnant contraste dois-je offrir, moi qui, tout en grâce et fluidité, lui rend la réplique avec une joie non feinte !

– Ne savez-vous donc pas vous détendre ?

Je décide de m'oublier. Oh, j'ai conscience de la menace qui plane au-dessus de nos têtes, mais pour l'instant, nous ne pouvons rien y faire. Et il aura beau rester raide comme un piquet, cela ne m'empêchera pas d'y prendre plaisir. La danse est pour moi un loisir, non une obligation. Aussi, le temps de quelques instants, je deviens musique. Je me fonds dans les notes et la mélodie pour n'être qu'une infime partie d'un grand tout, d'une entité dont aucune magie ne parviendra jamais à percer le secret. Les arts resteront un trésor cent fois plus beau que l'or ou les diamants. Et mille fois plus inaccessibles...

Un bref serrement de main me ramène à la réalité, et je prends conscience que de nombreux regards sont tournés vers nous. J'y lis de la jalousie, de l'animosité, de la surprise. Du fait de son rang, le Conseiller Noir n'est pas de ceux qui passent inaperçus, et notre couple est suffisamment atypique pour attiser la curiosité de quelques personnes de plus. La discrétion, hein ? De toute façon, je n'y ai jamais excellé. Et ce n'est pas aujourd'hui que cela changera, manifestement.

– J'ose espérer qu'au moins vous avez un plan..., bougonne mon partenaire.

Ah, cher Saeros... tu ne me déçois pas. Tu es fidèle à l'image que je me faisais de toi : un dignitaire imbu de sa personne. Je te voyais en ennemi et tu te comportes comme tel, je ne pouvais rêver mieux. Cependant, ne t'attends pas à ce que mes mots ne t'épargnent... j'ai toujours préféré la provocation les yeux dans les yeux aux sous-entendus cinglants enrobés de doux miel.

– Je n'en ai pas, je susurre, nos regards étroitement liés l'un à l'autre. Comme vous, Frédérick m'a prise de cours. De plus, n'est-ce pas vous le penseur du groupe et moi l'assassine qui exécute les ordres ?

La danse change, le rythme se fait plus rapide. Automatiquement, lui et moi enregistrons la nouvelle cadence et voltigeons de plus belle.

– Néanmoins, il serait peut-être préférable, en effet, d'échanger les rôles, je reprends d'une voix normale. Frédérick s'attend à ce que je le tue, et ses soldats également. Une telle action de votre part le prendrait certainement au dépourvu.

Puis mon regard se teinte d'une amusante malice. Ce petit jeu me plaît de plus en plus. Oui, malgré la gravité de la situation, je ne peux m'empêcher d'y prendre goût.

– A moins, je lance d'un ton mordant, que le sang que vous avez sur les mains a toujours connu un intermédiaire, et que vous n'avez jamais été capable d'accomplir un tel acte par vous-même ?

Je le hais, c'est un fait. Ceci dit, qu'il n'y voit rien de personnel. Nous ne sommes pas du même camp, et il a commis l'audace de déplaire à Nayris. Deux raisons qui me poussent à le détester, tout simplement. Je ne veux pas le connaître, ni chercher à savoir qui il est vraiment. C'est ce qu'il est arrivé avec Victo, et je ne suis pas prête à renouveler une telle expérience avec quelqu'un d'autre. Non, qu'il reste cet être odieux que je pourrais abhorrer à loisir.

Toutefois, je possède une information sur lui : contrairement aux rumeurs, il n'est pas insensible, et la maîtresse du marché noir a visiblement trouvé une faille dans sa muraille de glace. Luz Weiss serait donc le talon d’Achille de ce chien d'Aile Ténébreuse. Un renseignement que je m'empresserai à transmettre aux autres Adorateurs dès que j'en aurais l'occasion...

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Hoc volo, sic jubeo, sit pro ratione voluntas ! [PV Délyë] Sand-g10Mer 3 Sep - 23:59
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Les mots de sa très chère cousine le cinglèrent comme des coups de fouet. Soit cette jeune femme le haïssait tout particulièrement, soit elle s'amusait beaucoup à le provoquer. Un éclat de fureur animale passa fugitivement dans les yeux du magicien. Cette soirée avait déjà mis sa patience à rûde épreuve, et voilà que cette marionnette de Nayris s'avisait de pousser le bouchon encore plus loin ? Un léger tremblement s'empara de ses membres à mesure qu'il se faisait violence pour ne pas exploser. Ô, comme cela devait l'amuser ! Il lui jeta un regard chargé de haine. Comme elle devait se réjouir de le voir dans cette position douloureuse, afin de pouvoir en profiter pour l'humilier. D'une voix chargée de venin, il cracha sa haine au visage de Délyë :

« Vous croyez peut être que je n'ai jamais eu à me salir les mains, cousine ? »

Il se pencha vers la jeune femme et plongea ses yeux violets dans les siens, analysant froidement les émotions qu'il voyait passer dans les iris chocolats. Sa voix changea progressivement de ton, passant d'un murmure doucereux à un sifflement agressif.

