Epreuve d'Asmodan.

Un amiral est un officier général de rang élevé dans la plupart des marines militaires. La fonction traditionnelle d’un officier général de marine est d’assurer le commandement d’une force navale ou maritime. On nomme « navire amiral », le bâtiment où l’amiral a hissé sa marque de commandement et à partir duquel il exerce son autorité sur la force navale. Sur Terra Mystica, l’amiral est l’individu qui gère la flotte démoniaque dans toutes les mers et cherche à asservir le reste de l’eau ainsi qu’à asservir ou massacrer les pirates.

Asmodan fut promu Amiral de la flotte démoniaque du souverain de Terra Mystica en ce début de l’an 112, plus précisément durant le troisième mois du printemps : Vennà. On dit souvent que les gens nés ce mois-là sont de nature plutôt agressive, préférant nettement l’attaque à la défense. On leur prête également plus facilement une tendance à la vengeance plutôt qu’à la recherche de titres et d’actions honorables. En revanche, ils seraient d’une fraternité sans égale envers leurs frères d’armes et leurs proches en général. S’il ne s’agit peut-être pas du mois de naissance d’Asmodan, ce dernier retrouve tout de même beaucoup de sa personnalité dans ces diverses qualités et défauts. Le Démon du Chaos s’avérait être un chasseur de pirates et de rebelles particulièrement efficace et désormais aucun être vivant de la flotte démoniaque ignorait qu’il avait vaincu et tué en duel singulier son homologue, le favori d’Aile Ténébreuse, pour l’ascension du titre d’Amiral.

Il était encore plus certain que l’obtention d’un titre devait se conserver, se travailler. Asmodan venait peut-être de devenir le nouvel homme de toutes les conversations du royaume des eaux, il n’en demeurait pas moins que dans un univers très démoniaque tout de même, la place de numéro un serait difficile à préserver. Pour cela, Asmodan choisit sans vraiment le savoir un nom lié à sa vie passée, avant de revenir à la vie sous la forme d’un Démon du Chaos. En effet, le navire amiral fut baptisé « le Dédain. » Qu’est-ce que le dédain ? Premièrement, il est le nom du navire pirate sur lequel Asmodan, alors qu’il portait encore le nom de Joshuah, grandit et finit même par devenir le capitaine en organisant une mutinerie sans remords à l’encontre du capitaine Morrow. Secondement, on dit du dédain qu’il est la forme la plus subtile de la vengeance. Un masque que l’on porte pour masquer une tristesse infinie. Il se compose également d’admiration et de hardiesse. Mépris, arrogance, surestime de sa personne lui sont intiment liés. Après tout, Joshuah ne fut-il pas abandonné par sa propre mère à l’aube de son adolescence ? Son amour et sa passion pour les mers et les océans ne sont pas non plus à remettre en cause. Finalement, à qui d’autre que lui pourrait convenir cette appellation qu’est le Dédain ? Evidemment, sa marque de commandement n’est autre que celle du Roi-Démon, Aile Ténébreuse. Un simple gage de sa fidélité et de son amo… intérêt envers sa personne. Pour celui qui cherche le pouvoir de réaliser ses rêves et ses envies, pour celui qui agit dans l’ombre et se nourrit de la peur qu’il inspire à ses ennemis, n’est-il pas naturel de suivre plus fort que lui ? Si Asmodan est arrogant, jamais il ne se comparerait à Aile Ténébreuse. Malgré cela, sa loyauté ne tient qu’à un fil. Il suffirait par exemple à Aile Ténébreuse de menacer l’existence même, les origines du domaine des eaux pour secouer profondément son Amiral.

