Et c'est pas finit !

Kissa était assise sur un rocher à regarder l'eau. Elle était tant fascinée qu'effrayée par cet élément. Elle soupira un instant en penchant sa tête sur le côté, et miaula, comme pour faire réagir les vagues. Tentative vaine, elles poursuivaient inlassablement leur roulis agaçant. Très régulière. Enfin non. Enfin si. Au final, elle s'en fichait plutôt pas mal...

Elle sauta de son petit perchoir et marcha sur la plage pied nu, vêtue d'un robe assez légère. Elle avait son ruban à la hanche, dans une ceinture qui maintenait la robe plaquée à sa taille malgré le vent. Elle trottina jusqu'à trouver un bar. Là, elle remit ses chaussures et entra en bougeant ses oreilles.

Captant tout les sons, elle s'amusa a compter le nombre de bourré... Avant de s'arrêter et de compter les sobres... ça allait plus vite : Le patron et les deux serveuses !

Ces pirates ! Incapable de pas se foutre minable ! Pour la peine, elle allait boire un coup.

Elle commanda du rhum et le tavernier, avec un sourire moqueur lui passa une choppe "comme on en voit par chez nous !". Kissa haussa un sourcil et sans quitter l'homme des yeux, elle bu le contenu cul sec. L'homme parut surpris, mais il ne fit aucun commentaire et l'assassine lui envoya trois ailes de bronze, et alla s'installer à un table quelque peu en retrait.

Un peu plus loin, des pirates bien éméchés tenter de... violer, oui, c'est le mot, une des danseuses, jusqu'à ce que la demoiselle apparemment sans défense ne se change à un gros serpent et n'en gobe un tout cri. Le chat éclata de rire. Ça c'était quelque chose ! les deux autres marins repartir et la danseuse repris forme normale.

Kissa observa alors la scène. La taverne était vraiment grande. Construite à même un ancien temple bizarre, la moitié de la salle était une véritable pyramide grandeur semi-nature. Les danseuses (au nombre de trois) était très peu vêtues et semblaient fort bien se défendre toute seule. Comme toujours, il ne fallait pas se fier aux apparences. Elle en était la preuve vivant.

Fermant les yeux, elle bougeait sa queue en rythme, les deux pieds sur la table à laquelle elle était assise.

Bon sang... Même les musicos étaient bourrés !!! Mais malgré tout, Kissa était d'excellente humeur, ce qui était relativement rare...

Screugneugneu de screugneugneu!

Une zone sans noblesse, le résultat était épouvantable! Prévisible mais épouvantable! Deux semaines passé sur ces îles, qui n'avait fait que renforcer ma conviction: un peuple sans personne à sa tête ne sera jamais rien d'autre qu'un champ de légumes desorganisés, bruyants, malodorants, ...

Plus qu'une soirée, une soirée et une seule, et demain je rentrerais chez moi, dans MON duché, dans MON château, sur MES terres, avec MES domestiques, et MES repères. Par la Sainte Noblesse, j'ai hâte!

D'ici là, encore une nuit dans l'une de ces auberges miteuse, et la perspective ne me réjouit guère. Inutile de prendre le temps de chercher un lieu qui serait moins miteux que les autres, chaque établissement est pire que son voisin. Je pousse la porte du premier bar en vue, tentant de ne pas poser mes mains sur la poignée poisseuse.

L'interieur est animé, et il me prend soudainement l'envie de faire quelque chose d'incongru. Quelque chose qui n'a rien de noble, rien de distingué, mais qui me jugerais ici? Je n'ai que mon regard sur mes épaules, et ce soir je me donne carte blanche.

Plutot mal à l'aise, je m'approche du comptoir pour demander une bière. C'est terrible, j'ai plus de cent ans et je n'ai jamais fait cela. Je m'embrouille, je baffouille, mais on finit par me servir. Une, puis deux, puis trois. La quatrième encore à moitié pleine - ou déjà a moitié vide selon le point de vue - j'allais d'un pas un peu tremblant et titubant m'asseoir un peu plus loin.