« Laissez moi vous dire que vous vous trompez lourdement ! Croyez moi sur parole quand je vous affirme qu'il m'a fallu littéralement payer de ma personne pour parvenir là où j'en suis aujourd'hui. »

Il continua de regarder sa pseudo-cousine droit dans les yeux, sans jamais éprouver la nécessité physique de les cligner ou de les détourner. Saeros avait étudié de très près le fonctionnement de l'œil chez les mammifères, fasciné comme il l'était par cet organe. Pour les êtres humains, elfiques et même démoniaques, on comptait pas moins de six mouvements de l'oeil qui trahissaient les émotions ressenties par leurs propriétaires, et chacun de ces mouvements comportait quatorze variations. Même chez les tueurs les plus endurcis, on pouvait observer des contractions et des dilatations de la pupille en fonction des émotions éprouvées. La joie, l'affection et les sentiments positifs entraînaient la dilatation de la pupille. La colère, la haine et la peur provoquaient sa contraction. Mais ce qui était vrai pour le plus endurci des tueurs ne l'était pas pour Saeros.

Il avait un jour contemplé ses yeux dans un miroir, très longtemps, attentif aux plus subtils des changements. Après plusieurs heures d'une observation minutieuse, il s'était aperçu qu'il n'y avait tout simplement rien à voir. Ses pupilles étaient restées statiques pendant toute la durée de l'expérience, tels de minuscules points noirs au milieu d'océans améthystes. Ses yeux ne clignaient pas, ne pleuraient pas, ne se dilataient pas et ne se contractaient pas. Malgré tout ce qu'avait pu dire une certaine dragonne à ce sujet, ces yeux étaient ceux d'un monstre qui n'aimait personne d'autre que lui même.

Attristé par cette évocation, Saeros détourna lentement - très lentement - le regard, et éloigna son visage de celui de la jeune femme. La musique changea une de rythme sans prévenir, et Délyë parut s'y adapter sans même y faire attention. Souple et pleine de grâce, elle virevoltait avec une insouciance que Saeros aurait presque pu qualifier d'enfantine, et même d'ingénue. À l'observer, on aurait dit que la danse était une activité aussi naturelle et vitale que marcher ou respirer. Son insouciance lui rappela brutalement celle de Luz, ainsi que l'amour débordant de la dragonne pour la liberté et l'indépendance. Une douleur lancinante l'étreignit au niveau de la poitrine, signe que sa blessure s'était rouverte. Décidément, ce n'était pas son jour de chance. En proie à une peine et une colère toujours croissantes, le magicien décida de passer sa frustration sur sa partenaire.

« Le plus drôle dans tout ça, c'est que vous vous permettiez de me juger. Vous me haïssez pour ce que je représente, pas vrai ? Comme c'est pathétique ! Réalisez vous seulement la folie de la déesse pour laquelle vous êtes devenue une esclave, ou bien votre fanatisme vous aveugle t-il à ce point ? »

Bien vite, cependant, Saeros se tut. Petit à petit, sa fureur s'estompa pour laisser place à une incommensurable sensation de lassitude. Ce fut avec une certaine mélancolie qu'il exécuta les derniers pas de danse, plus lents et mesurés qu'il n'aurait été convenable de les faire, jusqu'à ce que la musique finisse par s'arrêter complètement. Une sortie des sentiers battus qui ne lui ressemblait pas du tout. Le magicien desserra l'étreinte qu'il exerçait sur les fins doigts blancs de Délyë, et ôta sa main de la hanche de la jeune femme. Avec une froideur monocorde et impersonnelle, il reprit la parole.

« Je pense avoir une idée concernant la tâche qui nous préoccupe. Si vous voulez bien me suivre, cousine. »

Saisit d'une impulsion soudaine, il prit la jeune femme par le poignet et entreprit de la conduire hors de la piste de danse. Il s'éloigna de l'agitation ambiante, puis sortit du palais pour pénétrer dans les jardins luxuriants de la demeure. Quelques invités discutaient ça et là, fascinés par la beauté de la végétation que plusieurs lanternes éclairaient de leur lumière diffuse. Sans prêter la moindre attention à la magie du lieu, Saeros s'éloigna jusqu'à parvenir dans l'une des parties les plus éloignées et les moins bien éclairées du parc. Malgré le manque de lumière, ses yeux démoniaques pouvaient cependant clairement distinguer l'homme qui les suivait, se croyant protégé dans l'obscurité. Sans le moindre doute, c'était l'un des gardes du corps de Frederick, envoyé par le gros bonhomme pour les espionner. Comme il l'avait escompté. Il jeta un coup d'œil oblique en direction de Délyë, se demandant si la jeune femme l'avait repéré elle aussi. Le bruit ténu des feuilles mortes qu'on piétine avait-il suffi à mettre la puce à l'oreille de l'assassine ? Sans crier gâre, il s'arrêta brusquement, et l'homme qui les suivait s'arrêta lui aussi. Il était assez proche pour entendre le moindre mot de leur conversation, mais trop loin pour que sa silhouette se détache nettement de l'obscurité ambiante.