Ainsi, en ce début du mois de Vennà, Aile Ténébreuse ordonna à Asmodan sa première mission. En effet, le conquérant démoniaque apprécie plus que tout la domination sur les royaumes qui sont ses sujets. La raison pour laquelle la hiérarchie existait paraissait vraiment évidente mais il peut être intéressant de la rappeler. Si puissant le Roi-Démon est, peut-il alors être présent sur tous les fronts en même temps ? La réponse coulait de source et l’Amiral récemment désigné ne pouvait que s’en réjouir. Son Roi lui confiait la tâche de continuer le travail initié sur le domaine qu’il aimait le plus par nature. La rébellion n’était pas le principal problème tout simplement car guerroyer en milieu maritime paraissait tout simplement plus compliqué. En vérité, le principal ennemi était commun aux rebelles et aux fidèles d’AT. Il s’agissait ni plus ni moins de l’ancien camp d’Asmodan, celui des pirates. Il était peu probable que Zelphos était parcourue par d’immenses terres bleues où des seigneurs démoniaques se livraient d’intenses batailles navales depuis des millénaires. La véritable conquête de l’eau était en vérité peut-être la plus difficile à appréhender pour le camp démoniaque. En tout cas, là où les pirates sévissaient déjà depuis plusieurs générations d’hommes, fortunés par une expérience certaine, le camp d’Aile Ténébreuse apprenait pour une partie à dominer l’étendue bleue. Ce fait est tel que les pirates pouvaient encore en l’an 112 prétendre déranger à la fois les rebelles et les partisans d’AT. De ce fait, le « peuple » des pirates ne connaissait pas la peur et n’hésitait jamais à gêner les communications de l’armée d’Aile Ténébreuse à travers le domaine de l’Eau entre les territoires de Glace et celui de la Terre.

Ces derniers temps, on signalait dans les rapports de nombreuses attaques de pirates à la frontière entre Miraï et Sent’sura. Cela était plutôt intolérable et résidait dans le fait que les communications entre la capitale sous-marine et le trône d’Aile Ténébreuse étaient souvent entrecoupés depuis quelques mois. Echanges de marchandises, d’armements… Tout ce qui naviguait sur les eaux revenait aux pirates, tel était le crédo auxquels ils étaient voués. Pour s’aventurer aussi loin de l’Archipel de la Muerta, il était évident que l’ennemi n’était pas à prendre à la légère. Mais l’Amiral était prêt à tout pour venir à bout de la menace et renforcer sa réputation durement et surtout récemment acquise. Après une période d’observation, l’Amiral déduisit que son adversaire encore inconnu ne retournait jamais en direction de l’Archipel de la Muerta. La direction prise était celle de l’Ouest. S’agissait-il alors d’un genre de pirates des glaces inconnus ? Non, l’hypothèse la plus cohérente était qu’ils rejoignaient les côtes de Sen’rin de temps en temps pour se reposer et faire l’inventaire de leurs revenus. Le stockage devait également se faire par là-bas. Sur ce point, Asmodan préférait observer longuement son adversaire avant de prendre des décisions, quitte à augmenter un peu les pertes dans son propre camp. Le moment choisit se devait toujours d’être le plus décisif au possible et ce procédé était non seulement celui qu’il préférait, mais cela intensifiait aussi son sentiment de partir à la chasse aux rats. En fin de journée, un membre de la flotte démoniaque lui fit son rapport.

« Amiral. » dit-il en s’agenouillant devant l’être du chaos. « Votre mouchard a rejoint l’un des bateaux pirate en toute discrétion à l’aide d’un Loups des Mers que nous avons dompté récemment. Il a profité de la plus récente attaque pirate sur le convoi envoyé à Sent’sura pour se faufiler dans la cale et se faire passer pour un membre récent de l’équipage avec la panoplie que nous lui avons fourni. »

La scène se déroulait sur le pont principal du Dédain. Le soleil commençait lentement et sûrement à se coucher et dans peu de temps, le crépuscule dominerait pour une nouvelle nuit Terra Mystica. L’Amiral écoutait avec satisfaction le rapport de son membre d’équipage. Pour le moment, le plan semblait se dérouler comme prévu. Machinalement, Asmodan lui fit signe de se redresser d’un geste de la main. Il appréciait qu’on lui prouve qu’il était le supérieur et encore plus s’il s’agissait de son navire mais il détenait tout de même une certaine estime envers chaque être présent dans son équipage personnel. Ils étaient mauvais de nature et si au début la plupart doutaient des méthodes du nouvel Amiral, ceux-ci savaient désormais que l’attente de ce dernier préparait toujours un grain de folie. Ils n’avaient encore pas la moindre idée de la suite du plan. Un sourire cruel s’afficha sur le visage de l’Amiral.

« Très bien. Amenez-moi les deux prisonniers. Mes amis, il est temps de vous dévoiler la seconde phase de mon plan. Pendant ce temps, continue donc. Nous devons détenir davantage de renseignements désormais, n’est-ce pas ? »

L’interlocuteur d’Asmodan inclina la tête en guise de réponse positive et respectueuse à la fois. Lorsque le travail était bien fait, l’Amiral était de bonne humeur et la crainte de disparaître malencontreusement s’approchait du pourcentage zéro.