Après quelques secondes, je realisait la présence d'une jeune personne à coté de moi. Bon sang, est ce qu'elle vient d'apparraitre ou est ce que moi, Sinan Ouhi, suis-je abusé par les effets de l'alcool? Non, ça ne peut etre ça, cette demoiselle à sans doute une cape d'invisibilité cachée dans ses chaussures. On sous estime trop souvent la capacité des chaussures, leur volume total permet souvent bien des surprises.

- Bonsoir! Je la salue en levant ma choppe. Vous etes d'ici? Je veux dire, vous habitez sur ces iles perdues? Enfin, pas tellement perdue puisque j'ai reussit à trouvé le chemin d'aller... Si vous voulez mon avis, on devrait les perdres pour de bon ces iles! Oups, disparues, oubliés, et on en parle plus!


Un neurone reticent s'agite dans mon cerveau et je realise la valeur ( qui avoisine le zéro absolu) des propos que je suis en train de tenir à une inconnue. En guise d'excuses à la jeune femme, je lui offre un large sourire un peu abêtie par l'alcool.

Kissa observe assez circonspecte, bien qu'avec un drôle de sourire au lèvre, le vieil homme qui s'installe à ses côtés. Il sursaute quand il l’aperçoit ce qui lui déclenche un fou rire en partie miaulé. Ses lèvres sont légèrement relevées sur ses dents dont deux canines félines ressortent. Elle penche sa tête sur le côté, clignant des yeux, et dévisage l'homme.

Elle détermine à l'odeur qu'il est humain. Un peu comme une de ses connaissances... vieilles connaissances... Anciennes... Ex... En tout cas, cette fille est morte maintenant, DONC, on s'en fiche !

En prime, cette humaine avait un peu trop tournée autour de son Soruga... Donc Kissa était encore plus heureuse qu'elle soit morte ! Réflexion faîte, après plus de 2000 ans, il devait y avoir pas mal de prétendante à son jumeau qui y sont passées... Le sourire du chat s’agrandit lorsque l'homme s'adressa à elle.

- Bonsoir!

Son ton est jovial, il sent fort l'alcool, il est soul, Kissa rit.

- Vous etes d'ici? Je veux dire, vous habitez sur ces iles perdues? Enfin, pas tellement perdue puisque j'ai reussit à trouvé le chemin d'aller... Si vous voulez mon avis, on devrait les perdres pour de bon ces iles! Oups, disparues, oubliés, et on en parle plus!

Kissa lui retourna un regard amusé, et se prit au jeu.

-Plus que ça même... Parce qu'il y aurait toujours un rigolo pour tomber dessus par mégarde ! M'enfin, non, j'viens pas d'ici, je suis du continent, et tellement mieux les deux pieds sur la terre ferme !!

Elle leva son verre à l'intention d'une serveuse pour qu'elle le lui remplisse de cette délicieuse liqueur à base de lait qui faisait la renommée de cette taverne.

-Mais paraît-il qu'on s'amuse bien ici...

Elle replia une de ses jambes, faisant glisser le bas de sa robe jusqu'à ses cuisses, ce qui était suffisant pour un pirate pour prendre cela pour une invitation. Seulement, à peine tenta-t-il d'ouvrir la bouche pour un proposition obscène que le chat se releva d'un bond pour lui plaquer ses griffes en tilamium sur la jugulaire.

-Si tu parles, tu crèves, si tu bouges, tu crèves, si tu baves, tu crèves, et si tu fais un truc qui me plaît pas, tu crèves. Alors ?

L'homme s'éloigna soigneusement, la scène de la serveuse serpent ayant suffit à lui rappeler à réfléchir avec son cerveau et non pas sa virilité d'homme de la mer. Kissa eut un sourire en coin assez particulier. Pas fou, non, plutôt amusé... Enfin... Amusé comme si on avait fait bouger une lumière devant un chat...

Elle bondit sur ses jambes et se tourna vers l'homme.

-Il paraît qu'il s'passe pleiiiin de truc dans la drôle de pyramide. J'ai toujours voulu y aller, mais on ne peut pas tout seul... Ça vous dirait de m'accompagner ? On va s'amuser je sens !

