Terra Mystica

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 [Terminé]Affaires au milieu de la tourmente

 
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[Terminé]Affaires au milieu de la tourmente Sand-g10Jeu 5 Déc - 17:15
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De l'avis de Leuffa, il n'y avait que deux façons de voyager : confortablement ou utilement. Par exemple, le trajet qu'elle effectuait depuis maintenant trois jours, cloîtrée dans les entrailles d'un navire glacial, se situait plutôt dans la première catégorie... quoique ledit confort soit des plus relatifs : un hamac, un crochet pour arrimer son bagage au sol et deux repas par jour permettant de découvrir les joies des variations culinaires autour du poisson séché et du biscuit, voilà tout ce à quoi elle avait droit.
Si encore elle avait eu l'opportunité de jouer aux dés pour soulager ses compagnons de cale de quelques piécettes (activité où elle était cependant peu douée) ou que l'un d'eux eut été suffisamment avenant pour constituer un bon partenaire de débauche, nul doute que le temps lui aurait parut moins long. Hélas, les robustes marins Glaciaux paraissaient ignorer obstinément ses clins d'oeil interessés et elle avait le malheur d'avoir pour voisinage des familles de paysans Terrestres aussi pieuses que refermées sur leur malheur d'avoir été chassées de leurs terres par les derniers soubresauts de la Resistance. Compatir aux états d'âme d'animaux d'abattoir n'avait jamais été son fort, aussi s'était-elle contentée de dormir et de réfléchir à ce qui l'attendait une fois débarquée.

Si elle se trouvait actuellement coincée entre quatre murs de bois, cernée par des flaques de vomi, ce n'était certes pas pour le plaisir de se faire tremper le poil par les vagues et visiter une ville-forteresse.
Sa présence était tout bonnement une nécessité. A Sen'tsura, les affaires avaient commencé à stagner il y a environs deux semaines, et les nouvelles têtes avaient commencé à se raréfier au fur et à mesure que dans les quartiers attenants à celui de la Perle s'étaient implantés des établissements servant les différentes facettes du stupre. Sa propre maison de plaisir n'était pas à proprement parler en danger, car elle était parvenue à se constituer un réseau de clients assez riche et diversifié pour ne pas craindre la faillite... mais elle se doutait bien que pour faire plus que survivre dans ce milieu, il fallait en permanence avoir une longueur d'avance sur ses concurrents. La solution qu'un patron lambda aurait choisi en de telles circonstances aurait été de faire passer le goût du pain à tous les petits malins qui chercheraient à marcher sur ses plate-bandes, mais Leuffa avait suffisamment de bon sens pour ne pas se lancer dans une guerre de territoire ridicule à laquelle aurait fini par se mêler la pègre qui se serait taillée une part des bénéfices sous prétexte de pacifier les belligérants.
Non, elle trouvait à la fois plus sain et plus motivant de chercher à découvrir de nouveaux services qui rendraient son établissement unique et incontournable, y compris pour la noblesse.
N'ayant rien trouvé à se mettre sous la dent en Montagne (où elle avait d'ailleurs tutoyé la Camarde), elle avait décidé de mettre les voiles vers Saline sur la foi de plusieurs rumeurs faisant mention du fait que le roi Harald cherchait un moyen de désengorger ses geôles. Entre les habituelles histoires de merrows et de kraken surnageait également la rumeur de l'apparition d'un nouvel aphrodisiaque propre à réveiller l'ardeur de son homme même si celui-ci était plongé dans un lac glacé.
Elle était suffisamment pragmatique pour se rendre compte qu'il n'y avait que peu de chances pour qu'elle puisse tirer quoi que ce soit de son escapade, mais se disait que se rendre sur place éviterait de gâcher inutilement la manne en péril de son coffre tout en lui changeant les idées.

N'ayant de mémoire aucun contact ou ennemi dans cette partie du monde, elle s'était équipée légèrement : délaissant son armure de cuir qui la faisait ordinairement passer pour une mercenaire, elle avait plutôt enfilé un surcot de laine noire bien chaude, des braies de la même matière retenues par une ceinture de cuir brun à boucle de cuivre, des guêtres taillées dans le même cuir que la ceinture et un chaperon de laine grise dont la cape lui tombait jusqu'à mi-cuisse, ne laissant visible de son visage que l’extrémité de son museau. Un fourreau retenant une épée courte battait son flanc droit, et elle portait dissimulé dans un pli de sa cape et dans son dos. Par mesure de précaution autant que par confort, elle avait coupé sa crête à mi-hauteur et comptait bien se fondre dans le décor malgré sa corpulence très particulière.
Pour tout bagage, elle portait sur le dos un sac en toile huilée fermé par un solide cordon et ne contenant que de la nourriture de voyage, de quoi ravauder ses vêtements et bander ses plaies. La gnolle était bien placée pour savoir que la vie citadine pouvait être mouvementée.

Dès que la passerelle de débarquement fut déployée, Leuffa ne s'attarda pas. Après un signe de tête au capitaine, elle se retrouva à fouler le pavé du port en s'esquivant pour laisser passer l'équipe des douanes chargée de retourner le navire de fond en comble.
Martelée par une fine pluie glaciale qui lui faisait cracher des panaches de fumée comme la dernière des fumeuses de pipe, ce qu'elle put apercevoir de la cité ne lui fit pas grande impression : des rues grises, des bâtisses de bois rongées par l'humidité et aux toit d'ardoise moussus, ainsi que des gueules de passants aussi granitiques que le château surplombant la ville.
Vu par un œil étranger, Saline toute entière paraissait être faite pour qu'on s'y batte et qu'on y survive, mais non qu'on y vive.
Après avoir pesté contre le climat exécrable et s'être retenu de cracher par terre en égard aux miliciens qui inspectaient tous les nouveaux venus avec un œil torve dans le fol espoir d'attraper au collet un espion impérial, la femme-bête se demanda par où elle pouvait débuter ses investigations.

Elle débuta donc par le plus évident, à savoir se rendre dans le cœur de ville nommé Cardrak et se dégoter une auberge qui ne soit pas infestée de puces, un des rares sujet sur lesquels les gnolls sont infiniment plus pointilleux que les humains. C'est ainsi qu'après une bonne heure à circuler sous des arcades d'une sobriété à pleurer et des herses géantes ne tenant qu'à refermer leurs crocs, elle parvint à dénicher à l'angle d'une rue un établissement répondant au nom de L'écaille du chevalier, qui en fait de cuirasse n'avait jamais vu défiler que celle des poissons trônant aussi bien dans les assiettes que sur les murs. Mais après tout, qui savait si l'omble n'était pas un preux parmi la gent aquatique ?
Toujours est-il que l'aubergiste, devenu soudainement plus patelin après que Leuffa lui ait glissé quelques pièces de la main à la main, lui réserva une chambre particulière avec un lit dur dont le mur du fond était déformé par le conduit de cheminée de la taverne, laquelle réchauffait agréablement l'endroit au point de presque faire oublier la froideur des dalles du plancher.

N'ayant aucun objet de valeur dans son sac, elle le laissa dans le coffre de bois qui constituait l'unique autre pièce de mobilier de son logement et après un moment de réflexion, décida de ne pas perdre son temps à arpenter les rues pluvieuses et d'aller chercher les informations qu'elle désirait directement au sommet de la chaîne alimentaire. Elle se dirigea donc droit vers le château et demanda à rencontrer l'intendant, soit l'individu le plus apte à le renseigner sur qui vend quoi en ville et peut-être comment caresser le roi dans le sens du poil pour qu'il la laisse accéder aux geôles.
Elle n'avait pas de lettres de recommandation, pas de personne pouvant répondre d'elle... juste sa réputation qui avec un peu de chance avait pu traverser la mer. Autant dire que tout se jouerait au charme.
Heureusement elle en avait à revendre, et elle savait faire le gros dos lorsque cela s'imposait. Pour peu que le destin lui donne un petit coups de pouce, il n'y aurait aucune raison pour que quelque chose se passe mal.

Leuffa Shteinguell

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[Terminé]Affaires au milieu de la tourmente Sand-g10Dim 8 Déc - 14:23
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Harald avait ouvert les yeux avant que l'épais brouillard, qu'on pouvait qualifier d'aube, ne se lève. L'obscurité envahissait la chambre, c'était son rêve qui l'avait poussé à sortir de son léger repos plus tôt qu'à l'accoutumée. Le bercement des vagues lointaines lui rappelèrent alors qu'il était au bon endroit, ainsi que la respiration régulière et quasi silencieuse d'Agnès, toujours endormie de côté. Il n'avait pas besoin de voir pour décrire ce qui l'entourait, il était de retour dans son monde, cette routine qu'il appréciait, mais que les évènements récents s'évertuaient à mettre en péril. Le roi resta quelques minutes sur le lit et sous les couvertures, plantant ses yeux dans le noir abyssal, ces fonds obscurs qui ne manquèrent pas de ramener à la surface de ses pensées les souvenirs brumeux de son passé de guerrier, marin, et prince. Plus l'obscurité disparaissait au profit des souvenirs, et plus il avait peur ; tout ce qu'il aimait était menacé, et la simple hypothèse de ne plus avoir ce souffle régulier à ses côtés chaque matin le plongeait dans une crainte infinie. Il était terrorisé, et quel fils de Cardrak pouvait se targuer de n'avoir jamais ressenti ce poids dans son cœur ? Quel roi ne s'était pas posé les questions qui taraudaient en permanence le Fort ? Dans ce mélange confus de lumière et de ténèbres, d'innombrables récits vinrent nourrir les réflexions d'Harald. Les écrits de Sven, qui aimait autant Cardrak qu'il la haïssait, lui rappelèrent à quel point la cité mère pouvait être jalouse de celles qui s'attiraient les faveurs de ses rois. Harald se redressa, posant ses pieds sur le tapis de fourrure qui recouvrait le sol de roc, puis quitta la couche, se vêtant de ses atours habituels. Dans un silence que sa stature impressionnante ne laissait jamais supposer, il quitta la chambre, sa cape s'engouffrant à sa suite dans les longs couloirs du château.

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Alrik Wallah
Son père vint trouver Alrik dans la matinée, dans l'une des cours du château, alors que ce dernier pratiquait son entrainement matinal. Le prince Wallah était au moins deux têtes plus petit que son père, et bien moins large, une différence désavantageuse en combat qu'il comblait par une habileté à l'épée qu'il héritait d'un des meilleurs épéistes des Glaces, Albar Tlassin. Tête brûlée, Alrik redoublait d'efforts comme chaque matin, et ce fut haut nu et fumant qu'il salua son père et saisit les ordres. Aujourd'hui, il répondrait des devoirs du roi et en prendrait l'autorité ; Harald devait s'absenter, l'affaire de quelques jours tout au plus. A la fois ravi de répondre à ses devoirs, mais également frustré d'être tenu dans ce secret que son père savait si bien conserver, le prince quitta la cour pour accomplir ses nouvelles tâches.

Recevoir les demandes du peuple était l'une des tâches les plus communes de tous les rois de Terra, en général, et ceux de Saline ne faisaient pas exception à cette règle. Néanmoins, les demandes ne parvenaient au trône que lorsqu'elles ne pouvaient être résolues par des autorités moindres, ainsi il était plus coutume d'accueillir dans la salle où siégeait le roi des dignitaires étrangers, des militaires ou encore des artistes de passage. Si son père lui avait déjà fait le récit d'anecdotes sur des demandes plus originales les unes que les autres, celles de la matinée ne surprirent néanmoins pas l'initié aux devoirs royaux. Ainsi, il accueillit des réfugiés de Terre aux capitaines de la flotte, des bardes du continent aux entrepreneurs de Selian. Puis, alors qu'aucune demande particulière ne lui avait été faite depuis une heure environ, l'arrivée de la gnolle, dont la race seule suffit à attiser sa curiosité, le tira de la monotonie qui s'installait.

A de nombreuses reprises, Alrik s'était interrogé sur l'intérêt qu'avait trouvé son père à lui enseigner, ou faire enseigner, toutes ces notions qu'il possédait alors. Dépassé la vingtaine, le prince salinéen possédait un corps qui avait connu les morsures de l'acier et les bienfaits de l'effort, complété d'un esprit aux connaissances étendues sur des sujets divers et variés. Si certains des vétérans présents avaient jeté sur la femme animale un œil connaisseur qui trahissait leur mauvaise expérience de son espèce, Alrik, lui, tirait son savoir des croquis et récits de ses précepteurs. Ses yeux bruns plissés derrière les quelques mèches barrant son regard, il détailla cette silhouette exotique à la démarche particulière. Partagé entre sa nature curieuse et fougueuse et son éducation stricte le poussant à garder ses distances, il conserva une neutralité telle qu'on aurait juré voir son père assis à sa place, mais il ne fallait pas tromper les habitués qui surent déceler dans ses pupilles une excitation bien propre au garçon. Par contre, et c'était là une particularité que seul possédait le prince Wallah, si cette fougue était trahie par son manque de contenance, c'était une terrible erreur de prendre ses aises ou de sous-estimer Alrik, qui montrait bien plus d'entrain à l'action que son père, et par action, la violence était sous-entendue. Nul doute qu'Alrik Wallah serait un roi plus porté sur le châtiment que son géniteur. C'était bien incroyable d'entendre pareille chose pour un étranger compte tenu des derniers évènements survenus à Cardrak, mais la mémoire salinéenne reconnaissait à Harald un calme pas égalé depuis des siècles.

Quand cette femme arriva enfin à la hauteur d'un dialogue, Alrik l'invita à parler d'un léger geste du bras, ses pupilles brunes plongeant dans celles de la gnolle. Bien entendu, on lui annonça sa personne, un nom qui ne lui dit rien, mais la raison de sa venue resta inconnue.

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[Terminé]Affaires au milieu de la tourmente Sand-g10Ven 13 Déc - 9:37
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On ne sait jamais de quoi demain sera fait.
C'est après avoir entendu cette maxime recensée cent fois par sa défunte mère que Leuffa avait décidé de vivre sa vie d'une façon qui, le croyait-elle, ne lui apporterait qu'un minimum de désappointement : faire de sa vie une continuelle adaptation. Après tout, bien malin celui qui parvenait à tirer des plans à long terme dans un monde qui avait plus que son compte de manigances et de guerres secrètes. Elle avait alors décidé d'en prendre son parti et de ne planifier que les grandes lignes de ses projets lorsqu'elle était amenée à en faire, comme cela avait été le cas avec son idée de maison close pouvant servir sa vengeance.
Si cette conception de la vie pouvait au premier abord paraître sinistre et fataliste, elle lui avait permis de développer une inventivité qu'elle jugeait d'elle-même remarquable ainsi qu'un goût prononcé pour les surprises.
Ce jour d'hui, alors qu'elle se trouvait face au prince de Salines dans la salle du trône au cœur de la forteresse de Cardrak, elle se demandait si il s'agissait là d'une bonne surprise ou d'un coups du sort.

Alors qu'elle avait simplement demandé à voir l'intendant du château pour régler son affaire qui n'était après tout que purement commerciale, elle avait subit le zèle d'un clerc qui l'avait sans doute confondu avec une dignitaire ou une représentante de guilde marchande et qui l'avait redirigée vers la séance de doléance que tenait le prince Alrik.
Autant dire que pour la discrétion, la gnolle pouvait repasser.
Oh, elle aurait très bien pu faire demi-tour et s'en tenir là... mais cela aurait pu d'autant plus attirer l'attention sur elle, sans compter que cela ne lui déplaisait pas plus que cela d'être la chienne dans le jeu de quilles du dicton.