« Le navire ennemi porterait le nom de l’Aube du Crépuscule. Ce dernier appartiendrait au Capitaine Snow. D’après le mouchard, sa création remonterait de six mois à une année. Nous n’avons aucune information intéressante sur le Capitaine Snow si ce n’est qu’il serait originaire de l’Archipel de la Muerta. Comme vous l’aviez déjà pré-supposé, l’Aube du Crépuscule fait des allers retours entre Sen’ri et Miraï. Evidemment, la capacité du navire ne vaut pas celle du Dédain. Nous devrions pouvoir leur tendre une embuscade en connaissant l’une de leur prochaine attaque… »

« Leur tendre une embuscade avec le Dédain ? Es-tu l’Amiral pour préconiser cela ? Contente-toi de faire ton rapport, je suis la tête pensante en ces lieux. Le plan est déjà prêt. Alors, où sont les prisonniers ? »

Il suffit parfois de réclamer les choses pour qu’elles viennent à nous. Deux membres du Dédain poussèrent jusqu’à l’Amiral de la Flotte d’Aile Ténébreuse une femme et un jeune garçon. Des otages ? En effet. La femme devait à peine avoir vingt-cinq ans et son fils environ sept. En réalité, la flotte d’AT avait récemment découvert un îlot sur lequel des rebelles s’étaient installés. On pouvait alors en déduire que le fameux mouchard n’était autre que le père de famille, otage lui aussi.

« Votre époux a tenu parole. Je vais devoir tenir la mienne. Qu’avais-je promis ? »

Cette promesse sonnait comme un mensonge. Promettre quelque chose à une famille de rebelles… En cet instant précis, Asmodan savait qu’il n’avait plus besoin d’eux. Il aurait pu tout simplement prendre leurs âmes pour s’en nourrir sans avoir à se justifier. Aux yeux de ses hommes, la femme et l’enfant devaient de toute façon mourir ou servir à une quelconque forme d’esclavage dans l’intérêt d’Aile Ténébreuse. La femme et l’enfant furent débâillonnés car ils étaient arrivés dans cette posture imposant le silence.

« Vous avez promis que nous pourrons rejoindre notre mari s’il accomplissait sa mission… Nous sommes libres, alors ? » demanda la jeune femme, une lueur d’espoir dans les yeux.

Asmodan porta un index sous son menton et fit mine de réfléchir alors qu’il connaissait déjà parfaitement la suite. Cette scène, il l’avait déjà vécue depuis une semaine dans son esprit. Quel serait alors la meilleure façon d’arracher toute forme d’espoir à cette femme et son enfant ?

« Savez-vous pourquoi j’apprécie particulièrement les rebelles ? Ils sont les meilleurs menteurs que je n’ai jamais connus de toute ma vie. La majorité parvient à se cacher dans le domaine des eaux et nous ne connaissons pas encore toutes vos techniques à l’heure actuelle. Enfin, vous ne représentez qu’une maigre gêne par ici finalement, n’est-ce pas ? Voyez-vous, la Flotte du Divin Aile Ténébreuse se sert des rebelles pour tromper les pirates. »

« Mais… Jack va revenir… Vous aviez… promis… »

« Jack ne reviendra pas. Vous n’avez jamais imaginé votre époux suppliant une ordure de pirate sans cœur et sans le moindre sens de ce qui est juste ? Je lui ai laissé comme seul espoir l’embarras du mensonge. Celui d’être fidèle à sa condition de rebelles et de mettre des bâtons dans les roues de la marine car il s’agit-là du scénario principal. Mais en vérité, on ne supplie pas un monstre… Il y a vous, nous et les pirates. »

« … Ce n’est pas possible… Jack… Et si vous vous trompiez ? Et s’il était plus rusé que vous ? Si… Si ce pirate n’était pas aussi cruel et monstrueux que vous le dites… »

« Vous avez le droit de remettre en cause mon avis sur les rebelles et les pirates. Il est ce qu’il est cependant et vos mots n’y changeront rien. Si Jack était en vie ? La flotte d’Aile Ténébreuse lui aurait menti pour tromper un équipage pirate et malheureusement pour lui, il perdrait sa femme et son fils. A côté de ça, nous aurons su exploiter le fait d’avoir trouvé des rebelles sur un ilot pour chasser des pirates. Les résultats sont plaisants. Bien. La conversation est terminée. Faites convoquer les Trois Sous-Amiraux. La seconde phase de mon plan commence dès maintenant. Remettez également ces deux êtres désormais inutiles et sans avenir dans leurs cages et offrez leur vie en offrande à tout ceci aux monstres sous-marin. »


Le même jour, sur les côtes de l’île de Sen’rin.