Et sur ce, elle vida le contenu de son verre, ses pupilles félines se dilatant plus encore.

Il l'observe se jouer de la faiblesse des hommes pirates avec un sourire en coin. Elle n'est sans doute pas noble, et certes peu distinguée, mais cette façon de manipuler habilement les autres lui plait bien, et lui rappelle les intrigues cachée de la noblesse qui tente de se divertir en sabotant la vie privée de leurs égaux. N'avoir aucune pitié, aucune honte à attaquer l'autre sur son point faible, aucun remords à le frapper là où ça fait mal. Et se délecter de tout cela puisque le reste est trop face, ou qu'il nous est interdit.

Sa voix d'enfant gaté exigeant un nouveau jouet quand elle proposa - ou quand elle imposa - d'aller visiter l'étrange bâtiment au centre de la pièce, son sourire excité et son regard brillant ranima le viel homme qui se sentait sombrer dans le sommeil de l'alcool. Se relevant avec moins de facilité de la jeune femme, il frappa d'un grand coup de canne sur le sol et déclara solennellement:

- Il ne sera pas dit qu'un Duc refusa une telle proposition! Sans cavalerie, sans soldats, sans officiers, ... libéré des ses incompetents incontinents, je n'en serait que plus vif et audacieux! En marche donc!

Maniant sa canne comme une épée, frappant tout ceux qui lui bloquait le passage, il se fraya un chemin jusqu'à la pyramide en fredonnant une musique de guerre.

- Faites place, mecréant, cette damoiselle pourrait s'emparer de vos âmes, de votre esprit, de votre raison et surtout de votre choppe de bierre si vous ne nous laissez pas poursuivre notre quête! Zou!

Arrivé à destination, soit moins d'une dizaine de mètres plus loin mais déjà essoufflé, il s’arrêta et observa la porte d'entrée de la pyramide avec suspicion.

- Dites moi chère camarade d'aventure... Pensez vous qu'un code particulier nous permette d'entrer? Ou que seules les âmes pures y sont accepter? A moins que...

Il s'approcha, le coeur battant pour cet instant qui allait, ou non, devoiler la verité, et appuya sur la poignée. La porte s'ouvrit!

- Par tous les Dieux, une simple porte! Le piège etait reelement mesquin, qui aurait put imaginer que l'astuce de ce jeu d'esprit fut à la portée du premier venu?!

Il s'effaca pour laisser Kissa entrer en première:

- Les femmes d'abord. J'insiste, d'autres pièges sont certainement installés à l'interieur, et je tiens à ce que vous les declenchiez avant mon passage!

Kissa eut un rire dément et s’élança immédiatement. Elle aimait beaucoup ce nouveau compagnon de jeu ! Elle le trouvait très drôle. La chimère trottinait gaiment, avançant peu devant l'homme.

-Au fait, moi c'est Kissa ! Et vous monseigneur le duc ?

Elle se retourna, marchant en reculant. Ses sens en alerte, elle se pencha lorsque des balles surgir de mécanisme dans les murs et en évita trois avant d'en renvoyer une d'un coup de pied.

-Aaaah ! S'exclama-t-elle en partie en miaulant. On se fait attaquer ! Tous à couvert !!!

Le moins que l'on puisse dire, c'est que Kissa ne prenait rien de ce qui l'entourait au sérieux... Elle forçait le trait pour s'amuser un peu... Mais elle ne tarderait pas à s'ennuyer ferme... Et à chercher un nouveau jeu plus amusant... Plus salissant... Mais plus sanglant. Le chat adorait plus que tout le fait de sans cesse faire quelque chose.

Ne pas penser, ne pas s'arrêter, ne pas imaginer, ne pas replonger. Ne jamais replonger. Ne. Jamais. Replonger. Elle avait horreur de cette simple pensée. Créature forte, sa plus grande terreur, c'était le bruit des secondes qui passent. Ce qu'elle pouvait avoir horreur de...

-Ooooh, un miroir déformant !

Elle se posta devant en ondulant ses hanches.

