L'épuration de Shidô [RP solo ou libre]

Saeros grimpa d'un pas conquérant les marches de l'estrade installée sur la place de l'hôtel de ville. Il était  content. En fait, il était même extrêmement content. 

Devant lui était rassemblée au moins la moitié de la population de Shidô, cité des plaines réputée pour sa très forte adhésion au parti Rebelle. Le magicien fut particulièrement réjoui de constater que les habitant semblaient hébétés, hagards et misérables. Rien de très étonnant à cela. Depuis plusieurs semaines, une bande de bandits sévissait dans les plaines et terrorisait la population. La ville de Shidô, réputée pour sa richesse, avait été l'une des principales victimes de ces pillages. La cité autrefois prospère ressemblait à présent à une ruine. Ses habitants, à des mendiants. 

Derrière Saeros, sur l'estrade en bois, une dizaine d'hommes couverts de chaînes étaient placés sous la surveillance attentive d'une escouade entière de gardes impériaux. Les villageois n'avaient aucune idée de qui étaient ces personnes car des sacs de toiles masquaient leurs visages. En fait, les villageois ne savaient même pas pourquoi ils avaient été convoqués en ce jour. 

 Le conseiller  sourit béatement et prit une profonde inspiration. Seulement alors se décida t-il à briser le silence.

- Salutations, citoyens de Shidô ! Mon nom est Saeros Yggdrasil, Conseiller au service de l'Empire et envoyé de sa majesté Aile Ténébreuse ! 

 Si Saeros s'attendait à des applaudissements, alors il fut amèrement déçu. Pas un seul bruit ne se fit entendre sur tout le parvis. Toutefois, cela ne sembla pas le désarçonner. Il était vrai que les habitants de Shidô n'avaient jamais été vraiment réceptifs aux discours de l'Empire. 

- Depuis des mois et des mois, des bandits pillent vos foyers et égorgent vos familles ! Ils profitent de vos femmes et volent votre bétail ! 

Le conseiller fit une pause. Le silence était encore plus assourdissant qu'avant. 

- Dans le même temps, qu'on fait les rebelles que vous avez aidé et nourri ? Vous hébergez leurs hommes, leur fournissez des provisions, leur donnez votre or... mais qu'ont-ils faits pour mériter ce dévouement ?

Cette fois-ci, un murmure d'assentiment parcourut la foule. Cela était vrai, malheureusement. À part pour faire de vagues promesses, les rebelles n'avaient été d'aucune utilité aux citoyens de la cité. Saeros sourit. Il les avait déjà dans sa poche.

- Mais aujourd'hui, mes amis, la terreur que vous ont fait subir ces hors-la-loi est terminée ! Inquiet de votre bien être, Sa Majesté l'Empereur m'a personnellement envoyé pour mettre fin à votre souffrance ! 

Saeros fit un geste et deux gardes empoignèrent le premier prisonnier de la file, le traînant sans ménagements aux pieds du conseiller Noir. 

- Aujourd'hui, l'armée impériale à pris en embuscade et écrasé la troupe de bandits qui terrorisaient votre région !

Le conseiller impérial agrippa le sac de toile qui recouvrait la tête de son prisonnier et l'arracha d'un geste sec. Un murmure d'excitation parcourut toute la place. Chacun pu reconnaître le visage tatoué et  buriné  d'Uraziel, chef des bandits des plaines et sinustrement surnommé  " le massacreur d'enfants ".

- Ces hors-la-loi, dit-il en pointant du doigt les autres prisonniers, sont les seuls à avoir échappé à notre impitoyable purification ! Les autres sont morts, leurs cadavres pourrissant précipités dans le bourbier infâme duquel ils n'auraient jamais dû sortir !

À présent, la foule semblait sur le point d'exploser. Était-ce vrai ? Leur période de malheurs était-elle enfin terminée ?