L’Aube du Crépuscule, le navire pirate du Capitaine Snow était retourné sur Sen’rin. Jack, dit Jack le Rebelle, était parvenu à s’infiltrer sur le navire à l’aide d’un Loup des Mers depuis une bonne semaine déjà. Cet homme meurtri détenait le destin de sa famille sur ses épaules. Il se souvenait encore de sa discussion avec l’Amiral.

« Relâcherez-vous mon épouse et mon fils si j’exécute cet ordre indigne ? Espionner pour Aile Ténébreuse… C’est humiliant. Votre plan démontre votre intelligence. Vous pourriez être un homme de poids en rejoignant la rébellion ! Si Aile Ténébreuse gagne la guerre totale, que croyez-vous devenir ensuite ? »

« Quel manque de respect envers son hôte. Vous êtes l’otage et je suis votre nouveau chef pour le moment, Jack. La rébellion n’est pas mon principal problème dans mon travail de tous les jours. Votre influence est tellement négligeable. Vous êtes traqués à la fois par mes forces et celles des pirates. Voici le choix qui s’offre à vous, Jack. M’aider à me débarrasser d’un équipage de pirates pour retrouver votre famille ou alors ne rien faire et permettre à ces mêmes pirates de sévir mais je me débarrasserais lentement et douloureusement de ceux qui vous sont chers sous vos yeux. »

« Je ne vous crois pas… On ne peut pas faire confiance à des monstres venus d’ailleurs. En définitive, Aile Ténébreuse ne doit pas gagner. »

Le navire du Capitaine Snow était donc retourné dans son repaire sur l’île de Sen’rin. Ce soir-là, Jack avait fait le choix de s’entretenir avec ce dernier. Snow était l’archétype du pirate mature, avide de trésors et de sensations fortes. Il devait en effet sa réussite à des attaques isolées et minutieusement préparés sur des navires de marchandises en tout genre. La soudaine apparition de Jack sur le navire laissait septique certains membres de l’équipage pirate mais ni le Capitaine, ni ses officiers n’étaient du genre à vraiment se soucier de leur composition. Le rendement était le principal intérêt de la tête de pont. En plus d’être nombreux, il était encore moins probable que le Capitaine en personne connaisse personnellement chacun de ses sbires. En effet, ils n’étaient pas plus que le fer de la lance qui lui permettait de se faire un nom. Certains pirates détenaient la réputation de former des petites familles et ce n’était cependant pas le cas de Snow.

Jack détenait une mission officielle et officieuse. On lui avait ordonné de s’infiltrer sur l’Aube du Crépuscule et de se faire passer pour un membre de l’équipage pirate afin de suivre tous les déplacements et surtout découvrir la position du repère. Volontairement, Asmodan avait laissé sous-entendre qu’il pourrait alors lancer une attaque surprise. Bien évidemment, Jack ne pouvait pas lui faire confiance quant au fait que des démons le laisseraient retrouver sa femme et son fils. Il avait d’ailleurs raison de le penser. Pourquoi Asmodan avait-il choisit de montrer une fausse bonne facette de sa personnalité ? C’était tout simplement pour inciter implicitement Jack à faire ce qu’il espérait. Ainsi, le soir venu, Jack obtient un entretien avec Snow dans sa cabine personnelle.

« Ca… Capitaine Snow… La flotte d’Aile… Ténébreuse… nous attaquera bientôt ! » déclara Jack, balbutiant.

« Et comment t’sais ça, toi ? Comment t’peux savoir c’que moi j’ignore ? C’serait pas un p’tain de mensonge ? » réplique Snow, plutôt incrédule.