-Pff... C'est pathétique ! Il avait promis de l'aventure ! Dite monsieur le duc ! On va se plaindre ? J'm'ennuie moi ! Et j'aime pas m'ennuyer !!

Elle bailla devant le miroir lui donnant un air de vautour quelque peu effrayant dans son reflet difforme.

Deux aventuriers dans la pyramide, qu’ils s’accrochent car la route sera longue et difficile pour en sortir vivant ! Surtout qu’ils n’avaient pas l’air d’être au meilleur de leur forme. Si le premier piège n’en était pas vraiment un, une poignée comme les autres mais cela ne voulait pas dire que ses congénères le seraient elles aussi… Peut-être un subterfuge pour endormir la méfiance des curieux. Hop, des balles, juste histoire de les taquiner un petit peu, rien de bien méchant. Cependant, attention, il s’agissait d’une pyramide en plein milieu d’un bar côtoyé assidûment par les pirates. Et ces derniers étaient les mieux placés pour trouver dans leur trésor des objets divers qu’ils prenaient plaisir à recycler selon leur bon plaisir, allant du plus futile au plus ingénieux. Plus d’un aventurier avait appris à ses dépends qu’il ne fallait pas sous-estimer l’humour du propriétaire des lieux… Tenez ! Tandis que la jolie petite minette râlait devant un miroir déformant, une des dalles s’enfonça sous le poids du pied du Duc. Un petit tremblement se fit sentir alors que le sol disparut autour d’eux, les laissant sur un petit cercle où faire à peine un pas chacun. Pas plus… En dessous se trouvait un peu plus bas une sorte d’immense bain mais de boue. Pourquoi se contentait donc simplement d’eau ? Ce ne serait pas drôle…

Sans laisser le temps au duo éméché de comprendre ce qui se passait, une trappe au-dessus d’eux s’ouvrit et deux jolis chapeaux de pirates, aux belles plumes multicolores, le ridicule ne tue pas vous savez, atterrirent sur leurs têtes. Le cuir était un peu rapiécé mais d’origine, on devinait qu’il avait été de qualité. Et pourtant, ces deux couvre-têtes avaient de la valeur, pas pour leur confection, non, mais pour le sort qu’il renfermait. Ils faisaient vraiment bien la paire et c’était peu de le dire. De suite, Kissa et Sinan purent sentir une chaleur envahir leur cuir chevelu, et s’ils essayaient d’ôter le magnifique cadeau qui leur avait été offert du ciel, ils se rendirent alors compte que c’était tout simplement impossible. Clac ! Un bruit sourd sous leurs pieds et deux larges poutres sortirent du sol sous eux pour rejoindre un bon mètre plus loin le couloir qui continuait devant eux. Une partie de plaisir pour les pirates qui avaient un pied si marin, un équilibre hors-pair et qui, même saouls, arriveraient à danser une petite guinguette sur ces poutres.

Certes, maintenant, la minette et le Duc n’étaient plus coincés mais un phénomène étrange leur arriva. La chaleur qui semblait tout d’abord se cantonner à leur tête envahit alors tout leur être. Leur vue s’obscurcit pendant une seconde, ils perdirent toute notion de leur propre corps durant ce court laps de temps et enfin, tout redevint normal. Normal ? Vraiment ? Réaliseraient-ils, bourrés comme ils le sont que, tout d’un coup, celui qui se trouvait à gauche, voyait maintenant le couloir en face d’eux depuis la droite et inversement ? Se rendraient-ils compte de la différence de hauteur ? Sinan sentirait-il un courant d’air effleurer ses jambes et ses épaules dénudées et qu’il avait de bons arguments au niveau du torse maintenant ? Et Kissa, voilà qu’elle avait entre les mains la canne du Duc. Oui, un petit tour de passe-passe qui avait fait qu’ils avaient échangé leurs corps et maintenant que le sort s’était mis en place, il leur était bien entendu possible d’enlever les chapeaux, ce qui suffirait à rompre le sort, encore fallait-il que l’alcool leur permette un peu de jugeote….