Elle avait donc carré les épaules, s'était laissée désarmer et avait pénétré dans une salle de doléances noire de mondes où elle avait eu le temps de poser quelques questions sur son hôte dont le visage ressemblait relativement peu à celui qu'elle avait eu l'occasion de voir sur les pièces de monnaie locales. En tant qu'étrangère, le fait qu'elle pose quelques questions innocentes (surtout qu'elle prenait soin de brosser ses interlocuteurs dans le sens du poil) apparaissait comme on ne peut plus normal, si bien que lorsque vint son tour de paraître devant le rejeton royal, elle avait en tête une esquisse grossière du type d'homme qu'il était : jeune, volontaire et marchant dans les traces de son paternel malgré un petit côté "tête brûlée" propre aux jeunes désirant prouver qu'ils ne peuvent être que supérieurs à leurs parents.
Ayant une carrure suffisamment imposante pour pouvoir le fixer sans problème dans les yeux, Leuffa soutint le regard du jeune homme sans broncher pendant un instant avant de s'incliner respectueusement et de faire basculer sa capuche en arrière pour prouver qu'elle n'avait rien à cacher.

- Prince Wallah, dit-elle de sa voix rauque. Je vous prie de m'excuser par avance si je commet un quelconque impair dans la façon de m'adresser à vous : je ne suis après tout qu'une franche-tenancière de Sen'tsura n'ayant pas de manières de cour, et c'est bien la première fois que mes pas me conduisent à Salines.

J'ai d'ailleurs la nette impression que l'inverse est réciproque, à voir la façon dont me fixent les personnes présentes ici. Vous pouvez néanmoins les rassurer, je ne mord que rarement.


Concluant ces paroles par un petit sourire ironique qui retroussa le coin d'une de ses babines, la mère maquerelle poursuivit sa propre introduction.

- Comme votre greffier a dû vous le dire, mon nom est Leuffa Shteinguell. Je suis la propriétaire de ce je me flatte d'appeler l'un des établissements de plaisir les plus raffinés et réputés de Sen'tsura, la Perle de Draavas, et ma présence ici tient du fait que j'ai entendu dire que je pourrais trouver à Salines de quoi contenter les exigences sans cesse grandissantes de ma clientèle.
Pensez-vous que les rumeurs soient fondées, messire ?

Leuffa Shteinguell

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[Terminé]Affaires au milieu de la tourmente Sand-g10Sam 14 Déc - 6:18
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La gnolle brisa le mystère qui accompagnait sa silhouette encapuchonnée aussitôt qu'on l'amena devant Alrik. S'il la jaugeait des quelques marches qui le surélevait, il pouvait néanmoins noter qu'elle était de bonne taille, aussi grande que lui-même. Bonne carrure propre à son espèce, ses vêtements épais de laine laissaient, malgré tout le soin pour les cacher, ses formes transparaître. C'était donc la simplicité qui la vêtait, si on faisait abstraction des bijoux qui cliquetaient à ses oreilles. Alrik portait pour sa part une tunique sombre dont les armoiries ornaient le devant ; un dragon noir sur fond blanc. Une ceinture de cuir foncé resserrait un pantalon épais terminant sa course sur des bottes souples. Avant d'être prince, le jeune Wallah était capitaine, et sa tenue était en toute circonstance plus proche de celles que portaient ses hommes que celle d'un monarque. Les monarques salinéens étaient de toute manière bien plus prompt à porter cottes de maille et armures que vestes élégantes et chemises de soie. Si certains souverains de la nation s'étaient distingués pour leur goût de la richesse, ils étaient une minorité ; la violence des devoirs cardrakiens avait amené les fils de la capitale à favoriser l'utile au distingué.

Ce n'était pas la peur que la gnolle morde qui attirait sur elle des regard attentifs, mais l'expérience d'hommes qui avaient déjà combattu les siens. Sa race était réputée pour ses mercenaires, mais il fallait être naïf ou ignorant pour penser que des salinéens puissent craindre un gnoll, les crânes de dragons ornant les murs de la salle parlaient d'eux-mêmes. Alrik, derrière cette façade imperméable propre à son père, dévorait la nouveauté que représentait Leuffa Shteinguell. Plus elle parlait, et plus il percevait la différence culturelle qui les séparait, différence qui avait attiré bien des problèmes à ceux l'ayant précédée.

« Je ne sais pas quelles rumeurs vous ont menée ici, mais je peux vous assurer qu'on s'est moqué de vous si vous pensiez pouvoir trouver de quoi satisfaire votre clientèle. Nous ne marchandons pas la chair, en Glaces, pas en Saline en tout cas, nous laissons cette perversion aux lâches et dépravés qui gouvernent actuellement vos terres. »

Alrik était de toute évidence remonté contre l'empire. A chaque évocation de la moindre chose le concernant, il revoyait cet œil s'étendre dans le ciel, et ses poings se serraient, impatients de battre la vermine qui proliférait des frontières de Sahari jusqu'à l'Océan Noir.

« Vous avez dû avoir bien des soucis à passer le blocus, et malgré la naïveté de vos projets en Glaces, je vais continuer à vous prêter l'oreille. Nous sommes à peu près tous certains que si vous désiriez de pauvres filles en guise de bétail, il vous suffisait de piocher dans les cales des mêmes navires qui vous ont menée ici. Quelles rumeurs se racontent en Terre pour que vous ayez pris le risque de traverser nos mers ? »

Le prince abritait en lui bien plus de colère qu'il ne pouvait en contenir. La noirceur de la rage qui animait ses combats était celle qui faisait ses mots. Même s'il gardait de cette prestance propre aux monarques et qu'on lui avait enseignée, il transpirait de dégoût pour les démons et ceux qu'ils avaient asservis. Il ignorait tout de cette gnolle, et tout ce qu'elle représentait était pour l'instant contraire aux valeurs pour lesquelles il œuvrait. Si sa curiosité ne l'emportait pas à cet instant, il aurait sûrement déjà renvoyé la tenancière, mais de la même manière que ses paroles l'avaient interpellé, la sauvage succession de ses mimiques bestiales avait été une invitation à continuer l'échange. Les yeux sournois de la créature humanoïde cachaient des desseins dont sa langue espiègle s'amusait à tourner les mensonges en vérités. Partagé entre tous les sentiments qui faisaient sa jeunesse, Alrik n'en oubliait pas moins d'être roi et digne des enseignements de son père ; à chaque situation il tirait de ses mémoires et de son savoir les justes réponses. Face à Leuffa Shteinguell, il se rappela des tromperies des sirènes et autres succubes ; la gnolle n'était certes pas du même acabit, mais elle jouait de ces atouts que lui avait donné la nature, et ses projets étaient au moins aussi noirs. Tout ce qu'elle laissait paraître était un leurre, comme chaque parole un mensonge. Quand elle pointait une direction, mieux valait regarder dans l'autre. Autant de conseils qu'on ne cessait de lui répéter depuis son enfance et qu'il appliquait à présent dans le but de découvrir ce qu'une maquerelle pouvait bien chercher sur ses terres. Et comme la méfiance allait aussi loin dans un climat de guerre, il ne croyait pas un mot de ses paroles ; elle prétendait détenir une maison de plaisir, et tant que personne ne lui aurait apporté la preuve de ce qu'elle avançait, il douterait d'elle comme de la pire des crapules, ce qu'elle pouvait se révéler être à tout moment.

Les yeux des gardes se posèrent sur Alrik, puis Leuffa, successivement, alternant entre les deux. Dans la salle, on sentait qu'il s'agissait d'un de ces moments où la plus banale des entrevues pouvait se transformer en procès. Les quelques réfugiés de Terre présents pouvaient alors assister pour la première fois à l'expression de la radicale pensée des monarques de Cardrak. Trente ans du règne de Harald avait fait oublier à certains comme parfois les questions pouvaient être traitées sans ménagements ; le Fort était un partisan de la paix, un roi qui avait contraint les plus expansionnistes de ses chefs de guerre à conserver leurs territoires plutôt qu'à les agrandir, qui avait toujours cherché à offrir sa chance à chacun et participé à l'élévation culturelle de la cité, tout cela en conservant la culture salinéenne intacte. Il était inutile de préciser que beaucoup voyaient en son fils un retour à la suprême Cardrak, une idéologie qu'avait nourri le père de Harald et beaucoup d'autres monarques de l'histoire. Alrik, s'il avait hérité de l'esprit affuté de son père et d'un esprit patriote exacerbé, trouvait également beaucoup de satisfaction dans l'anéantissement de ses ennemis, point qui l'éloignait grandement de Harald, qui regrettait la violence pourtant inévitable. Alors, il ne faisait aucun doute que Leuffa Shteinguell, toute innocente qu'elle pouvait être du moindre crime, avait le potentiel pour satisfaire le zèle du jeune Wallah. Qu'elle ne s'y trompe pas, les airs de prince inexpérimenté d'Alrik étaient un piège. Au même titre qu'elle jouait de ses courbes pour réveiller chez les hommes leurs instincts, Alrik cachait ces mêmes instincts derrière une feinte simplicité. Alors que Harald était un esprit calme et alerte dans un corps puissant, son fils était un mélange tonitruant de désirs et devoirs contenus dans un corps agile et vibrant. La patiente était inné chez l'un, imité chez l'autre.

Alrik encadra sa mâchoire de sa main, se grattant la barbe, tandis que l'autre tapotait de ses  longs doigts l'accoudoir massif. Le petit son emplissait la salle, nervosité ? Plutôt de l'impatience. Le capitaine et prince jetait toute son attention sur les babines de la gnolle avec l'espoir d'entendre quelques paroles qui pourraient réveiller les soupçons qu'il nourrissait. Elle lui cachait quelques chose, et sa curiosité ne pouvait laisser passer cette question qui planait désormais dans la salle. Que voulait-elle réellement ?

Harald Wallah

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[Terminé]Affaires au milieu de la tourmente Sand-g10Sam 14 Déc - 16:10
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Malgré le brouhaha de volaille outrée que faisait l'assistance derrière elle, il aurait fallu que Leuffa soit aveugle pour ne pas avoir remarqué les cliquetis nés du tressaillements des gardes royaux qui ne la lâchaient pas du regard. Avaient-ils interprété les paroles d'humeur de leur prince comme un signe que la curée était proche, en bon mâtins qu'ils étaient ? Probable, surtout si ils étaient aussi fiers que celui qui les tenaient en laisse.
Le sire Alrik avait beau jeu de donner des leçons de morale, les fesses confortablement calées sur le trône de son père, mais de quels comptes se berçait-il quant à la vie des rues ? Pensait-il réellement que la servitude et la prostitution n'étaient que l'apanage de l'empire ? Cela lui donnait-il le droit de la juger sans même la connaître ?
La réponse à cette dernière question était évidente : il suffisait de voir à quel point il se gargarisait de sa dignité royale, et le fait qu'il ait été visiblement endurci au feu du combat ne faisait que renforcer son point de vue.

Quoiqu'on puisse dire des gnolls, on ne pouvait les taxer de manquer de parole ou d'être hypocrites : chez eux, les faibles étaient les esclaves des forts, et les vaincus étaient les esclaves de tous. C'était autrement plus simple que les principes de servilité héréditaire ou de domination pécuniaire que prisaient tellement les peuples dit civilisés pour éviter d'appeler un chien un chien.

Loin de se laisser impressionner (de toute façon, si elle ne s'était pas encore fait jeter dehors, c'est bien que le prince désirait réellement entendre ce qu'elle avait à dire), Leuffa croisa ses bras sur sa poitrine et continua à ferrailler du regard avec aplomb. Pour un observateur un tant soit peu attentif, il était néanmoins clair que son sourire en coin ironique tenait à présent davantage de la grimace d'amertume.

- Sauf votre respect, prince Alrik, la politique n'est en aucun cas mon domaine. Je ne suis qu'une femme proposant des services pour lesquels il y a toujours une demande, et qui permet aux trente employés qui dépendent d'elle d'avoir un toit au-dessus de leur tête, de la viande dans leur assiette et suffisamment d'or pour subvenir aux besoins de leur famille. Que la tête qui porte la couronne soit affublée de cornes m'importe moins que sa propension à lever de nouveaux impôts, et je suis loin d'être la seule à penser cela.

Baissant légèrement le museau, la mère maquerelle haussa les épaules et marqua une pause. Devait-elle clouer le museau à ce blanc-bec en lui répétant ce que pensaient les familles de fermiers de Terre qui avaient fait le voyage avec elles, rançonnées par un passeur de Glace ? Devait-elle lui parler des parents qui détournaient leur regard quand les enfants posaient des questions, eux les adultes ne sachant pas où ils passeraient la nuit à peine débarqués ? Devait-elle lui rappeler le bois tenait incomparablement plus chaud que la fierté la nuit, et que pour en avoir, nombre de ces familles se doutaient qu'elles allaient devoir vendre leurs enfants comme serviteur, putain ou soldat ?
Non, bien sûr que non. Il y avait de meilleurs moyens pour mettre fin à ses jours que de mettre un rejeton royal face à ses propres contradictions.

- Bref, dit-elle en secouant la tête. Comme vous l'avez fait remarquer, prince, si c'était la recherche de "bétail" comme vous dîtes qui me motivait, je n'aurai certainement pas eu besoin de faire un aussi long voyage.
Non, comme je vous l'ai dit, je tiens un établissement de qualité qui ne propose pas pour tout divertissement que ceux de la chair. Je suis à la recherche de tout ce qui pourrait renouveler l’intérêt de mes clients : baladins, illusionnistes, cuisiniers réputés, poissons exotiques ou épices propres à enflammer les sens... peu importe du moment que cela m'intrigue. Telle est la raison de ma venue.

Leuffa Shteinguell

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[Terminé]Affaires au milieu de la tourmente Sand-g10Mar 17 Déc - 3:12
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Agnès Wallah

Agnès avait assisté à l'ensemble de la scène avec autant d'inquiétude que de fierté, debout parmi les hommes qui entouraient son fils. Elle n'avait pas reconnu la gnolle au premier coup d'œil, mais son nom n'était cependant pas tombé dans l'oreille d'un sourd. Les deux s'étaient déjà croisées par le passé, et si les raisons de sa présence avaient semblé étranges, elle devait admettre que la gnolle ne devait trouver aucun intérêt à être en Saline autre que celui de son commerce. Immuable silhouette, gracieuse et vêtue de la plus belle des manières qui soit, Agnès se détacha du rang de ceux qui entouraient le prince pour venir souffler à son oreille les conseils d'une mère, plus que d'une reine. Elle n'était pas petite pour une humaine, mais pas trop grande non plus, d'une belle taille selon toutes les considérations, sa robe à tons gris savait serrer sa fine silhouette sans qu'elle y paraisse confinée. C'était son propre de porter aussi bien la soie, entre autres choses.