« Non ! … Capitaine… Je… J’ai pas été recruté sur votre navire, je suis un infiltré. On m’a forcé. »

« QUOI ?! C’quoi encore que c’te merde ?! T’as intérêt à avoir une explication sinon j’te coupe les couilles et j’te tue. »

« Ma famille est l’otage de l’Amiral de la Flotte d’Aile Ténébreuse. Nous appartenions aux rebelles mais nous avons été capturés… Ils ne relâcheront jamais ma femme et mon fils alors tout ce qu’il me reste à faire, c’est vous dire la vérité. Je préfère encore que les pirates mènent leurs affaires tranquillement plutôt que d’être coupable de donner une victoire aux fidèles d’Aile Ténébreuse. »

« Aile Ténébreuse d’mes couilles. Il n’est même pas foutu de conquérir l’Archipel d’la Muerta alors m’fais pas chier avec lui. Donc si j’te suis bien, si t’montais pas mon vaisseau d’guerre, ils t’tuaient quand même. Alors l’Amiral veut mes bijoux. Bon t’sais quoi. La prochaine fois qu’on croise des rebelles, on s’contentera juste de violer les femmes pour payer not’dette. Mais toi, t’es bon pour les requins. On ne s’invite pas sur mon vaisseau d’guerre impunément. T’comprend ? Si je te bute pas, ils vont penser quoi mes chiens d’guerre ? »

Ainsi, le plan d’Asmodan se déroulait comme prévu. Mieux encore, il s’agissait alors d’une démonstration de sa capacité à détourner la vérité. Jack retrouverait bien sa femme et son fils mais peut-être pas de la façon dont la situation était imaginable. De simples retrouvailles dans la mort. Bref, Snow pensait désormais qu’une attaque surprise était imminente et il s’agissait du plus important pour l’Amiral de la Flotte d’Aile Ténébreuse.


Les jours qui suivirent.

Asmodan faisait les cent pas dans sa cabine personnelle sur le Dédain. Le navire amiral n’avait pas reçu de nouvelles de Jack depuis près d’une semaine et cela offrait l’information primordiale à Asmodan. Jack était resté un rebelle dans l’âme par ce simple fait. Comment pouvait-il le savoir ? L’Amiral ordonna simplement que des patrouilles régulières soient exécutés au large de Sen’rin et vers les lieux où on avait signalé les attaques de l’Aube du Crépuscule. Evidemment, la flotte d’AT ne trouva plus aucune trace d’eux, preuve que Jack avait rempli son contrat. Asmodan ne pouvait pas se permettre une attaque directe sur Sen’rin car les AT ne connaissaient pas vraiment cette île réputée très dangereuse. Il n’était tout simplement pas du genre à s’engager dans un conflit sur un champ de bataille recouvert par un brouillard de guerre. Aussi, Asmodan disposa quelques navires espions entre l’île de Sen’rin et l’Archipel de la Muerta. Là encore, le Démon du Chaos avait alors la certitude que Snow ne s’était pas dirigé vers là-bas. En fait, l’information manquante venait de lui parvenir.

« Amiral. Les nouvelles sont bonnes. L’Aube du Crépuscule a été repérée non loin des terres des Glaces. Il officie dans le petit détroit entre Terre et Glace. Ils se concentrent en ce moment-même sur les convois rebelles. »

L’Amiral sourit très largement. Il était bien parvenu à utiliser un rebelle pour mentir à un pirate. En effet, Asmodan n’avait jamais eu l’intention de les coincer sur Sen’rin et encore moins de s’aventurer dans l’Archipel de la Muerta. Snow semblait vouloir profiter des intenses patrouilles dans le nord pour faire marcher son affaire plus au sud. Le choix semblait logique car ce dernier n’avait aucun intérêt à se battre contre la Flotte d’Aile Ténébreuse. En tout cas, il ne s’agissait pas de sa façon de faire.

« Bon travail. Soit. Dans trois jours, tout sera fini. Il faut maintenant faire répandre la rumeur que le Dédain et les navires sous-amiraux planifient une attaque sur Sen’rin. Dans deux jours, nos trois principaux vaisseaux devront être à un, non, deux kilomètres de là-bas. Tout le monde doit y croire. Concernant l’équipage du Dédain, nous agirons dans trois jours. Nous connaissons le nouveau terrain de chasse du Capitaine Snow car indirectement, nous l’avons envoyé là-bas. Il y a trois semaines, nous avons capturé un galion appartenant aux rebelles. Nous allons nous en servir pour atteindre au plus près et sans soupçon notre ennemi et nous mettrons fin à tout cela au terme d’un combat sanglant. »


Trois jours plus tard.