Le Duc des Lans s'amusait comme un enfant, ravi de pouvoir faire fit des codes sociaux, laisser la jeune femme prendre les risques, parler haut et fort, tituber comme un alcoolique et arborer une insouciance absolue indigne de ses hautes responsabilités politiques.

- Je suis ... Il fit légèrement monter un suspense imaginaire. Sinan Ouhi!

Un nom qui aurait fait trembler dans son duché, mais qui n'évoquait peut être rien pour Kissa. C'était un peu frustrant de n'être qu'un anonyme, mais c'était aussi occasion de prendre les choses à zéro, pour quelques heures, être un autre.

- Se plaindre? S'exclama t-il en rejoignant la jeune femme. Voyons, ce ne sont pas des manières! Nous ferions mieux de detruire ce lieu si ennuyant, il faut savoir prendre des mesures ra-di-ca-les! Croyez moi, d'expe...

Il se tut quand le sol s'enfonça sous son pied gauche qu'il venait de poser en avant.

- Oulà, ce truc la se détruit tout seul! Eut-il le temps de grogner avant que le mécanisme ne s'enclenche et ne reconfigure toute la pièce. Oh, simple reconfiguration! Disparition de l'essentiel du sol, apparition d'un jolie étang de boue au dessous du niveau normal du parterre tandis qu'au dessus... Rien de spécial sinon une courte pluie de chapeaux.

Sinan plissa les lèvres et croisa les bras sur son torse, boudeur.

- Comme par hasard, le votre et plus beau que le mien!protesta-t-il sans même avoir vu le sien puisqu'il était sur sa tête.

Feignant un dédain total d'enfant véxé, il s'obstina à ne plus regarder en direction de Kissa, bien que le spectacle qu'offrait celle-ci, doté d'un tel chapeau, avait quelque chose de mythique. Nuit. Jour. Décidément, tout le bâtiment perdait la tête! Les dalles s'effritent et fondent en boue, les étages supérieurs laissent tomber des vieux déguisements de pirates, et la lumière clignote comme les yeux d'un paysan analphabète devant un livre.

Désireux de quitter ce petit cercle de dalle trop étroit à son gout, le duc s'élança sur les poutres en premier et, en quelques pas rapides et agiles, atteint le couloir qui s'offrait à eux. Ravi de son exploit, mais encore buté sur son complexe de chapeau, il s'engagea dans le corridor en bombant le torse... Tiens, il n'avait jamais aussi bien bombé son torse... Il n'avait jamais vu une vue aussi plongeante sur le-dit torse qui n'avait plus rien a voir avec celui qu'il contemplait avec mégalomanie tout les matins devant son miroir.

La machoir du duc se décrocha et il s'immobilisa. Choc.

AAAAAAh ! Ça non ! Non mais sérieusement ! Non, non et non ! Et puis il a quoi lui à me matter les seins et...

-Miaouuuuuh ! Nan ! C'est moche ! C'est quoi cette voix !

Kissa tente de feuler, sautille presque sur place... rien à faire... Elle est humain, vieille... et masculine !! Les chapeaux ridicule, passe encore ! Le monde à l'envers, concevable... Mais ça ! Mais ça !

-Ecoute moi bien Sinan je ne sais pas... Tu rezieutes encore une seule fois mon corps, je t'arrache la gorge et la mange !

Kissa commençait une vraie crise de nerf. Elle sautillait sur place avec toute l'énergie que lui permettait ce corps de vieux, puis elle se figea.

-Ou alors j'suis bourrée ! Mais oui ! Mais oui ! C'est évident ! C'est ça ! Et puis en vrai, bah j'suis pas dans toi, et t'es pas dans moi... On a trop bu Sinan !

Et elle éclata de rire, et se roula pratiquement par terre. Sauf qu'elle avait trop mal au dos. Et aux articulations... Et partout en fait. Dire qu'elle tenait une canne pour marcher !

-Il est foutue ton corps monsieur Ouhi ! Ton idée de tout détruire me plaisait bien... Mais là, j'ai mal paaaaartouuuut.

Elle rit à nouveau, faisant monter la voix grave du Duc à des hauteurs insoupçonnés. Elle s'arrêta donc de sautiller pour se placer devant le duc, et lui désigna son chapeau.

