Danalieth

I.La faim justifie les moyens.

Le garçon courrait dans les rues de Sen'Tsura, se frayant un chemin à travers la foule dans l'espoir d'échapper à son poursuivant. Cette fois en cas d'échec ce serait dans le meilleur des cas un aller simple pour les geôles et dans le pire...mieux vallait ne pas penser à ce qu'il se passerait si le boulanger en colère décidait de régler l'affaire sans l'aide des officiers du Guet.

Danalieth, puisque tel était le nom du petit voleur, déboula soudain dans une ruelle aux allures de lieu d'aisance et hors d'haleine fit face à... un mur.Une impasse, il était bloqué. L'artisan l'avait bien compris et il s'approchait désormais de sa victime un sourire victorieux étalé sur sa large face, il ne faudrait pas compter sur le fait d'être remis entre les mains de la justice.

Lorsque l'on a dix ans et qu'on se retrouve dans une situation telle que celle-ci, bloqué au fond d'une impasse crasseuse avec un énorme bonhomme à l'air peu sympathique et décidé à vous apprendre la vie, la réaction diffère peu selon les individus. Terrifié Danalieth vit son poursuivant s'approcher lentement, sûr de sa victoire, il sentit quelque chose se débloquer au niveau de son entrejambe. Il venait de se compisser les chausses.

La seule alternative possible consistait à... Danalieth attrapa la miche de pain dûment volée et la lança vers son propriétaire légitime dans une dérisoire tentative de diversion. Dans le même temps il s’élança de toutes ses forces dans les jambes de celui-ci. L'artisan, devenu obèse après tant d'années à goûter sa marchandise se renversa en arrière en poussant un petit cri. Danalieth à ce moment aurait très bien pu écouter le plus élémentaire des instincts de survie et prendre ses jambes à son cou, seulement à dix ans la témérité aussi bien que la peur vous atteints avec une facilité déconcertante. Le petit garçon commença à bourrer de coups le gros ventre du boulanger.

Celui-ci après avoir repris ses esprits éclata de rire et d'un mouvement vif immobilisa le gamin d'une seule main, affolé ce dernier commença à se débattre en hurlant dans l'impasse. 
Personne ne lui viendrai en aide s'en était fini de lui. Sa première année dans le monde et il avait échoué, son père se rirait de lui à coup sûr. Se faisant le boulanger le fixa d'un air mauvais et lui postillonna au visage :

« -'Ras le bol des parasites dans ton genre, m'en vais t'apprendre la vie mon ptit choux »

Une lueur passa dans le regard du gros homme, quelqu'un d'un peu plus vieux l'aurait tout de suite qualifiée de lubrique. D'une seule main son tortionnaire arracha la loque servant de pantalon à Danalieth et le retourna, sans doute dans la perspective de lui « apprendre la vie ». Danalieth du haut de ses dix ans ne comprenait évidemment pas ce qui était sur le point de lui arriver.

Au moment de « l'entrée en matière », l'homme se préparant à passer à l'acte, une voix féminine froide et tranchante transperça l'air malsain de la ruelle :

« -Ça suffit ! »

L'homme ne sembla pas vouloir s’arrêter trop excité par sa petite proie et se mit à pouffer d'un rire gras et caverneux. Restant calme, la jeune femme, sortit de l'ombre et lança un regard assassin au soudard.

« - J'ai dis ça suffit, lâche ce gamin et dégage. »

Quelque chose brillait dans les yeux de la mystérieuse jeune femme, une émotion se situant quelque part entre la sauvagerie et la haine.Un grondement sourd s’élèva alors dans l'air glacial du matin, faisant frémir homme et enfant. Semblant considérer la menace le violeur lâcha sa victime et s'avança vers la nouvelle arrivante, il n'eut le temps de faire qu'un pas,un seul. Cette dernière, plus vive qu'une ombre s'était déjà élancée vers le boulanger et avant qu'il ne puisse réagir pivotant sur elle même lui avait décoché un coup de pied d'une singulière précision. Pour la deuxième fois de la journée l'obèse partit en arrière sans possibilité aucune de se rattraper. Cette fois c'est un cri de douleur qui emplit l'espace et non un rire.  

« - Dégage je t'ai dis... hors de ma vue. »

Sans demander son reste l'homme se releva et s'éloigna en titubant.

Doucement, la jeune femme se pencha vers l'enfant terrifié et déposa sur ses épaules une cape de voyage. 