Le galion rebelle détourné par les forces d’AT avait pris la mer en direction du détroit séparant Terre et Glace. Comme prévu, une partie de la flotte d’AT avait pris la direction de l’île de Sen’rin, là où officiait auparavant l’Aube du Crépuscule. Le Dédain en personne, le navire amiral, faisait partie du convoi mais pour la première fois depuis sa création, l’amiral en personne n’était pas à bord pour superviser le commandement. En réalité, une partie de l’équipage du Dédain et Asmodan en personne se trouvaient sur le galion rebelle pour tendre un piège au Capitaine Snow. Ainsi, le plan de l’Amiral était tout simplement de se faire attaquer par son ennemi sans que celui-ci ne puisse se douter de la supercherie. Pour cela, les récentes magouilles qui prirent plusieurs jours furent nécessaires à l’élaboration d’une telle opération. Enfin, la partie opérative de l’iceberg s’apprêtait à prendre toute sa forme.

Dans l’après-midi, le galion rebelle atteignit effectivement le détroit. Il était de grande taille, comme tout galion qui se respecte et donc forcément très attirant pour un équipage pirate. Quelques membres de l’équipage d’Asmodan étaient restés sur le pont pour assurer la navigation et rendre le galion vivant. Le reste, dont Asmodan attendaient patiemment dans la cale. Oui, l’Amiral était au milieu de ses hommes et ils avaient passé la journée à discuter de tout et de rien. Malgré l’ascendance démoniaque de son rôle et de sa mission, Asmodan appréciait réellement ceux qui le suivaient et faisaient en sorte que son commandement soit un succès. Si certains représentaient même des ennemis potentiels, ne dit-on pas qu’il faut être proche de ses amis mais encore plus proche de ses ennemis ? Si Asmodan avait pu mettre en place un tel plan, c’était principalement car il avait su acquérir les connaissances nécessaires. Seul, il avait conscience de ne pas pouvoir faire grand-chose, il lui incombait alors la tâche d’être respecté et aimé de la majorité de sa flotte. Puis d’une certaine façon, ceux qui servaient ses intérêts détenaient l’assurance d’un travail régulier et d’un avenir certain.

Soudain, l’effectif situé dans la cale fut averti. L’Aube du Crépuscule venait de lancer l’attaque et la phase d’abordage était pleinement lancée. Les forces d’AT sur le pont résistaient tant bien que mal aux forces pirates car elles étaient logiquement en sous-effectif.

« Allez bande d’troufions ! Jetez ces pécors d’rebelles aux requins ! Toi, toi et toi, vous allez dans les cabines et vous prenez tout c’que vous pouvez prendre rapportant de l’or ! Et vous là-bas, r’montez-moi les trésors dans la cale ! »

L’opération pirate était un nouveau succès. Comme à leur habitude, ils s’apprêtaient à piller toutes les richesses suite à une attaque sur un navire isolé et sans protection. De plus, un galion représentait un intérêt bien plus grand qu’un simple navire commerçant. Dans une demi-heure, le Capitaine Snow serait loin d’ici, un peu plus riche et confiant. Enfin, il le pensa très certainement jusqu’à entendre des cris d’horreur provenir de la cale.

« Haaaaa ! Capitaine ! C’est un piège ! Arrrghh. »

« Un piège ? C’quoi ce bordel encore ? »

Du haut de la tête de pont, on pouvait entendre la marche des forces d’AT qui remontaient. L’ambiance sonnait très militaire. Les pas suivaient un rythme très harmonieux rappelant une marche impériale et à vrai dire, particulièrement inquiétante pour les hommes de Snow. L’effet de surprise venait de changer de camp. Une voix lointaine, puissante et grave à la fois commençait à donner des ordres.