-Maintenant, c'toi qui as le plus beau !

Sa voix, parfaitement enfantine désormais, était teintée d'un brin de folie.

-Qui passe devant maintenant ? Toi vrai fausse moi ou moi vrai faux toi ? Han han... je sais plus ! Et si on avançait accoudé ? Et si et si et si on massacrait tout quand même parce que... Ma phrase elle se commençait comment déjà ?

Kissa se laissa tomber au sol, lâchant la canne de ce fait.

-Balourd ce corps... Pas souple ! Faut s'entretenir mon ami ! T'es quoi au juste pour être si balourd ? L'prend pas mal... Je suis superlaxe moi ! Je suis... un... Chaaat ! Un petit chaaaat ! Un chat mignon ! Un p'tit chatoooon !

Et elle se mit à chantonner ses quatres dernières phrases en regardant son corps la regardait.

-Tu crois que c'est la boisson ?

Les voilà tous deux affublés de magnifiques chapeaux qui rendraient bien jaloux certains capitaines du coin. Alors que dire de la nouvelle anatomie du noble, il pourrait fort bien réussir à ramener quelques conquêtes ce soir grâce à ses deux beaux nouveaux arguments ornant son torse. Il en était lui-même stupéfait mais pouvait-il vraiment se permettre le temps d’être étonné ou de se laisser déconcentré par les rires à la voix masculine de Kissa, devenue toute rouillée et grisonnante ? Ah certes, il valait mieux rire de la situation mais il n’était pas dit que celle qui possédait maintenant la canne apprécie la suite, avec ses articulations endolories. La demoiselle qui était donc actuellement un homme se laissa tomber à terre, une des dalles s’enfonçant sous-elle, provoquant un « clac » sonore et retentissant, il vaut mieux quand des idiots ont l’idée de s’aventurer ici après plusieurs verres des cocktails alcoolisés du coin. Et si cela semblait être une spécialité de la maison, ces dalles incapables de rester à leur hauteur sous le poids des visiteurs, cette fois-ci le sol ne disparut pas, non, non, il s’affaissa légèrement en une pente, modérée, pas de quoi faire glisser et tomber le duo, juste un équilibre un tout petit peu difficile. Mais alors, pourquoi cette pente s’ils pouvaient tenir ?

Et bien, ce lieu pyramidal, ne l’oublions pas, avait un but de divertissement, aussi, juste tomber comme cela, ce n’était absolument pas drôle ! Il fallait une petite aide pour cela et cette dernier put s’entendre avec le bruit de quelque chose de lourd et rond qui roulait un peu au-dessus d’eux. Et une nouvelle trappe à un petit mètre au-dessus de leur tête mais pas de chapeaux, et ni de grosse pierre prenant toute la largeur de la pièce. Deux morts seraient fort regrettables et une bien mauvaise image pour le commerce. Il s’agissait en fait d’un gros baril, tombant d’un angle de façon à rouler vers la droite et se briser contre le mur juste au niveau du vieux et de la belle. La carcasse en bois répandit alors son contenu, à savoir un gros glot d’huile qui vint certes tâcher les vêtements des deux compères, certes, mais surtout rendre le sol extrêmement glissant et ainsi les faire tomber pour un tour de toboggan sur plusieurs mètres, s’engouffrant dans une pénombre totale.

Soudain, au bout d’une longue minute de glissade, deux autres tonneaux étant venus mourir contre les murs au-dessus pour ravitailler en huile, de petites lueurs apparurent, des torches entourant ce qui attendait Sinan et Kissa à la fin du « toboggan », un petit bassin à la surface placide et rouge sang. Non, ce n’était pas du sang, mais du vin ! Oui, du vin, certes, pas d’une grande qualité mais hé, quand on est bourré, on ne fait pas de différence ! Qu’allaient donc faire nos deux amis dans ce bassin ? Avaient-ils toujours chacun leur chapeau sur la tête ? Remarqueraient-ils que devant eux, juste de l’autre côté du bassin, se trouvait une porte qui n’attendait qu’une chose, être ouverte ?