Les prunelles embrasées d'Alrik s'éteignirent pour laisser de nouveau place à ce regard distant et froid qu'on reconnaissait aux Cardrakiens. Il hésitait. Finalement, il hocha de la tête, laissant la reine descendre à la rencontre de la gnolle, escortée par deux gardes, bien entendu. Les deux femmes mesuraient à peu près la même taille, mais il en était tout autre chose de leur carrure. Enfant élevée dans le luxe d'un père des plus attentionnés, Agnès n'avait jamais eu à souffrir d'un quelconque manque, son corps était avait toujours été entretenu par les meilleurs soins, des bains de Luütra aux huiles et parfums exotiques de tout le continent. Elle n'avait presque aucun point en commun avec Leuffa, dont elle connaissait le principal, c'est-à-dire qu'elle était une gnolle qui qui survivait de son propre chef, une entrepreneuse dont la silhouette épaisse, malgré sa féminité incontestable, témoignait d'une vie d'aventures aussi louches qu'intrigantes. Dans les yeux de la femme animale, elle lisait l'agacement ; Alrik s'était montré hautain et ignorant à ses yeux, mais c'était parce qu'elle ignorait beaucoup de la logique salinéenne. Agnès elle-même, pourtant issue des Glaces, avait eu du mal à se faire aux jugements et idées du peuple dont elle aimait le roi et avait enfanté le prince, c'était surement pour cette raison qu'elle était intervenue. Après trente années passées aux côtés de Harald, elle ne pouvait toujours pas cesser de compatir pour les victimes de leurs différences.

« Suivez-moi, Leuffa. »

Ce n'était ni un ordre, ni une invitation. Dans le ton de sa voix douce, on pouvait sentir la gentillesse d'un conseil, mais également la poigne d'une reine, certes, mais également d'une femme qui avait, sa vie durant, mené des affaires. Suivies par deux cardrakiens, elles quittèrent la salle pour des espaces plus calmes et propices à une discussion fertile. Pendant quelques minutes, elles longèrent les couloirs du château, tunnels magnifiquement sculptés dans une roche noire et millénaire, attirant sur elles des regards curieux mais mêlés de respect. Enfin, Agnès s'arrêta devant une double porte en bois massif, intimant aux gardes de les laisser là.

La porte débouchait sur une large pièce haut de plafond, tenu par quatre piliers de pierre, entourant de loin une table ronde recouverte d'une nappe immaculée. Au fond, l'antre d'une cheminée prodiguait une vague de chaleur constante, ainsi qu'une chaude lumière qui réchauffait jusqu'à l'esprit, bien entamé par la morne pluie qui s'abattait au dehors, derrière les larges fenêtre des deux autres petites pièces annexes à la centrale. Dans chacune de ces pièces tenait un bureau et un lit. L'impression de rangement et de propreté ne pouvait néanmoins pas cacher l'odeur des deux résidents pourtant absents.
Accrochant la fourrure qui entourait ses épaules et son cou à un valet de nuit dans l'une des chambres, Agnès s'installa à la table centrale, son côté droit réchauffé par les vives flammes de l'âtre. Doucement, comme on l'aurait fait avec un invité, elle désigna à la gnolle le siège qui lui faisait face, attendant qu'elle s'y installe, ses prunelles la détaillant. Les sièges provenaient de Luütra ; le bois était remarquablement travaillé et la matière était recouverte d'un tissu finement brodé. Enfin, quand les deux furent face à face, la reine brisa le silence que seuls les crépitement des flammes et le tambourinement de la pluie avaient sus couvrir.

« Tout d'abord, désirez-vous boire ou manger quelque chose ? »

En même temps qu'elle posa cette question, posant une ambiance radicalement différente de celle qui avait régnée quelques instants plus tôt, la porte s'ouvrit doucement pour laisser la silhouette d'une humaine toute fine passer et se refermer. Brune également, la femme avait la peau d'une métisse et des yeux aussi sombres que sa chevelure. Vêtue d'une robe simple mais élégante, elle salua la reine et son invitée d'une légère courbette, prenant les éventuelles demandes de Leuffa avant de disparaître aussi subtilement qu'elle était arrivée. Ysabelle, l'une des aides précieuses de la reine.

« Bien. Maintenant que nous voilà installées. Dites-moi comment vont vos affaires, après quoi nous en viendrons à ces rumeurs que vous avez entendues. »

Si ces paroles auraient pu être accompagnées d'une quelconque malice dans le regard, ou de la moindre tonalité autoritaire, il n'en était rien. Agnès continuait de s'adresser à la gnolle comme elle l'avait toujours fait avec n'importe qui, empreinte d'une beauté qui lui était propre.

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[Terminé]Affaires au milieu de la tourmente Sand-g10Jeu 19 Déc - 11:26
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Selon les croyances gnolles, les dieux n'existent pas. En revanche, vu qu'il faut bien quelque chose sur lequel jurer et maudire ceux qui vous on fait du tort, il est communément admis qu'il existe une sorte d'après-vie d'où l'on peut veiller sur ses descendants pour peu que ceux-ci en soient dignes selon le sens de l'honneur propre à leur race. Si cela était vrai, ceux de Leuffa devaient probablement l'avoir à la bonne; en effet, alors que le prince Alrik paraissait avoir des difficultés à apprécier la finesse de ses dernières remarques et qu'il s'était mis à gonfler d'importance comme un crapaud en colère, une tierce personne était venu sauver le cuir de la mère maquerelle.
Une humaine d'âge mur, de grande taille et à la vêture luxueuse s'était penchée dans le dos du jeune mâle borné et lui avait murmuré quelques mots à l'oreille, ce qui avait eu pour effet de doucher son ardeur à châtier celle qu'il devait considérer comme une provocation pure et simple à ses chers principes.
Bien que le visage de l'inconnue ne lui évoqua rien de prime abord, la femme-bête n'eut pas à se creuser longuement les méninges pour comprendre de qui il devait s'agir : pour faire preuve d'une telle aptitude à imposer le silence alors qu'on est une femelle dans une société patriarcale, c'est soit qu'on occupe une position dominante, soit que l'on sait suffisamment de choses pour tenir tout le monde par les joyeuses. Ajoutez à cela que le lien du parenté du couple sautait aux yeux du fait qu'ils partageaient les mêmes prunelles sombres, la même finesse de traits ainsi qu'une semblable couleur de crin... et vous comprendrez pourquoi Leuffa loua pour la énième fois le pragmatiste inhérent à son sexe dit "faible" (du moins d'après ce qu'en pensaient les humains).

Elle n'hésita donc pas et suivit sa sauveuse vers un endroit plus enclin aux discussion, non sans avoir au préalable été flanquée d'une paire de gardes nerveux et adressé un dernier regard clairement ironique au prince.

Curieuse de savoir à quelle sauce elle allait être mangée, elle ne fut guère impressionnée par l'architecture des couloirs qu'elle traversait avec son escorte. Même si elle se rendait vaguement compte du travail qui avait dû être fourni pour excaver autant de roche, l'épurement de la décoration relevait à ses yeux davantage de la faute de goût hypocrite qu'autre chose. Parmi les marchands, une telle sobriété signifiait que soit le maître se préparait à tenter d'attendrir un agent des impôts impérial, soit qu'il affectait de ne pas être plus riche que ceux qu'il employait pour leur offrir une raison de moins de grogner. Ce genre d'hypocrisie n'avait pas cours chez les gnolls : depuis des temps immémoriaux, ils arboraient et consommaient sans retenue ce qu'ils conquéraient, si bien que la richesse sous toutes ses formes était un autel à leur gloire méritée, qu'elle soit personnelle ou collective.
Pour quelqu'un comme elle, une forteresse était faite pour être fortifiée, pour être un lieu de vie, pour receler des trésors et faire comprendre à ceux qui menaçait d'une façon ou d'une autre la sérénité du clan ce qu'il était advenu de ceux qui avaient auparavant tenté leur chance. Demeurer humble dans un tel morceau de roc, c'était un non-sens qui crachait sur la mémoire de ceux qui avaient mêlé leur sang au mortier.
Non, ce qui irritait Leuffa comme la croûte d'une vieille plaie, c'était de voir sa protectrice de dos : quelque chose dans son port, sa démarche venait toquer à la porte de sa cervelle sans qu'elle puisse mettre le doigt dessus.

Elle réfléchissait encore lorsque le petit groupe parvint à destination, une petite pièce chaleureuse et propre qui devait probablement servir de logis à des domestiques de haut rang, où elle fut laissée en tête à tête avec celle qu'elle avait identifiée comme la reine-mère. La gnolle prit ses aises, s'adjugea une chaise en bois suffisamment ample pour l'accueillir et au dossier de laquelle elle suspendit son chaperon, avant d'installer aussi confortablement que possible ses jambes arquées.
Soudainement, un déclic. Voir l'humaine posée souverainement en face d'elle lui renvoya devant les yeux une scène plus que semblable qui s'était déroulée des années auparavant dans une auberge dévastée. Les yeux de la femme-bête se mirent alors à étinceler tandis que les pièces commençaient à se remboîter dans son esprit.

- Hum... grogna-t-elle d'un air amusée. La même chose que la dernière fois, si possible dans un bock. Je ne suis comme qui dirait pas convenablement équipée pour boire dans un verre.

D'autres images lui revinrent rapidement à l'esprit, datant de l'époque où elle avait fait partie de l'armée d'Aile Ténébreuse. Un jour où, avec une unité d'éclaireurs constituée d'individus de son clan, elle était tombée sur une auberge fortifiée le long de la route menant à Sen'tsura. Prise d'assaut par des déserteurs des armées de Terre, ses occupants paraissaient néanmoins les tenir à distance depuis un moment, si bien qu'aucun des deux camps ne vit arriver une bande de gnolls surexcités par l'odeur du sang. La racaille avait été balayée dans un déferlement de fer, de sang et de ricanements historiques dont aucun n'avait surnagé.
Après cela, Leuffa avait profité du fait qu'elle était à la fois la plus gradée de l'unité et la plus présentable pour discuter avec les ex-assiégés et déterminer ce qu'il convenait de faire d'eux. Elle était donc entrée et s'était posément installée à l'unique table encore non-renversée après s'être tirée une cruche de bière brune, qu'elle avait partagé avec une femme qui avait spontanément pris la tête du groupe de clients lorsque l'assaut avait débuté. Elles avaient parlé, elles s'étaient appréciées et elles s'étaient séparées en ne pensant plus jamais se revoir. Jusqu'à ce jour.

- Je vois que la petite marchande a fait du chemin depuis la dernière fois que nous nous sommes croisés... à moins qu'elle n'ait jamais existé, bien sûr.
J'ignore ce que vous avez appris sur moi, "Agnès", mais je vous prie de croire que j'en ai fini depuis longtemps avec l'armée impériale, et que tout ce que j'ai dit au prince est la plus stricte vérité : aujourd'hui, c'est moi la commerçante établie, et je ne cherche qu'à faire prospérer son bien... sauf qu'en l’occurrence je ne mens pas, comme pourra vous le confirmer n'importe quel individu de goût étant passé par Sen'tsura ces deux dernières années.


Leuffa se fendit d'un petit rire joyeux tandis que ses griffes se mettaient à marteler en rythme le bois de la table sur lesquelles ses mains étaient posées. Elle savait savourer une ironie du destin quand celle-ci venait lui chatouiller le museau.

- Eh. Si on m'avait dit qu'un jour... mais baste, puisqu'il nous faut parler affaire.
Mis à part ce que j'ai déjà évoqué, le fait est que deux rumeurs sont parvenues en particulier m'ont attiré jusqu'ici. D'après la première, le roi Harald aurait dans ses geôles des prisonniers dont il ne saurait que faire et qu'il lui répugnerait de mettre à mort. Je me propose donc d'employer utilement ceux qui conviendraient à ce que j'ai en tête, avec un contrat de travail en règle.
La seconde raison de ma venue est la skooma, une sorte d'aphrodisiaque récemment apparu sur le marché noir, qui serait faite à partir d’œufs séchés d'un poisson local. Quelque chose de suffisamment fort pour tenir un mâle vaillant pendant des heures.


La gnolle plissa légèrement les oreilles tandis que son sourire disparaissait et que son regard se faisait plus perçant.

- Comme vous pouvez le constater, je ne cherche pas à me dérober. Vous pouvez aussi bien me faire arrêter par vos gardes que m'ignorer ou m'aider... mais je préférerais croire que vous allez faire un geste pour quelqu'un qui vous a probablement sauvé la vie.

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[Terminé]Affaires au milieu de la tourmente Sand-g10Ven 20 Déc - 17:51
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Leuffa Shteinguell n'avait pas tellement changée. Peut-être exprimait-elle l'expérience d'une femme plus âgée que celle qu'Agnès avait rencontrée il y avait des années, mais elle parlait toujours avec cette certaine aisance qui l'avait caractérisée aux yeux de l'humaine. Ironiquement, elle demanda de cette même bière brune qu'elles avaient partagées, et qu'Ysabelle lui apporta sans plus tarder, juste après que Leuffa se soit expliquée sur ses récentes activités et les raisons de sa venue. Agnès était certaine qu'il existait bon nombre de rumeurs quant aux Glaces, à l'étranger, mais elle s'autorisa un léger sourire lorsque la gnolle évoqua le skooma, juste après sa proposition de défaire quelques hommes des geôles du château. Encore une fois, les lacunes de la gnolle quant aux mœurs et coutumes de Cardrak lui valaient de proposer une idée qui n'était tout juste pas pensable. Si Harald avait jamais rechigné à tuer un homme... eh bien, pas un des Wallah ne serait encore debout pour assurer qu'aucun esprit de pitié animait les actions du souverain. La reine laissa la gnolle s'expliquer, puis, quand enfin elle la renvoya à cette journée où elles s'étaient rencontrées, Agnès reprit la parole.

« Si vous ne l'avez pas encore compris, Leuffa, je viens de vous éviter le sort que tout cardrakien réserve à une ancienne éclaireuse de l'empire. Considérez que nous sommes quittes. »

Cette fois, il n'y avait pas de sourire mais juste l'expression placide du visage d'Agnès. Elle ne souhaitait pas mettre sous la truffe de son interlocutrice quelques arguments fâcheux ; une discussion raisonnable était de loin préférable. Si la gnolle était vivante, ce n'était surement pas pour lui faire des faveurs. Le bock qu'elle tenait entre ses griffes n'était simplement que le résultat des formes appréciables que prenaient les propositions d'Agnès.

« Je ne doute pas de votre bonne foi, Leuffa. On raconte des histoires, en Glaces aussi, et plusieurs de mes collaborateurs m'ont rapporté la réputation grandissante de La Perle. Je ne fais pas l'apologie de votre marché, mais je le comprend. »

Agnès, en effet, n'avait pas le même œil sur les affaires de la maquerelle que les siens. Parce qu'elle était originaire d'un pays plus pacifiste et moins enclin au jugement, et parce qu'elle avait parcouru Terra dans la plupart de ses recoins les plus douteux, l'humaine n'ignorait pas qu'il s'agissait pour la plupart des désespérées d'une porte de sortie.

« Vous ne pourrez pas faire sortir ces prisonniers que vous désirez engager. Pour cela, il faudrait vous entretenir personnellement avec Harald, et il ne sera de retour que dans trois jours. Mais pour ce qui est du Skooma, nous pouvons nous arranger. »

A peine eut-elle fini ces derniers mots qu'elle tourna son visage vers le fond de la salle, en direction d'une des chambres dans laquelle s'était installée Ysabelle après avoir amené à Leuffa sa bière. Distinctement, elle appela la métisse qui apparut rapidement, légère et silencieuse, aux côtés de la gnolle.