« Djark, Grom et Claw, prenez vos arcs et enflammez les voiles de l’Aube du Crépuscule. La retraite de nos ennemis est interdite. Le détroit constituera leur tombeau. Les autres, avec moi. La libération de nos frères et sœurs d’armes capturés est notre priorité. Ensuite, nous nous débarrasserons des survivants. Leur chef est à moi. Je vais lui apprendre ce qu’est-la peur. »

Quelques réactions de stupéfactions apparurent dans les rangs d’Asmodan. « lui apprendre ce qu’est-la peur. » Tous savaient ce que cela signifiait. Apparemment, l’Amiral n’hésiterait pas à se servir de ses pouvoirs pour écraser son ennemi. Il était vrai que d’habitude, l’Amiral était relativement pudique quant au fait de se dévoiler sur ses pouvoirs et ce même devant ses propres hommes. En général, Asmodan prenait seulement part à un combat lorsque cela était nécessaire et pour l’occasion, son honneur et celui de la flotte d’AT était en jeu.

Ainsi, tel un seul et unique membre, Asmodan et ses hommes atteignirent le pont du galion rebelle dans un bourdonnement désagréable. Les premiers combats s’engagèrent et ses hommes couvrirent d’abord Djark, Grom et Claw afin qu’ils puissent atteindre un point en hauteur. Lorsque ce fut chose faite, les trois compères purent faire déferler sur les voiles de l’Aube du Crépuscule, rendant toute retraite impossible. Ensuite, chacun s’attela à réaliser sa part du travail. L’essaim démoniaque ne laissait que très peu de chances aux pirates désordonnés et éparpillés.

Au milieu du conflit, Asmodan et Snow se retrouvèrent face à face.

« Le Dévoreur en personne, ici ? C’pas ma vaine pour c’te fois. Sale époque. D’mon temps, c’était quand même plus facile d’attaquer les Abysséens quand vous n’étiez pas là. »

« Abyssaï et toutes les terres aux alentours appartiennent à Aile Ténébreuse le Conquérant. Je ne suis que son représentant militaire. Les pirates et les rebelles devraient prendre conscience que s’ils ne peuvent arrêter ma flotte, ils ont alors encore moins de chance de faire tomber le Roi Démon. Enfin, respectons le protocole. »

Preuve supplémentaire qu’Asmodan avait conscience de son insignifiance face au Roi Démon. Si l’Amiral était doué pour déformer la vérité, il n’avait aucune honte quant au fait de s’incliner face à celle qu’il ne pouvait pas changer.

« Mhm, le protocole. Faisons court. Snow, Capitaine de l’Aube du Crépuscule. Vous êtes coupable de multiples attaques contre les forces commerçantes et navales d’Aile Ténébreuse. En tant que délégué du pouvoir du Roi Démon dans le domaine de l’Eau, moi, Asmodan, Amiral de la Flotte d’Aile Ténébreuse, je proclame votre exécution immédiate dont je me chargerais personnellement. Justice sera alors rendue. »

La situation devenait amusante pour l’Amiral de la flotte d’AT. En effet, il utilisait des mots très contradictoires avec sa propre nature mais avec un sens certain pourtant. Depuis deux ans, Aile Ténébreuse avait conquis la majorité des eaux de Terra Mystica et si Asmodan n’avait pas donné d’adjectif particulier au sens de la justice, il était évident qu’il s’agissait d’une justice purement démoniaque. Les démons avaient envahi Terra Mystica afin de faire de ce monde le leur depuis plus de dix ans. En excellents monarques, ils avaient su s’adapter à la façon de juger des êtres nés sur Terra Mystica il y a longtemps déjà. Ainsi, utiliser des mots tels que « justice » avait un véritable sens.

Il n’y avait plus rien à dire. Il ne restait plus qu’à conclure. Les combats entre flotte d’AT et pirates étaient bien engagés désormais tandis que Snow et Asmodan se défiaient toujours du regard.

« P’tains de démons… Vous allez crever ! Le monde appartient aux pirates ! »

L’espace d’un court instant, Asmodan sentit un léger déséquilibre mental. La dernière déclaration de Snow lui donnait la sensation d’avoir déjà entendu ça auparavant. Au fin fond de son esprit, Asmodan aperçut le visage d’un homme devant son équipage pirate en train de faire un discours. Référence au passé de Joshuah, bien évidemment.