Sur l'estrade, Uraziel le cruel, le prétendu dévoreur d'enfants, regardait la foule d'un air qu'il voulait faire paraître apeuré et effrayé. En réalité, il jubilait intérieurement. Comment ces paysans pouvaient ils se montrer si naïfs ?Le plan de son employeur, le conseiller Saeros, avait fonctionné à la perfection. Si ces pauvres villageois savaient les efforts que les rebelles avaient déployés pour les mettre en sûreté ! Mais ces idiots n'avaient jamais eu la moindre chance d'arrêter les bandits. Ils avaient fouillés dans les moindres recoins de toute la région, à la recherche d'un quelconque bivouac ou d'une grotte dans laquelle les bandits auraient pu se retrancher. Mais tous leurs efforts avaient été déployés en vain. Tu m'étonnes ! Ils n'auraient jamais pensé à rechercher dans la cité de Sen'tsura ! Ou dans des forteresses de l'Empire ! Ou dans la demeure d'un conseiller impérial !  

Cet échec cuisant avait créé un climat d'insécurité au sein de la population de Shidô, engendrant un mécontentement envers les autorités rebelles incapables de résoudre le problème. Et maintenant, le conseiller Saeros allait profiter de ce mécontentement pour retourner les habitants de Shidô comme de vulgaires gants ! Les voleurs, quant à eux, mercenaires engagés par l'empire, s'en tireraient sans une égratignure. Le massacre dont parlait le conseiller était un mensonge, un leurre destiné à égarer les villageois. En réalité, Uzariel avait quitté le reste de ses compagnons il y avait à peine plus de quatre heures, alors qu'il étaient en train de profiter de leur butin dans les sous sols du palais impérial. Et à présent, l'Elfe allait prononcer la condamnation aux galères des derniers "survivants", ou bien un emprisonnement à vie dans les geôles de la capitale. Emprisonnement qui n'aurait lieu que dans les registres officiels, bien sûr !

Uzariel fut soudain tiré de sa rêverie par la voix du magicien qui résonna une nouvelle fois sur la place.

- Quant aux survivants, leur sang sera versé au nom de l'Empire !

L'Elfe fit un geste brusque et chaque soldat présent sur l'estrade dégaina son épée. Uzariel, paniqué, chercha à croiser les yeux de son maître.

- Non ! Pitié, ce n'était pas...

Un autre geste de Saeros et les lames se plongèrent dans les gorges des mercenaires. Uzariel fut mort avant même d'avoir pu finir sa phrase.

Saeros secoua la tête, incrédule. Comment ces mercenaires avaient-ils pu se montrer aussi naïfs ? Comment avaient-ils pu croire qu'il prendrait le risque de laisser en vie des intermédiaires ? La troupe d'Uzariel cachée sous sa maison ? Exécutés à l'instant même où leur maître les avaient quittés pour participer à cette mascarade ! Condamner les survivants aux galères ? Mais comment croire à cette folie ! Annoncer aux citoyens avoir tué les soldats mais décidé d'épargner le chef ? Le peuple n'aurait jamais compris cette logique ! Si le mercenaire avait eu un minimum de neurones, il aurait tout de suite compris qu'il s'agissait d'un piège ! En fait, si on y réfléchissait bien, Saeros avait laissé une chance à Uzariel. C'était sa propre stupidité qui l'avait condamnée, pas le magicien. 

Le conseiller reporta son attention sur le moment présent et fit un nouveau geste de la main. Un soldat s'approcha de l'Elfe et lui remit un volumineux sac de cuir. Saeros l'ouvrit et chacun pût voir qu'il était rempli à ras bord de pièces. 

- L'Empereur, dans son immense mansuétude, a décidé de vous rembourser des pertes que vous avez subies. Il vous fait présent de ces dix-mille Ailes de Bronze ! 

Saeros lança le sac aux pieds du maire, abasourdi, qui se tenait au premier rang. Quelle blague ! Les dix-mille pièces d'or qu'il venait de leur donner devaient à peine couvrir la moitié du butin prélevé par les bandits ! Mais cette somme, elle, irait directement dans les caisses de l'état. 

Un lourd silence se fit. Pendant un instant, la population hésita entre son ancienne méfiance vis à vis de l'Empire et la bonté dont ils venaient d'être les témoins. Puis, au milieu de la foule, un des soldats mêlé aux autres citoyens, hurla : 

- Vive l'Empereur ! Vive le Conseiller Impérial Saeros ! 

Le silence se brisa. Petit à petit,  les habitants se mirent à reprendre en chœur les paroles. Bientôt, toute la place semblait en transe.

- Vive l'Empereur ! Vive le Conseiller Impérial Saeros !

Le magicien sourit avec indulgence et agita sa main en direction de la foule en liesse.

 Les idiots.