« Fais prévenir Garon que nous lui rendons visite demain matin, et prépare une chambre pour Madame Shteinguell, ordonna Agnès avant de retourner son attention sur Leuffa, enchaînant rapidement avant que celle-ci n'intervienne. Nous ne pourrons pas régler cette question avant demain mais il se pourrait que nous devions partir plus tôt que prévu, donc vous resterez ici. Ysabelle va prendre l'adresse de l'auberge où vous avez laissé vos affaires. »

Agnès prévoyait tout, car il était toujours impératif de minimiser les risques. L'humaine n'oubliait pas que la gnolle pouvait disparaître aussi vite qu'elle était apparue si elle sentait le vent tourner, et même si rien ne lui permettait de se sentir menacée, ou presque, la reine préférait l'avoir sous la main pour les jours à venir. La proposition qu'elle allait lui faire était une chance pour toutes les deux.

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[Terminé]Affaires au milieu de la tourmente Sand-g10Dim 22 Déc - 16:04
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A son tour, Leuffa avait fait silence pour écouter attentivement son interlocutrice, sachant pertinemment que derrière la moindre de ses syllabes pouvait se dissimuler une entourloupe à clauses. C'était d'ailleurs pour cela qu'elle avait apprécié l'humaine, la première fois qu'elles s'étaient rencontrées : ce n'était pas si souvent qu'elle rencontrait quelqu'un taillé dans le même bois tors qu'elle, à savoir celui d'une femme prête à remiser ses idéaux jusqu'à ce qu'elle ait les cartes souhaitées en main.
Aussi la gnolle sentit-elle ses babines se retrousser en un sourire aussi ironique que sincère et leva-t-elle sa choppe en une parodie de toast lorsque Agnès lui fit comprendre qu'elle ne lui devait rien, comme d'autres aurait dit "touché". Elle en profita pour faire couler une petite gorgée de liquide dans sa gueule, s'ingéniant à ne pas en renverser sur la nappe, et en savoura l'amertume rehaussée par le piquant du sel marin.

- Pas mal pour un jus de crevettes, glapit-elle avec un claquement de langue approbateur.

Malgré ce que l'on aurait pu croire, il s'agissait moins d'une provocation gratuite que d'un véritable aveu de satisfaction. Une façon néanmoins coups pour coups au léger haussement de sourcil qui avait échappé à Agnes lorsqu'elle avait évoqué la Perle : il était évident que l'humaine s'était renseignée sur son invitée au point de rendre les promesses et profession d'honnêteté superflues... du moins en apparence. La reine avait également démontré qu'elle était capable de faire preuve de tact, elle tenait également à imposer clairement qui menait la conversation, et donc les futures négociations. Elle renchérit d'ailleurs en imposant à la gnolle de demeurer dans la pièce pour attendre la suite des festivités, ce qui semblait impliquer de devoir rencontrer un certain Garon, nom qui n'évoquait rien à Leuffa. De fait, cet ordre déguisé eut principalement pour effet d'aiguiser la curiosité de l'intruse : quel pouvait bien être l’intérêt de la reine de s'afficher à côté d'une ressortissante de Terre et de l'aider à mettre en place ce qui n'était ni plus ni moins qu'un trafic de drogue ?
Car de quelque façon que l'on tourne la chose, la skooma ne pouvait être considérée comme une simple épice, la puissance de la sensibilisation qu'elle générait faisant que celui qui en tâtait trouvait l'expérience inoubliable pour peu que le masseur connaisse un tant soit peu son affaire. Rien n'était alors plus aisé que de créer une addiction.
La reine de Salines avait-elle pris en compte cet aspect des choses lorsqu'elle avait fait cette proposition ? C'était peu probable, car la mère maquerelle estimait que ce genre de raisonnement requérait une... connaissance particulière de ce que pouvait rechercher un adepte de plaisirs exotiques, ce qu'Agnès ne pouvait clairement pas être. La paranoïa de Leuffa l'incita à penser que l'humaine avait besoin d'un bouc émissaire pour ses propres plans, tandis que sa raison lui murmurait de ne pas paniquer et qu'il aurait été suicidaire de refuser l'offre de quelqu'un ayant des gardes postés à sa porte.

Elle poussa donc un bref soupir et reposa sa choppe sur l'accoudoir de son siège, sans pourtant la lâcher. Elle ferma ensuite à moitié les yeux et se balança légèrement en arrière, comme si elle appréciait tout autant le clapotement qui sourdait de sa pinte après avoir estimé la qualité de son contenu.

- Ma foi, c'est fort aimable à vous de m'éviter de passer une nuit à l'auberge. Eh, cela fera toujours le bonheur du patron de l'Ecaille du Chevalier, vu que je lui ai réglé une nuit d'avance.
Avec une miche de pain, un tonnelet de ceci et quelqu'un pour réchauffer mes draps cette nuit, ce serait parfait
, s'exclama-t-elle tout en décochant un clin d’œil égrillard au tendron prénommé Ysabelle. Quoique non, rajoutez un baquet d'eau chaude et LA, ça serait parfait.
Vous savez, au départ c'est ce petit détail qui a fait toute la différence avec les autres établissements de plaisir de Sen'tsura, lorsque j'ai fais aménager la Perle... je veux parler des bains, bien sûr. Les bains publics sont rares et généralement réservés à la noblesse à la capitale, du coups ironiquement mes premiers clients ont été des employés de la guilde des tanneurs qui cherchaient un endroit où se récurer après leur journée de labeur.
Ils ont ensuite fait passer le mot comme quoi les prix étaient raisonnables, qu'on pouvait bien y manger et que les dames (ou les hommes) étaient propres... puis le reste s'est fait tout seul.
Depuis j'ai retenu la leçon : pour faire tourner la boutique il faut de l'originalité, de la convivialité et le sens du détail. Sinon, autant vendre du bétail comme votre charmant fils me l'a si justement fait remarquer.


Leuffa s’interrompit et se redressa, lapant une nouvelle gorgée avec la même componction que précédemment.

- Hrmph, fit-elle en se léchant les babines. C'est d'ailleurs ce qui me fait tiquer, dans tout cela. Ne vous méprenez pas, je vous remercie de votre hospitalité, "Agnès", mais j'ai dû mal à croire que vous acoquineriez aussi aisément quelqu'un comme moi avec un contrebandier de votre connaissance... car à supposer que nous fassions affaire lui et moi, il ne saurait être question de faire affaire sans s'assurer que des livraisons soient capables de passer le blocus. Qu'est-ce que vous gagneriez donc dans cette affaire, si ce n'est une raison de plus de vous faire des poils blancs ?

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[Terminé]Affaires au milieu de la tourmente Sand-g10Ven 3 Jan - 19:59
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Les bains... Agnès savait bien quelle clientèle pouvait amener l'assurance d'un lieu où le corps était débarrassé de ses impuretés, lavé et réchauffé. Elle-même se laissait souvent aller aux eaux chaudes de Luütra, et un léger regard par la fenêtre lui rappela à quel point sa patrie pouvait parfois lui manquer quand venait l'heure de souffrir du climat du pays le plus froid des Glaces. Elle écouta les explications de Leuffa quant aux raisons qui avaient fait de son établissement un lieu incontournable en Terre. Se rapprochant de plus en plus de la fenêtre, protégée par une vitre qui résistait étrangement aux hurlements du vent, elle tourna légèrement son dos à la gnolle, mais pas d'une manière qui aurait pu lui permettre de penser qu'elle se désintéressait ; les traits de la reine s'étaient mus en une expression presque joviale, plus douce que cette neutralité glaçante qu'elle arborait systématiquement. Debout contre le mur de pierre, son visage et toute la partie haute de son corps auréolés des lumières grisâtres que dégageaient Saline et ses intempéries, elle écoutait sagement, un fin sourire aux lèvres, comme si une vieille amie lui racontait une histoire de jeunesse.

« Il ne faut pas en vouloir à Alrik, Leuffa, il est encore jeune, malgré tout, murmura-t-elle en observant les vagues au loin, les courbes du dos qu'elle présentait mises en évidence par les reflets chaleureux du feu dans l'âtre, consciente du ridicule de ses mots quand on connaissait bien le personnage »

Le prince était sans arrêt à la recherche de la reconnaissance des siens, mais comment rivaliser aux côtés d'un père qui avait tant fait ? Alrik ne serait jamais que le fils du Fort... et peu ignoraient qu'Aile Ténébreuse, s'il représentait l'une des plus grandes menaces qu'aient connu les salinéens, était également l'une des plus belles chances pour le prince de s'émanciper de son père. Leuffa était bien loin de s'imaginer les histoires dont la reine l'avait préservée.

Derrière, Ysabelle s'était assise à la table pour poser quelques notes sur papier. Sa plume légère grattait la surface du billet avec aisance, son regard ténébreux suivant les courbes des lettres. Quinze ans qu'elle servait Agnès Feylina Wallah, et elle en avait vu des choses... et des gens. Cette Leuffa Shteinguell était originale, d'une ruse qui ne trompait pas la reine mais qui était malgré tout remarquable et d'une audace surprenante. Peut-être était-elle réellement inconsciente des circonstances improbables qui l'avaient amenée à pouvoir bénéficier d'un lit dans le château alors que sa place toute désignée aurait été au fond de geôles. Mais Ysabelle avait appris depuis bien longtemps à ne plus poser de questions, la femme qu'elle servait et aimait, pour toutes les raisons valables à ses yeux, en avait toujours eu une bonne d'entreprendre des choses telles que cette promiscuité avec la maquerelle. Cette dernière avait d'ailleurs le bon sens de se questionner sur les motivations de la reine.

« Je comprend que vous vous inquiétiez, Leuffa, des raisons qui pourraient me pousser à collaborer avec vous, ainsi je vais être franche. »

Agnès avait quitté le bord de la fenêtre pour se tourner de nouveau vers la gnolle, la grisaille éclairant alors cette fois sa nuque et ses épaules. Lentement, elle revint s'asseoir à sa place, en face de Leuffa, Ysabelle à sa gauche, les flammes à sa droite, plongeant la moitié de son visage dans l'obscurité.

« Vous êtes une ennemie aux yeux de n'importe quel salinéen à qui vous afficherez votre identité. Vous êtes venue dans une ville dont vous ignorez les lois et avez eu une entrevue avec un prince qui, si je n'étais pas intervenue, vous aurait probablement fait enfermée, ou pire. Ne pensez pas être à l'abri de la haine des miens, vous serez pour eux une collaboratrice, quoi que vous en pensiez. Mais tant que je vous octroierai mon soutien, il ne vous arrivera rien, gardez ceci en tête. »

Agnès savait comment cela tournait dans l'esprit de son interlocutrice, aussi bien qu'elle connaissait la pensée des siens qui consistait à dire que la neutralité était une soumission, et donc une trahison. Leuffa Shteinguell était une ennemie pour un cardrakien autant qu'un démon pouvait l'être, conclusion qui lui échappait certainement mais qu'elle ne pouvait pas ignorer. Quelques instants plus tôt, la femme animale avait avancée la dette de l'humaine, et si cette dernière lui avait bien spécifié qu'elle ne lui devait plus rien, elle comptait bien avancer les nouveaux termes.

« C'est notre rencontre et votre aide d'il y a des années qui vous ont sauvée, il en aurait été différemment d'une autre. Maintenant, je vais vous aider, vous offrir le confort d'une chambre et tout ce que vous désirez, et répondre à votre demande, alors nous pourrons reconsidérer qui doit quelque chose à l'autre. Est-ce bien clair ? »

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[Terminé]Affaires au milieu de la tourmente Sand-g10Sam 4 Jan - 23:41
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De la même façon que la reine de Salines avait respectueusement écouté Leuffa, celle-ci lui rendit la politesse, faisant mine d'étudier alternativement le contenu de sa choppe à présent quasiment vide et la mine pensive de son interlocutrice, sans paraître plus inquiétée par l'un ou par l'autre. Ses oreilles rondes se plissèrent légèrement et sa tête pencha imperceptiblement vers la droite tandis qu'elle faisait pour elle-même le constat que comme toute politicienne qui se respecte, l'humaine maniait l'art de ne rien dire avec brio : malgré sa promesse d'être franche, elle venait tout simplement de lui rappeler sa place en lui rappelant qui était à la merci de qui entre ces murs froids. Une menace joliment troussée que d'aucun auraient pu dire maladroite... mais il fallait croire que ce que la gnolle avait considéré comme une simple boutade (le fait qu'Agnès ne la jette pas au fond d'un donjon au nom du "bon vieux temps") ait été considérée avec le plus grand sérieux. A croire que le mortel sérieux des Glaciaux ait fini par déteindre sur celle qui avait osé s'aventurer sur un territoire en guerre dans un but qu'elle serait jamais la seule à connaître.

Non, en vérité il était plus amusant pour l'instant d'étudier du coin de l’œil la charmante Ysabelle qui prenait consciencieusement des notes à la gauche de sa maîtresse. Si, malgré les nombreuses années où elle avait officié comme "dresseuse" pour son clan et la courte période durant laquelle elle avait démontré son art en tant qu'aide-bourreau de l'armée impériale certaines expressions humaines lui demeuraient difficiles à déchiffrer, il aurait fallu être bien sot pour ne pas s'apercevoir que la respiration de la secrétaire s’accélérait imperceptiblement chaque fois que son regard s'égarait du côté de sa maîtresse et que son regard se détournait trop vite pour que ce ne soit pas suspect pour un observateur attentif. Cela ne paraissait pas être l'expression d'une peur d'être démasqué ou d'un respect trop marqué, mais quelque chose de plus brut, animal... qui sait ? Peut-être que si Leuffa dégrafait le haut de cette trop sordide robe trouverait-elle une paire de mamelons durcis par autre chose que le froid ?
Ce ne serait pas la première fois qu'elle verrait un serviteur éprouver pour son maître un amour aussi total que celui d'un chien, loin de là. Elle avait même contribué à forger nombre de fidélités absolues.
Leuffa joua avec cette idée quelques instants, ce qui lui arracha un sourire amusé jusqu'à ce que l'aiguillon de sa solitude vienne la piquer, la poussant à relever les yeux et à s'apercevoir qu'Agnès attendait une réponse.

- Ce qui est surtout clair, c'est que vous n'avez pas répondu à ma question.
Je n'ai pas l'intention de m'attarder en Glace plus que nécessaire, et je ne vais pas crier sur tous les toits que nous sommes en affaire. Il n'est pas question ici de services à se rendre, mais d'opérations qui nous seraient mutuellement profitables... j'estime donc avoir vaguement le droit de savoir quel est votre intérêt là-dedans. Je n'ai aucune envie qu'il y ait des développements inattendus à tout cela, et encore moins de savoir que j'ai signé un contrat sans l'avoir lu.


Tout cela avait été énoncé d'un ton neutre, tandis qu'elle était toujours assise avec une choppe à la main. Il n'y avait aucune trace visible de défiance en elle tandis qu'elle fixait la reine de Saline les yeux mi-clos, simplement du pragmatisme.

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[Terminé]Affaires au milieu de la tourmente Sand-g10Lun 6 Jan - 23:27
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Leuffa était inflexible. Fidèle au portrait rusé et intouchable qu'avait gardé d'elle Agnès, la gnolle n'en démordait pas et campait sur ses positions. Il y en a que l'austérité des lieux et la réputation auraient impressionné et poussé à accepter des conditions voilées, mais la maquerelle était de celles qui ne se faisaient pas avoir. Alors, certes, Agnès aurait pû crier, feindre quoique ce soit et faire enfermer Leuffa, mais ladite gnolle avait bien deviné que l'accueil de la reine cachait peut-être plus que la simple nécessite de lui rendre la pareille. Et, en effet, les manières et sourires d'Agnès n'étaient que le masque d'un stragège, chose que n'avait de toute évidence pas oubliée Leuffa.