« -Ça va aller maintenant, tout est fini .»


II.Les meilleurs choses ont une fin.


« Assure tes appuis ! Redresses-toi ! »

Ces injonctions cela faisait une bonne centaine de fois que Danalieth les entendait. Le jeune homme obéit et se redressa en tachant de rester concentré, les choses avaient bien changées depuis ce jour dans la ruelle où elle lui avait sauvé la vie. Elle qui l'avait protégé,nourris, lui avait fournis un lieu où vivre et qui aujourd'hui lui servait de professeur. Après tant d'années ses traits étaient restés presque semblables à ceux des premiers jours, son corps était immuable,traversant les années sans que le temps y dépose jamais sa marque. Si il arrivait à Danalieth de relever cette particularité il n'avait jamais osé questionner son mentor à ce sujet.

« Danny ! Ressaisis-toi ! »

Elle ne lui laissait aucun répit, après cette séance et comme tous les jours depuis dix ans elle le ferait courir jusqu'au coucher du soleil. Toutes ces journées d'entraînements avaient elles laissé leur marque sur Danalieth. De l'adolescent chétif des premiers jours plus rien ne subsistait si ce n'est le regard, un regard bleu azur aussi profond que l'océan. Désormais pourvu d'une réelle musculature Danalieth supportait généralement assez bien les longues heures d'exercice imposées par son mentor, néanmoins il lui arrivait plus souvent qu'à son tour de s’écrouler sur son matelas sans demander son reste après une grosse journée. Elle, ne semblait jamais épuisée.

Toujours la première debout et la dernière à veiller, était-elle même humaine ?
En tout cas Danalieth n'avait pas oublié ce qu'il était. Une bête,un monstre, une anomalie de la nature. Cette idée le taraudait de plus en plus, avait-il sa place dans le monde ? Parmi les Hommes ?

« -Bon ça suffit, tu n'es bon à rien aujourd'hui, va courir et reviens vite il faut renouveler la réserve de bois. »

Une fois de plus la voix vint le tirer de ses sombres pensées. Danalieth acquiesça et partit en petites foulées,suivant machinalement un itinéraire cent fois parcouru. La course lui vidait l'esprit, laisser son corps travailler seul sans avoir à réfléchir ou même se concentrer lui permettait de relâcher la tension. Tension en grande partie due à certaines préoccupations existentielles. Il lui faudrait bien un jour s'en ouvrir à quelqu'un..

L'hiver précédent n'avait pas réussi à faner la beauté des forêts de Flore, les orchidées fleuries exhalaient un parfum enivrant et c'était une véritable explosion de couleur qui s'offrait aux regards émerveillés des promeneurs. Des promeneurs dans cette partie de la forêt il ne s'en y aventuraient justement pas beaucoup,c'est d'ailleurs ce qui avait motivé le choix du lieu. La clairière où Danalieth et sa protectrice s'étaient établis constituait un havre de paix au milieu de cette jungle luxuriante et dévorante. Un ruisseau la traversait en son centre et la cabane en rondins qui avait été battis à quelques mètres de celui-ci était dotée d'un confort que l'on aurait pu qualifier de spartiate mais qui suffisait amplement aux besoins du maître et de son élève.

Maître et élève, la relation qui liait Danalieth à cette femme mystérieuse n'avait cessé d'évoluer le temps passant. Si au début on aurait pu leur trouver l'air d'une mère et de son enfant aujourd'hui un œil extérieur pourrait au jugé de leur âge similaire penser avoir affaire à un couple.

L'amour...Danalieth, même à la puberté n'avait jamais ressenti le besoin de posséder une âme sœur, même si à l'adolescence il lui était arrivé quelques fois de considérer les courbes de sa bienfaitrice d'un œil plus mature et quelques autres fois de s'épancher en secret derrière un buisson sous le couvert des arbres jamais il n'avait eu ce besoin, cette pulsion que les Humains ressentent d'unir leur vie à une autre.

Revenant à des considérations plus matérielles Danalieth se rendit compte qu'il était presque revenu à son point de départ. La perspective de devoir ressortir pour débiter une ou deux souches n'était pas vraiment pour lui plaire. Néanmoins jamais il ne lui serait venu à l'esprit de contester les instructions données par la femme qui dirigeait presque tout ses actes au quotidien.
Il faisait nuit lorsque Danalieth termina enfin sa tâche.Là-haut, énorme, la lune resplendissait et semblait contempler le monde, aleran eut un frisson et se dépêcha de regagner la douce chaleur du chalet.
Elle était là, assise sur le sol à l'attendre. Les yeux fermés comme endormie.