« Le monde appartient aux pirates… »

Le tout redevint un ensemble de grésillements. Au plus profond de son être, Asmodan savait que cela avait eu un sens pour lui autrefois mais dans sa nouvelle nature et sa façon d’être, tout cela était désormais très ridicule. Asmodan se saisit de Kaos, son cimeterre fétiche alors que Snow dégaina son propre sabre de bonne qualité. Le duel final allait enfin pouvoir commencer. La façon de combattre d’Asmodan était relativement progressive. Dans un premier temps, il se contenta de laisser Snow l’attaquer en répétition pour observer son style et l’analyser. Il en déduisit rapidement que son ennemi avait plus de force que de rapidité ou de précision et à moins de réaliser une botte secrète quelconque, Snow ne devait pas être capable de briser sa garde à moins qu’il ne commette une erreur. Dans un second temps, Asmodan commença à assaillir de frappes simples, c’est-à-dire d’une force moyenne mais d’une bonne précision Snow. Pour faire durer le plaisir, Asmodan semblait même réguler sa force au même niveau que la sienne. A côté, la défaite des pirates commençait à ne plus faire de doute. Soudainement, Snow prit un élan pour s’élancer en direction d’Asmodan. Ce dernier profita de cet instant pour se concentrer et son regard violacé devint scintillant. Un anneau violâtre se forma autour de lui à quelques dizaines de centimètres autour de lui. Tellement certain de lui-même, il abaissa même la pointe de Kaos. Confiant, Snow tenta alors de pourfendre Asmodan mais il se heurta alors contre la barrière magique de l’Amiral. Il lui sembla alors frapper un mur de métal et il ressentit une douleur au poignet. L’Amiral sourit, s’avançant dans sa direction, prenant l’air du vainqueur.

« Monstre ! Les gars ! Rassemblez-vous ! Les gars ?! »

La flotte d’AT n’avait laissé aucune chance à une action de débandade. Il ne restait plus que Snow, Asmodan et ses hommes. Les pirates étaient vaincus et la flotte d’AT avait subi seulement quelques pertes. Laissant s’estomper sa barrière magique, celui qu’on surnommait le Dévoreur planta la pointe de son épée dans la poitrine de Snow qui balbutia.

« Ma g…gloire… Mes gars… Mon or… Ma… vie… »

La vie était en train de quitter le corps de Snow mais pas son âme. Asmodan lui réservait un tout autre destin. Kaos accomplissait son œuvre et arrachait l’âme du mourant, preuve même qu’il était condamné. Le cristal incrusté dans le cimeterre accomplit son œuvre et transmis l’âme de Snow à son porteur. Ce dernier ferma les yeux et sourit très largement, prit d’une intense sensation de satisfaction. Certains hommes de l’amiral voyaient cet étrange phénomène pour la première fois.

« Fouillez l’Aube du Crépuscule et récupérez les biens qui s’y trouvent. Ils sont la propriété du gouvernement désormais. »

La mission qui était un succès s’acheva sur ces derniers mots.

Citation :

Rapport de l’Amiral de la Flotte d’Aile Ténébreuse Asmodan au Roi de Terra Mystica.

Mon Seigneur,

La mission est un succès. La communication maritime entre Sent’sura et Miraï a été rétablie dans les meilleures circonstances. Les attaques de ces dernières semaines étaient l’œuvre de l’Aube du Crépuscule, un équipage pirate sans appartenance à l’Archipel de la Muerta. Ceux-ci venaient régulièrement de l’île de Sen’rin et concentraient leurs attaques sur nos convois isolés et peu protégés.

Ne pouvant assurer une attaque directe sur Sen’rin qui nous est encore inconnue, nous avons mis en œuvre un stratagème poussant le Capitaine Snow à limiter les horaires de ses attaques et surtout le contraindre à les déporter vers un endroit que nous avons surveillé.

Il y a quelques mois, nous avons capturé un galion appartenant à la rébellion et il me parut alors ingénieux de l’utiliser pour affaiblir la vigilance de nos ennemis. J’ai orchestré une fausse attaque sur Sen’rin en envoyant le Dédain, navire amiral, et une escorte de grande envergure vers Sen’rin en laissant croire que l’Amiral de votre flotte en personne se trouvait dessus.

En parallèle, nous avons envoyé le galion rebelle dans les eaux où opéraient depuis quelques jours notre cible ennemie. Mes meilleurs hommes et moi-même avons donc tendu un piège aux pirates et nous nous sommes assurés qu’ils ne dérangeront plus jamais votre excellence.

Asmodan, Amiral de la Flotte du Souverain Unique de Terra Mystica.