« Vous êtes intraitable, Leuffa... »

Agnès avait soufflé ces mots tout en s'écartant du bord de la table, se posant de toute sa longueur contre le dossier de son siège. Mi-amusée, mi-déçue, elle fixa un léger moment la gnolle dans les yeux. Le temps semblait avoir été suspendu, et seuls les éléments brisaient cette impression. Le vent hurlait au dehors, les flammes crépitaient dans l'âtre, et Ysabelle déposait ses dernières lettres sur le papier épais.

« La dernière chose dont j'ai besoin est de voir proliférer des gens tels que vous sur nos terres. Le skooma est une drogue, avec son lot de problèmes. Je préfère vous en laisser le monopole si cela peut éviter que nos gens s'accoutument à ses effets. »

Il n'y avait pas de colère, ni de haine, dans le regard que jetait la reine sur l'étrangère, mais sa voix, d'ordinaire douce et posée, avait pris plus de lourdeur. Les paumes d'Agnès étaient face contre la nappe blanche, ses doigts tapotant le bois en-dessous, rajoutant à l'atmosphère sonore un nouveau rythme. Ce geste, son fils l'avait perpétué dans la salle du trône, plus tôt, et il présageait rarement de bonnes choses.

« Je suis reine de Saline, Leuffa. J'ai des intérêts et des projets qui dépassent de loin vos ambitions de tenancière. J'ai sous la main des relations et des idées qui pourraient propulser votre établissement au sommet de sa rentabilité. Vous ne souhaitez pas rester en Glaces ? Partez ! J'aurai tôt fait de trouver un de vos concurrents qui, lui, se fera un plaisir d'accepter mes conditions, et je ne vous demande pas grand chose. »

Ysabelle posa sa plume en même temps que sa maîtresse termina ces mots. Se redressant, elle quitta la table sans un bruit, légère et révérencieuse, pour rejoindre à pas de velours une des étagères remplies de livres, dans le dos d'Agnès. Derrière le visage de la reine, en second plan, était livré aux prunelles animales de la gnolle, la silhouette de la servante. Ses fines mains à la peau bronzée enroulaient, dans la discrétion des ombres de la pièce, la lettre tout juste rédigée à l'intérieur d'un long et fin étui de cuir.

« L'empire contrôle Terre et si mes affaires ont été bonnes un temps avec le continent, c'est aujourd'hui bien fini. Néanmoins, j'ai quelques connaissances encore qui oeuvrent à fournir aux miens des denrées introuvables en Glaces. C'est une entreprise risquée pour eux mais qui leur rapporte bien assez pour qu'ils ne s'en plaignent pas. Mais plus le temps passe, et plus la crainte empoisonne leurs esprits ; vous comprendrez que les démons ne laissent pas indifférents certains d'entre nous. Donc, en échange de ce produit qui ravira sans aucun doute votre clientèle la plus capricieuse, je désire votre parole. Promettez-moi que vous fournirez un abri à celui qui frappera à votre porte en mon nom. »

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[Terminé]Affaires au milieu de la tourmente Sand-g10Mer 8 Jan - 0:25
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En s'entendant qualifiée d'intraitable, Leuffa avait à nouveau levé sa choppe à présent presque vide, montrant qu'elle considérait ce terme comme gratifiant. C'était bien là la moindre de ses qualités, et elle avait la nette impression que si Agnès était loin d'être une enfant gâtée, elle ne devait plus vraiment avoir l'habitude que l'on discute ses volontés. Pour preuve, le marché qu'elle lui proposait et les réponses qu'elle lui avançait pour les raisons de son aide sonnaient aussi creux qu'une vieille cloche. Non que la gnolle s'attendit à ce que l'humaine joue franc-jeu avec un individu ayant un physique et un passé tels que le sien, mais ça n'en était pas moins vexant. "J'aurais tôt fait de trouver un concurrent...". Peuh !
Posant son modeste calice sur la nappe immaculée, la mère-maquerelle avait croisé les bras sur sa poitrine tandis qu'elle réfléchissait. Pendant ce temps, ses yeux continuaient de se poser alternativement sur la reine ainsi que sa servante aux inclinations de plus en plus évidentes, et ses crocs aigus s'étaient mis à grincer doucement dans sa large gueule, un son qu'elle savait pertinemment désagréable pour nombre d'humains.

Par quoi commencer ?
D'abord, il y avait le fait qu'Agnès prétende pouvoir lui assurer le monopole de la production de skooma pour que ses propres terres se voient épargnées par ce "fléau". Des paroles qui sonnaient assurément bien, mais qui sous-entendaient que la reine avait d'une façon ou d'une autre déjà une emprise sur le producteur de ce produit, et qu'elle le tenait sciemment au secret comme monnaie d'échange. Autant pour la leçon de morale... à moins que d'autres soient capables de produire la mixture et qu'elle n'en soit pas au courant, ce qui était improbable. Dans les deux cas, avoir accès à une telle manne était une opportunité autant qu'un cadeau empoisonné : être à la tête d'un trafic devant craindre à la fois les autorités impériales et royales était une plaie de tous les instants. Elle le savait pour l'avoir envisagé sérieusement une fois quittée l'armée du grand cornu.
Ah, et il fallait aussi escompter des ennuis avec la pègre, qui réclamerait sa part des bénéfices pour graisser la patte aux douaniers et qui dans un premier temps ne verrait peut-être pas d'un bon œil qu'une maquerelle empiète sur le domaine de compétences de certains de ses autres poulains. A la Perle, elle avait déjà envisagé quelques arguments en sa faveur au cas où elle trouverait un revendeur fiable, mais celui qui avait le plus de chance de porter était l'assurance qu'elle ne disposerait pas d'assez de marchandise pour fournir davantage que le haut du panier de sa clientèle... et là, elle allait se retrouver dans une situation où elle pourrait peut-être alimenter tout le marché noir de Sen'tsura !

Leuffa croisa les pattes et se frotta le menton tandis qu'un grondement sourd sourdait instinctivement de ses lèvres closes pour reflet de ses sombres réflexions.

Comme si cela ne suffisait pas, il y avait cette histoire de prix, de personne qu'elle serait sensée accueillir à bras ouverts. Pourquoi était-elle prête à parier qu'elle assisterait à un véritable défilé de conspirateurs sous son toit si elle prenait le risque de mettre la griffe dans l'engrenage ? Ce serait bien le comble de se faire arrêter pour ce genre de conneries, tiens.
Mais au contraire, si elle jouait bien ses cartes et qu'elle cuisinait en douceur les inconnus qui viendraient frapper à sa porte... eh bien cela constituerait au moins une garantie au cas où la charmante reine souhaiterait revenir sur leur accord.

La gnolle poussa un nouveau grognement et redressa les yeux pour les planter à nouveau dans ceux de son interlocutrice, se demandant si le jeu en valait la chandelle et surtout jusqu'où elle pouvait espérer pousser son avantage.

- Foutaises, balaya-t-elle finalement d'un geste de la main. Vous vous êtes renseignée, et vous savez parfaitement que vous ne trouverez pas mieux que moi pour couvrir vos petites magouilles, non seulement parce que j'ai l'avantage de diriger un établissement où une nouvelle tête ne choquera personne, mais surtout parce que je dispose de quelque chose qui fait d'habitude défaut aux crapules de mon espèce : le sens de l'honneur. Je ne reviens jamais sur ce que j'ai dis.

Avant de prendre ma décision, j'ai besoin de savoir une dernière chose : qu'entendez-vous par "fournir un abri" à celui qui aurait la grâce d'être sous votre protection ?

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[Terminé]Affaires au milieu de la tourmente Sand-g10Mer 8 Jan - 19:13
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Finalement, Leuffa sembla accepter, tout au moins demanda-t-elle une énième explication afin d'être bien certaine de ce qu'attendait la reine. Agnès cessa de tapoter la table de ses ongles, ramenant ses mains l'une à l'autre pour les croiser et s'avancer en avant, se rapprochant très légèrement de son interlocutrice. Dans les yeux du canidé, elle pouvait lire autant d'intérêt que de méfiance, mais avec cette manière de toujours tout tourner en dérision, cette suffisance propre à sa race mais qui n'avait que grandie depuis leur première rencontre. Si la gnolle pouvait lire en Agnès, en ce qu'elle avait vécu et savait, elle y aurait vu bien plus que de simples évidences ; la reine n'avait jamais été prédisposée à s'asseoir aux côtés du roi de Saline. Harald avait été une rencontre dans sa jeunesse, une aventure qu'elle n'avait jamais pensé embrasser de nouveau. Toute la période qu'elle avait passée à cotoyer les lois du marché, les désirs des plus pervers et les intérêts des plus malhonnêtes avaient contribué à durcir cette carapace qu'elle recouvrait systématiquement. Aussi certainement que Leuffa renfermait ses secrets, Agnès en possédait certains que ses plus proches n'étaient pas à même de soupçonner.

« Il ne s'agît pas de grand chose. Un de mes hommes vient profiter de vos services, vous lui fournissez un endroit où résider quelques jours, faites ce qu'il vous plaira, tant qu'ils sont à l'abri, tout leur ira. On vous interroge, vous niez. Ils sont très discrets et s'assureront de n'être pas suivis avant de vous contacter. Ce sont ces mêmes hommes qui vous feront parvenir votre marchandise. »

Encore une fois, lorsque le silence revint, Ysabelle en profita pour bouger, à chaque fois inquiète de déranger par le bruit qu'elle pourrait avoir l'erreur de faire. En quelques pas légers, elle se retrouva la main sur la poignée de la porte, prête à disparaître.

« Ysabelle, demande à Thaja de passer également. »

Un hochement de tête à peine perceptible, une hésitation en portant son regard sur la gnolle, et la femme avait disparue dans le couloir à présent bien sombre, laissant la reine et son invitée seules.

« Votre parole a en effet plus de valeur que n'importe qui dans le métier, Leuffa. Mais sachez qu'il en est de même pour moi ; je ne trahirai pas notre accord. Nous avons toutes les deux des intérêts dans cette affaire. Si les termes vous paraissent clairs et acceptables, nous iront dès demain discuter des derniers détails. »

Dehors, le temps s'obscurcissait, les nuages se faisaient plus lourds, et si la lumière naturelle avait été jusqu'ici blafarde, on aurait dit qu'il faisait nuit alors. Les vitres se chargèrent de gouttes de pluie, et le ciel ne tarda pas à gronder, plongeant l'endroit isolé au dessus de la cité guerrière dans une ambiance à la fois inquiétante et réconfortante.

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[Terminé]Affaires au milieu de la tourmente Sand-g10Jeu 9 Jan - 9:47
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Si Leuffa avait escompté une réponse franche, elle en fut pour ses frais. Bien au contraire, les propos d'Agnès ne firent que fouetter davantage l'instinct paranoïaque de la gnolle : ainsi donc, les convoyeurs de skooma seraient également les individus qu'elle devrait abriter de son mieux ? Des types « très discrets et qui s'assureront de ne pas être suivis » ? Si cette façon de procéder était bien compréhensible puisqu'elle offrait un minimum de garanties à la reine, cela impliquait surtout une prise de risque supplémentaire pour elle-même... à moins qu'elle ne huile les rouages avec les douaniers en piochant régulièrement dans ses fonds personnels, quoique les gains qu'elle puisse escompter grâce à ce produit couvrent largement de telles dépenses. C'était néanmoins une épine de plus à prévoir dans sa patte.

Elle poussa un nouveau grondement, cette fois clairement agacé. Posant ses mains griffues sur la nappe blanche et baissant la tête, elle se s'extirpa lentement de son siège sans chercher cette fois à croiser le regard de son interlocutrice.
Elle croisa ensuite ses bras sur son opulente poitrine gainée de laine et fit quelques pas avant de se poster devant la fenêtre avec l'allure d'un fauve en maraude. Il n'y avait cependant rien à avoir au-dehors, car la venue de la pluie n'avait aucunement chassé le froid, si bien que le souffle chaud de Leuffa ne tarda pas à imprimer une fine buée sur le verre.
Un éclair déchira enfin le ciel, morcelant sa silhouette et mettant en valeur les courbes à angles aigus de son corps musclé de guerrière des plaines. A nouveau, elle se surpris à ressentir l'aiguillon de la solitude : pas seulement celle des forts destiné à prendre des décisions drastiques pour survivre, mais également celle d'une femme n'ayant pas de discussion d'égale à égal avec quelqu'un qui n'essaye pas de l'entuber, au propre comme au figuré. Cette sensation venait la frapper d'autant plus durement qu'elle avait conscience qu'elle se trouvait dans un trouvait dans un pays où tout un chacun avait intérêt à lui passer une lame au travers du torse, en compagnie d'une femelle dont elle se méfiait autant qu'elle la respectait. La gnolle avait bien une demeure, mais seuls des inférieurs qui au mieux la serviraient servilement et au pire la craindraient l'y attendaient. Ironique, pour quelqu'un qui avait toujours mis son indépendance au sommet de ses préoccupations... mais elle était réaliste, et elle savait avoir atteint un âge où on était en droit de se poser des questions sur son choix de vie et de se demander si on ne mérite pas autre chose, à défaut de mieux.
Le chemin qu'on lui proposait d'emprunter ressemblait foutrement à un de ces choix de vie, un de ceux où les embûches sont aussi grandes que les récompenses.

La femme-bête poussa un petit soupir de tristesse, puis se retourna en posant les poings sur ses hanches et en retroussant les babines en une parodie de sourire tors.

- Je pense qu'il n'y a rien de plus à ajouter à tout cela, « Agnès », hormis un petit détail. J'ignore ce que comptent faire vos petits protégés à Sen'tsura, et je ne veux pas le savoir. Je leur fournirai un toit dans la mesure de mes moyens, que ce soit chez moi ou chez qui puisse répondre de moi... mais que ce soit bien clair : je veux qu'ils soient moins que des ombres. Je pourrais peut-être, PEUT-ÊTRE leur fournir davantage que des vivres si ils le demandent poliment, mais je les rejetterais moi-même à la mer si ils s'avisent d'emmerder mes clients ou mes employés.
Même tarif pour les ennuis qu'ils s'attireront dehors : je peux éventuellement leur sauver la mise si ils s'amusent à foutre en rogne la pègre ou la milice, mais ils pourront crever la gueule ouverte devant ma porte si ça dégénère.
Nous sommes toujours d'accord ?

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[Terminé]Affaires au milieu de la tourmente Sand-g10Ven 10 Jan - 17:25
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Agnès sourit, son amabilité de retour, lorsque Leuffa sembla vouloir sceller leur accord.

« Nous sommes d'accord, Leuffa. »

Rien de plus, rien de moins. Dans d'autres lieux, d'autres conditions, elles se seraient serré la main, mais alors que l'orage redoublait d'intensité, Agnès semblait ne pas vouloir bouger de son siège. Maintenant qu'elle avait ce qu'elle voulait, ses traits avaient repris leurs formes originelles, moins tirés, plus doux et sereins. Délicatement, elle remit derrière son oreille une fine mèche de ses longs cheveux bruns qui avait eu la disgrâce de se promener sur son front. Alors, une main énergique frappa à la porte. Immédiatement après, une grande femme entra dans la pièce. Plus charnue qu'Ysabelle ou Agnès ne pouvaient l'être, elle présentait des atouts physiques incontestables rivalisant aisément avec ceux que la gnolle aimait exacerber. Un regard brillant mélant malice et volonté, une peau clair et marquée par endroits de tâches de rousseur, et de longs cheveux de feu nattés. C'était à peu près le portrait qu'on pouvait faire de Thaja, deuxième servante d'Agnès et tout ce qu'il y avait de plus salinéen.