« Nous voilà à la croisée des chemins. Deux choix s'offrent à vous, à présent, Délyë. Vous pouvez soit décider de me poignarder ici et maintenant, à l'écart de toute agitation, ou décider de m'aider à atteindre Frédérick en massacrant le misérable vermisseau qui se cache derrière le tronc d'arbre à quelques mètres sur votre gauche... », dit-il en pointant du doigt l'homme qui, pétrifié, n'en croyait pas ses oreilles.

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Hoc volo, sic jubeo, sit pro ratione voluntas ! [PV Délyë] Sand-g10Sam 15 Nov - 23:35
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Une vague de parme et de pourpre m'emporte dans l'iris de ses yeux, tandis que retentit sa voix, aussi menaçante, froide et piquante que la mienne a pu l'être. Ce n'est pas parce que deux serpents sont obligés de coopérer que l'on doit leur empêcher de répandre leur sombre venin. Lequel pervertira le plus par ses piques cinglantes l'âme de son adversaire ? Les paris sont ouverts...

– Vous croyez peut être que je n'ai jamais eu à me salir les mains, cousine ? siffle Saeros d'un ton mordant, car oui, le serpent a sorti les crocs. Laissez moi vous dire que vous vous trompez lourdement ! Croyez moi sur parole quand je vous affirme qu'il m'a fallu littéralement payer de ma personne pour parvenir là où j'en suis aujourd'hui.

C'est amusant de se dire que même si je continue à danser aussi librement que d'ordinaire, j'ai la sensation d'être figée, immobilisée par ce regard qui l'est tout autant. Perçant le mien, ce n'est pas comme s'il m'interdisait d'effectuer un quelconque mouvement, non, c'est beaucoup plus subtil. Ce qu'il m'interdit, c'est d'exécuter un geste qui sortirait de l'ordinaire, glisserait une fausse note dans cette machine bien huilée à l'apparence parfaite. Ne le sous-estime pas, Délyë, surtout pas... Le serpent ne sait pas que mordre, mais aussi hypnotiser. Car quel étrange regard que celui-là ! Presque effrayant, presque, oui, car il m'en faut plus pour avoir peur, mais tout de même, cette absence du moindre frémissement, du moindre cillement de paupière a quelque chose de désagréable. D'inhumain. De monstrueux. De... démoniaque ?

Tandis qu'il m'emprisonne de ses pupilles fixes, moi qui déteste les barreaux, avec une facilité telle qu'elle me donne envie de briser cette comédie de théâtre à laquelle aucun de nous deux ne croit vraiment, mes propres yeux, eux, se consument d'une colère à peine contenue. Je n'aime pas que l'on me force la main, même si, en l’occurrence, c'est du regard dont il s'agit. Il me le paiera.

Heureusement, il finit par détourner ses yeux, continuant sa danse mécanique et terne qui convient si peu à la lumière de la mienne. Non, nous ne sommes pas fait pour être ensemble, et rien ne nous lie. Le silence s'installe, mais peut-on véritablement parler de silence ? Peut-on réellement dire une telle chose alors que, malgré nos lèvres closes, voltigent entre nos deux visages nos remarques acérées et vibre dans nos mains jointes et le mince espace qui nous sépare une atmosphère aussi électrique qu'enflammée ? Bien sûr que non. Et d'ailleurs, le voilà qui reprend la parole. Quelle couleur aura son venin cette fois... ?

– Le plus drôle dans tout ça, crache-t-il, c'est que vous vous permettiez de me juger. Vous me haïssez pour ce que je représente, pas vrai ? Comme c'est pathétique ! Réalisez vous seulement la folie de la déesse pour laquelle vous êtes devenue une esclave, ou bien votre fanatisme vous aveugle-t-il à ce point ?

Je me tais, daignant lui laisser pour unique réponse un demi-sourire provocateur. Il a faux sur toute la ligne, mais je ne compte pas le lui expliquer maintenant. Laissons mariner dans ses richesses et ses beaux habits ce cher conseiller si imbu de lui-même. C'est une sorte de révolte intérieure, histoire de lui montrer que malgré ce furtif instant où ses iris ont pris le contrôle des miens, je reste tout de même libre de mes actes. Je développerai quand je le désirerai et où je le désirerai. Pas avant. Et il devra prendre son mal, ou plutôt sa haine, en patience.