« Prends place. »

Danalieth s’assit en face d'elle et attendit. Quelque chose clochait, son visage qu'il avait tant de fois regardé sans jamais vraiment le voir renvoyait une impression de tristesse marquée de résignation.

« -Il est temps Danalieth. »

«-Que voulez-vous dire ? »

Danny tenta un sourire mais il ne fit pas illusion bien longtemps tant l'expression de son
interlocutrice demeura de marbre. Il avait compris évidemment, et elle le savait.

 « Mais je ne suis pas prêt ! Pas prêt à affronter le monde là dehors. »

« -Tu l'es.Demain je te mènerais à la lisière de la forêt. Je n'ai plus rien à t'apprendre. Le reste c'est à toi de l'inventer. Invente ta vie. Soit ce que tu dois être et ne laisse personne, personne tu m'entends décider de ta vie pour toi. Le monde est vaste Danalieth, nous avons marché un temps ensemble, nos routes se séparent aujourd'hui pour qui sait peut-être un jour se recroiser. »

Une seconde de silence passa, puis deux. Les deux regards étaient comme chevillés l'un à l'autre, le temps semblait s'être arrêté.

« Allez..mange.. »

La nuit avait été longue pour Danalieth, le jour se levait, lentement réchauffant la terre, et dispersant la chape de nuit qui recouvrait encore le monde. Elle était déjà levée évidemment. Danalieth se restaura et attendit, appréhendant le moment fatidique où inévitablement il lui faudrait quitter tout ce qui hier encore constituait sa vie.

Un temps passa, Danalieth caressa le doux espoir que tout cela n'était finalement qu'une mauvaise blague et que bientôt elle lui ordonnerait d'aller se mettre en position à l'endroit habituel. Mais l'humour n'était pas une qualité qu'elle possédait. Avec gravité elle lui fit signe qu'il était temps de partir, s'ensuivit une longue marche à travers l'épaisse forêt.
Enfin arriva le moment tant redouté de la séparation, les plaines du royaume de la Terre s'étendaient à perte de vue jusqu'à l'horizon. C'était une belle journée pour partir à l'aventure, les conditions étaient idéales. C'est ce qu'aurait sans doute pensé Danalieth s'il n'avait pas eu le cœur aussi gros. Enfin les mots tombèrent :

« -Adieu Danny. »

-Adieu Lunéra.. »


III: Partir un jour sans retour...


« -Votre nom déjà ? »

« -Danalieth!.

« -Très bien veuillez patienter encore un instant s'il vous plaît quelqu'un va s'occuper de vous. »

-Je « patiente un instant » depuis ce matin madame. »

« -Monsieur vous n'êtes pas le seul dans cette situation veuillez regagner votre siège »

Danalieth retourna s'asseoir non sans lancer un regard noir à la secrétaire assise derrière son guichet. La lenteur de l'administration du pays de la Terre ne cesserait-jamais de l'étonner. Venu le matin même pour faire une demande d'emploi on lui avait assuré une bonne dizaine de fois qu'il allait être pris en charge. Les clochers de la ville avaient déjà sonnés midi et il attendait toujours sur son siège entre deux mercenaires lourdement armés. Le genre de type qu'il ne serait pas déplaisant de corriger releva Danalieth.

L'annonce avait été placardée dans la salle commune de l'auberge où le jeune homme s'était établis. Une guilde de marchand recherchait des guerriers expérimentés pour une mission d'escorte de Sen'Tsura jusqu'à Sylfirira, le voyage était long mais la mission bien payée et si Danalieth n'avait aucune expérience de ce genre de voyage il se pensait amplement en mesure de faire face à une bande de bandit. Il était stipulé que peu de candidats seraient retenus, c'est donc dès l'ouverture des bureaux de la guilde que Danalieth s'était présenté, bien sûr il 'était pas le seul à réclamer le poste et il du faire la queue avant de pouvoir ne serait-ce que décliner son identité au guichet et indiquer la raison de sa venue. Les deux brutes qui l'encadraient semblaient faîtes de pierre, depuis leur arrivée ils n'avaient pas esquissé le moindre mouvement. Les clochers de la ville sonnèrent un unique coup. Midi et demi... Danalieth se renfrogna sur sa chaise et croisa les bras, il avait abaissé son capuchon de sorte qu'on ne puisse le scruter en toute liberté aussi ne vit-il pas tout de suite les deux mercenaires se lever dans un bel ensemble.