[Terminé]Affaires au milieu de la tourmente 78546_Thaja
Thaja

Refermant la porte derrière elle, la trentenaire s'avança jusqu'au centre de la pièce, ses pupilles émeraude gratifiant la gnolle d'un regard curieux, les quelques mèches passant devant ses yeux perlées de gouttes de pluie.

« Voici Thaja, elle se fera un plaisir de répondre à vos besoins. »

La concernée semblait apprendre la nouvelle et ne cacha pas sa surprise. Il aurait été difficile de dire si elle était agacée ou simplement désintéressée, sa poitrine se gonfla sous son inspiration et, fermant les paupières quelques secondes, elle retira la cape qui entourait ses épaules pour la déposer à côté des fourrures suspendues dans l'entrée, découvrant une robe similaire à celles que portaient les cardrakiennes, serrée au centre par une large ceinture de cuir. Elle déposa les gants qu'elle portait sur une petite table de chevet, dans l'une des annexes par lesquelles on avait une vue sur toute la cité, et, se défaisant de ses bottes trempées, elle s'installa sur le lit, dénattant sa chevelure qui s'étala telle une pieuvre sur le large oreiller, adossée au mur.

« A vos ordres, murmura Thaja, si faiblement qu'elle semblait s'endormir. »

L'humaine laissa ses paupières se refermer, en effet, et dans un léger grognement lassé, se retourna dos à la gnolle et la reine pour se recroqueviller face au mur que longeait le lit et tirer la couverture sur elle, ne laissant plus apparaître de sa personne que cette tignasse flamboyante. Agnès la regarda quelques instants, amusée, puis reporta son attention sur Leuffa.

« Comme je vous l'ai dit, nous verrons pour la suite demain. Maintenant, il semble que la journée soit mal entamée pour une visite de notre Cardrak. D'autres affaires nécessitent mon attention, je vous laisse donc aux soins de Thaja, et si vous avez la moindre question, elle se fera également une joie d'y répondre. N'est-ce pas Thaja ? »

La rousse gémit pour approbation tout en ramenant la couverture un peu plus haut sur ses épaules. Comme si elle avait répondue de la plus distinguée des manières, Agnès en tira un fin sourire et, d'un clignement d' yeux amusé, révêtit sa fourrure et ses gants pour disparaître dans les couloirs assombris du château. Quelques secondes après son départ, la voix de Thaja émergea du fond de l'annexe.

« Les bûches sont derrière vous. Si vous pouviez en remettre une au feu, ce serait très aimable. »

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[Terminé]Affaires au milieu de la tourmente Sand-g10Dim 12 Jan - 8:09
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Si quelqu'un avait raconté à Leuffa tout ce qui lui arriverait durant ce voyage, il est probable qu'elle aurait rit au nez de l'importun avant de se pencher sur lui pour voir si il avait bu. Imaginez donc : accueillie par le prince, sauvé de celui-ci par la reine-mère, se voir proposer par celle-ci une occasion en or et finalement être traitée comme un coq en pâte en attendant que l'accord soit conclu, il y avait de quoi rêver.
Mais si parfaite que soit la situation, il y avait des fautes de gout à ne pas commettre.

Comme la gnolle s'y attendait, Agnès ne discuta pas ses dernières conditions, preuve s'il en était que ses arguments précédents avaient porté... même si somme toute elle n'avait fait que proposer des aménagements qui étaient à l'avantage de son associée et qui ne pouvaient que lui faire croire qu'il s'agissait de son dernier baroud d'honneur avant la signature de leur accord.
L'ambiance de négociation aimablement querelleuse prit néanmoins un sérieux coups dans l'aile lorsqu'une insolente humaine aussi rouquine que mafflue pénétra dans la pièce en se déhanchant comme une chatte en chaleur avant de s'accaparer l'une des couvertures de lit et de se rencogner dans le fond de la chambre en une parodie grotesque de timidité. L'interruption grossière de son duel oral déplut souverainement à la maquerelle, qui avait connu de meilleures comédies jouées par des vieillardes édentées, mais se tut par respect pour Agnès qui semblait vouloir passer tous ses caprices à l'inconnue.
Elle se fendit néanmoins d'un grand sourire lorsque la reine lui confirma ce dont elle se doutait déjà, à savoir que l'humaine était au mieux une servante mal élevée qui se trouvait néanmoins dévouée à son service jusqu'au lendemain, sourire qu'Agnès ne put que croire égrillard (ce qui était pour partie vrai). Si l'attention était flatteuse, le choix du "présent" était néanmoins contestable... mais l'humaine ne pouvait évidemment pas deviner les goûts de Leuffa en matière de serviteurs.
La gnolle se contenta donc de s'incliner respectueusement tandis que la reine prenait congé puis de se rasseoir en attendant que son larbin s'enquiert de son bien-être. En pure perte, puisque la donzelle ne daigna pas lever son fessier glabre et osa s'adresser à elle d'une manière atrocement cavalière pour quelqu'un de sa condition.

Alors qu'elle n'avait jusqu'ici été que piquée par la perspective d'inculquer un peu de savoir-vivre à la pendarde, Leuffa se trouva alors ulcérée, et toute trace de retenue disparut de son esprit au profit d'une attitude plus... traditionnelle.
Poussant un grognement de contrariété, elle se leva de son siège et s'approcha tranquillement de la silhouette recroquevillée sous le drap avant de faire mine de s'accroupir et de lui soulever délicatement une mèche de cheveux pour la humer, comme font parfois les mâles humains délicats pour annoncer leurs intentions. La charmante Ysabelle avait avait sûrement dû lui dire qu'une personne sous la protection de la reine réclamait à corps et à cri une chaufferette pour la nuit, si bien qu'elle devait s'attendre à ce que ladite invitée tente d'entrer au plus vite dans le vif du sujet (au propre comme au figuré). Aussi ne se méfia-t-elle probablement pas jusqu'à ce que Leuffa remonte soudainement sa main griffue jusqu'à la racine d'une natte de cheveux et l'empoigne violemment avant de l'attirer à elle. Les babines retroussées en un sourire moqueur, elle lui infliger un léger aller-retour qui lui zébra une joue de quatre griffures superficielles dès que la gourgandine fit mine de pousser un cri avant de se redresser et de la tracter jusque devant l'âtre. Ce n'est que là qu'elle la saisit par la nuque comme un chiot gnoll désobéissant et qu'elle la plaqua contre le sol en pesant de tout son poids, visage tourné vers les flammes (lesquelles se trouvaient néanmoins encore à bonne distance du couple). La main qui tenait la natte desserra alors sa prise et vint se poser sur la chair tiède des omoplates de l'humaine tandis que son genou gauche venait se caler entre ses reins, lui garantissant une immobilisation fiable de sa proie.
Poursuivant dans son rôle de grande méchante louve, elle se plia en deux jusqu'à pouvoir murmurer à l'oreille de la séduisante Thaja, d'une voix aussi rauque que transpirant de bestialité à peine contenue.

- Je vais te la faire courte, ma belle. Je ne sais pas ce qu'il y a entre toi et Agnès, et je m'en tamponne royalement. Ce que je sais, c'est qu'elle t'a mise à mon service pour cette nuit... et que si il y a bien quelque chose qui me débecte chez ceux qui sont à mon service, c'est le manque de respect.
Je ne suis pas du genre à courir après ce qui m'appartient, même temporairement. Alors tu vas faire ton boulot de larbin et faire ce que je t'ordonne, autrement je te fous à la porte en te laissant un plus joli souvenir qu'un coups de griffe amical.
Compris ?


Leuffa ne relâcha pas sa prise jusqu'à ce qu'elle eut reçu l'assentiment de sa victime, lui faisant bien sentir qu'au moindre mouvement trop brusque ou qu'au moindre appel à l'aide ne ressemblant pas à un cri de jouissance elle lui briserait un membre sans hésiter. Ce n'est qu'alors qu'elle la laissa rouler au sol, accompagnant son mouvement d'un titillement du bout de son pied griffu dans son flanc.

- Bien... gentille femelle. Maintenant, vas me chercher de quoi manger, de quoi boire et un baquet d'eau chaude que je puisse me débarrasser de cette infernale couche de sel sur mes poils. Allez, et plus vite que cela !

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[Terminé]Affaires au milieu de la tourmente Sand-g10Dim 12 Jan - 13:05
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Thaja sentit la gnolle se rapprocher d'elle, effleurer ses cheveux du bout de ses griffes, et son souffle chaud dans sa nuque. Loin d'être remise de son voyage sous les intempéries, elle allait porter sa main au poignet de l'étrangère pour arrêter son geste, mais à peine y pensa-t-elle que les griffes qui taquinaient ses mèches éparpillées se saisirent d'une poignée de sa chevelure pour la tirer en arrière. Le souffle calme qu'elle avait senti glisser le long de son échine était devenu un halètement sauvage, et c'est par la force qu'elle fit alors véritablement face à la femme animale qu'elle avait à peine remarqué à son arrivée. Ses membres puissants écrasèrent sa résistance et c'était impuissante qu'elle subit l'affront d'un revers de main griffue, sentant la peau de sa joue être piquée par la brûlure de la chair nue. Sans rien pouvoir faire pour résister à ce déchaînement, elle tenta néanmoins un cri qui fut aussitôt réprimé par une traction vive jusqu'au centre de la pièce, où elle s'écrasa, face au feu dont elle pouvait sentir la chaleur, bienvenue quelques minutes auparavant, une menace terrifiante à présent. Alors, quand la patte de son assaillante se posta sur son dos et que ses jambes enserrèrent ses côtes, elle préféra garder le silence pour garder du souffle qu'il lui manquait. Luttant encore, elle finit par abandonner lorsque la voix autant sévère qu'excitée lui murmura la frappante réalité de la situation.

Cette peste d'Ysabelle s'était jouée d'elle ! La garce ! Thaja tenta de protester, mais la vive douleur dans son coude lui intima qu'il était trop tard pour les explications. Se jurant de faire regretter à la métisse son petit tour, elle plaqua son visage contre le tapis et encaissa les injonctions à coup de hochement de tête. Quand la force exercée sur l'ensemble de son corps s'interrompit, elle roula alors exténuée sur le sol, toute déshabillée et rompue par la brutalité de la maquerelle. Essoufflée, elle ramena sur ses épaules le haut de sa robe déformée et se hissa lentement jusqu'à sa chambre,  s'asseyant sur le lit, prenant quelques secondes pour souffler malgré les nouveaux ordres pressés de sa maîtresse du soir. Enfilant ses bottes, ramassant sa cape, et renouant ses cheveux en une queue de cheval bien plus grossière que les nattes qu'elle avait détachées, elle quitta la pièce, les yeux baissés vers le sol, bouillonnant intérieurement.

Elle revint un quart d'heure plus tard. Ouvrant la porte tant bien que mal, elle déposa immédiatement au sol deux larges contenants en cuivre fumants. D'épaisses serviettes en-dessous des récipients pour protéger n'importe quel support de la température qu'ils semblaient dégager. Sans perdre le rythme, elle tira du coin de la chambre opposée à la sienne un cuvier assez large pour deux qu'elle plaça au milieu de la pièce, entre la table et l'âtre, qu'elle alimenta au passage, chacun de ses gestes concordant pour minimiser les pertes de temps. Délicatement, elle souleva tour à tour les sceaux débordants pour remplir la baignoire. Lorsque le niveau de l'eau atteignit la moitié du petit bassin, elle se précipita dans le couloir, dont on pouvait toujours apercevoir les détours par la porte qu'elle avait laissée ouverte, afin de ramener en les faisant glisser jusqu'au tapis, puis en les soulevant par leurs anses, deux nouveaux récipients dégageant une vapeur bienfaitrice. Rangeant les sceaux sur le côté, là d'où elle avait tiré la cuve, elle retourna de nouveau dans le couloir pour saisir un plateau au sol et refermer la porte derrière elle. Sur ce dernier, un broc remplie de la même bière que Leuffa avait demandée et une assiette remplie d'un large steak entouré de fèves et de tranches de légumes apparentés à des navets. Entre les deux, un pain afin de saucer l'assiette et combler le petit creux qui pourrait persister.

« Le repas et le bain sont prêts... madame. »

Elle avait encore du mal à prononcer les mots, mais c'était surtout par gêne et non refus. Posant la plateau sur la table, elle alla tirer d'une étagère une large serviette, qu'elle suspendit sur le dossier d'une chaise, et une brosse dense, dont les poils serrés et rudes étaient fait pour les chevelures les plus récalcitrantes. L'ensemble du nécessaire disposé, elle recula et patienta que Leuffa Shteinguell se mette au bain.

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[Terminé]Affaires au milieu de la tourmente Sand-g10Mer 15 Jan - 20:34
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Dès que l'impudente soubrette eut disparu, Leuffa avait émit un claquement de langue approbateur, satisfaite de lui avoir inculqué ce que les humains appelaient « la sainte peur de dieu », mais qu'elle préférait considérer comme un simple rappel de qui était l'être supérieur dans la pièce. Pour elle, il s'agissait d'une évidence : elle était plus forte, plus agressive, incontestablement plus futée, sans même parler du fait qu'elle était une commerçante établie et respectée à laquelle on avait donné un simple os à ronger. Après tout, pour une gnolle, un serviteur n'était rien de plus qu'un esclave à qui on donnait la pièce de temps en temps et auquel on devait des considérations telles que deux repas par jour ou quelques soirs de repos par semaine ne fut-ce qu'a cause de ce qu'avait coûté leur éducation. Prêter un larbin mal éduqué à un homme-bête était aussi mal avisé que d'agiter une pièce de viande saignante devant un squale. Était-ce intentionnel de la part d'Agnès ? Il est vrai qu'il valait mieux pour elle que Leuffa soit plus occupée à lutiner une rousse mutine qu'à vagabonder dans les couloirs du château à la recherche d'un quignon de pain ou d'une pièce d'argenterie mal surveillée (chose qu'elle ne se serait bien entendu jamais permise dans une situation aussi périlleuse, mais la plupart des individus « civilisés » semblaient s'être donnés le mot pour penser qu'un gnoll ne pouvait être qu'un barbare ne pouvant s'empêcher de faire les pires conneries juste parce qu'il s'en sentait capable). Elle ne voyait rien contre cela, d'autant plus que le froid semblait de plus en plus prégnant au fur et à mesure que la nuit approchait.

- Peuh... de la glace et de la pluie, grommela-t-elle tout en rajoutant une bûche dans la cheminée. Avec un temps pareil, tu m'étonnes que tous les Glaciaux donnent l'impression d'avoir des icebergs à la place des burnes. On dirait aussi que quelqu'un a oublié de leur dire que le bois réchauffait davantage que la fierté quand le gel commence à couvrir les volets.

