Une femme sans grâce est un appât sans hameçon [PV Jehan Polghotyer]

Voila pourquoi on ne laisse pas les femmes négocier les prix, elles n’ont pas compris que le but du marchandage est de baisser les prix ...

Le couturier resta stoïc, pas un mouvement ne l'animait hormis celui de se propre respiration. Un doux rictus, celui de ceux qui sont sûrs d'eux et ne démordent pas à leurs décisions, commença à éclairer son visage. Ainsi le baron croyait pouvoir marchander un produit fini ? N'aurait-il point compris comment fonctionne le commerce ? N'aurait-il point pensé à faire une estimation avant ? Il était trop tard : le prix fixé après le travail accompli ne pouvait être vu à la baisse, surtout si l'artisan avait lui-même déjà prévu les réductions d'usage ... Si la jeune fille semblait avoir saisi la générosité dont Jehan faisait preuve, le père semblait décidément vraiment dépourvu d'une once de bon sens.

... et je suis sûr que cette plus-value remboursera largement vos frais de déplacement ... tous frais payés dans un cadre paradisiaque ... que la note s’en tienne au prix des robes … deux cents Ailes en argent pour faire un compte rond.

Jehan éclata de rire. Un rire franc, fort autant que léger, qui résonna plus peut être que lui-même ne l'aurait voulu. Mais rapidement il reprit son sérieux et s'adressa d'une voix grave et très assurée au baron buté :

Messire, vous ne saisissez pas bien : j'ai déjà réduit le prix au strict minimum ... Vous ne semblez pas être très au fait des règles commerciales qui ont cours, aussi je vais avoir la bonté de vous expliquer : mon déplacement n'est pas une chose qui vous est due, même la Reine Agnès fait venir ses dames jusqu'à ma boutique lorsqu'elle-même a besoin d'une de mes créations. Quant au prix des robes, je suis déjà bien généreux en vous les accordant à cinquante ailes chacune, car toutes je pourrais les vendre au double, que dis-je, au triple à Cardrak ... Aussi, la chose est simple : les robes sont faites, la facture établie, si cela ne vous sied, je repars avec, et croyez bien qu'effectivement je saurais gagner en plus-value à Cardrak, mais vous aurez perdu là l'occasion de rendre à votre fille un bonheur incomparable et de la rendre plus belle que le plus beau des bijoux que vous pourriez lui offrir.

Il avait lâché cela sans colère aucune, même si celle-ci bouillonait sous son crâne. Non, il était resté calme et tranquille, toisant le baron de ses yeux clairs et tempétueux, montrant sa détermination et surtout prouvant que si son nom était connu et encensé, ce n'était point pour rien. Il était LE couturier des Glaces, celui que tous s'arrachaient, celui par qui tout le monde jurait. Et ce ne serait pas un petit baron perdu dans sa toundra qui ferait sa loi.

Vous avez mandé mon travail, messire, pensiez-vous réellement que j'étais bon marché et prompt à négocier, comme n'importe quel petit commerçant de marché ?