Si on me demandait de trouver une comparaison de l'esprit d'Yilan, ce serait surement celle d'une tempête qui me viendrait aux lèvres. Ses pensées, toujours en mouvement, peuvent s'élever très haut sous un ciel orageux avant de s'abattre violemment sur les rochers de sa conscience. Il s'en amuse et aime souvent observer ses propres sentiments et impulsions au cours d'introspections dont il est le seul à connaitre le résultat. Aussi contradictoire que cela puisse paraitre, le tumulte que son crâne abrite n'est que très rarement apparent. Yilan cherche toujours à avoir une attitude posée, et le premier signe montrant qu'il perd le contrôle sont des grimaces tordant son visage. Ce trait lui vient de son enfance et lui permet bien souvent de ne pas agir dans la précipitation.

La nature profonde d'Yilan est sauvage. Il rejettera toute forme de soumission et se battra autant que possible pour sa liberté et celle d'autrui. C'est un esprit libre qui cherche à connaitre toutes les barrières afin de les briser. Le libre arbitre est la seule loi qu'il veut imposer au monde. Vénérer, servir ou suivre sont des chemins qu'il a toujours rejetés, mais il comprend que certaines personnes se laissent guider par des Dieux, des Maitres ou autres Dirigeants. C'est un choix auquel ils ont aussi droit, bien que lui-même méprise leurs décisions.

Je ne l'ai pas souvent vu se faire des amis, mais pas à cause de sa timidité, loin de là. En fait, il cherche très souvent la compagnie d'autrui et les conversations animées. Il apprécie tellement ces dernières qu'il lui arrive souvent de tenir des propos qui ne reflètent pas sa véritable pensée uniquement pour provoquer les personnes qui l'entourent. Ce doit être sa méthode pour apprendre à connaitre les gens... Il faut dire qu'on en apprend souvent plus sur les personnes avec qui Yilan parle que sur lui-même.

Je crois que le seul moyen de lui imposer le respect est la puissance. C'est du moins ce qu'il recherche depuis de nombreuses années. La précision, le contrôle de son corps et l'harmonie de chaque mouvement sont les domaines qu'il cherche à maitriser et qu'il doit donc considérer comme élémentaires à son idéal. Après tout, Yilan se positionne lui-même comme un artiste du combat. Sa philosophie découle en grande partie de sa pratique martiale, qui elle-même vient des expériences qu'il a vécues.

Les origines du garçon prennent racines au fin fond des steppes enneigées de Saline. Issu d'une tribu sondag, Yilan Thorn fut lié, comme le veut la tradition, à un mondag dès son plus jeune âge. Pour le moment, on en est qu'au stade du rappel des petites choses importantes de la vie, mais vous verrez, ces détails prendront de l'importance par la suite, et pas juste pour dire qu'il y a un gros toutou vorace qui suit notre homme partout où il va.

Comme vous pouvez l'imaginer, quand on lutte quotidiennement contre le froid, on n'a pas toujours le temps d'écouter les remarques insolentes d'un jeune garçon. Dommage pour l'entourage d'Yilan, il en avait lui-même beaucoup à faire. Si bien qu'il fut très tôt réprimandé pour ses prises de paroles intempestives. Pour ses parents, ce fut là une très bonne décision au vu du mutisme qui finit par s'installer dans la bouche de l'enfant. Pour le principal intéressé, elle le mena à bien des péripéties, et il ne serait certainement pas là où il est aujourd'hui si on l'avait un tant soit peu écouté...

Yilan arrêta bel et bien de parler et commença de faire très attention à sa langue. Mais il ne cessa pas pour autant de penser. Son esprit s'interrogeait sur tout et n'importe quoi, et vu que personne ne semblait vouloir lui donner d'autre réponse qu'une douloureuse réprimande, il commença à chercher des conclusions lui-même. La première question qu'il se posa était, si je me souviens bien, *pourquoi me frappe-t-on autant ?* Après s'être tu le temps que ses hématomes s’estompent, il comprit que sa langue jouait un rôle dans le processus. Une fois qu'il eut le courage d'ouvrir sa bouche à nouveau, mais en prenant garde de choisir soigneusement ses mots, il saisit que ses paroles influençait beaucoup le comportement de ses aînés.

Yilan prit progressivement l'habitude de ne pas afficher ses véritables pensées. Tij, le mondag auquel il était lié, n'aimait pas cela. Il pensait que c'était lâche de la part de son compagnon de ne pas montrer ses opinions. Il n'hésitait d'ailleurs pas à le faire savoir, se montrant souvent agressif sans raison apparente. Pour la tribu, c'était un signe de faiblesse du jeune Thorn. Pour eux, il était incapable de contrôler le canidé qui lui avait été lié, alors que ce dernier ne cherchait qu'à le pousser à s'exprimer plus ouvertement. On finit par conclure que le garçon n'accomplirait jamais de véritable symbiose le jour où le mondag se retourna contre lui et posa éternellement sa marque sur sa joue gauche.

Tij paniqua, prit peur et s'enfuit. Yilan resta longtemps choqué. Après quelques semaines de convalescence, on lui annonça la décision des chefs de tribu. Son mondag n'avait pas pu être rattrapé, il devait être totalement retourné à l'état sauvage. Pour ce qui était du jeune homme, c'était très simple, il n'avait désormais plus sa place parmi les siens. C'était dix années avant l'arrivée d'Aile Ténébreuse. Lorsqu'il quitta sa famille, Yilan était âgé de sept ans et ressentait au fond de ses tripes une culpabilité et une honte qui n'était pas la sienne, et qu'il peut encore ressentir aujourd'hui s'il cherche bien.