Parler de chaleur lui rappela la présence de la choppe de bière sur la table, dont le fond recelait encore un peu de manne liquide. Elle l'empoigna donc dans l'intention de la vider, mais suspendit son geste une fois le récipient au bord de ses babines avant de l'observer d'un air pensif... et de verser tout ce qui restait dans les flammes en une sorte d'offrande à ses Ancêtres, les priant muettement de continuer à veiller sur elle.
Ce fut à ce moment que la servante rentra dans la pièce, croulant sous un chargement de seaux remplis d'eau fumante qu'elle posa précipitamment avant d'aller chercher une sorte de grande baignoire dissimulée dans un recoin sombre à côté de l'un des lits. Loin de s’embarrasser de quelque chose d'aussi incongru que la pudeur, Leuffa se dévêtit pendant que l'humaine s'échinait, laissant tomber ses vêtements à ses pattes avant d'étirer ses muscles de prédatrice et de s'examiner sous toutes les coutures. A son âge (canonique pour une gnolle) et avec les cicatrices qu'elle avait récolté au cours de sa vie aventureuse, il était toujours utile de surveiller sa condition physique ainsi que l'apparition d'éventuelles raideurs aux articulations ou pertes de poils. Rien de pire que de perdre une poignée de poils à l'endroit où on s'est pris un coups d'épée quelques années plus tôt.
Au passage, elle en profita pour se tâter la croupe, l'abdomen et l'arrière des cuisses pour vérifier si le muscle ne commençait pas à laisser place à de la graisse due au relatif relâchement de sa vie citadine, mais eu le plaisir de constater qu'il n'en était rien. Enfin, elle tâta du bout des griffes ses protubérances mammaires pour s'assurer de leur fermeté avant de s'avouer satisfaite et d'oser se glisser dans l'eau brûlante, dont elle accueillit le réconfort avec un soupir d'aise non dissimulé.
Tout en se laissant aller, elle observa du coin de l’œil la réaction de la servante et fut satisfaite de constater que celle-ci se contentait de déposer sagement sur la table un plat de viande au fumet appétissant. Comme quoi, une explosion de violence au moment opportun pouvait régler bien des problèmes, et en particulier ceux d'attitude.

Se contentant pour l'instant du plaisir simple et sain de faire trempette, Leuffa dédaigna les brosses mises à disposition et bascula la tête en arrière, extatique.

- Ah... on peut dire ce qu'on veut, mais ce sont clairement les petits plaisirs comme ceux là qui font se sentir vivants. Comme je l'ai dit à ta reine, ça, une assiette pleine et un étalon qui attend au plumard, c'est le secret d'une longue vie !

La gnolle s'immergea brièvement toute entière avant de remonter en crachant de l'eau par le museau, sa crête mouillée rabattue sur le crâne.

- Phuaaah... divin ! Il devrait essayer ça, ton prince Alrik, au lieu de regarder son monde de haut avec ses gros yeux et sa lance dans le derche. Par les burnes de mes ancêtres, si le père ressemble au fils, m'est avis que ça ne doit pas rire souvent entre ces quatre murs !
Qu'est-ce que tu peux me dire là-dessus, larbine ? On entend beaucoup parler du roi Harald, en Terre, mais ça m'étonnerait que vous le suiviez si il était vraiment le mangeur d'enfants dont nous bassinent les impériaux... il est comment en vrai ? Il bouffe du serpent de mer au déjeuner ? Il fait trembler le donjon avec le cri de ses maîtresses ?


Leuffa s'esclaffa, tapa du poing contre le bord métallique du gigantesque baquet, puis se pencha en avant, présentant son large dos à la servante.

- Si tu es capable de faire deux choses en même temps, brosse-moi le dos pendant que tu causes, et ne lésines pas sur le savon !

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[Terminé]Affaires au milieu de la tourmente Sand-g10Jeu 16 Jan - 15:39
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Thaja n'était pas originaire de Cardrak, comme toutes les femmes qui étaient passées par cette chambre, d'ailleurs. Si Agnès avait vécu son enfance en Selian dans les rues lumineuses de Luütra, si Ysabelle était originaire des steppes de Sahawi, Thaja, elle, avait grandi dans les plaines enneigées bordant les montagnes mortelles de la Toundra. Qui n'avait vu de Saline que Cardrak était à des lieux de s'imaginer ce à quoi pouvaient ressembler les fiefs du Sud-Ouest. L'invincible cité royale n'avait été pour la jeune femme qu'une histoire sacrée, une de ces histoires incroyables que lui rapportaient ceux de son village et que lui confirmaient les soldats en charge de leur protection. Gamine, elle ne s'était jamais imaginé pouvoir un jour vivre dans le château, et la grandeur de ce lieu avait toujours dépassé en réalité les limites de son imagination cantonnée aux quelques tours de garde et aux cimes des pins de sa région natale. De l'eau était passée sous les ponts depuis, et Thaja avait beaucoup perdu de cette magie qui illuminait à l'époque chacune de ses jeunes entreprises. Elle avait rencontré la Reine de Cardrak, dans un de ces moments où la vie n'a plus que comme arrière-goût celui du regret. La femme l'avait séduite, impressionnée, et elle s'était laissée embarquer dans une aventure extraordinaire, rythmée par les impératifs et envies d'Agnès Wallah, faisant également la connaissance d'Ysabelle, entre autres. A l'époque, la métisse était une jeune fille toute droit sortie d'une histoire bien plus sombre que n'avait jamais pu le soupçonner Thaja, et l'arrivée d'une nouvelle servante avait de toute évidence dérangé l'adolescente, qui vouait une admiration débordante pour sa maîtresse. Quinze ans après, Ysabelle continuait de faire payer à Thaja ses écarts, et la punition, en ce jour, se nommait Leuffa Shteinguell.

Si elle avait déjà vu bien des corps nus, la salinéenne resta néanmoins surprise par la musculature sauvage se dessinant sous les poils courts de la gnolle. Tout en elle trahissait un prédateur, un animal dont il fallait se méfier autant de la ruse, que de la force. Ses griffes au bout de ses doigts avaient déjà eu le malheur de venir entailler la peau de l'humaine, et cette dernière ne désirait pour rien au monde réitérer la récente expérience d'une gnolle en colère. Debout près de la cuve où venait de s'immerger Leuffa, Thaja attendait, immobile, patiente, aussi alerte que lorsque son père l'emmenait à la chasse, mais ce n'était pas un ostra qu'elle avait sous les yeux ; l'exercice de la soirée était bien plus périlleux, et plus désagréable. Ramassant les vêtements étalés sur le sol, elle les plia et les rangea en un tas ordonné sur la table, tout en écoutant sa maîtresse d'une nuit se moquer avec joie du prince. Répondant à l'ordre et se munissant d'une brosse et d'un savon, elle plia les genoux à terre pour commencer à brosser le dos de la femme animal, et comme indiqué, elle n'hésita pas à bien répandre du savon sur toute la surface de sa fourrure.

« Mon roi est loyal, il n'a pas de "maîtresses", avait commencée Thaja, dont la tâche n'était que plus ardue s'il fallait qu'elle subisse les remarques infondées de Leuffa. Il est l'homme le plus fort que j'ai jamais vu, et le plus grand également, d'où son surnom, Le Fort. Ysabelle prétend qu'il aurait déjà tué un pirate en pressant son crâne d'une de ses mains, se remémora-t-elle l'anecdote pour esquiver un peu de la colère qui était remontée au souvenir de sa collègue. Il est le protecteur de Saline et seuls nos ennemis ont à le craindre, il est avec eux aussi violent et sans pitié qu'il est généreux et protecteur avec nous. »

Brosser et mousser le dos de Leuffa était comme caresser un tigre ; si la bête semblait apprécier, on ne savait jamais comme cela pouvait tourner. Etant donné la réaction un peu vive qui lui valait ce picotement désagréable qui ne voulait pas disparaître de sa joue, Thaja était certaine que sa tête pourrait bien vite finir dans la baignoire à la moindre incartade. S'assurant que pas un seul recoin du dos velu ne soit dépourvu de mousse, elle continua d'entretenir cette conversation qui semblait satisfaire la gnolle tandis qu'elle profitait de la chaleur de l'eau.

« J'ignore ce que vous désiriez du prince, mais il ne devait pas être dans un bon jour s'il vous a fait si mauvaise impression. D'ordinaire, il est en bons termes avec les connaissances de notre reine. »

Ce n'était pas tout à fait vrai. Alrik était un prince dont Thaja avait suivi toute l'évolution, depuis quinze ans qu'elle était au service d'Agnès. Si, plus jeune, il avait été un enfant comme on en trouve à Cardrak, si ce n'était que sa tête était bien mieux remplie que la plupart des autres de son âge, son adolescence et ses récentes années avaient laissé parler son caractère imprévisible. Leuffa Shteinguell ne pouvait être plus loin de la vérité en cet instant quand elle supposait que le père était pire que le fils ; Alrik goûtait aux privilèges de son rang avec bien moins de parcimonie que son paternel. Il respectait malgré tout les devoirs d'un prince, et pour cela personne ne viendrait lui chercher querelle.

« Madame, dit finalement Thaja après un petit silence seulement brisé par le bruit des remus dans l'eau et du frottement de la brosse contre le poil de la gnolle, je suis navré de vous avoir confondue, tout à l'heure. On ne m'avait pas prévenu qu'une amie de ma reine se trouvait ici, et je vous ai prise pour une servante de la maison. Veuillez m'excuser. »

C'était à la fois son devoir mais aussi la peur grandissante que la bête se jette de nouveau sur elle qui lui avaient dicté ces mots. Ayant lavé le dos de façon appliquée, Thaja n'avait continué son mouvement de brosse que pour ne pas mettre fin au plaisir que semblait prendre la gnolle. Et, alors qu'elle s'était arrêté de parler pendant quelques minutes, laissant finalement les intempéries redevenir maîtres du silence, elle s'était reprise de justesse pour se rappeler qu'elle ne s'était pas encore excusée de son égarement.

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[Terminé]Affaires au milieu de la tourmente Sand-g10Dim 19 Jan - 21:35
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Si Leuffa avait été en quête de potins concernant le roi Harald, nul doute qu'elle serait tombée sur un os, car la dénommée Thaja ne mordit pas à l'hameçon de ses provocations, préférant s'en tenir à des racontars d'une sobriété et d'une loyauté exemplaires. Il s'agissait néanmoins plutôt d'une manière de jeu pour voir jusqu'où elle pouvait aiguillonner l'humaine jusqu'à ce que celle-ci s'oublie puis sorte de ses gonds, ce qui l'obligerait bien évidemment à lui rappeler à nouveau sa place. Mais celle-ci semblait avoir reçu la leçon cuisante qui se lisait sur les fines striures rouges de sa joue, et parut prendre sur elle, allant jusqu'à lui présenter des excuses aussi maladroites que stupides.
Elle tentait de le cacher, mais le fond de sa voix recelait un infime tressaillement de proie sur le qui-vive, impression que venaient confirmer ses gestes un peu trop brusques lorsqu'elle lui brossait les poils du dos. Sa peau même exhalait la délicieuse odeur de la crainte qu'elle associait au premier pas vers le respect dû aux supérieurs.
La femme-bête partit d'un petit rire et, se redressant brusquement à demi dans son bain, pivota suffisamment pour saisir fermement l'avant-bras de la soubrette avant de l'attirer inexorablement à elle jusqu'à ce qu'elles soient presque nez à museau.

- J'espère que tu crois ce que tu dis, ma fille, murmura-t-elle d'un ton doucereux sans la lâcher. Dans le cas contraire c'est que tu mens atrocement mal... à voir les têtes que tiraient les nobliaux dans la salle d'audience lorsque je me suis pointé, il était clair que vous ne devez pas voir souvent de belles gueules comme la mienne dans le coin. Sans parler que les gnolls larbins, c'est une espèce qui n'a jamais fleuri : marchands, escrocs, guerriers, assassins, chamans, bandits tant que tu veux ; mais chez ceux de ma race, un serviteur n'est qu'un salopard attendant son heure pour devenir le maître. On a la liberté chevillée au corps, nous.
Mais on va dire que c'est l'intention qui compte, et ça mérite récompense.


Tout en continuant à emprisonner l'avant-bras de sa proie, Leuffa lui attrapa délicatement mais fermement le menton avant de la forcer à tourner doucement la tête de façon à ce qu'elle lui présente sa joue griffée. Alors, avec une lenteur exquise, la gnolle déroula son épaisse langue râpeuse puis lécha avec application et à trois reprises la plaie, se délectant au passage du grain de peau acidulé de la rouquine et du fin fumet du sang qu'elle sentait prêt à sourdre de sous la peau au moindre effleurement d'incisive. Le parfum de la vulnérabilité d'autrui était décidément l'un des plus suaves qu'elle connaissait, et pourtant les Ancêtres savaient qu'elle n'avait rien d'une cocotte poudrée.
D'une façon presque tendre, elle relâcha la soubrette et profita de son état de confusion pour lui chiper sa brosse d'un geste leste avant d'entreprendre de se savonner les bras, le sourire aux lèvres.

- Vous autres humains vous avez l'air d'avoir oublié le bienfait qu'un peu de bave peut apporter à une plaie, avant même de penser à je ne sais quelle pharmacopée douteuse.
Pas la peine de me remercier, m'est avis qu'un joli bibelot ne devrait jamais avoir à s'écailler.


Hochant la tête d'un air satisfait, la femme-bête entreprit d'éclabousser ses bras musclés pour les débarrasser de leur couche de savon, avant de s'attaquer à sa crête qui pour l'heure demeurait répandue en longues racines noires et blanches de chaque côté de son crâne longiligne. Au contraire du rude traitement qu'elle avait administré à la courte toison qui lui drapait la peau, elle se mit à masser longuement son occiput fécond, veillant à ne pas arracher le moindre filament de cette tignasse qui faisait sa fierté.

- Tiens, puisque tu es debout, continue donc à te rendre utile. C'est pas dans mes habitudes de manger seule, alors va te chercher de quoi boire et croûter en cuisine... j'ai comme l'impression qu'on a une longue nuit devant nous, toi et moi.
Mais avant de sortir, met-moi une serviette à portée de main. T'as pas envie que je m'ébroue et que je foute de l'eau partout, non ? Et tu penseras à me caler l'assiette près de l'âtre pour qu'elle reste chaude, tu seras gentille.

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[Terminé]Affaires au milieu de la tourmente Sand-g10Mer 22 Jan - 14:06
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Au moment précis où la langue de Leuffa Shteinguell lui râpa la joue, Thaja eu le reflexe de reculer, mais la main de la gnolle lui serrait bien trop fort la mâchoire et elle ne réussit qu'à faire craquer son coude, d'où émergea une vive douleur qui lui intima de ne pas bouger et de subir l'humiliation, un cadeau selon la femme bête. Craignant d'être la cible d'une nouvelle ruse de l'imprévisible maquerelle, la jeune rousse ne bougea pas d'un poil lorsque cette dernière lui arracha la brosse des mains et se contenta d'opiner tandis que les nouveaux ordres tombaient comme les promesses d'un jeu auquel seule Leuffa trouvait son compte, et surement un plaisir si malsain qu'il échappait à la servante. Si sa rancune était aussi forte que son sadisme, l'humaine avait beaucoup à craindre, et il en fallut peu pour qu'elle s'imagine les pires scénarios ; ce n'était pas le semblant de sympathie que lui témoignait Leuffa qui allait lui retirer de la tête les histoires que racontaient les marins à propos des gnolls et de leur bestialité.