Ils s'approchèrent du guichet et commencèrent à échanger avec la secrétaire. Visiblement ce qu'ils entendaient ne leur plaisait pas, le mercenaire de gauche posa la main sur la poignée de son épée. Tout à coup le ton monta et la secrétaire fut saisi au collet et propulsée de l'autre côté du guichet. La salle d'attente devint silencieuse, plus personne n'osait esquisser le moindre geste, la femme avait atterrit aux pieds de Danalieth.

Celui-ci n'avait pas pour habitude de s'occuper des affaires des autres et si la secrétaire ne lui était pas forcément sympathique l'idée que les deux brutes puissent l’exécuter là à ses pieds ne l'enchanta pas outre mesure. L'un des deux barbares s'approcha de la secrétaire l'air mauvais et un coutelas à la main. En voyant l'éclair de métal dans la main du mercenaire Danalieth acheva de prendre sa décision et se leva fixant celui qui était devenu son adversaire.

« C'est bon maintenant ! »

Ces quelques paroles firent resurgir des sensations et des souvenirs qu'il avait depuis longtemps oublié. Il se revit ce matin d'hiver dans la ruelle alors que terrifié il s’apprêtait à subir l'ire du boulanger. A l'époque l'enfant qu'il était s'était vu totalement impuissant face à cet adulte, aujourd'hui Danalieth n'avait plus rien d'un enfant.

N'attendant pas la réponse de son vis à vis Danalieth contourna le corps de la secrétaire en larme et vint se poster devant elle (en toute bonne foi) en position défensive. C'est alors que Danalieth releva un détail qui lui avait échappé jusqu'à maintenant, l'homme était armé alors que lui... Bah ! De toute façon il ne se sentait pas à l'aise avec une lame entre les mains. Tous les regards étaient fixés sur eux, la salle retenait son souffle. L'homme s'avança et fendit l'air de sa lame , laissant parler ses réflexes Danalieth attrapa le poignet de son adversaire et d'un tour sur lui même vint se placer contre lui, son coude ayant suivi le mouvement était venu s'écraser contre le sternum de son adversaire. La scène n'avait duré qu'une seconde et l'homme lâcha un hoquet de souffrance le souffle coupé, le coutelas tomba à terre et d'une bourrade le jeune homme fit reculer son adversaire.

Voilà c'était fini. Son premier véritable combat. Toutes ses années passées auprès de Lunéra avaient donc payées. Danalieth se retourna et tendit la main à la femme toujours prostrée au sol, c'était sans compter avec le deuxième homme qui en profita pour frapper violemment Danalieth par derrière de ses deux poings réunis. Le jeune homme s'écroula, le dos irradiant de douleur, le deuxième mercenaire n'y était pas allé de main morte. Un chuintement se fit entendre, celui d'une lame qu'on sort de son fourreau. Danalieth roula tant bien que mal sur lui même et se releva en s'adossant à la paroi.

La douleur devenait supportable, le barbare avait dégainé une épée courte, l'acier lançait des reflets évocateurs dans la salle statufiée. Il ne s'en sortirait pas face à ces six pouces d'acier, c'était une autre affaire que le coutelas. Danalieth se maudit intérieurement de n'avoir jamais pris la peine de se munir ne serait-ce que d'une dague, était-il orgueilleux au point de croire qu'il pourrait aisément venir à bout d'un adversaire armé ? Il se jura que s'il sortait vivant de cette histoire il foncerait tout droit chez l'armurier le plus proche. Une seule chose restait possible, la fuite n'étant pas envisageable étant donné que le mercenaire barrait la seule sortie de la pièce.

Il lui fallait attendre, attendre que l'autre commette une erreur,une erreur qui lui serait fatale. Danalieth se redressa donc et tint sa garde les deux mains en position, tous les muscles tendus prêt à saisir la moindre occasion. L'homme finit par s'avancer et tenta de pourfendre Danalieth de haut en bas, son épée ne trancha que de l'air. Le jeune homme avait esquivé, malheureusement le guerrier s'était rapidement remis en garde, coupant court à toute tentative de contre-attaque. La chose se répéta et voyant que la situation semblait bloquée, Danalieth décida de prendre un risque , il finirait de toute façon par être acculé contre un mur et là il serait trop tard. Danalieth maudit la lâcheté des personnes présentes dans la salle, aucune n'avait jugé utile d'intervenir en faveur du jeune homme alors qu'il était manifestement en difficulté.