Le voyage jusqu'à la mer fut long et rude, et il lui arrive encore aujourd'hui de se demander comment il a fait pour survivre au froid et aux animaux sauvages. Arrivé sur les côtes, il parvint à se faire embarquer sur un navire, payant sa place en effectuant divers travaux ménagers. À son arrivée au royaume de la terre, il fut accueilli non loin de Foam par des esclavagistes. Il fut ainsi traité comme une marchandise et vendu à un richard qui n'était pas si mauvais que ça. Il aurait peut-être dû, ça lui aurait évité que sa nouvelle acquisition ne s'enfuie avant de pouvoir profiter de son innocence.

Et qui dit fuite dit recherche acharnée du clampin qui n'est pas resté dans son enclos comme tous les autres moutons. Et quand on a moins de dix ans, on se laisse facilement rattraper. Yilan fut ainsi soumis plusieurs jours à un châtiment juste pour la faute commise: l'écrasement. Il passa une série de séances pouvant parfois durer plusieurs heures avec différentes parties de son corps sous des poids qu'il n'aurait alors jamais pu soulever. Il les passa en silence, à réfléchir aux différentes articulations de son corps et comment les pierres qu'on leur appliquait les immobilisaient. Plus tard, ses conclusions l'aideraient à poser les bases de ce qu'il nomme orgueilleusement son art combatif.

Mais avant ça, il s'échappa, pour de bon cette fois. Il lui fallut quelques années, durant lesquelles il eut la chance d'échapper aux faveurs de son maitre qui ne le désirait plus à cause de sa trahison. Il profita des agitations qui entourèrent l'arrivée d'Aile Ténébreuse pour s'échapper et se diriger vers ce qui deviendrait son foyer pendant plusieurs années, les marais de la désolation. Il survécu en vivant près des côtes et en fouillant les débris des bateaux qui s'échouaient. Encore une fois, l'attention qu'il porta aux éléments qui l'entouraient le guida dans son développement personnel. Il passait tellement de temps assis, à observer le flux et le reflux de l'eau sur les plages qu'il finit par tomber en contemplation devant sa souplesse et la manière dont elle s'adaptait à chaque recoin des rochers ou du sable où elle passait.

C'était une époque où il pouvait profiter d'une paix qui ne durait jamais longtemps. La fonte des glaces qui suivit le réchauffement climatique provoquait encore des courants inconnus des marins, qui s'échouaient souvent sur les côtes, offrant leurs trésors aux pillards qui les attendaient. Ces derniers ne s'entendaient pas souvent entre eux, et il fallait toujours être sur ses gardes si on voulait avoir sa part du butin. Il fallait aussi l'être pour ne pas la perdre maintenant que j'y pense...

Ce fut le cas lorsqu'Yilan trouva un sabre sur un cadavre. C'était une arme d'une qualité exceptionnelle, et il eut de la chance de la trouver et de réussir à la garder. Elle n'avait pas encore rouillé et n'était pas endommagée, pas comme son ancien propriétaire qui était un peu des deux. Dès qu'il posa la main dessus, un de ses concurrents habituels lui sauta dessus. L'homme était plus fort, mais, à la grande surprise des deux pillards, le sondag évita le premier coup et ne laissa pas la possibilité à son adversaire de lui en porter un second. Figurativement parlant, il coula autour du bras comme de l'eau le ferait autours d'une pierre plantée dans le sable, s'en saisit et, tel un rocher tombant d'une falaise, abattit tout son poids dessus. Le membre fut brisé sur le coup et Yilan s'enfuit avec son butin.

C'est encore ce sabre qu'il porte aujourd'hui à sa ceinture. Il a bien grandit depuis, vieilli aussi. Il est resté loin des évènements du monde, préférant rester terré dans les marais à perfectionner son art. Très vite, on commença à l'éviter. Sa force dissuadait les petites frappes à se mettre sur sa route et il commença à s'ennuyer. Il voulait approfondir son style de combat, et pour cela il lui fallait des adversaires plus puissants ne craignant pas de l'affronter. Il se mit donc à longer la côte jusqu'à ce qu'il atteigne des habitations. Les premières furent décevantes, mais les secondes obéissaient à la règle qui veut que, dès qu'il se trouve y en avoir un certain nombre au même endroit, l'une d'entre elles commence à assurer un débit de boisson pour l'ensemble de leurs occupants et des éventuels visiteurs. En l’occurrence, un homme trop heureux de pouvoir faire usage de sa langue pour la retenir et un groupe de flibustiers qui n'aime pas sentir qu'on se moque d'eux. Le résultat de l'équation, ce sont des hématomes, le capitaine qui descend en se rhabillant afin de mettre fin au raffut et qui, devant les corps éparpillés de ses subordonnés et l'aubernier réfugié derrière son comptoir, réagit en proposant au dernier homme encore debout de le suivre en lui promettant une foule d'aventures et de richesses.

Yilan Thorn accepta la proposition. Cela semblait être une bonne cure contre son ennui. Quelques années plus tard, ce qui débuta comme un petit équipage prit de l'ampleur et son capitaine trouva une place de choix parmi les habitants de l'île des sables brulants. C'est ainsi que, depuis ses contrées enneigées, notre jeune sondag se retrouva à servir Abran Kaï. Cette vie lui convient, elle lui laisse beaucoup de liberté, mais il ne supporte que très mal d'avoir à obéir à un autre homme. Surtout lorsque ce dernier se complait à soumettre ses semblables.
Yilan supporte, mais bon, allez savoir quand est-ce que ça va péter....