« Oui, madame, avait-elle articulé alors qu'elle déployait déjà une serviette au sol, disposant une autre pliée sur une chaise à proximité et, en faisant bien attention de ne rien renverser, déposait l'assiette de la maîtresse près de l'âtre, posée sur une chaise afin d'éviter qu'un éclat ne se retrouve mêlé au ragoût. »

Enfilant ses affaires et ses bottes, elle quitta la chambre pour retrouver les couloirs qui jamais ne lui avaient parus si froids. Seule, dans l'obscurité du corridor en suspension entre deux tours, percé de fenêtres donnant sur un gouffre sans fond dont on pouvait deviner qu'il cachait l'océan grâce aux reflets brillants de la lune sur l'écume des vagues lointaines, elle prit une pause pour souffler et se remettre de ses émotions variées et de ses douleurs, l'égo entrant en compte. Ses cheveux tout juste séchés mais en pagaille, elle les recoiffa rapidement, essuyant la larme qu'elle avait laissée échapper de son bras droit. Elle réprima un sanglot, inspira et relâcha en une longue expiration incontrôlée la tension qu'elle avait accumulée, ses doigts tremblants achevant leur oeuvre. Enfin, quand elle fut coiffée, que ses yeux étaient rougis et ses joues couvertes de larmes, en plus des marques rouges vives, elle se laissa glisser  jusqu'au sol contre les pierres du bâtiment, plongeant finalement sa tête dans ses genoux et ses bras, recroquevillée dans le noir. Les hurlements de la tempête étouffaient ses pleurs, la nuit et ses ombres cachaient son corps spasmodique que les torches lointaines ne trouvaient pas le courage de dévoiler. Misérable, elle profita du tonnerre pour glisser sa plainte entre les grondements de la nuit.

« Je suis désolée... »

Elle avait laissé échapper ces mots dans l'espoir ridicule de voir se reproduire ce qui était à l'origine de tout ses bonheurs, et malheurs, depuis quinze ans ; Agnès lui tendant la main alors qu'elle était frêle, en prise à des peurs, perdue... mais ce n'était que le jeu moqueur des lumières de la nuit qui lui tira un large sourire cruel en travers du couloir. Avait-elle vraiment mérité cela ?  S'était-elle montrée si odieuse qu'il fallait en arriver là ? Jamais encore elle n'avait eu à souffrir d'une honte et d'un dégoût tels qu'ils lui avaient arraché toute fierté d'être. Elle se sentait bafouée, humiliée, et ce n'était pas ce ressenti qui l'avait plongée dans une détresse telle qu'elle se retrouvait à cotoyer le sol froid des murs du château, mais la certitude que ses souffrances n'étaient que le début de son agonie d'une nuit. Sa servitude, sa fidélité et sa peur allaient la mener à être le jouet d'une créature que les siens auraient du prendre plaisir à châtier, mais qui se retrouvait, par un mauvais tour du sort, la maîtresse de tout ce qui caractérisait Thaja, sa volonté et son corps. Elle s'était toujours considérée comme un esprit fort, mais Agnès venait de lui rappeler qu'elle ne vivait que parce qu'elle l'avait permis...

Thaja revint dans la pièce un moment après qu'elle l'ait quittée, une de ses mains portant un plateau avec une assiette tout droit sortie des cuisines, un broc d'eau et un pain, ses joues seulement rougies par les griffures, seuls ses yeux trahissaient encore sa peine et le trop-plein qu'elle n'avait pas pû contenir. Refermant derrière elle la porte comme on embarque sur un navire promis à des mois de galère, elle déposa ses bottes dans le même coin que les autres et coucha sa fourrure sur son lit, dans l'annexe. Elle fit alors face au siège qu'avait occupée Leuffa lorsqu'elle s'était trouvée en compagnie d'Agnès et déposa sur la table un plat identique à celui de sa nouvelle maîtresse. Il règnait dans la pièce une chaleur que Thaja aurait trouvée agréable d'ordinaire, exacerbée par les vapeurs du bain de la gnolle qui avaient déposées sur le verre des fenêtres une épaisse buée, rajoutant au sentiment d'enfermement qui étouffait la jeune femme.

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[Terminé]Affaires au milieu de la tourmente Sand-g10Ven 24 Jan - 14:24
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Sans se douter un instant de l'ampleur des tourments qu'elle infligeait à Tharja (mais elle s'en serait sans nul doute moqué et délecté si cela avait été le cas), Leuffa profita encore un peu des bienfaits de l'eau chaude pour méditer sur un sujet bien plus intéressant, à savoir sa situation présente. Vu la façon dont les choses se profilaient, elle allait se retrouver avec une main plus qu'appréciable aussi bien pour son retour à Sen'tsura que pour ses prochaines transactions avec la reine de Saline. Elle n'avait en effet aucune raison de penser que son associée pourrait revenir durant la nuit sur un accord qu'elle avait elle-même proposé, et encore moins qu'elle romprait tout contact une fois que leurs chemins divergeraient.
Bien sûr, il y avait le fait qu'il lui faudrait négocier très précautionneusement son futur petit trafic et qu'elle devrait également garder à l’œil tous les larrons qu'elle lui enverrait en tant qu'"intermédiaires". Nul doute que ces individus seraient de véritables aimants à emmerdes et qu'ils prendraient au mot sa proposition d'asile inconditionnel... sans se douter que l'aide ne serait pas gratuite, et qu'elle comptait bien en tirer le maximum sans savoir encore l'aspect que prendrait ce juste écot.

L'eau commençant à tiédir, la gnolle entreprit de sortir précautionneusement de sa baignoire et résista effectivement à l'envie de s'ébrouer, se contentant donc de s'essuyer aussi rigoureusement que possible : avoir le poil empoissé d'eau alors qu'il gelait à pierre fendre dehors était rarement une bonne idée. En revanche, comme la température de la pièce s'avérait plus qu'agréable, ne vit-elle pas l’intérêt de renfiler davantage que sa tunique et ses dessous. Après tout, ce n'était pas comme si elle attendait une visite plus importante que celle d'un larbin, c'est à dire quasiment un meuble.
Ensuite elle s'étira longuement, jeta un bref coups d’œil par une fenêtre pour juger si la vue était devenue plus intéressante qu'il y a quelques instants, puis approcha l'un des sièges de l'âtre avant de s'y installer, une assiette de pitance fumante dans la main. Par acquis de conscience, elle la renifla à la recherche d'un indice de drogue ou de poisons, même si il n'y avait aucune raison pour qu'elle en trouve et qu'il n'y avait de toute façon aucune raison pour qu'elle puisse identifier autre chose qu'un produit dont elle eut déjà fait l'expérience. Enfin satisfaite, elle commençait à peine à mordre joyeusement dans la viande et le pain lorsque la porte se rouvrit pour laisser place à la servante de retour avec son propre repas.
Ses yeux brillants montraient clairement qu'elle avait pleuré mais qu'elle s'était rapidement reprise. Mais n'était-ce pas le moindre des devoirs d'un larbin que de ne pas importuner son maître avec ses états d'âme ?

- Ah, enfin. Tiens, assieds-toi là, dit la gnolle en désignant le sol de la pointe de son index. Comme tu peux t'en douter, ce n'est pas très pratique de manger proprement avec la gueule que je me tape, et cela ne me disait rien de saloper une si belle nappe.
Et puis, je trouve cela un peu plus chaleureux, festif.


Leuffa hocha la tête, comme si ce qu'elle venait de dire avait fait écho à une songerie seulement connue d'elle-même. Elle asséna un nouveau coups de couteau dans sa viande et engloutit le morceau qu'elle venait de découper en le prenant entre deux griffes.

- Hum, fit-elle entre deux mastications. Pas mauvais, pour une bidoche venue sûrement d'un autre pays. Remarque, vous devez sûrement avoir l'habitude de le faire pour un peu tout, du tissu au bois pour construire vos coques de noix.
Cela rajoute du mérite à ton Harald, y'a pas à tortiller.

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[Terminé]Affaires au milieu de la tourmente Sand-g10Mar 28 Jan - 7:43
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Portant son assiette et ses couverts, Thaja s'avança à petits pas vers l'endroit désigné par la main qui lui valait ses griffures au visage. Lentement, elle s'abaissa jusqu'au sol, dos adossé au mur et jambes repliées contre elle, faisant tenir son plat sur ses cuisses. Alors qu'elle s'évertuait à ne pas renverser sa pitance, elle sentait sur elle le regard de la gnolle, et son esprit lui imposait l'image de ses babines retroussées en une parodie de sourire. Le coeur de l'humaine s'était calmé depuis sa légère crise dans le couloir, mais il recommençait déjà à battre nerveusement, poussé par le mélange étrange de sentiments que lui inspirait la sulfureuse créature trônant dans la lumière de l'âtre. Haine, dégoût, peur, et tristesse s'étaient alliés et jouissaient de la vulnérabilité de la salinéenne pour lui faire perdre toute envie de révolte, même si elle savait que, quelque part, elle était dans son droit. A Cardrak, on ne devait pas permettre qu'une gnolle traite ainsi une humaine, de surcroît une étrangère... mais étrangement, elle acceptait de plus en plus l'idée à mesure que sa joue cicatrisait. Agnès lui en avait fait voir de toutes les couleurs à chacune de ses colères, justifiées ou non, mais cette punition dépassait de loin toutes celles que la reine avait pu élaborer, et il fallait être naïf et ignorant pour penser que la bestialité, la violence, et la probable perversité de Leuffa Shteinguell n'étaient pas rentrées dans le lot des punitions qu'elle avait réservées à sa servante. Cette nuit avait toutes les chances d'être un calvaire, et il n'y avait nul doute qu'Agnès comptait que Thaja rampe jusqu'à elle après ses fautes, éternellement soumise à cette relation nébulleuse qu'avait forgée la reine avec ses filles. Si Ysabelle avait vendu jusqu'à son âme à la reine, Thaja, elle, avait toujours eu de ces excès d'humeur qui lui valaient quelques déboires.

« C'est de la viande de dolyak, on en trouve beaucoup en Saline. Pour le bois, nous avons des forêts très bien fournies et la mer nous offre tout ce qu'il nous faut en végétaux et en poisson, expliqua l'humaine tout en piquant dans son assiette les morceaux de la bête qu'elle avait découpés avec difficulté. Si nous étions tellement dépendants, le blocus aurait été un problème, mais notre peuple a depuis longtemps appris à vivre ici. Et nos vaisseaux ne sont pas des coques de noix, mais les meilleurs navires existants. »

La fierté d'une salinéenne revenait toujours, quoi qu'on fasse. Après avoir passé son enfance auprès d'une famille de chasseurs dans l'arrière-pays, Thaja ne pouvait laisser passer la remarque d'ignorante de la maquerelle, ainsi que son injure quant à la flotte cardrakienne. Toute leur cité protégeait les eaux des Glaces dans leur totalité, et ce n'était surement pas à l'aide de coque des noix.

« Notre roi a beaucoup de mérite, mais notre indépendance ne lui revient pas ; nous vivons en Saline depuis six mille ans environ. Vous devriez attendre quelques jours s'il vous intéresse tant, souffla Thaja, consciente que la gnolle était de ces personnes dans les grâces d'Agnès mais qui pouvaient vite perdre de leurs privilèges face à son mari. »

Ironiquement, le fait que la gnolle reste plusieurs jours impliquait également que Thaja aurait à subir sa présence plus longtemps, et elle regretta aussitôt ses paroles, s'arrêtant de mastiquer inconsciemment pour reporter son regard discrètement, mais peut-être pas assez, sur Leuffa et discerner si l'idée lui avait traversé l'esprit. Il était sage de penser que cet animal était prêt à saisir toutes les occasions qui l'arrangerait, mais une rencontre avec Harald se révélerait surement aussi infructueuse que celle avec Alrik.

Harald Wallah

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[Terminé]Affaires au milieu de la tourmente Sand-g10Ven 31 Jan - 23:51
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- Hum, hum, fut tout ce que fut capable d'émettre Leuffa en réponse à ce que venait de dire l'impertinente Thaja. Elle se moquait en effet pas mal de la façon dont Saline parvenait à nourrir sa populace, même si il était évident que ce n'était qu'en faisant preuve d'autosuffisance que les glaciaux pouvaient se permettre une résistance ouverte envers un empire aussi puissant que celui d'Aile Ténébreuse. Sans être une foudre de guerre, elle avait été aux premières loges pour assister à ce dont était capable une armée démoniaque motivée, et ne pouvait s'empêcher de penser que si le territoire "rebelle" tenait le coups, cela tenait principalement au fait que le conquérant ne souhaitait pas fédérer ses adversaires sur un terrain qui ne lui serait pas favorable : les marins saliniens avaient beau avoir pour seuls rivaux ceux d'Eau et avoir des bâtiments plus réputés, il paraissait difficile de croire qu'ils pourraient résister à un déploiement massif si les terriens s'y mettaient pour de bon. A moins qu'il ne préféra s'amuser à laisser la situation pourrir en se demandant combien de temps un territoire aussi gelé pourrait supporter l'afflux régulier de rebelles ou de sympathisants avant de voir éclater des émeutes en tous genres, lui laissant l'opportunité de cueillir le pays comme un fruit mûr. Allez savoir, avec la gent démoniaque. Peu lui importait, elle avait déjà donné.

Non, le sujet qui l’intéressait réellement pour l'heure était ce tendron qui reposait à son côté et ne cessait d'osciller entre sa fierté patriotique et la peur d'en avoir trop dit. La servante était à présent terrifiée par elle, et ce sentiment était délicieux au-delà de toute mesure puisqu'il confirmait une fois pour toute sa domination. Une victoire petite et mesquine, persifleront les esprits chagrins, mais qui permettait surtout de passer à la seconde partie du jeu, tout aussi délectable.

- Hum, renchérit-elle en faisant mine de réfléchir tout en mordillant dans le reste de son quignon de pain. Il est vrai que ton roi me paraît être un mâle des plus intéressants. Fort, honorable et sûrement séduisant pour un humain. Je pourrais lui proposer de me laisser acheter une échoppe en ville pour avoir une affaire légale avec sa bénédiction, tandis que ta reine gère sa partie du petit trafic avec lequel elle m'a appâté... Ce serait cocasse, pour sûr. Et rentable.

Cependant, je n'ai pas l'impression que Kardrak soit un endroit où je pourrais déployer pleinement mes talents. J'ai le sentiment que même en leur fournissant tout ce dont ils ont besoin pour assouvir leurs turpitudes (et tu serais étonnée à quel point les "gens biens" peuvent avoir des envies à faire rougir un démon), ils ne me considéreront jamais avec cette lueur de respect ou de reconnaissance qu'ont mes clients en Terre. Ça et le climat de merde qui règne dehors.

Il me faudrait une vraie bonne raison pour me forcer à bâtir quelque chose ici... oh, suis-je donc sotte ! C'est donc là où tu voulais en venir !


Tout sourire, Leuffa posa son assiette sur ses genoux et caressa de l'index droit la joue de Thaja, avant de glisser jusque sous son menton en une parodie de mimique amoureuse. Ses yeux de jade s'étaient fait rieurs et des fossettes de taquinerie marquaient ses traits allongés.

- Rester pour toi, alors que nous nous connaissons à peine ? Ce serait... comment appelez-vous ça, vous autres les humains ? Romantique ?
Ma foi, cela mérite réflexion. Heureusement, nous avons jusqu'à l'aube pour en discuter et pour... creuser le sujet, en profondeur.


La gnolle se pourlécha les babines avec gourmandise, guettant la réaction de l'humaine. Allait-elle faire face ? Prendre la fuite en hurlant ? Dans tous les cas, cela promettait d'être interessant

Leuffa Shteinguell

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