Ces réflexions n'avait durées qu'une seconde, néanmoins le mercenaire y voyant une occasion s'était précipité dans l'idée d'en finir rapidement, ainsi c'est une frappe simple mais brutale qu'il tenta d’asséner à Danalieth. Celui-ci profitant de la précipitation de son adversaire passa sous la lame d'un mouvement fluide et laissa partir son poing fermé vers la gorge vulnérable. Le coup porta, et Danalieth en profita pour faucher son adversaire aux jambes et l'envoyer rouler au sol.

*Clap clap clap*

Un homme d'allure soignée et vêtus de luxueux vêtements applaudissait, seul. Affichant les dents les plus blanches que Danalieth eut jamais vu.

« -Félicitation monsieur... ? »

Danalieth respira un grand coup et répondit de la manière la moins abrupte qu'il pût.

«- Danalieth.» 

«-Et bien félicitation vous êtes embauché ! Ignasse,Fungus relevez-vous ! Et saluez Monsieur Danalieth il nous accompagnera jusqu'à Sylfiria. Car c'est pour ça que vous êtes là n'est-ce pas ? Pour la mission d'escorte »

Les deux mercenaires se relevèrent un sourire tout aussi amical sur le visage, l'un deux adressa même un petit signe à Danalieth. La secrétaire quant à elle se releva et retourna derrière son guichet sans un mot. Tout cela n'avait été qu'une mascarade. Danalieth reporta son attention sur l'homme qui l'avait félicité, visiblement au regard interrogatif que celui-ci lui lançait il attendait une réponse.

« Ou..oui c'est bien ça mais.. »

« -Alors ne vous inquiétez pas tout est bien. Allez voir Gertrude elle vous fournira de plus amples informations quant aux modalités du voyage et de votre rémunération. Ce fut un plaisir Monsieur Danalieth ! »

L'homme toujours aussi souriant sorti en compagnie des deux mercenaires. La stupéfaction passée les marchands et autres personnes présentes dans la salle applaudirent la farce et les conversations reprirent sur un ton enjoué.
Danalieth s'approcha du guichet, la secrétaire lui remis un contrat et lui expliqua qu'il devrait se tenir prêt à partir pour la fin de la semaine. On lui expliqua par la suite que ce qu'il lui était arrivé était assez courant pour ce genre de recrutement et qu'il avait bien de la chance d'avoir réagi le premier. C'est ainsi qu'il fut embauché par la guilde pour cette mission de plusieurs semaines à travers Terra et qu'il débuta son voyage.

IV:Une première fois.

Un polymorphe. Danalieth était un polymorphe. Capable de changer d'apparence à volonté, à volonté ? Non. Il lui fallait du sang. Oh pas forcément beaucoup, mais il lui fallait du sang. Depuis quelques temps il n'arrêtait pas d'y penser, après tout il n'avait jamais essayé pourquoi se refuser à ça. Ça n'avait rien d'horrible. Mais le problème prenait une toute autre dimension dès qu'il songeait à ce que penseraientt les gens qui l'entouraient, comment réagiraient-ils en l’apprenant ? Et puis céder serait admettre que finalement en dépit de ce qu'il tentait de se faire croire il n'était pas humain. Reconnaître sa nature de Polymorphe, voilà quelque chose que Danalieth se refusait depuis toujours. Aujourd'hui ce besoin encore diffus mais grandissant commençait à le ronger, il lui fallait du sang.

Danalieth sortit de sous sa couverture et se leva, voilà déjà deux semaines qu'il voyageait avec les marchands. Une certaine routine s'était installée. Ignasse,Fingus, les deux autres gardes et lui même étaient montés, aussi devançaient-ils aisément la lente caravane de roulottes, l'inverse étant aussi facilement réalisable. Jusqu'à maintenant aucune mauvaise surprise n'était venu troubler leur quotidien. Danalieth avait déjà appris beaucoup de ses compagnons de voyages, Ignasse et Fingus, deux frères, travaillaient à plein temps pour le marchand à qui appartenait la caravane, ils venaient des royaumes de Glace et si il aurait été malvenu des les qualifier d'intelligents, ils avaient au moins pour mérite d'être aussi grands que larges. Quant aux deux autres ils avaient été recrutés de manière similaire dans d'autres quartiers de la ville, apparemment ils se connaissaient et passaient le plus clair de leur temps ensemble.