– Je pense avoir une idée concernant la tâche qui nous préoccupe. Si vous voulez bien me suivre, cousine.

Il me saisit fermement le poignet et me conduit hors de la piste de danse. Je pourrais protester et brandir devant lui mon libre-arbitre, mais c'est ici inutile. Il semble avoir un plan, autant le suivre et voir jusqu'à quel ailleurs me mènera-t-il. L'art d'attiser la haine et provoquer la rage ne s'utilise pas à n'importe quel moment. Il faut le choisir, le sentir, apercevoir cette faille dans la muraille de l'autre et s'y engouffrer avec tout le fiel dont on est capable. Un art que quelqu'un de son rang ne peut que maîtriser, et que je maîtrise également. L'écart se jouera donc dans celui qui se montrera le plus audacieux et le plus subtil à la fois. Cela m'amuse malgré ma colère. J'ai toujours aimé les défis après tout.

Plus que la piste de danse, c'est le bâtiment tout entier que nous quittons pour gagner la tranquillité des jardins. Encore une gourmandise des partisans d'Aile Ténébreuse que je trouve déplorable. Ils ont tout détruit, rasé, déchiré, pour se construire une flore et une faune telles qu'ils la souhaitent, organisées, luxueuses, fabuleuses, mais si fausses, à des milliers de pas de ce qu'est la nature véritable... C'est détestable. Pire que cela, écœurant. Et pourtant, il y a une note de réel dans toute cette illusion. Un coup de pinceau inattendu qui fausse la symétrie de la toile du peintre. Un bruit. Léger, étouffé, et pourtant clairement perceptible de par mes sens d'animorphe et d'assassine. Quelqu'un nous suit. Mais qui ?

– Nous voilà à la croisée des chemins. Deux choix s'offrent à vous, à présent, Délyë, déclare calmement Saeros. Vous pouvez soit décider de me poignarder ici et maintenant, à l'écart de toute agitation, ou décider de m'aider à atteindre Frédérick en massacrant le misérable vermisseau qui se cache derrière le tronc d'arbre à quelques mètres sur votre gauche...

Les feuilles bruissent de stupéfaction derrière nous. Face à mon allié qui n'en est pas un, je n'esquisse pas le moindre geste. Je ne suis plus qu'écoute. Que va faire notre proie à présent ? Pour l'instant, pétrifiée par la surprise, elle n'a pas l'air de bouger. Parfait.

– Deux choix ? je relève, indubitablement moqueuse, tandis qu'éclosent sur mes lèvres les fleurs d'un sourire plus véritable que toutes celles que nous apercevrons ici. Vraiment ? Je pourrais pourtant décider de le tuer lui d'abord, puis vous ensuite...

Dans un claquement métallique, un poignard apparaît entre mes doigts, comme sorti de nulle part. Glissement terrifié, et le larbin de Frédérick détale comme un lapin. Trop tard. Sans quitter Saeros des yeux, ma main se met en mouvement, et dans un unique souffle fluide, lâche l'instrument de mort qui va se planter quelques mètre plus loin. Au cœur de sa cible. Nous percevons le râle léger de celui qui n'a plus beaucoup de temps à vivre et soudain, ne reste plus que le bruit de nos respirations sifflantes. L'homme a désormais rejoint Nayris.

– Mais cela n'aurait pas d'intérêt, je reprends d'un ton posé, comme s'il ne s'était écoulé qu'un bref entracte entre deux actes d'une pièce dont nous serions les acteurs. Si nous voulons tuer Frédérick, nous devons coopérer. Aussi déplaisant cela nous semble-t-il, n'est-ce pas ?

Mon sourire se pare de moquerie, tandis que la flamme de mes yeux se fait espièglerie et malice.

– Je suppose que si vous m'avez demander d'exécuter une telle action, c'est que vous avez un plan, je continue d'un ton sous-entendant que si ce n'est pas le cas il est on ne peut plus stupide, avant de changer subitement de sujet sans aucune raison apparente. Oh, et pour répondre à vos précédentes interrogations, je sais qui est véritablement Nayris. Elle ne le cache pas. Avec elle, au moins, il n'y a pas de faux-semblants.

Provocante, et alors que le corps se refroidit lentement dans l'herbe, j'avance d'un pas qui m'éloigne de ma victime et me rapproche du conseiller noir. Un conseiller néanmoins bien plus glacial que n'importe quel cadavre...

– Et je ne vous juge pas, Saeros.

Mes lèvres deviennent rictus de haine pure, et ce ne sont plus quelques flammes qui brillent dans mon regard, mais bien un brasier tout entier, si violent que je m'étonne qu'il ne s'y soit pas encore brûlé.

– Je vous exècre.

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