La journée allait être chargée, le convoi devait vers le milieu de l'après-midi, atteindre un défilé rocheux qui avait assez mauvaise réputation. La présence de bandits dans la région était notoire, et si pour l'instant aucun rapport ne permettait de confirmer leur présence il était certain qu'une caravane de cette taille ne manquerait pas d'attirer l'attention. La journée se déroula néanmoins sans problème, cette région de Terra ne présentait aucune étape ou grosse ville où la caravane aurait pu s’arrêter, cela leur permettait de ne pas trop s’attarder dans cette région peu accueillante. Mais d'un autre côté cela les obligeait à monter un camp près de la route ce qui multipliait les risques d'attaques nocturnes.

Le convoi se présenta à l'entrée du défilé à l'heure prévu par les conducteurs, avant de s'engager Ignasse désira une reconnaissance, les deux autres gardes se proposèrent naturellement mais Ignasse qui servait plus ou moins de chef de la sécurité son frère et Aleran pour cette tâche . Des deux frères Fingus était le plus amical envers le jeune homme des deux et aussi le plus grand. Fingus sellèrent donc leur monture respective puis d'un hochement de tête tacite se dirigèrent direction du défilé, Danalieth avait avec lui un long bâton de combat, acheté avant le départ.

Le défilé était calme et le cliquetis métallique produit par les sabots des chevaux se répercutait longuement sur les parois rocheuses. Fingus avançait en tête, il avait été convenu qu'une fois arrivés au bout de la passe ils feraient demi-tour. Danalieth ne s'inquiéta donc pas quand il vit Fingus accélérer et qu'il le perdit de vu.

Un long cri résonna soudain, un cri de fureur mal contenue. Danalieth fit passer sa monture au galop et avala la distance qui le séparait encore de Fingus. Le géant roux était aux prises avec pas moins de quatre malfrats, tous armés de longues piques, son cheval gisait à terre dans une marre de sang. Les bandits avaient abattu la bête faisant chuter son cavalier, Fingus se dressait maintenant la lame dénudée et tentait tant bien que mal de repousser ses attaquants. Véritable montagne de poil roux et de cheveux il balançait sa lourde épée de par et d'autre égalant l'allonge des malfrats et réussissant à les tenir à distance. Danalieth attrapa son bâton et sans ralentir, le tenant tel une lance de tournoi fonça vers les ennemis, les dispersant et permettant à Fingus de respirer un instant.

Fingus était trop imposant pour que l'alezan de Danalieth puisse les porter tous les deux jusqu'à la relative sécurité de la caravane, et celle-ci était bien trop loin pour espérer recevoir de l'aide avant que les choses ne tournent mal ici. Danalieth décida de mettre pied à terre et de laisser repartir sa monture terrifié par l'odeur du sang du cheval mort. Le cheval partit au galop passant entre les assaillants et sortant du défilé.Fingus était une véritable force de la nature, néanmoins il finirait bien par fatiguer et Danalieth lui même ne pourrait alors contenir les assauts multiples de ses ennemis.

Fingus ayant sans doute compris cela asséna une frappe magistrale qui trancha presque entièrement un des bandits en deux, l'homme alla s'écrouler dans les jambes de ses compagnons.

Les trois hommes commencèrent alors à céder du terrain devant la fureur du géant roux, Danalieth lui-même n'avait jamais vu une telle démonstration de force. Le combat semblait des lors gagné lorsqu'un sifflement se fit entendre de tous les belligérants, Danalieth par réflexe s'accroupit, ce qui se révéla inutile puisque la flèche ne lui était pas destinée. Le projectile toucha Fingus à l'épaule semblant à peine le ralentir. Seulement, un deuxième puis un troisième sifflement similaire se fit entendre. Danalieth releva la tête et vit la flèche qui dépassait du crâne du géant, le trait meurtrier l'avait traversé de part en part. Fingus s'écroula dans un râle.
La vue de tout ce sang réveilla en Danalieth quelque chose de primaire, cédant à ses pulsions il se jeta sur le cadavre de son ancien compagnon d'arme et téta le sang à la base d'une des plaies, comme un nourrisson l'aurait fait avec sa mère. Les trois bandits restant ne firent pas un geste,interloqués,choqués.

Aucune flèche ne vint mettre fin à la scène, Danalieth distinguait à peine le monde autour de lui, tout n'était que taches de couleurs floues. Le sang, seul le goût du sang importait en cet instant, un silence oppressant régnait sur la scène, Danalieth releva la tête, du sang lui dégoulina sur le menton, ce que virent alors les trois hommes, personne n'aurait du jamais en être témoin, ils s’enfuirent en courant abandonnant leurs armes sur le sol. Danalieth commençait à retrouver ses esprits, la soif de sang qui l'avait poussé à boire la vie s'échappant du corps de son compagnon commençait à s'apaiser. Danalieth regarda ses mains et poussa un hurlement.

*Pourquoi ? Pourquoi avait-il fallu que ça lui arrive à lui ? Pourquoi maintenant ? Fingus était mort est lui allait peut-être l'être dans un instant. Qu'était-il devenu ? Il voulait arrêter.Arrêter d'exister, mourir. Mourir ? Non, changer de vie,de peau,de corps.*

Danalieth sentit monter en lui une énergie inconnue, encore une fois quelque chose céda au plus profond de lui puis une fulgurante douleur le transperça. Il lui semblait brûler de l'intérieur. Il sentait s'étirer ses os, ses muscles, sa peau. Sa mâchoire s'élargit, devint plus carrée. Et ses cheveux..ses cheveux tombaient par poignées entières, il se mit à se griffer le crâne. Il avait comme l'impression que des nuées d'insectes grouillants s'étaient insinués sous sa peau et tentaient maintenant de s'extraire de son corps. Ses vêtements devinrent trop petits, se déchirèrent, puis aussi soudainement qu'elle était survenue, la douleur disparut, le laissant, tremblant et au bord des larmes.

Comment il avait réussi à regagner les roulottes il n'en sut jamais rien, toujours est-il qu'il émergea du sommeil au rythme des cahots de la route. Toujours allongé il mit les mains devant ses yeux, avait-il imaginé tout cela ? Non. Ses mains ressemblaient à deux véritables battoirs, il se toucha la barbe. La barbe ? Danalieth ne portait pas de barbe ! La roulotte s'arrêta, et soudain ce qu'il se refusait ne serait-ce qu'à imaginer s'imposa à lui comme une évidence. Mais et si ses compagnons avaient découverts le corps de Fingus ? La toile masquant l'entrée de la roulotte se souleva et la masse imposante d'Ignasse vint envahir le peu d'espace disponible.

« « -Fing' t'es réveillé ! Tu nous as fait peur tu sais ! »

« -"Fing"? Je...que s'est-il passé ? »

« -Tu ne te rappelle de rien ? On t'as retrouvé à l'entrée de la passe,seul. On a supposé qu'il était arrivé un truc à toi et au jeunot. Du coup l'patron a insisté pour qu'on reparte tout de suite et qu'on le contourne ce foutu défilé. J'y ai bien dit au patron qu'il aurait du me laisser aller voir, si le ptit était encore vivant mais c'est lui qui commande, t'sais comment c'est hein ! Mais maintenant ça va t'es réveillé. Il s'est passé quoi là-bas frérot hein ? »

« -On s'est fait avoir monsieu..Ignasse. Ils nous attendaient à la sortie de la passe, un archer et quatre autres armés de pique. J'ai rien pu faire pour sauver le sauver. Mais je m'en suis sorti..Et et.. je l'ai laissé mourir.» 

« -T'as eu de la chance c'est tout, t'as rien à te reprocher.Bon habilles toi on arrive presque à Sylfiria.» 

Danalieth quitta la roulotte après avoir déniché une vieille tunique du défunt géant dans une armoire. Alors voilà, c'était fait. Il avait changé de corps, il était officiellement un polymorphe. Maintenant il fallait encore régler certains problèmes avec son « frère ». Danalieth avait du mal à appréhender dans sa globalité ce qui était en train de lui arriver. Il avait utilisé son pouvoir pour la première fois, quelles conséquences cela aurait-il sur sa vie ? Quels changements allait-il devoir opérer dans sa vie ? En attendant il devrait apprendre à s'habituer au  corps du défunt Fingus, il devrait apprendre à être lui.